Délicieux et rempli d’histoire

Des pâtés jamaïcains sur une assiette blanche. Derrière l’assiette, en flou artistique, à travers une fenêtre, une fine couche de neige recouvre le sol.

Les pâtés comme ceux du Brawta Jamaican Jerk Joint à Halifax sont un excellent mets pour se réchauffer lors d’un hiver canadien.
 

Les pâtés jamaïcains sont-ils l’aliment le plus chargé d’histoire au Canada? 

OK, on convient qu’il est probablement impossible de répondre à cette question. De nombreux aliments ont une histoire fascinante et complexe. Mais plonger dans l’histoire de ce pâté révèle l’évolution de ce mets savoureux au cours de siècles de migrations internationales, forcées ou libres, et d’événements historiques, y compris une brève « guerre » menée en sol canadien.

Alors ouvrons le pâté et voyons ce qu’il contient.

Colonisation et les pâtés à main

La Jamaïque, où vivait le peuple autochtone des Taïnos, a été colonisée d’abord par les Espagnols, puis par les Anglais. Les Espagnols ont apporté avec eux l’empanada et les Anglais, le « pasty » de Cornouailles, deux types de pâtés à main généralement fourrés à la viande. Ils ont servi de point de départ à l’évolution du pâté. En fait, saviez-vous que le mot pâté a la même origine que le mot pasty (tout comme pasta, patty et pâtisserie)?

La diaspora africaine et l’innovation

Les deux puissances coloniales ont mis les Africains et leurs descendants en esclavage pour les faire travailler dans leurs plantations et dans leurs foyers, y compris dans leurs cuisines. Les cuisiniers esclaves devaient recréer des plats familiers pour leurs maîtres. Mais les esclaves et leurs descendants ont adapté et, dans bien des cas, amélioré ces aliments de plusieurs façons, en y incorporant des ingrédients locaux et importés.

Influence des Taïnos et saveurs locales

Les Taïnos sont originaires de la vallée de l’Oronoco, dans l’actuel Venezuela, et sont arrivés en Jamaïque entre 600 et 900 ans après Jésus-Christ. Ils ont notamment apporté du poivre de Cayenne, qui deviendra une épice courante dans les pâtés jamaïcains. Le piment scotch bonnet, très épicé (plusieurs fois plus piquant que le jalapeño) est traditionnel pour le pâté jamaïcain. Certains pensent qu’il est originaire de la Jamaïque, alors que d’autres sont d’avis qu’il est arrivé avec les Taïnos de la vallée d’Oronoco.

Les Taïnos appelaient l’île Xaymaca, d’où son nom actuel. Malgré le mythe persistant de l’extinction des Taïnos, de plus en plus de Jamaïcains célèbrent leurs origines taïnos (et vous pouvez lire plus à ce sujet dans cet article universitaire de la revue « Caribbean Quilt », en anglais seulement).

Épices indiennes

L’Inde joue aussi un rôle important dans l’évolution du pâté jamaïcain.

Les épices de l’Inde étaient exportées dans tout l’Empire britannique, y compris dans les Caraïbes. Ces épices sont devenues partie intégrante de la cuisine jamaïcaine. En fait, la croûte jaune caractéristique de la galette jamaïcaine provient de l’utilisation du curcuma, originaire de l’Inde.

Mais ce ne sont pas seulement les épices qui sont venues de l’Inde : les Indiens sont venus aussi. Après l’abolition de l’esclavage par la Grande-Bretagne, les propriétaires de plantations ont maintenu leurs coûts de main-d’œuvre à un niveau peu élevé en faisant appel à des travailleurs contractuels indiens pour la production du sucre. Ces travailleurs ont apporté leurs propres traditions culinaires, dont le curry. (Le curry a sa propre histoire internationale complexe, mais nous ne nous y attarderons pas ici.)

Les Sino-Jamaïcains

La population jamaïcaine d’origine chinoise trouve également ses racines dans les travailleurs contractuels qui sont arrivés au milieu des années 1800. Dans les années 1960 et 1970, deux grandes franchises commerciales spécialisées dans les pâtés, Tastee et Juici Patties, ont été ouvertes par des familles jamaïcaines d’origine chinoise. George Phang-Lyn, qui avait quitté la Chine pour la Jamaïque lorsqu’il était enfant, a immigré avec sa famille au Canada dans les années 70 et a ouvert George’s Tastee Foods (distinct de Tastee, basé en Jamaïque). La boulangerie, le restaurant et le grossiste de l’entreprise familiale vendent encore des pâtés dans deux établissements de la région du Grand Toronto.

L’article vous met-il l’eau à la bouche?

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Le pâté au Canada

L’immigration au Canada en provenance des Caraïbes a été limitée avant les années 1960 en raison de lois racistes visant à exclure les Noirs et d’autres personnes de couleur. L’introduction du « système de points » en 1967 a ouvert la voie à l’immigration en provenance des Caraïbes. À Toronto, où s’est installée l’une des communautés jamaïcaines les plus nombreuses, un certain nombre de personnes et de familles ont ouvert des entreprises pour fabriquer et vendre des pâtés, dont le Kensington Patty Palace, situé dans le Kensington Market de Toronto.

Le 40e anniversaire de la « Guerre des pâtés »

En février 1985, un inspecteur fédéral des denrées alimentaires s’est présenté au Kensington Patty Palace avec un avis indiquant que cet établissement et d’autres ne pouvaient plus vendre le produit sous le nom de « patty ». Selon les règlements alimentaires canadiens, ce terme désignait effectivement la boulette de viande qu’on plaçait dans un pain à hamburger; il y avait même différentes proportions de viande, de gras et de remplissage. Les pâtés vendus dans le restaurant ne correspondaient pas à cette définition. L’inspecteur a donc déclaré qu’ils devraient changer le nom du produit ou être condamnés à une amende.

Les journalistes locaux ont eu vent de l’histoire. S’ensuivit une levée de boucliers de la part de la communauté locale, qui a protesté contre le fait que les clients qui achetaient des pâtés n’étaient pas du tout confus, que l’aliment faisait partie de leur patrimoine culturel. La controverse a également entraîné une augmentation des ventes, le pâté étant de plus en plus connu. Un compromis a finalement été trouvé. La mention « jamaïcain » a été ajoutée au nom du produit et le 23 février 1985, le Kensington Patty Palace a organisé un festival du pâté. Depuis, le 23 février est connu à Toronto sous le nom de Patty Day (Jour du pâté).