Appelez vos grands-parents

L’une des choses que j’aime le plus dans le travail que je fais au Centre d’histoire familiale Banque Scotia (CHFBS) du Musée canadien de l’immigration du Quai 21, c’est que chacune de mes interactions est complètement différente. Cependant, quelle que soit la diversité de nos recherches généalogiques, une chose semble toujours refaire surface. Les gens regrettent de ne pas avoir interrogé les membres de leur famille sur leurs vies et leurs histoires quand ils en avaient la chance.

Nous prenons trop souvent nos proches pour acquis, ou nous oublions qu’ils avaient une vie avant de les connaître. Nous oublions que nos grands-parents étaient autrefois des enfants avec leurs propres grands-parents, qui sont peut-être nés au 19e siècle! Alors, quand on y pense, même si vous ne connaissez pas quelqu’un qui a vécu au 19e siècle, vous connaissez probablement quelqu’un qui a personnellement connu l’une de ces personnes. L’histoire est beaucoup plus proche qu’elle ne le semble. Quand j’étais à l’école secondaire, j’ai dû écrire une courte histoire sur la prohibition et j’ai décidé d’interroger mes deux grands-mères. Je leur ai demandé comment se passait la vie à cette époque. C’est ainsi que j’ai découvert que l’une de mes grands-mères avait déjà regardé les contrebandiers d’alcool et la garde côtière avoir des fusillades sur la rivière Niagara et que l’autre avait l’habitude d’aller dans les restaurants chinois de Toronto pour commander du « thé » mystérieusement parfumé de whisky. Ce sont des histoires incroyables et si je ne leur avais pas posé de questions, elles n’auraient peut-être jamais pensé à me les raconter. Je parie que vous voulez appeler vos grands-parents maintenant, n’est-ce pas ?

C’est la chose la plus importante à retenir : il faut demander. Il est possible que les membres de votre famille ne parlent pas de leurs récits de façon spontanée parce qu’ils pensent que personne n’est intéressé, parce qu’ils ont besoin de se faire rafraîchir la mémoire ou encore, parce qu’ils ne réalisent pas à quel point ces histoires sont intéressantes. Même lorsque je ne suis pas au travail, dès que je dis ce que je fais dans la vie, les gens commencent immédiatement à raconter leurs histoires familiales et personnelles les plus folles. Je ne saurais vous dire combien de fois j’ai fait des recherches familiales pour ensuite entendre des histoires incroyables, révélées par mes questions. Des histoires que les autres membres de la famille n’avaient jamais entendues. Je n’ai eu qu’à poser des questions et à démontrer de l’intérêt. Je vous promets que tout le monde à une bonne histoire à raconter. Vous pensez que votre grand-mère, une femme au foyer qui fait cuire des tartes, est ennuyante? Vous vous trompez. Ma grand-mère était une femme au foyer qui faisait cuire des tartes et en plus de regarder des fusillades au bord d’une rivière de façon désinvolte, elle s’est faufilée sur la propriété de quelqu’un en pleine nuit pour secourir un chien maltraité. Écouter les histoires que les gens ont à raconter est la meilleure partie de la généalogie et vous n’avez même pas besoin d’être généalogiste pour le faire.

Il y a aussi une raison pratique pour laquelle vous devriez suivre ce conseil. Si une personne n’a pas pris le temps de parler à sa famille, puis vient nous voir pour des recherches généalogiques, il peut parfois être plus difficile pour nous de l’aider. La plupart des gens en savent beaucoup sur leurs prédécesseurs immédiats, comme leurs parents et leurs grands-parents, mais, comme moi, beaucoup de gens n’ont jamais eu l’occasion de rencontrer leurs arrière-grands-parents. Dans bien des cas, vos parents et vos grands-parents sont cependant trop jeunes pour que nous puissions faire des recherches sur eux. Bien que cela puisse être très décevant, les grands-parents aiment généralement se faire dire qu’ils sont trop jeunes. Lorsque nous utilisons des documents comme les recensements, les actes de naissance, les actes de mariage et les actes de décès, bien souvent, les documents les plus récents ne sont pas accessibles au public. Nous devons donc être en mesure de faire des recherches sur une personne qui a vécu dans les années 1920 ou avant. Je ne reproche pas aux gens de ne pas connaître le nom de leurs arrière-grands-parents, voire même de leurs grands-parents, mais cela peut être un obstacle si vous essayez de faire des recherches au sujet de votre famille. Plus vous en savez, plus nous pouvons vous aider.

L’histoire orale et les recherches généalogiques sont deux choses complètement différentes, mais elles sont à leur meilleur lorsqu’elles sont utilisées de concert. Oui, les recherches généalogiques vont parfois réfuter l’histoire de votre grand-mère voulant que ses grands-parents se soient rencontrés sur le navire qui les a conduits ici. Je n’aime pas démentir les histoires de famille et je n’insinuerais d’ailleurs jamais qu’un membre de votre famille vous a menti. C’était il y a très longtemps! La mémoire humaine n’est pas parfaite et il est naturel que les histoires évoluent au fil des ans. C’est comme un jeu de téléphone multigénérationnel. Certains éléments vont inévitablement être altérés. Bien que les histoires orales soient imparfaites (comme le sont de nombreux documents historiques, puisqu’ils ont été créés par des humains), cela ne signifie pas pour autant qu’elles n’ont pas de valeur ou qu’elles ne sont pas précieuses. Souvent, ces histoires orales éclaireront nos recherches et nous donneront une idée de ce qu’il faut chercher et de l’endroit où nous devons chercher. Il arrive bien souvent que les dossiers confirment les histoires, en partie ou en totalité.

Une femme en blanc est assise, un grand homme en blanc se tient à côté d’elle.
Un jeune homme avec les mains dans les poches se tient devant un jardin.

Les histoires orales sont aussi des sources irremplaçables d’information contextuelle. Les chercheurs peuvent peut-être découvrir que votre arrière-grand-père a émigré de la Russie en 1913, mais ce dossier ne peut pas vous dire pourquoi il a émigré, ni ce qu’il a vécu à bord du navire. C’est ici que l’histoire orale entre en jeu! C’est précisément pour cette raison que le Musée canadien de l’immigration du Quai 21 est un musée d’histoires. Il est impossible d’obtenir un portrait global avec seulement l’un de ces deux éléments. C’est lorsqu’ils sont utilisés en tandem que l’on peut obtenir un récit plus complet.

Comme tout le monde au CHFB, dès que j’ai commencé à travailler, j’ai immédiatement plongé dans l’histoire de ma propre famille. J’ai commencé par l’une des histoires les plus abracadabrantes : mon arrière-arrière-grand-mère était supposément une princesse siamoise et une fille du roi Mongkut, comme dans Le Roi et moi, et par ça je veux dire le vrai roi du 19e siècle, pas Yul Brynner. L’histoire raconte que mon arrière-arrière-grand-père était capitaine danois originaire de l’île d’Helgoland, dans la mer du Nord, qui avait une route de navigation prospère vers le Siam (aujourd’hui la Thaïlande). Le roi Mongkut était si reconnaissant pour la richesse que le capitaine danois avait apportée au Siam qu’il lui a offert l’une de ses filles comme épouse, fille que le capitaine a ramenée à Helgoland. Je sais maintenant qu’il a eu 82 enfants avec 32 femmes, alors c’est peut-être un peu plus plausible que je ne le pensais au départ. Sa fille, mon arrière-grand-mère Annie (née Edlefsen), est née et a vécu à Helgoland jusqu’à ce que sa famille d’ethnie danoise se réfugie au Siam, lorsque le contrôle de l’île est passé aux mains des Allemands. C’est au Siam qu’Annie a rencontré mon arrière-grand-père, Walter Toye (le « e » dans Toye va et vient). Walter était un médecin canadien de l’université de Toronto qui occupait le poste de médecin royal. Mon grand-père, Cecil Toye, et ses quatre frères sont nés à Bangkok. Les membres de la famille ont immigré à Niagara-on-the-Lake dans les années 1930. Comme le montre l’un de mes grands-oncles qui a officiellement commencé à utiliser le nom de jeune fille de sa mère, Edlefsen, après s’être installé à cet endroit, j’imagine qu’il ne s’agissait pas vraiment d’une bonne époque pour y être visiblement issu de deux races.

(Remarque : Par souci de transparence, j’ai envoyé ce document à mes parents avant de le publier. Ils m’ont dit qu’après avoir immigré, Cecil avait vécu à Toronto et ne s’était installé à Niagara qu’après la Seconde Guerre mondiale. C’est exactement ce que je veux dire par jeu de téléphone. J’ai involontairement raconté cette histoire de façon un peu erronée depuis des années !)

C’est l’histoire telle que je la connais. Elle a été enrichie par le fait que la malle d’Annie, celle avec laquelle elle a fui le Danemark, était et demeure toujours en possession de mon cousin germain, qui a promis de me la léguer. C’est l’un des avantages d’être l’historienne de la famille. Nous avons également un certificat nommant Walter Toye à l’Ordre de l’éléphant blanc, qui demeure un prix décerné aux des agents publics thaïlandais. Il existe également des photos du cabinet de médecin de Walter à Bangkok. La juxtaposition de palmiers et de vieux équipements médicaux légèrement effrayants est particulièrement frappante. Ce genre d’éléments peut donc déjà confirmer certaines parties de l’histoire. Si vous ne savez pas comment aborder ce type de conversation avec les membres de votre famille, ces choses peuvent être un excellent point de départ. Demandez-leur de vous raconter les histoires qui se cachent derrière de vieilles photos, ou posez-leur des questions sur l’histoire ou la « provenance » d’objets familiaux.

Cela étant dit, je sais quelle question vous brûle les lèvres : « Sarah, combien de personnes doivent mourir avant que tu ne deviennes la reine de la Thaïlande? » Et la réponse est : trop pour les compter. Vous vous souvenez lorsque j’ai mentionné 82 enfants? Si c’est vrai, je suis la quatrième cousine au deuxième degré du présent roi de la Thaïlande et oui, j’ai eu besoin d’utiliser un tableau pour le découvrir. J’ai donc parlé de l’histoire orale et de la provenance des objets pertinents, mais cette histoire peut-elle passer le test de la recherche généalogique? Comme c’est habituellement le cas, la réponse est oui, en partie. J’ai le document d’immigration de mon grand-père et de ses frères datant de 1931 qui confirme qu’ils sont bien nés à Bangkok. J’ai plusieurs preuves que Walter a voyagé entre le Canada et le Siam pour y faire du travail médical et du travail de missionnaire. Je présume que l’acte de naissance d’Annie est au Danemark et que son acte de mariage est en Thaïlande. Je ne peux donc pas utiliser ces documents pour confirmer les noms et l’ethnie de ses parents. J’ai réussi à trouver un recensement danois démontrant qu’une femme siamoise nommée Su Fang vivait à Helgoland pendant la bonne époque. Elle était mariée au capitaine Michael Classen Edlefsen et elle avait une fille nommée Anna, qui avait le bon âge pour être mon arrière-grand-mère. Je peux dire avec assez de certitude que ces détails confirment à peu près toute l’histoire, à l’exception du lien avec la royauté. Mais l’absence de preuves ne veut pas dire qu’elles n’existent pas, alors je continue mes recherches.

Bref, je vous encourage fortement à parler aux membres de votre famille pendant que vous en avez encore l’occasion. Je crois que vous serez agréablement surpris par ce qu’ils ont à vous dire. Si vous ne savez pas par où commencer, je vous recommande de vous asseoir et de parcourir de vieux albums photo avec eux. Écrivez l’information à l’arrière des photos, c’est la partie la plus importante. Assurez-vous que cette information ne soit pas perdue! Si vous le pouvez, numérisez les photos et les documents, puis sauvegardez-les (avec les descriptions) pour les futures générations. Vous pouvez ensuite publier ces vieilles (ou nouvelles) photos sur Twitter à l’aide du mot-clic #FamPhoto21. Votre photo sera ajoutée au mur de portraits numérique de notre nouvelle exposition temporaire Liens de famille et appartenance. En plus des photos, le Musée fait beaucoup appel aux enregistrements audio et vidéo d’histoires orales. Il peut être très utile de préserver les personnes racontant leurs propres histoires, et c’est quelque chose de tout à fait faisable pour un généalogiste amateur. Vous trouverez ci-dessous quelques ressources au sujet de la façon d’interviewer une personne, car il peut être difficile de savoir comment se préparer et quelles questions poser pour obtenir les meilleurs résultats.

Alors, allez-y et, si vous le pouvez, appelez vos grands-parents !

Ressources pour les histoires orales :

Author(s)

Sarah Toye

Sarah Toye est une assistante du service des références pour le Centre d’histoire familiale Banque Scotia du Musée canadien de l’immigration du Quai 21. Elle est diplômée de l’université King’s College et de l’université Dalhousie et membre du conseil de l’organisation Halifax Women’s History Society. Elle aide ses clients en faisant des recherches historiques portant sur la famille et l’immigration, alors que ses travaux universitaires se penchent sur la piraterie, les sexes et la culture du monde atlantique du 18e siècle.