par les étudiants du programme de maitrise de l’histoire publique de Western University
Fugitif ou libre ?
Avant 1850, les esclaves fugitifs qui s’étaient échappés du Sud des États-Unis pour se rendre dans les États du Nord étaient considérés libres. Cependant, après l'adoption de la Loi des esclaves fugitifs de 1850, les États du Nord ne constituaient plus un refuge sûr. Les esclaves en fuite risquaient d’être capturés par les chasseurs d'esclaves et restitués à leurs propriétaires.[1] Cela signifiait également que ceux qui avaient échappé à l'esclavage en entrant dans un État libre plusieurs années plus tôt risquaient maintenant de retourner à l'esclavage. Compte tenu du racisme au sein de la société américaine de l'époque, il était beaucoup plus facile pour un propriétaire d'esclaves blanc de prétendre qu’une personne était son esclave échappé que pour une esclave Noir de prouver qu'elle ne l’était pas. La même menace existait pour tous les Noirs libres. La Loi de 1973 visant à restreindre l'esclavage faisait du Haut-Canada (qui fait maintenant partie de l’Ontario) la première colonie britannique à abolir l’esclavage. Dès qu’ils arrivaient au Haut-Canada, tous les hommes, femmes et enfants, étaient libres.[2]
Le chemin de fer clandestin
Le chemin de fer clandestin était en fait un système de refuges géré par des abolitionnistes dans les États libres et les États esclavagistes, ainsi qu'au Canada. Ceux qui aidaient les esclaves en fuite vers la liberté – les Noirs libres, les Quakers et autres militants – risquaient leur vie en luttant contre l'esclavage. Bien qu'il n'y ait jamais eu un véritable chemin de fer, les refuges étaient appelés des gares, ceux qui y vivaient, des chefs de gare et ceux qui amenaient les esclaves en fuite vers la liberté, des conducteurs.
Nouvelle terre, nouvelle vie
Dans le Canada-Ouest (anciennement le Haut-Canada), les hommes noirs avaient le droit de posséder des biens et de voter s’ils respectaient les exigences de propriété.[3] Toutes les personnes de race noire avaient le droit de gagner leur vie, de se marier et de fonder une famille. Avec l'aide du gouvernement du Canada et des sociétés abolitionnistes au Canada et aux États-Unis, une nouvelle vie au Canada était possible. Les terres étaient vendues aux réfugiés à un prix réduit et des subventions d'éducation étaient disponibles.[4]
Le saviez-vous ?
Après 1841, le Haut-Canada a été rebaptisé Canada-Ouest, ce qui est en fait une partie de la province canadienne de l'Ontario.
Accueil
Une fois arrivés au Canada-Ouest, la plupart des esclaves échappés se sont installés près de la frontière américaine. Cela leur permettait de demeurer à proximité des membres de leur famille, dispersés à travers les États-Unis. À cette époque, les citoyens de race blanche étaient neutres envers eux.[5] Après 1840, cependant, ceux-ci ont commencé à craindre les esclaves ayant fui les États-Unis qui arrivaient en grand nombre. Certains avaient peur que ces esclaves soient incapables de travailler et de vivre sans l’aide du gouvernement.[6] Pendant la guerre de Sécession, les résidents du Canada-Ouest ont signé une pétition afin que la frontière canadienne soit fermée à tous les nouveaux immigrants noirs. Ils craignaient un afflux ingérable de Noirs nouvellement libérés une fois l'esclavage aboli.[7]
Création d’une communauté
Les immigrants noirs étaient répartis dans différentes villes et villages, notamment Hamilton, Saint Catharines, Windsor et Toronto. La plus grande concentration d’immigrants et de réfugiés noirs se trouvait dans la région de Chatham-Kent du Canada-Ouest.[8] Dès les années 1820 commençait à apparaitre un certain nombre de colonies peuplées par des Noirs. Le premier village de ce genre était Wilberforce, fondé par James C. Brown, ancien esclave.[9] En 1834, Josiah Henson, un esclave échappé a fondé le village de Dawn.[10] Ces deux villages étaient un point de repère pour celles et ceux qui voyageaient par le chemin de fer clandestin. Les villages de Wilberforce et Dawn ont été abandonnés ou fusionnés à d'autres villes. La colonie qui a connu le plus grand succès fut le village d'Elgin, comprenant la mission Buxton développée par l’abolitionniste Révérend William King. La mission Buxton existe encore aujourd'hui sous le nom de North Buxton, en Ontario.[11] Des désaccords, par exemple, à savoir si l'auto-ségrégation était une bonne idée ou non, sont apparus au sein des communautés noires au Canada. Certains croyaient que c’était le meilleur moyen de se protéger tandis que d'autres craignaient qu'elle maintienne l'inégalité.[12] En dépit de ces désaccords, ces villages entièrement peuplés de Noirs étaient composés d’esclaves échappés à la recherche d’opportunités d'acquérir une éducation formelle ou d'apprendre des métiers spécialisés au sein de leurs propres communautés.[13]
Josiah Henson
Josiah Henson est né esclave dans le Maryland en 1789. En 1830, il a réussi à s’échapper au Canada avec sa famille.[14] Il a fondé le village de Noirs du canton de Dawn, qui est devenu le village de Dawn. Henson était reconnu comme un prédicateur méthodiste dans la région et croyait en l'importance du travail et de l'éducation pour les réfugiés Noirs.[15] Il a été source d’inspiration pour le roman anti-esclavagiste, la Case de l'oncle Tom, de Harriet Beecher Stowe, publié en 1852. Henson était aussi un orateur abolitionniste de premier plan et il a vécu au Canada jusqu'à sa mort, en 1883.[16]
Faire leur marque
Peu importe où ils s’installaient au Canada, les immigrants noirs arrivés au Canada par le chemin de fer clandestin ont contribué de façon importante au sein de leurs communautés. Plusieurs sont devenus fermiers, cultivant du blé, des pois, du tabac et du chanvre. D'autres sont devenus des ouvriers qualifiés, travaillant comme forgerons, fabricants de chaussures et constructeurs de wagons.[17] Comme leurs semblables de race blanche, la plupart des femmes noires ne travaillaient pas à l'extérieur. Elles élevaient les enfants ou travaillaient comme couturières et lavandières. Plus important encore, elles ont prouvé qu'elles étaient capables de former et de s’impliquer au sein de communautés lorsque l'occasion se présentait.
EXTRA EXTRA !
Plusieurs journaux ont vu le jour afin de mieux faire connaître les possibilités s’offrant aux Noirs au Canada, de partager des nouvelles et de promouvoir l'abolition de l'esclavage. La publication Voice of the Fugitive a d’abord été publiée à Sandwich, au Canada-Ouest, en 1851, et fut l'un des premiers journaux noirs au Canada.[18] Henry Bibb, un esclave échappé du Kentucky, en a été le rédacteur en chef. Quelques années plus tard, Mary Ann Shadd Cary a créé un deuxième journal, intitulé le Provincial Freeman.[19] Shadd Cary, originaire du Delaware, était la fille d'Abrahama Shadd, le premier Noir à être élu à un poste politique au Canada.[20] L’amitié de Bibb et Shadd Cary s’est transformée en une rivalité amère, en raison de leurs points de vue divergents sur l'intégration des Noirs au sein de la société blanche.[21]
Le saviez-vous ?
Avec quelques qualifications, à leur arrivée au Canada, les hommes noirs obtenaient le droit de vote. Au Canada, les femmes n’ont pas eu droit de vote aux élections fédérales jusqu'en 1919 et les peuples autochtones jusqu'en 1960.
Conclusion
À première vue, la vie semblait être bien meilleure au Canada; cependant, cette nouvelle liberté sous-entendait certaines limites. Bien que les esclaves aient obtenu la liberté au Canada, ils faisaient encore face au racisme, à l'oppression et à la ségrégation. Au fil du temps, ces sentiments ont poussé les Noirs à quitter le Canada pour retourner aux États-Unis. Là-bas, les conditions des Noirs se sont considérablement améliorées avec l'adoption de la Proclamation de l'émancipation, en 1863, qui abolissait l'esclavage.
Une fois la Proclamation d'émancipation signée, environ les deux tiers des réfugiés noirs au Canada sont retournés aux États-Unis. Ceux qui sont restés au Canada ont continué à s’impliquer au sein de leur communauté, et avec le temps, plusieurs obstacles raciaux ont disparu. Un grand nombre de descendants de ceux qui sont retournés aux États-Unis peuvent retracer leur patrimoine en revenant au Canada, en suivant les traces de leurs ancêtres qui ont voyagé par le chemin de fer clandestin.
Chronologie :
1793 - La loi visant à restreindre l'esclavage est adoptée par John Graves Simcoe, dans le Haut-Canada.
1834 - La loi britannique sur l’abolition de l’esclavage éradique officiellement l’institution de l’esclavage à travers l’Empire britannique.
1842 - Le village de Dawn est fondé à proximité de Dresden au Canada-Ouest.
1849 - Le village d’Elgin au Canada-Ouest, est fondé.
1850 - La loi des esclaves fugitifs est adoptée aux États-Unis.
1851 - Le journal Voice of the Fugitive est publié pour la première fois à Sandwich au Canada-Ouest.
1853 - Le journal Provincial Freeman est publié pour la première fois à Windsor au Canada-Ouest.
1854 - Henry W. Bibb décède à l’âge de 39 ans.
1861 - La Guerre de Sécession débute.
1863 - Le Président Lincoln décrète la Proclamation d’émancipation, libérant ainsi tous les esclaves des États-Unis.
1865 - La Guerre de Sécession cesse.
1883 - Josiah Henson décède à Dresden, en Ontario.
1893 - Mary Ann Shadd Cary décède à Washington, D.C.
- Robin Winks, The Blacks in Canada: A History (Montréal : Presse de l’université McGill-Queens), 1971 Noirs au Canada : une histoire, 217.↩
- William R. Riddell, "The Slave in Upper Canada," The Journal of Criminal Law and Criminology, 14, no. 2 (1923): 256-258.↩
- Fred Landon, "Henry Bibb, a Colonizer," The Journal of Negro History, 5, no. 4 (1920): 447.↩
- Ibid., 442-443.↩
- Jason H. Silverman, Unwelcome Guests: Canada West's Response to American Fugitive Slaves, 1800-1865 (Millwood, N.Y.: Associated Faculty Press, 1985), 22.↩
- Silverman, Unwelcome Guests, 34.↩
- Ken Alexander et Avis Glaze, Towards Freedom: The African-Canadian Experience (Toronto: Umbrella Press), 1996, 79.↩
- Boulou Ebanda de B’beri et al. The Promised Land: History and Historiography of the Black Experience in Chatham-Kent’s Settlements and Beyond. (Toronto: Presses de l’Université de Toronto, 2014), 22.↩
- Kerry Walters. The Underground Railroad.: A Reference Guide. (Santa Barbara: ABC-CLIO, 2012) 109.↩
- Jacqueline Tobin, From Midnight to Dawn: The Last Tracks of the Underground Railroad. (Toronto: Doubleday 2007), 16.↩
- Buxton Museum, Buxton, 21975 A. D. Shadd Rd, North Buxton, Ontario, N0P 1Y0, Consulté le 6 novembre 2015↩
- Alexander et Glaze, Towards Freedom, 66.↩
- Alexander et Glaze, Towards Freedom, 65↩
- Josiah Henson, Father Henson’s Story of His Own Life. (Cleveland: H.P.B. Jewett, 1858), 2-3.↩
- Ibid., 24.↩
- Peggy Bristow, “Whatever you raise in the ground you can sell in Chatham: Black Women in Buxton and Chatham, 1850-1865” in We’re Rooted Here and they Can’t Pull us Up, Essays in African Canadian Women’s History (Toronto, Presses de l’Université de Toronto, 1994), 87-90↩
- The Voice of the Fugitive. INK-ODW Newspaper Collection. Consulté le 1 octobre, 2015. http://ink.ourdigitalworld.org/vf.↩
- The Provincial Freeman. INK-ODW Newspaper Collection. Consulté le 1 octobre, 2015. http://ink.ourdigitalworld.org/pf.↩
- The Provincial Freeman. INK-ODW Newspaper Collection. Consulté le 1 octobre, 2016.http://ink.ourdigitalworld.org/pf.↩
- The Provincial Freeman. INK-ODW Newspaper Collection. Consulté le 1 octobre, 2016. http://ink.ourdigitalworld.org/pf. Gael Greene, "Shadd, Abraham Doras," Consulté le 14 mars, 2016, http://www.blackpast.org/gah/shadd-abraham-doras-1801-1882↩
- The Provincial Freeman." INK-ODW Newspaper Collection. Consulté le 1 octobre, 2015. http://ink.ourdigitalworld.org/pf↩
Le saviez-vous ?
- Le droit de vote : “Women's Suffrage" The Canadian Encyclopaedia. https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/collection/droit-de-vote-des-femmes-au-canada Consulté le 22 mars, 2016;
- Natasha L. Henry, "Black Voting Rights," The Canadian Encyclopedia, Publié le 18 janvier, 2016, Consulté le 14 mars, 2016 http://encyclopediecanadienne.ca/fr/article/droit-de-vote-des-noirs/;
- Jackal, Susan. "Women's Suffrage" The Canadian Encyclopaedia. Publié le 6 août, 2013. Consulté le 14 mars, 2016. http://encyclopediecanadienne.ca/fr/article/droit-de-vote-des-femmes/;