« Mais pourquoi quitteriez-vous les États de Boston? »
C’est une question à laquelle je m’attendais au début des années 1970, lorsque j’ai rencontré de nouvelles personnes dans les communautés de la baie St-Margaret, où j’ai habité la majorité de ma vie. Lors de nos visites de la section du Musée canadien de l’immigration du Quai 21, nous parlons des « forces d’attraction et de poussée » de l’immigration, c’est-à-dire des facteurs qui ont attiré les gens vers un lieu différent et de ceux qui pourraient les éloigner de leur foyer actuel. Moi, j’avais émigré au Canada en janvier 1971 pour un certain nombre de raisons : les études, une insatisfaction à l’égard de nombreuses tendances sociales et politiques aux États-Unis de l’époque, mais surtout parce que je n’avais jamais eu le sentiment d’appartenir à cette partie du monde. En regardant et en écoutant les récits oraux de la Galerie d’histoire orale BMO, j’ai rencontré plusieurs personnes qui ont dit qu’elles ne se sentaient pas chez elles avant d’arriver au Canada, et c’est mon cas. Je me souviens très bien de mon premier pas en Nouvelle-Écosse, après avoir traversé les États-Unis jusqu’à Yarmouth en traversier, et que je me suis immédiatement senti « chez moi ».
Les « États de Boston », pour ceux qui ne le savent pas, est un terme utilisé pour désigner librement la partie des États-Unis allant du sud du Maine à l’ouest du Massachusetts, mais principalement centrée sur Boston, comme le nom l’indique. À ce que je sache, ce terme est né de la longue histoire des communautés de pêcheurs du Canada atlantique et du nord-est des États-Unis, qui étaient liées par des liens commerciaux et familiaux, ainsi que par une histoire commune de pêche dans les mêmes secteurs. Au début des années 1970, la dépendance à l’égard de la pêche en Nouvelle-Écosse et en Nouvelle-Angleterre commençait à s’estomper, mais pendant un certain temps, une aura de romantisme semblait s’attacher aux États-Unis dans l’esprit de mes nouveaux voisins.
Comme je l’ai mentionné, j’étais venu à Halifax principalement pour étudier, ayant été accepté dans le programme de doctorat de Dalhousie au sein d’un nouveau groupe de scientifiques et d’ingénieurs en sciences naturelles et sociales qui espéraient examiner les problèmes environnementaux à l’aide d’une approche interdisciplinaire, une chose tout à fait nouvelle et enivrante pour le groupe de nouveaux étudiants diplômés du monde entier qui avaient été rassemblés pour travailler avec des chercheurs d’agences fédérales et provinciales, d’autres universités et du secteur privé. La perspective d’un nouveau défi académique, assorti d’un soutien financier, a exercé un attrait certain. Après mes études de premier cycle, j’ai suivi des cours et travaillé à l’université de l’Indiana, où j’ai rencontré plusieurs Canadiens qui menaient des carrières universitaires aux États-Unis et au Canada, en passant plusieurs mois par an dans chaque pays. Ils m’avaient parlé des aspects positifs et négatifs de l’expérience canadienne à l’époque, comme les deux solitudes, les débuts du multiculturalisme, les changements récents dans la prestation des soins de santé, etc. Le premier ministre Pearson avait contribué à donner au Canada une réputation de gardien de la paix dans de nombreuses régions du monde, tandis que le ministre de la Justice de l’époque, puis premier ministre, Elliot Trudeau, avait prononcé son célèbre discours (du moins pour ceux d’entre nous qui font partie de la communauté LGBT) « le gouvernement n’a pas sa place dans les chambres à coucher de la nation », qui l’a rendu cher à mes yeux de jeune homosexuel refoulé. À bien des égards, donc, le Canada était attrayant du point de vue de la responsabilité environnementale, de la justice sociale, des approches en matière de soins de santé et de l’acceptation des personnes originaires d’autres parties du monde, autant d’éléments qui exercent une forte attraction. Du côté négatif, bien sûr, il y a eu la crise du FLQ et l’imposition de la Loi sur les mesures de guerre, des facteurs qui m’ont fait réfléchir à la possibilité de faire partie d’une culture et d’une histoire différentes, qui étaient peut-être sur le point d’imploser.
Cependant, j’ai pris la décision de venir dans un nouveau pays, une nouvelle province, une nouvelle ville et un nouvel établissement d’enseignement, et je ne l’ai jamais regretté. Au cours des cinquante années qui se sont écoulées depuis mon arrivée au Canada, j’ai eu l’occasion de travailler en tant que consultant à tous les niveaux de gouvernement, de gérer deux petites entreprises et d’être professeur d’université et administrateur. Sur le plan personnel et social, j’ai eu l’occasion de faire pression, avec d’autres, pour modifier le code des droits de la personne, de créer le premier groupe de soutien aux malades du SIDA dans la province, de me faire de très nombreux amis merveilleux et de travailler avec eux, de faire du bénévolat dans diverses organisations et, ce qui est sans doute le plus important, de devenir le parent unique d’une jeune personne merveilleuse. Comme tant d’immigrants que j’ai rencontrés à l’intérieur et à l’extérieur du Quai 21, le Canada m’a offert de merveilleuses occasions de m’épanouir et, je l’espère, de rendre service à mon pays d’adoption.