Collaboration dans la recherche en matière d’histoire orale

Introduction : Partage d’autorité

Partager l’autorité par la collaboration est une partie essentielle de la recherche en matière d’histoire orale. Cette pratique peut prendre de nombreuses formes, y compris des efforts de sensibilisation, le choix de l’objectif d’un projet de recherche, le partage d’autorité lors d’entrevues et le travail en commun pour créer du contenu public.[1] Cette collaboration peut prendre de nombreuses formes et fait partie du processus de partage de l’autorité en matière d’histoire orale, ce qui rend la pratique de l’histoire plus inclusive et démocratique.

Organisations d’établissement - Immigrant Settlement Services of British Columbia

Nous travaillons beaucoup avec les organismes d’aide à l’établissement afin que les gens sachent quand nous souhaitons organiser des entrevues. Nous envoyons par exemple de l’information concernant notre voyage de recherche, accompagnée d’une affiche de sensibilisation. Nous demandons ensuite au personnel d’aider à diffuser l’information. À Vancouver, nous avons travaillé avec MOSAIC, S.U.C.C.E.S.S. et l’Immigrant Settlement Services of British Columbia, en plus d’autres organisations, comme le Pacific Canada Heritage Centre-Museum of Migration. Chacun des trois voyages que j’ai faits en Colombie-Britannique a permis de tisser ces liens et de mieux faire connaître le Musée et ses activités. Le personnel de l’organisation d’établissement a toujours été serviable, et il y a souvent une personne qui s’intéresse tout particulièrement à notre projet.

Liza R. Bautista, par exemple, travaillait pour l’Immigrant Services Society of British Columbia depuis 1995 lorsque nous l’avons rencontrée en 2018. Elle nous a fait visiter le centre d’accueil de Vancouver et nous a présenté plusieurs membres du personnel. Nous avons également fait une entrevue avec Liza. Elle est née aux Philippines et est d’abord venue au Canada dans le cadre du programme des travailleurs domestiques étrangers.[2] Notre collection compte maintenant plusieurs entrevues avec des employés du secteur de l’établissement qui sont venus au Canada en tant qu’immigrants ou réfugiés.

Le Centre d’histoire orale, Université de Winnipeg

Nous cherchons également à collaborer au sens large avec les universités et les groupes communautaires lors de différentes phases de projets d’histoire orale, y compris ceux déjà initiés par d’autres centres. En 2016, par exemple, Nolan Reilly, Ph.D., directeur émérite du Centre d’histoire orale de l’Université de Winnipeg, a communiqué avec le Musée au sujet d’un projet d’histoire orale à Neepawa, au Manitoba, qui pourrait porter sur « la mondialisation et l’immigration dans une petite ville des Prairies ».[3] Le Centre participait à un projet d’histoire orale avec la section 832 des Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce (TUAC). Ce projet, dirigé par Scott Price, avait comme objectif d’enregistrer des entrevues sur l’histoire diversifiée du syndicat au Manitoba.

Ce projet comprenait des entrevues avec des personnes qui travaillaient dans des usines de transformation de la viande à Brandon et à Neepawa, au Manitoba. Ce premier échange a débouché sur une série de discussions, sur une aide à la sensibilisation, et sur un voyage en 2017 à Neepawa, au Manitoba, où dix entrevues ont été enregistrées au Margaret Laurence Home. Il s’agissait notamment de sept entrevues avec des personnes originaires des Philippines.[4] Ces entrevues ont servi de base à une courte video qui fait maintenant partie de la galerie d’histoire orale BMO, en ligne sur le site du MCI.[5]

Mères et filles immigrantes - Collaboration avec l’IMWAH

Nous avons également développé le projet de collaboration « Ma mère et moi : Notre voyage », avec l'Immigrant Migrant Women's Association of Halifax (IMWAH). Dans ce cas-ci, c’est le Musée qui a approché les membres du conseil d’administration de l’IMWAH en 2019 pour explorer la possibilité d’une collaboration à diverses phases d’un projet de recherche sur l’histoire orale. Nous avons travaillé ensemble pour définir l’axe du projet (les mères et les filles), pour entamer des efforts de sensibilisation et pour adapter le guide d’entrevue du Musée à ce projet. Avec la contribution des six femmes interrogées, nous avons créé une video[6] basée sur les entrevues et planifié un événement public pour la Journée internationale de la femme en 2020. La collaboration s’est poursuivie après la fin du projet, puisque María José Yax-Fraser, (ancienne) coprésidente de l’IMWAH, et moi-même avons présenté le projet lors de la réunion annuelle de l’Association d’histoire orale en 2021.[7]

Le projet Chyssem : Célébrer les 50 ans d’histoire des Canadiens et Canadiennes d’origine tibétaine

Le dernier exemple, celui d’un effort de collaboration avec la communauté tibétaine canadienne au Canada, est en cours. En 2016, Sinisa Obradovic, ancienne intervieweuse d’histoire orale du Musée, a réalisé trois entrevues à Montréal. Namchho Chhoyang est née au Tibet et a fui vers l’Inde avec sa famille en 1959. Sa fille, Dicki Chhoyan, née dans le nord de l’Inde, a également été interviewée. La famille est arrivée au Canada en 1971 dans le cadre d’un programme gouvernemental visant à installer des réfugiés tibétains au Canada de façon permanente.[8] L’année suivante, Dicki Chhoyang, qui est membre bénévole du projet Chyssem, a contacté le Musée pour explorer la possibilité d’une collaboration supplémentaire. Des membres de la communauté tibétaine au Canada avaient commencé à travailler sur le projet Chyssem pour commémorer le premier mouvement de Tibétains arrivés au Canada au début des années 1970 et pour préserver leur lien personnel avec le Tibet pour les générations futures.

Nous avons donc réalisé six autres entrevues vidéo avec des membres de la communauté tibétaine au Canada. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec le projet Chyssem pour identifier les participants potentiels aux entrevues et élaborer un guide d’entrevue. Je suis allée à Etobicoke avec le vidéaste Darryl LeBlanc et nous avons installé un studio d’enregistrement temporaire dans le Centre culturel tibétain canadien pour trois jours d’entrevues. Dans le cadre de cette collaboration avec la communauté, j’ai également co-animé un atelier du soir sur les entrevues audio d’histoire orale avec Rignam Wangkhang, un autre membre bénévole du projet Chyssem, dans le but de fournir une formation de base aux personnes qui mèneront d’autres entrevues pour le projet Chyssem.[9]

Deux femmes s’assoient sur un canapé, face à face.
Sonam Nylosang et Deki Jamyangling, atelier d’histoire orale, Centre culturel tibétain canadien, 2019.
Crédit : Photo gracieuseté d’Emily Burton

La collaboration et la COVID

J’avais prévu de retourner en Ontario en 2020 pour mener des entrevues supplémentaires, mais je n’ai pas pu me déplacer en raison de la COVID-19. L’anniversaire approchant à grands pas, il était important d’enregistrer d’autres histoires qui pourraient faire partie de la collection permanente du MCI. Nous avons décidé d’entamer une autre phase de collaboration au cours de laquelle des intervieweurs bénévoles issus de la communauté tibétaine canadienne au Canada réaliseraient des entrevues audio à distance. Rignam est devenu le coordonnateur de ce projet; quatre autres intervieweurs volontaires ont participé à une séance de formation virtuelle sur les entrevues d’histoire orale. Dix entrevues supplémentaires ont été ajoutées à la collection d’histoire orale grâce à cette initiative, ainsi que des documents et des images provenant des trois séries d’entrevues de 2016, 2019 et 2021.

Conclusion : Histoire et collaboration inclusives

L’entrevue d’histoire orale implique à la fois des concepts de base qui s’appliquent à toute entrevue, et une flexibilité dans les approches pour différents projets. Toutes les entrevues sont guidées par des principes éthiques, notamment le consentement éclairé. Les entrevues peuvent également impliquer divers degrés de collaboration, allant de l’aide aux efforts de sensibilisation à l’implication dans toutes les phases d’un projet, en passant par la formation d’intervieweurs bénévoles faisant partie de la même communauté. Toutes les possibilités de collaboration impliquent un certain degré de partage d’autorité, un terme fréquemment utilisé dans la recherche sur l’histoire orale. En mettant l’accent sur les souvenirs et les réflexions à la première personne sur des événements et des expériences vécus, les entrevues d’histoire orale contribuent de manière significative à la démocratisation de l’histoire.[10] La collaboration dans la recherche sur l’histoire orale fait partie de cet élan de démocratisation.


  1. L’expression « autorité partagée » (shared authority) a été utilisée pour la première fois par Michael Frisch. Voir A Shared Authority: Essays on the Craft and Meaning of Oral and Public History. (Albany: Suny Press, 1990).
  2. Liza R. Bautista, interviewée par Emily Burton, le 2 novembre 2018, à Burnaby, en Colombie-Britannique, collection du Musée canadien de l’immigration du Quai 21 (18.11.02LRB). Pour en savoir plus sur l’histoire de Liza, voir histoire orale 18.11.02LRB.
  3. Correspondance entre Nolan Reilly et Emily Burton, 21 août 2016. Voir aussi https://oralhistorycentre.ca/.
  4. Recherche dans les collections : « Neepawa » pour les registres liés aux entrevues. Argus : La Collection | Musée canadien de l’immigration du Quai 21 (sydneyplus.com).
  5. Des Philippins à Neepawa : Expériences d’immigration dans un village des Prairies.
  6. Ma mère et moi : Notre voyage.
  7. https://www.oralhistory.org/past-annual-meeting/ Conférence virtuelle de 2021, octobre 2021.
  8. Voir Jan Raska, L’immigration tibétaine au Canada | Musée canadien de l’immigration du Quai 21 et également Geste humanitaire : Le Canada et le programme de réinstallation tibétain, 1971-5 | Musée canadien de l’immigration du Quai 21.
  9. Photo gracieuseté d’Emily Burton.
  10. Voir Alexander Freund, Kristina R. Llewellyn, et Nolan Reilly, éd. « Introduction », The Canadian Oral History Reader (Montréal & Kingston : Presses de l’Université McGill-Queen, 2015), 240-242.
Author(s)

Emily Burton, PhD

Emily Burton est historienne orale au Musée canadien de l’immigration du Quai 21. Elle a étudié l’histoire orale dans le cadre de sa maîtrise en histoire, et elle détient un doctorat en histoire canadienne de l’Université Dalhousie. Ses recherches actuelles dans la collection d’histoires orales du Musée s’intéressent aux expériences de guerre et de déplacements forcés.