Des histoires d'enfants, de guerre, et de séparation familiale dans la collection d'histoires orales du Musée canadien de l'immigration du Quai 21

(Mise à jour le 4 décembre 2020)

Introduction : Histoires orales et expériences d’enfance et de séparation familiale en temps de guerre

Les histoires orales sont utilisées dans les rapports de recherche du Musée, dans des expositions permanentes et itinérantes, sur le site Web du Musée, et par des chercheurs externes et d'autres tierces parties. Nous pouvons encore en apprendre beaucoup des entrevues d'histoire orale, mais certains thèmes communs à beaucoup de ces histoires sont la guerre et le déplacement imprévu. Avec l'aide d'Alexandra Weller, une stagiaire d'été venue du programme de maîtrise en histoire publique de Western University, nous avons identifié 39 entrevues qui reflètent évidemment ces thèmes. Les personnes interrogées sont venues au Canada à partir de pays en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient, en Europe, et en Amérique. Toutes ces personnes sont arrivées au Canada entre 1940 et 2009. Dans ces entrevues, nous avons cerné bon nombre de sous-thèmes, y compris : le départ de la maison, les relations familiales, les expériences dans l'enfance, l'autonomie individuelle, le traumatisme, l'ajustement à la vie au Canada, l'activisme et la mobilisation au Canada, et le retour à la maison.

Je souhaite partager avec vous certaines des conclusions que nous avons relevées dans l'un de ces sous-thèmes : les expériences dans l'enfance. Environ la moitié des entrevues de notre étude comprennent des personnes qui ont eu des expériences pendant la guerre ou qui ont été déplacées pendant leur enfance. Il y a beaucoup de questions connexes qui ressortent de ces entrevues, y compris des enfants qui ont été séparés de leur famille à cause de la guerre. Thelma Freedman et Monybany Monyang Dau ont tous deux vécu cette expérience, et ils ont tous deux partagé leurs histoires avec des historiens du Musée. Bien qu'il y ait certaines similarités dans leurs expériences, leurs histoires proviennent de différentes époques et de différents lieux, et l'impact de la guerre, comme le degré de difficulté, est également différent. Ces histoires ne permettent donc pas de généraliser au sujet des enfants, du déplacement forcé ou de la guerre. Elles peuvent néanmoins nous donner une idée de la façon par laquelle des particuliers vivent des événements généraux, et d'y réfléchir. Ces événements peuvent être à la fois déchirants et difficiles à comprendre ou démêler.

Thelma Freedman : Évacuation vers le Canada pendant la Seconde Guerre mondiale

L'entrevue de Thelma Freedman a eu lieu en 1998. Elle est née à Londres, en Angleterre, et a été évacuée de la Grande-Bretagne pendant la Deuxième Guerre mondiale.[1] Thelma et sa sœur Marion ont été envoyées au Canada par l'entremise du Children’s Overseas Reception Board (CORB), un organisme commandité par le gouvernement britannique et qui envoyait des enfants à l'étranger, par exemple au Canada, pour un exil temporaire en temps de guerre.[2]

Les parents de Thelma n'ont reçu que quelques heures d'avis indiquant que Thelma et Marion partiraient vers le Canada.[3] Avec un ensemble de vêtements de rechange, des masques à gaz, et quelques autres articles, les sœurs ont quitté l'école au milieu de la nuit avec leurs parents en août 1940. Selon Thelma, sa mère leur a « inculqué fermement de rester ensemble », à la fois pendant la traversée de l'Atlantique, et après leur arrivée au Canada, où elles ont habité à Vancouver avec une famille qui avait trois filles. Thelma et Marion ont été très proches de cette famille. Les autres filles ont été comme des sœurs pour elles, et leurs parents, Gladys et Harold, sont devenus comme une tante et un oncle pour Thelma et Marion. L'expérience de Thelma et sa sœur à Vancouver a été généralement positive. Thelma reconnaît qu'elles ont été « très, très chanceuses ». Les parents de Thelma se sont rendus à Vancouver après la guerre, et ont passé du temps avec la famille. Ses parents n'étaient pas toujours d'accord avec la « tante » et l'« oncle » canadiens des filles, par exemple en ce qui concerne les sorties à des danses à l'église le vendredi soir, ou les veillées tardives.

Les défis de la réunification avec la famille et du retour en Angleterre

Les parents de Thelma ont décidé de retourner en Angleterre, mais les filles ont décidé de rester au Canada. « Je veux dire, nous étions Canadiennes. » Les filles ont éventuellement reçu un avis du consulat britannique, par l'entremise de leurs parents, indiquant qu'elles devaient rentrer chez elles. Gladys et Harold ont tenté de les adopter légalement, mais n'en ont pas eu la permission. Thelma et Marion sont retournées en Angleterre, encore en passant par Halifax, en octobre 1947.

L'ajustement à leur retour en Angleterre a été un défi. La maison où elles avaient habité autrefois avait été bombardée, et la nourriture et les vêtements étaient encore rationnés. Leur mère voulait tout faire à leur place. Elle ne voulait pas que les filles reçoivent de lettres de leur famille canadienne. Selon Thelma, « j'étais à la maison, mais je n'étais pas chez moi. » Éventuellement, Thelma a commencé à se lier de nouveau avec ses parents : « Je semblais connaître ma mère et mon père un peu plus profondément, et j'ai commencé à comprendre le raisonnement de ma mère. » Thelma croyait que sa mère regrettait d'avoir envoyé ses filles au Canada, parce qu'elle croyait que la tante et l'oncle canadiens avaient « volé l'amour qui lui revenait de droit ».

Monybany Minyang Dau : Devenir un enfant-soldat et partir pour recevoir une éducation

Avant que le Quai 21 ne devienne le Musée canadien de l'immigration du Quai 21, en février 2011, les entrevues de la collection étaient organisées avec des personnes, comme Thelma Freedman, qui étaient liées au Quai 21. Depuis, nous organisons des entrevues qui reflètent notre mandat, comme musée national, d'explorer le thème de l'immigration vers le Canada, plus généralement. L'entrevue de Monybany Minyang Dau, par exemple, a eu lieu en 2012. Il a fui le Soudan alors qu'il était enfant pendant la deuxième Guerre civile du Soudan, et est venu au Canada comme jeune adulte après avoir passé du temps en Éthiopie et à Cuba.[4] Il est né au milieu des années 1970. Il était au primaire lorsque la guerre a éclaté. L'armée soudanaise et les rebelles ont tous deux attaqué son village. À neuf ans, il a affirmé à sa mère qu'il voulait se joindre aux rebelles. Monybany se souvient que sa mère lui a dit : « Tu es si jeune. Tu ne peux pas le faire. » Le jour suivant, il est parti. Il a marché jusqu'en Éthiopie, où il a passé du temps dans un camp avant de se joindre à l'Armée populaire de libération du Soudan (APLS), devenant un enfant soldat. Bon nombre des enfants n'ont pas survécu, mais Monybany affirme avoir été « chanceux » car il a été affecté au quartier général d'un commandant, et il n'était pas généralement sur le front.

Quelques années plus tard, il a été envoyé à Cuba, avec d'autres enfants soldats, parce que Cuba leur offrait l'occasion d'être éduqués. Ils ont été accueillis à Cuba, où on a pris soin d'eux. « Sans même nous connaître, certains d'entre eux ont commencé à pleurer lorsqu'ils ont vu notre état, et ils ont été si, si généreux avec nous. » Il lui a fallu du temps pour s'habituer à un traitement comme enfant. En fait, il a dû réaliser qu'il était encore un enfant. « Jusqu'à ce que je voie ma photo, un jour... je ne savais pas combien j'étais petit et menu. »

Immigrer au Canada et renouer avec sa famille

Monybany a passé 13 ans à Cuba. Pendant ce temps, il a cherché à reprendre contact avec sa famille. À l'aide de l'Organisation des Nations unies (ONU), et à travers celui-ci, la Croix-Rouge internationale (CRI), le nom de Monybany a circulé dans plusieurs camps de réfugiés, et sa mère, ses deux sœurs et son beau-frère ont éventuellement vu son nom, et lui ont écrit. Il a appris le décès de membres de sa famille, y compris son père. Sa mère était malade, et il a commencé à réfléchir à une façon de soutenir sa famille de loin. L'occasion de venir au Canada est survenue, et il croyait que cela lui permettrait de travailler et de renvoyer de l'argent à sa famille. Il s'est installé à Edmonton en 1998. Il a aidé sa mère et sa tante à déménager en Ouganda, et a fait venir sa sœur au Canada.

Dans son entrevue, Monybany se souvient de la première conversation émotionnelle qu'il a eue avec sa mère. Il ne l'avait pas vue et ne lui avait pas parlé depuis son départ du Soudan, à neuf ans. Elle lui a chanté des chansons qu'il connaissait dans son enfance, et l'a appelé par des surnoms dont ils se souvenaient tous les deux. Cela servait partiellement à confirmer qu'il s'agissait bel et bien de Monybany. Lorsque sa mère a réalisé qu'elle parlait à un Monybany adulte, tout le monde a commencé à rire, puis à pleurer. Sa mère lui a dit de ne pas revenir à la maison, car c'était trop dangereux. « Je sais que tu es vivant, et cela me suffit. » En 2002, Monybany a voyagé vers l'Ouganda et a finalement été réuni avec sa mère.[5]

Points uniques et points communs en deux histoires autour de séparation familiale et guerre

Les histoires de Thelma et de Monybany sont uniques, et, tel que mentionné précédemment, ne présentent pas de points communs au sujet des enfants, de la séparation familiale, ou de la guerre. Cela dit, elles nous donnent un aperçu de ce que c'était, être un enfant pendant ces époques, la Deuxième Guerre mondiale en Angleterre et la deuxième guerre civile du Soudan. Les expériences de Thelma, qui a vécu avec une famille accueillante, comme enfant déplacée par la guerre, sont très différentes de la marche de Monybany vers l'Éthiopie et du temps qu'il a passé comme enfant soldat. Malgré les différences importantes qui distinguent leurs histoires, certaines similarités existent néanmoins. Les deux ont travaillé à découvrir qui ils étaient au milieu de changements importants causés par la guerre : Thelma devenait canadienne à Vancouver, et Monybany a réalisé, à Cuba, qu'il était réellement un enfant. Une part de la richesse offerte par les entrevues d'histoire orale est le sens et l'interprétation des événements qu'ils ont vécus. Dans les deux entrevues, Monybany et Thelma réfléchissent, adultes, à leurs expériences d'enfance. Par exemple, les deux se considèrent « chanceux » dans leurs circonstances. Ces expériences subjectives, ces témoignages, font partie de la richesse de l'histoire orale comme source principale de recherche.

Un autre point commun est que leurs expériences personnelles ont fait partie de processus plus vastes, non seulement de guerre, mais aussi d'organisations internationales comme le CORB, l'ONU et la CRI, qui œuvraient pour aider les enfants déplacés par la guerre. Les deux ont vécu la gentillesse de personnes qui étaient au départ des étrangers : l'oncle et la tante de Thelma au Canada, et les personnes qui ont accueilli Monybany à son arrivée à Cuba. Finalement, et il s'agit peut-être de la plus importante similitude entre les histoires de Thelma et de Monybany, est que les deux se sont accrochés à leurs liens de famille, parfois ténus, et ont été en mesure de reformer des liens avec les membres de leurs familles.

Conclusion : Les riches perspectives des histoires orales

Bien que les histoires orales dont il a été question ici soient manifestement différentes en termes de contenu, elles jettent toutes deux la lumière sur le sous-thème de la guerre et de la séparation familiale tel qu’il est vécu par les enfants, ce qui permet de réfléchir à la manière dont les histoires orales peuvent aborder de vastes événements à partir d’une variété de riches perspectives. Séparément et côte à côte, les entrevues ont plusieurs filons que les chercheurs peuvent explorer. Nous avons hâte d'en apprendre plus de la part de Monybany Minyang Dau et de Thelma Freedman, ainsi que des autres personnes visées par l'étude qui ont partagé leurs histoires avec les historiens du Musée, et, à travers nous, avec tous ceux qui habitent au pays. Nous leur sommes très reconnaissants pour tout ce qu'ils ont pu nous apprendre alors que nous cherchons un sens à ces sujets difficiles mais importants.


  1. Thelma Freedman, entrevue par James Morrison, 28 mai 1998, à Toronto, ON, 98.05.28TF, Musée canadien de l'immigration du Quai 21.
  2. Le programme a été annulé en 1940 après le torpillage et le naufrage du SS City of Benares, alors qu'il était en route vers le Canada, et 77 enfants parrainés par le CORB sont décédés à bord. Voir Michael Fethney, The Absurd and the Brave: CORB – The True Account of the British Government’s World War II Evacuation of Children Overseas (Sussex : Book Guild, 2000): 146, 151-156, 304.
  3. Pour écouter Thelma parler de son évacuation pendant la guerre : Histoire orale avec Thelma Freedman.
  4. Monybany Minyang Dau, entrevue par Cassidy Bankson, 25 novembre 2012, Red Deer, AB, 12.11.25MMD, Musée canadien de l'immigration du Quai 21.
  5. Pour en savoir plus sur l'histoire de Monybany sur le site Web du Musée, voir : « Monybany Mingyang Dau: Une expérience de racisme et de discrimination », /cj1/monybany-dau. Monybany a aussi raconté son histoire dans The Ladder of My Life: the incredible true story of Monybany Dau, chez Unveil Studios, 2013
Author(s)

Emily Burton, PhD

Emily Burton est historienne orale au Musée canadien de l’immigration du Quai 21. Elle a étudié l’histoire orale dans le cadre de sa maîtrise en histoire, et elle détient un doctorat en histoire canadienne de l’Université Dalhousie. Ses recherches actuelles dans la collection d’histoires orales du Musée s’intéressent aux expériences de guerre et de déplacements forcés.