par Steven Schwinghamer, Historian
À l’approche du centenaire de la Loi sur l’immigration chinoise de 1923, la réponse à trois questions historiques clés nous aidera à comprendre et à donner un sens à cette législation : Quelle était la nature de la loi de 1923 qui fermait la porte à l’immigration chinoise? Comment la politique d’exclusion s’est-elle développée au Canada? Quelles ont été ses conséquences?
Qu’est-ce que la Loi sur l’immigration chinoise de 1923?
La Loi sur l’immigration chinoise de 1923 avait pour but d’empêcher les immigrants chinois d’entrer au Canada. L’essentiel du texte se trouve dans le cinquième paragraphe, relatif à l’entrée et à l’atterrissage, qui définit les classes acceptables pour l’entrée. En vertu de cette loi, les seules catégories de personnes d’origine ou de descendance chinoise autorisées à entrer au Canada sont les représentants du gouvernement, les commerçants et les étudiants, ainsi que les enfants d’origine chinoise nés au Canada qui ont quitté le pays « à des fins éducatives ou autres ». Tous les immigrants chinois ne devaient entrer que par un point d’entrée, et tout immigrant d’origine chinoise ne faisant pas partie des catégories admissibles ne pouvait être inspecté qu’à Victoria ou à Vancouver, en Colombie-Britannique.[1]
Ces conditions dures ont valu à la loi d’être appelée « loi sur l’exclusion des Chinois ». Le jour de son entrée en vigueur, le 1er juillet 1923, est connu sous le nom de « Jour de l’humiliation », et la fête du Dominion (plus tard, la fête du Canada) est entachée par son association avec cette loi discriminatoire.
Avant 1923
La Loi sur l’immigration chinoise de 1923 s’inscrit dans une longue histoire de discrimination à l’égard des immigrants asiatiques en général, et des immigrants chinois en particulier, en Colombie-Britannique et au Canada. La coexistence initiale dans certaines industries, comme les mines, le bois ou la construction, s’est dissoute avec le passage de l’extraction des ressources à la colonisation. Par exemple, les « quartiers chinois » étaient auparavant une source d’intérêt, de curiosité et de contact entre les communautés. Avec l’accent mis sur la résidence et l’établissement, la séparation (créée et appliquée par la société blanche) a été imputée à l’incapacité supposée des immigrants chinois à s’assimiler.[2]
À la fin du XIXe siècle, le changement de perception des travailleurs immigrants asiatiques, qui sont passés du statut de main-d’œuvre nécessaire à celui de concurrents potentiels, a eu un effet profond sur la politique intérieure. En guise de réponse, le Canada et les États-Unis d’Amérique voisins « dans leurs efforts pour réguler et discipliner la mobilité asiatique, ont dessiné et appliqué une nouvelle géographie racialisée de l’exclusion ».[3] La conclusion du projet de chemin de fer transcontinental a joué un rôle important dans cette évolution au Canada, car elle a entraîné un changement d’opinion à la fois sur le tissu de liens de la politique canadienne et sur la désirabilité de la main-d’œuvre chinoise qui y était associée. L’année même où le dernier crampon a été enfoncé dans le chemin de fer du Canadien Pacifique (1885), une commission d’enquête a été créée pour enquêter « sur tous les faits et questions liés à l’ensemble du sujet de l’immigration chinoise, ses relations commerciales, ainsi que les objections sociales et morales soulevées par l’afflux de Chinois au Canada ».[4]
Le rapport recommandait de restreindre l’immigration chinoise au Canada et d’imposer une taxe de dix dollars à chaque immigrant (à quelques exceptions près). Le gouvernement fédéral a immédiatement fixé un montant beaucoup plus élevé, c’est-à-dire cinquante dollars, mais cette mesure n’a pas apaisé les agitateurs anti-asiatiques. Alors que les travailleurs chinois se faisaient mettre à pied par les chemins de fer, la concurrence s’intensifiait et le racisme à l’égard des travailleurs chinois (amenés au Canada peu de temps auparavant en tant que main-d’œuvre essentielle) a atteint son paroxysme au début de l’année 1887. Les Canadiens d’origine chinoise se faisaient intimider; ils étaient victimes de violences contre leur personne et leurs biens, et se faisaient expulser de la ville lors d’une longue période qui mènera éventuellement à une émeute anti-chinoise le 24 février 1887.[5] Le racisme n’a pas diminué et la pression populaire, publique et politique, a continué à pousser à des restrictions de plus en plus sévères sur l’immigration chinoise. La taxe d’entrée a fortement augmenté pendant et après 1900, atteignant cinq cents dollars en 1903.[6]
La discrimination anti-asiatique plus large
Les militants racistes anti-asiatiques n’étaient pas satisfaits de ces restrictions. Face à l’augmentation de l’immigration en provenance d’autres pays asiatiques, notamment le Japon et l’Inde, leur xénophobie s’est manifestée à nouveau violemment lors de l’émeute anti-asiatique de Vancouver en 1907, qui a causé d’importants dommages aux biens des immigrants asiatiques. Bien que l’on puisse affirmer que les principaux catalyseurs de l’émeute étaient liés à l’augmentation de l’immigration japonaise et à l’expulsion contemporaine d’immigrants sikhs d’une ville américaine située non loin de la frontière, la foule, incitée par le rassemblement et la parade de l’Asiatic Exclusion League le 7 septembre 1907, a également ciblé les entreprises chinoises.[7]
Les remarques faites avant et après l’émeute révèlent un aspect essentiel de l’environnement politique anti-asiatique du Canada : l’accueil que le Canada réservait aux immigrants d’autres pays était et reste un élément durable des relations internationales. Par exemple, la perception et la réalité de la puissance croissante du Japon en tant qu’État sont manifestes dans les remarques du premier ministre Laurier concernant spécifiquement les comportements racistes : « Jusqu’à [il y a dix ans], l’Asiatique, lorsqu’il venait dans un pays blanc, pouvait être traité avec mépris et recevoir des coups de pied », mais avec leur nouvelle puissance économique et militaire, les citoyens japonais « ne se soumettront pas aux coups de pied et au mépris, comme le fait encore docilement leur frère de Chine. »[8] C’est d’ailleurs ce jugement sur les différences qui a guidé la réaction à l’émeute : on a immédiatement envisagé d’indemniser les résidents japonais, alors que Sir Wilfrid Laurier et son cabinet ont dû se laisser convaincre d’indemniser les résidents chinois aussi touchés par l’émeute.[9]
En outre, l’émeute a été suivie d’un accord diplomatique en 1908 visant à limiter l’immigration en provenance du Japon sur la base d’un quota; une tentative de parvenir à un accord similaire avec la Chine a échoué l’année suivante.[10] Bien plus tard, une fois les politiques d’exclusion largement supprimées, un petit programme de regroupement familial entre la Chine (communiste) et le Canada a été un geste important dans l’atmosphère conflictuelle des relations internationales de la Guerre froide.[11]
Appels à l’exclusion précédents
Le contexte politique peut être clarifié par les actions de l’un des élus de la Colombie-Britannique au début du XXe siècle, Henry Herbert Stevens. Stevens était rédacteur en chef d’un journal, conseiller municipal, député et ministre fédéral, ainsi qu’un raciste invétéré. En outre, il n’était pas un politicien marginal : sa carrière d’élu au fédéral a duré une trentaine d’années.[12] Stevens a rassemblé ses commentaires sur l’immigration japonaise, hindoue (sic) et chinoise dans un seul pamphlet intitulé The Oriental Problem (Le problème oriental). En parlant des Canadiens d’origine chinoise, Stevens affirme qu’« à bien des égards, les Chinois sont les moins répréhensibles de toutes les classes d’Orientaux », quoiqu’il soutient que la communauté n’est pas assimilable, qu’elle ne s’intéresse pas à ce qu’il appelle « l’esprit pionnier », qu’elle gère des réseaux d’esclavage et de prostitution en son sein et qu’elle se livre à une fraude et à une illégalité généralisées pour ce qui est des réglementations en matière d’immigration. Stevens, plus de dix ans avant la Loi sur l’immigration chinoise de 1923, pose la question rhétorique suivante : « Sommes-nous favorables à l’immigration orientale? » La réponse implicite découle des arguments susmentionnés. Il termine par une exhortation : « Si ce n’est pas le cas, il faut prendre les mesures nécessaires pour les exclure efficacement. »[13]
M. Stevens affirmait également que la consommation de drogues dans la communauté sino-canadienne présentait des dangers publics et moraux.[14] Il n’est pas surprenant que ce discours moralisateur ait trouvé sa place dans la pseudo-science populaire de l’époque, notamment en ce qui concerne l’eugénisme et la santé de la population. L’utilisation et l’abus de raisons médicales pour refuser des immigrants asiatiques sont peut-être cristallisés de la manière la plus élégante dans la débâcle entourant le dépistage de l’ankylostome chez les immigrants asiatiques. Prévalent chez les immigrants asiatiques, l’ankylostome était un parasite qui ne représentait pas un risque important pour la santé publique au Canada, car il était facile à traiter avec les médicaments existants. En outre, pour se propager, il fallait que des personnes marchent pieds nus dans des zones chaudes contaminées par des déchets humains ― chose peu probable dans les agglomérations canadiennes. Cependant, les autorités américaines se sont emparées du risque parasitaire pour interdire l’accès aux immigrants asiatiques, et les activistes anti-asiatiques au Canada ont suivi le mouvement.[15] Le Dr Peter H. Bryce, médecin-chef, a prestement défait les aspects médicaux du prétexte en résumant la situation comme une façon de « trouver une nouvelle raison d’exclure les Hindous [plutôt] qu’une preuve réelle que les Hindous qui viennent au Canada souffrent ou ont souffert de cette maladie dans une large mesure. » Bryce a également observé dans sa lettre, à propos d’une affirmation d’un journal américain selon laquelle les immigrants chinois souffraient de l’ankylostome, que « certes, si la paresse est la meilleure preuve diagnostique de l’ankylostome, il est manifeste que le Chinois, de tous les peuples, est celui qui est le plus exempt de la maladie. Il n’est certainement pas paresseux, même s’il a d’autres choses à se faire reprocher. »[16]
Ces discriminations anti-asiatiques, et plus particulièrement anti-chinoises, se sont renforcées après la Première Guerre mondiale. Le sous-emploi ou le chômage, le nationalisme xénophobe et une politique d’immigration plus large de sélection délibérée ont été autant de facteurs qui ont poussé à l’adoption d’une législation d’exclusion à l’encontre des immigrants chinois. La Loi sur l’immigration chinoise de 1923 a été déposée en mars 1923 et a rapidement franchi les étapes du processus législatif, entrant en vigueur le 1er juillet 1923.[17]
Après 1923
Les conséquences de cette législation d’exclusion ont été extraordinaires et désastreuses pour la communauté sino-canadienne. Le regroupement familial au Canada était pratiquement impossible pour les personnes déjà présentes, et il existait peu de voies légales permettant aux immigrants chinois d’entrer dans la communauté au Canada. Les historiens Jin Tan et Patricia Roy ont découvert que seuls huit immigrants chinois sont entrés au Canada entre 1924 et 1946. L’arrêt des nouvelles entrées et un taux important de retour (ou peut-être d’émigration vers les États-Unis) signifient que la communauté dépendait d’une petite population née au Canada pour sa croissance. Il faut dire que cette population avait un équilibre entre les sexes beaucoup plus équilibré que la « société de célibataires » constituée d’immigrants de la première génération.[18]
Les circonstances de la Seconde Guerre mondiale ont contribué à modifier l’attitude de la population à l’égard des immigrants chinois. L’ennemi militaire commun (le Japon) et l’évolution de la rhétorique anti-asiatique (de l’assimilation et des problèmes de main-d’œuvre aux menaces militaires et à la concurrence commerciale) ont modifié la perception de la Chine par le public. La Chine, en proie au Japon et à des conflits internes, n’était plus une « menace » lorsqu’elle était considérée sous l’angle des questions militaires ou commerciales. Elle bénéficiait même de la sympathie de l’opinion publique.[19] Cela a mené à un net assouplissement des attitudes, même au sein de la Direction de l’immigration.
Auparavant, les fonctionnaires de l’immigration saisissaient toutes les occasions de refuser et d’expulser les immigrants chinois, mais face à des Canadiens d’origine chinoise piégés à l’étranger par les circonstances de la guerre, la Direction de l’immigration a plutôt recommandé une indulgence et un accommodement raisonnables. Les Chinois résidant au Canada devaient s’enregistrer lorsqu’ils se rendaient à l’étranger en vertu de la Loi sur l’immigration chinoise de 1923 ― une autre discrimination unique et ciblée ― et ne pouvaient s’absenter plus de deux ans avant de perdre leur droit de retour.[20] En décembre 1940, un an avant que le Canada n’entre en guerre contre le Japon, le règlement a été modifié temporairement afin de doubler la durée pendant laquelle les résidents pouvaient s’absenter du pays. Cette extension visait à assurer « la paix, l’ordre et le bien-être du Canada ».[21]
Abrogation
Il ne faudrait pas surestimer l’impact de l’assouplissement des règles d’immigration, voire de l’abrogation de la loi d’exclusion elle-même en 1947. La politique d’immigration est restée fortement discriminatoire à l’égard des candidats chinois. Lorsque la Loi sur l’immigration chinoise de 1923 a été abrogée, les Canadiens d’origine chinoise ont gagné le droit de parrainer des membres de leur famille immédiate pour qu’ils entrent dans le pays. C’était tout.[22] Le ministère a néanmoins augmenté ses effectifs pour répondre aux nombreuses demandes d’immigration de familles qui voulaient quitter la Chine communiste, ce qui a entraîné un modeste mouvement de Chinois au Canada, de sorte que, jusqu’au début des années 1950, le nombre d’arrivées annuelles en provenance de Chine a oscillé autour de deux à trois mille.[23] Cependant, pour une communauté enfermée dans l’exclusion depuis des décennies, avec une population totale contemporaine d’environ 30 000 personnes, il s’agissait d’un changement important. Ce changement, l’abrogation, a été réalisé grâce aux efforts d’une combinaison efficace de pouvoirs civiques, syndicaux, religieux et d’autres pouvoirs communautaires.[24] D’autres actions, menées notamment par des vétérans chinois et leurs alliés, ont permis d’obtenir le droit de vote pour la communauté, qui avait longtemps été refusé, ainsi que l’abrogation d’autres lois et règlements discriminatoires à tous les paliers de gouvernement au Canada.[25]
La restriction de l’arrivée à la famille immédiate a conduit à l’arrivée au Canada de « parents sur papier », c’est-à-dire de personnes qui prétendaient avoir un lien de parenté immédiat afin d’obtenir l’autorisation d’entrer sur le territoire. Que ce soit par l’achat de documents authentiques ou falsifiés, ce mouvement a donné lieu à d’importantes opérations d’immigration clandestine et à des profits substantiels pour les organisateurs, tout en contraignant les immigrants à vivre dans l’ombre au Canada, dans la crainte et la vulnérabilité.[26] Ce mouvement est le reflet d’un mouvement similaire aux États-Unis, résultant de restrictions comparables à l’entrée des Chinois, alors même que la demande de main-d’œuvre en Amérique du Nord et les conflits et les révolutions en Chine ont poussé des milliers de personnes à fuir.[27] Une pression publique sympathique, une défense d’intérêts efficace et des preuves de plus en plus nombreuses d’illégalités ont poussé le gouvernement canadien à mettre en place le programme de déclaration d’ajustement chinois, c’est-à-dire une amnistie pour ceux et celles qui étaient entrés par des moyens irréguliers ou illégaux mais qui étaient de bonne moralité et prêts à divulguer et à corriger leur statut au Canada. Ce programme a profité à environ 12 000 Canadiens d’origine chinoise, pour la plupart des « fils de papier », entre 1960 et 1972.[28]
Attitudes au sein de la Direction de l’immigration
Malgré l’abrogation de la Loi sur l’immigration chinoise de 1923 et l’arrivée du programme de régularisation du statut, les attitudes contemporaines au sein de la Direction de l’immigration méritent d’être examinées. Il est évident que les années 1960 ont été marquées par une libéralisation constante de la politique. En 1962 et 1967, des modifications réglementaires ont supprimé les références explicites à la « race » et ont introduit la première version du « système de points ». D’une manière générale, ces mesures étaient de bonne augure, mais sous la surface, le début des années 1960 a clairement été une période de conflit profond au sein du ministère dans l’adaptation de la politique à l’évolution des normes sociales.
En 1960-1961, la Direction de l’immigration a entrepris une révision planifiée de la Loi sur l’immigration. Bien qu’une nouvelle loi ait été introduite moins de dix ans auparavant, le cabinet a été informé qu’une nouvelle Loi sur l’immigration était nécessaire, car la loi existante était « inadéquate pour traiter de manière efficace et efficiente les questions relatives à l’immigration ».[29] En 1961, l’avis du directeur de l’Immigration au ministre adjoint soulève la question des catégories admissibles, et les réponses des fonctionnaires du ministère reflètent un racisme profondément ancré.[30] En résumant les principes devant guider la politique d’admission dans le cadre de cette future nouvelle loi sur l’immigration, le résumé indique que « l’on estime raisonnable de dire que les Canadiens préfèrent généralement voir arriver des immigrants de leur propre origine ethnique; si c’est impossible, ils souhaitent voir arriver des immigrants d’une origine similaire ou au moins compatible ». [31] Pour mettre l’accent, le résumé présente immédiatement la composition ethnique du Canada en 1959, avec les origines britanniques en tête (45 %) et les « Noirs » en fin de liste (0,15 %).
Le mélange de racisme ouvert et voilé se retrouvait également dans tous les journaux. Dans le cadre d’une discussion sur l’admissibilité, le document indique en guise de phrase introductive que « la couleur est un handicap ».[32] Dans cette optique, l’objectif était que les nouvelles réglementations « aboutissent à un volume d’immigration de couleur et asiatique à peu près équivalent à celui de ces dernières années ».[33] La formulation proposée supprime toute référence directe à la race ou à la nationalité, mais il reste possible d’effectuer une sélection fondée sur des préjugés. Les immigrants devaient être jugés en fonction de normes non spécifiées de « développement social » approprié, être alphabétisés dans les langues appropriées et posséder des « traits de caractère compatibles ». L’autre ébauche de texte soumis à l’examen du sous-ministre est encore plus brutale et la liste des avantages décrite par le directeur de l’immigration mentionne qu’elle établit « une nette préférence pour les personnes d’origine européenne et indique clairement que les personnes de couleur ou de race asiatique doivent avoir des qualités supérieures pour se qualifier ».[34] Compte tenu du conflit entre les efforts du ministère pour maintenir la préférence européenne blanche et l’évolution des attitudes du public, il n’est pas surprenant que cet effort pour produire une loi révisée ait échoué.
Après l’abrogation de la Loi sur l’immigration chinoise de 1923, les Canadiens d’origine chinoise ont demandé la permission de réunir leurs familles. Ce document est la demande de James Lee pour faire venir sa femme, Hoi, et son fils, Chew Sen, au Canada. Il montre son arrivée initiale en 1916 ainsi que ses retours en Chine en 1920, 1924 et 1930.
Crédit : Don de JJ Lee au nom de James et Hoi Lee. [DI2021.48.34]
En quête d’équité
L’avènement du « système de points » en 1967 était explicitement une tentative de répondre à la question de l’injustice, de la discrimination ou de la malléabilité dans l’admissibilité des immigrants.[35] L’évolution significative des principaux pays d’origine dans les années qui ont suivi l’introduction du nouveau système est le signe d’un succès notable. En 1968, un peu plus de 32 % des immigrants venaient des pays du Commonwealth et à peine 5 % de Chine.[36] Dix ans plus tard, le nombre d’immigrants en provenance de l’Inde, de Hong Kong, des Philippines et de la Jamaïque était à peu près égal au total combiné des immigrants en provenance de Grande-Bretagne et des États-Unis, ce qui marque un changement et une diversification considérables des sources d’immigrants.[37] L’élimination du racisme systémique dans les pratiques d’immigration était et reste un processus : en 1969, par exemple, une lettre de la communauté chinoise adressée à Allan MacEachen, ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration, saluait les progrès réalisés en matière de politique d’admission équitable, mais soulignait les discriminations qui subsistaient dans les pratiques d’examen médical.[38]
Excuses et réparations
En 2006, le premier ministre Stephen Harper a présenté des excuses officielles pour la taxe d’entrée et d’autres restrictions à l’immigration, y compris la période d’exclusion de 1923 à 1947. M. Harper a déclaré : « Pendant plus de six décennies, ces mesures malveillantes, visant uniquement les Chinois, ont été mises en œuvre de manière délibérée par l’État canadien... Il s’agit d’une grave injustice, que nous sommes moralement tenus de reconnaître. »[39]
La réparation comprenait le versement de 20 000 $ à ceux qui avaient payé la taxe d’entrée, ou à leurs conjoints s’ils étaient décédés. Il prévoyait également un investissement progressif de plusieurs millions de dollars pour commémorer les expériences d’internement des Ukrainiens et des Italiens, l’exclusion des Canadiens d’origine chinoise et l’histoire du refus du SS Komagata Maru et du MS St. Louis.[40]
Conclusion
La Loi sur l’immigration chinoise de 1923 s’inscrit dans un ensemble plus vaste et continu de politiques et d’attitudes anti-asiatiques au Canada. L’abrogation en 1947 de la loi sur l’exclusion des Chinois a laissé subsister de nombreux obstacles à l’immigration chinoise. Ces obstacles ont été levés au cours des plusieurs décennies qui ont suivi. Ces dernières années, les pays asiatiques, dont la Chine, sont en tête de liste des pays d’origine des immigrants canadiens.[41] Cependant, l’augmentation massive des crimes de haine anti-asiatique dans le contexte de la pandémie de COVID-19 est une mise en garde; elle montre que, même un siècle après l’entrée en vigueur de la loi d’exclusion des Chinois, les mêmes préjugés restent présents dans la société canadienne.[42]
- Bibliothèque et Archives Canada, Statuts du Canada, Loi sur l’immigration chinoise, 1923, Ottawa : SC 13-14 George V, Chapitre 38, disponible sur « Chinese Immigration Act, 1923 | Canadian Museum of Immigration at Pier 21 », consulté le 10 mars 2023, https://quai21.ca/recherche/histoire-d-immigration/loi-de-l-immigration-chinoise-1923.↩
- Patricia E. Roy, A White Man’s Province: British Columbia Politicians and Chinese and Japanese Immigrants, 1858 - 1914, Réimpression (Vancouver : Univ. of British Columbia Press, 1990), 4–7; Au sujet de la construction de « Chinatown », voir Kay Anderson, Vancouver’s Chinatown: Racial Discourse in Canada, 1875 - 1980 (Montréal : Presses de l'Université McGill-Queen, 1995).↩
- Kornel Chang, « Enforcing Transnational White Solidarity: Asian Migration and the Formation of the U.S.-Canadian Boundary », American Quarterly 60, no 3 (2008) : 671, https://doi.org/10.1353/aq.0.0027.↩
- Bibliothèque et Archives Canada, Rapport de la Commission royale sur l’immigration chinoise, Rapport et preuves, 1885, 1.↩
- Patricia E. Roy, « The Preservation of the Peace in Vancouver: The Aftermath of the Anti-Chinese Riot of 1887 », BC Studies 31 (automne 1976) : 44–59.↩
- W. Peter Ward, White Canada Forever: Popular Attitudes and Public Policy Toward Orientals in British Columbia (Montréal : Presses de l'Université McGill-Queen, 2002), 61.↩
- Ward, 67–71.↩
- Laurier à MacPherson, 27 août 1907, Documentation de Laurier, cité dans Ward, 67.↩
- Roy, A White Man’s Province, 203–4.↩
- F.J. McEvoy, « “A Symbol of Racial Discrimination”: The Chinese Immigration Act and Canada’s Relations with China, 1942-1947 », Canadian Ethnic Studies 14, no 3 (1982) : 25. Le futur premier ministre du Canada, William Lyon Mackenzie King, est à l’origine de nombreux éléments de la réponse du gouvernement fédéral à cette question, notamment les rapports sur l’émeute de 1907 à Vancouver et sur la main-d’œuvre immigrante asiatique, ainsi que les négociations infructueuses sur les quotas avec la Chine.↩
- Laura Madokoro, « Family Reunification as International History: Rethinking Sino-Canadian Relations after 1970 », International Journal: Canada’s Journal of Global Policy Analysis 68, no 4 (décembre 2013) : 592–94, https://doi.org/10.1177/0020702013511192.↩
- Julie F. Gilmour, « H. H. Stevens and the Chinese: The Transition to Conservative Government and the Management of Controls on Chinese Immigration to Canada, 1900-1914 », The Journal of American-East Asian Relations 20, no 2–3 (2013) : 176, https://doi.org/10.1163/18765610-02003007. Gilmour aborde efficacement les problèmes liés à l’immigration anti-asiatique en Colombie-Britannique, à la fois par l’entremise d’une biographie individuelle et en traitant la population comme un tout indifférencié.↩
- H.H. Stevens, « The Oriental Problem » (date inconnue, v. 1911), 16, https://www.canadiana.ca/view/oocihm.98509/1. Il semble que cette brochure soit une consolidation de documents déjà publiés, et la datation est approximative, sur la base d’une référence dans le texte à l’enquête du juge Murphy sur l’immigration chinoise.↩
- Patricia E. Roy, « British Columbia’s Fear of Asians », Histoire sociale / Social History 13, no 25 (1980) : 164–65.↩
- Isabel Wallace, « “Hindus”, Hookworm, and the Guise of Public Health Protection », BC Studies 178 (été 2013); également Bibliothèque et Archives Canada, fonds de la Direction de l’immigration, RG 76, Vol. 584, Dossier 820636, « Hon. Frank Oliver, Minister of the Interior, Ottawa, Ont. Prevalence of hook worm among Hindus applying for admission to U.S. and among the Negroes (Blacks) of the U.S. »↩
- Bibliothèque et Archives Canada, fond de la Direction de l'immigration, RG 76, Vol. 584, Dossier 820636, « Hon. Frank Oliver, Minister of the Interior, Ottawa, Ont. Prevalence of Hook Worm among Hindus Applying for Admission to U.S. and among the Negroes (Blacks) of the U.S. », Dr P.H. Bryce au Dr G.L. Milne, Ottawa (Ontario), 28 décembre 1911, consulté le 21 mars 2023, https://heritage.canadiana.ca/view/oocihm.lac_reel_c10658/225. Bryce a terminé sa lettre en autorisant la poursuite des examens nécessaires, même si, d’après son ton sec, il est possible qu’il ait pensé que cela pourrait constituer un obstacle en soi, car un dépistage complet de l’ankylostomiase exigerait un grand nombre d’examens de selles sûrs et vérifiables.↩
- Patricia E. Roy, The Oriental Question: Consolidating a White Man’s Province, 1914 - 41 (Vancouver : Univ. of British Columbia Press, 2003), 73–77.↩
- Jin Tan et Patricia E. Roy, The Chinese in Canada, Canada’s Ethnic Groups 9 (Ottawa : Canadian Historical Association, 1985), 13.↩
- Peter S. Li, The Chinese in Canada, 2e éd. (Toronto; New York : Oxford University Press, 1998), 90–91.↩
- Bibliothèque et Archives Canada, Statuts du Canada, Loi sur l’immigration chinoise, 1923, Ottawa : SC 13-14 George V, Chapitre 38, disponible sur « Chinese Immigration Act, 1923 | Canadian Museum of Immigration at Pier 21 ».↩
- Bibliothèque et Archives Canada, fonds de Citoyenneté et Immigration, RG 26, Vol. 87, dossier non numéroté « Orders-in-Council, Immigration Branch, 1940 », « P.C. 7722-1940 », 31 décembre 1940.↩
- James W. Morton, In the Sea of Sterile Mountains: The Chinese in British Columbia, 1re édition papier (Vancouver : J.J. Douglas, 1977), 252.↩
- Li, The Chinese in Canada, 96.↩
- Stephanie Bangarth, « “We Are Not Asking You to Open Wide the Gates for Chinese Immigration”: The Committee for the Repeal of the Chinese Immigration Act and Early Human Rights Activism in Canada », Canadian Historical Review 84, no 3 (1er septembre 2003) : 396, https://doi.org/10.3138/CHR.84.3.395.↩
- Patricia E. Roy, The Triumph of Citizenship: The Japanese and Chinese in Canada, 1941-67 (Vancouver : UBC Press, 2007), 172–75.↩
- Roy, Triumph of Citizenship, 269–79. À l’époque, les hommes politiques et les défenseurs des communautés ont reconnu que les restrictions arbitraires à l’immigration se retourneraient contre eux, poussant les gens à faire des démarches frauduleuses ou à entrer illégalement sur le territoire, ce qui réduirait l’efficacité du contrôle des entrées. Pour une présentation détaillée de cette discussion, voir Efrat Arbel & Alletta Brenner, Bordering on Failure: Canada-U.S. Border Policy and the Politics of Refugee Exclusion (novembre 2013 : Harvard Immigration and Refugee Law Clinical Program, Harvard Law School), accessible sur https://commons.allard.ubc.ca/fac_pubs/14/.↩
- Voir, par exemple, Beth Lew-Williams, « Paper Lives of Chinese Migrants and the History of the Undocumented », Modern American History 4, no 2 (juillet 2021) : 109–30, https://doi.org/10.1017/mah.2021.9.↩
- Peter Nyers, « The Regularization of Non-Status Immigrants in Canada: Limits and Prospects », Canadian Review of Social Policy 55 (2005) : 110.↩
- Bibliothèque et Archives Canada, fonds de Citoyenneté et Immigration, RG 26, Vol. 99, Dossier 3-15-1, « Immigration Regulations and Correspondence », Confidential Memorandum to Cabinet regarding proposed revision of the Immigration Act, non attribué et non daté. Il semble avoir été créé au nom du ministre de l'Immigration et, compte tenu du contenu, date probablement de la fin de l'été ou du début de l'automne 1960. Dans le dossier d'archives, la note de service contient 17 pages, mais est incomplète.↩
- Bibliothèque et Archives Canada, fonds de Citoyenneté et Immigration, RG 26, Vol. 99, Dossier 3-15-1, « Immigration Regulations and Correspondence », Directeur de l'immigration au sous-ministre, Ottawa (Ontario), 20 janvier 1961.↩
- Bibliothèque et Archives Canada, fonds de Citoyenneté et Immigration, RG 26, Vol. 99, Dossier 3-15-1, « Immigration Regulations and Correspondence », Directeur de l’immigration au sous-ministre, Ottawa (Ontario), 20 janvier 1961, pièce jointe « Summary of Discussions Regarding Admissibility », 4. Emphase présente dans l’original.↩
- Bibliothèque et Archives Canada, fonds de Citoyenneté et Immigration, RG 26, Vol. 99, Dossier 3-15-1, « Immigration Regulations and Correspondence », Directeur de l’immigration au sous-ministre, Ottawa (Ontario), 20 janvier 1961, pièce jointe « Paper B ».↩
- Bibliothèque et Archives Canada, fonds de Citoyenneté et Immigration, RG 26, Vol. 99, Dossier 3-15-1, « Immigration Regulations and Correspondence », Directeur de l’immigration au sous-ministre, Ottawa (Ontario), 20 janvier 1961, pièce jointe « Summary of Discussions Regarding Admissibility », 5.↩
- Bibliothèque et Archives Canada, fonds de Citoyenneté et Immigration, RG 26, Vol. 99, Dossier 3-15-1, « Immigration Regulations and Correspondence », Directeur de l’immigration au sous-ministre, Ottawa (Ontario), 20 janvier 1961, pièce jointe « Paper C ».↩
- Bibliothèque et Archives Canada. « Immigration Act, Immigration Regulations, Part 1, Amended » RG2-A-1-a, Vol. 2380, PC1967-1616, 16 août 1967, consulté le 24 mars 2023, https://quai21.ca/recherche/histoire-d-immigration/reglement-sur-l-immigration-decret-du-conseil-cp-1967-1616-1967. Il y a eu quelques problèmes initiaux : par exemple, 15 des 50 points requis étaient déterminés par l’évaluation nébuleuse des « aptitudes personnelles » d’un immigrant. Il a fallu intervenir : en février 1968, le SMA de l’Immigration a distribué un guide pour aider à normaliser l’utilisation de ces points. Voir Bibliothèque et Archives Canada, fonds de la Direction de l’immigration, RG 76, Vol. 938, First Immigration Manual, classeur 18, « Clarification on Personal Suitability Points ».↩
- Canada, Main-d'œuvre et Immigration, Immigration Statistics/Statistiques d'immigration : 1968 (Ottawa : Main-d'œuvre et Immigration, 1968), 2.↩
- Canada, Emploi et Immigration, Immigration Statistics/Statistiques d'immigration : 1978 (Ottawa : Approvisionnement et Services Canada, 1980), 2.↩
- Bibliothèque et Archives Canada, R11939 Boîte 28 Dossier 12, Chinese Community of Toronto, Montreal, Hamilton, Sarnia, Burlington, Orillia & Peterborough, « Memorandum to the Honourable Allan J. MacEachen, Minister of Manpower & Immigration », 16 juin 1969, 1. L’auteur tient à remercier Daniel Meister, qui a partagé ce document fascinant.↩
- Emploi et Développement social Canada, « Le Premier ministre Harper offre des excuses aux Chinoises et aux Chinois », communiqué de presse, 22 juin 2006, https://www.canada.ca/fr/nouvelles/archive/2006/06/premier-ministre-harper-offre-excuses-chinoises-chinois.htmlhttps://www.canada.ca/fr/nouvelles/archive/2006/06/premier-ministre-harper-offre-excuses-chinoises-chinois.html.↩
- Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, « Évaluation des Programmes de reconnaissance historique », évaluations, 15 avril 2013, https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/organisation/rapports-statistiques/evaluations/programmes-reconnaissance-historique.html.↩
- Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, « Rapport annuel au Parlement sur l’immigration, 2022 », 1er novembre 2022, 50, https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/organisation/publications-guides/rapport-annuel-parlement-immigration-2022.html.↩
- Vanessa Balintec CBC News, « Asians “Tired”, “frustrated” as Study Shows Hate Is on the Rise in Canada | CBC News, » CBC, 3 avril 2022, https://www.cbc.ca/news/canada/toronto/2-years-into-the-pandemic-anti-asian-hate-is-still-on-the-rise-in-canada-report-shows-1.6404034.↩