Une réflexion sur l’organisation de Atterrissages parfaits

par Steve Schwinghamer, Historien
(Mise à jour le 28 janvier 2022)

Atterrissages parfaits a été créée par le Musée canadien de l'immigration du Quai 21 afin de coïncider avec les Championnats de patinage artistique nationaux Canadian Tire à Halifax, pour attirer au Musée certains des clients intéressés par l'événement et pour informer nos visiteurs actuels sur d'autres aspects actuels ou passés de la ville. Le thème de base de l'exposition est que le patinage artistique au Canada a été profondément influencé par la contribution des immigrants, comme athlètes, entraîneurs et bâtisseurs du sport et de la communauté.

Halifax est un endroit idéal pour explorer ce sujet. Les liens sociaux, historiques et locaux avec le patinage sont importants. Tout d'abord, la production de millions de patins par Starr Manufacturing, de Dartmouth, à la fin des années 1800 et au début des années 1900. La popularité du patin récréatif et du patinage artistique, au tournant du XXe siècle, a été en partie possible grâce à la disponibilité de patins qui effectivement restaient au pied des gens, et à l'époque, souvent grâce à l’innovation des patins Starr de la Nouvelle-Écosse. Nous avons la chance d'avoir une paire de patins au sein de l'exposition, empruntée au Musée de la Nouvelle-Écosse. De plus, Halifax a accueilli quelques compétitions de patinage majeures au cours des deux ou trois dernières décennies (notamment les Championnats mondiaux en 1990) et ainsi la compétition est basée sur un héritage. Enfin, le patinage a une belle histoire avec le peuple de Halifax, créant un lien dès la fin des années 1800, lorsque les gens valsaient sur la glace, dans les jardins publics. Plus récemment, je pense qu'il est juste de dire que la ville s’est surprise et réjouie du succès de son anneau de glace extérieur, un héritage merveilleux et agréable des Jeux du Canada, dont la ville et les citoyens font un usage selon l’histoire de la population de la ville. (En aparté : l'un des bâtisseurs mis en vedette dans Atterrissages parfaits est Joe Geisler, un immigrant allemand qui est arrivé en 1927. Il a reçu la médaille du Centenaire en partie pour son rôle d'organisateur des premiers Jeux d'hiver du Canada.)

Ces liens constituent une bonne base, mais on peut se demander comment une exposition sur le patinage artistique en est venue à être au Musée de l'immigration. L'idée de cette exposition est née, il y a quelques années, de notre expérience d’accueillir une exposition temporaire du Musée canadien de l'histoire, Coup de patins ! qui portait sur l'histoire du patinage au Canada. Il était alors évident pour nous, alors que nous sondions nos collections et que nous nous préparions à accueillir l'exposition que le développement du sport devait beaucoup aux contributions et aux influences des nouveaux arrivants. Lorsque la nouvelle est apparue que Halifax serait le lieu pour un autre événement majeur portant sur le patinage, nous étions heureux d'avoir l'occasion d'explorer l'histoire et de la présenter publiquement, le résultat étant Atterrissages parfaits.

Nous avons donc un emplacement approprié. Que pouvons-nous faire ressortir comme preuves concrètes de l'impact de l'immigration dans la discipline du patinage artistique au Canada? Après avoir étudié l'histoire, nous constatons que les outils ou l'équipement, la technique et le style, la formation et le professionnalisme du sport sont autant de domaines qui ont tous été transformés par la contribution des immigrants. En ce qui concerne l'équipement, nous pouvons regarder le rôle de John Knebli comme fabricant de patins pour la plupart des meilleurs athlètes du Canada dans la deuxième moitié du XXe siècle. Le récit de Knebli a également une importance particulière au Musée, alors qu’il est arrivé au Canada, en mars 1930, au Quai 21, comme passager à bord du Karlsruhe. En ce qui concerne la technique, la vision artistique commune d’Ellen Burka (qui est arrivée au Canada en 1951) et de Toller Cranston est une belle illustration de l'intégration et de l'innovation, peut-être même de perturbations dans le patinage artistique. Burka avait introduit une sensibilité et une esthétique qu’elle appelait parfois « théâtre sur glace » reliées à la performance de ses patineurs, un style développé à partir de sa vaste expérience artistique aux Pays-Bas. Enfin, le professionnalisme de l'entraînement dans le sport a une dette envers le leadership des nouveaux arrivants au Canada, tels que Hellmut May. May a visité le Canada en 1954 pour enseigner, sous contrat, au Nouveau-Brunswick et a aimé l'expérience, de telle sorte qu’en 1955, il est retourné en tant qu'immigrant, en Colombie-Britannique. En plus de devenir l'entraîneur-chef du Kerrisdale Skating Club pour plus de cinquante ans, il a également contribué à l'élaboration de programmes provinciaux et nationaux d’entraînement. Il est facile de penser à d'autres exemples de leaders dans le sport, y compris ceux qui étaient juste ici, compétitionnant et contribuant, à Halifax.

Une photo d’archives en noir et blanc d’un beau couple qui fait du patinage artistique.
Otto et Maria Jelinek, enfants, fuyaient la Tchécoslovaquie avec leur famille, en 1948. Entre 1955 et 1962, les Jelinek remportaient, en couple, des titres nationaux et continentaux.
Crédit : Patinage Canada

Atterrissages parfaits utilise de courts exemples biographiques pour développer les liens entre les immigrants et le patinage artistique. Cependant, comme historien de l'immigration, j'avoue avoir une arrière-pensée dans l’utilisation des biographies. À travers la lorgnette de récits personnels de cette petite exposition, nous pouvons accéder et explorer quelques-uns des enjeux les plus importants de l'histoire de l'immigration canadienne. Qui est admissible au Canada? Pourquoi? Comment s’intègrent-ils? Leurs références sont-elles respectées? Des enjeux humanitaires ou idéologiques? Comment pouvons-nous imaginer collectivement et créer une appartenance au Canada?

Ces sujets sont abordés dans nos galeries permanentes et un tour rapide donne accès à un grand nombre des principaux points de rencontre. Par exemple, si l'on considère à nouveau le récit de John Knebli, il était en voyage au Canada prétendant être un agriculteur, juste très proche de la priorité de la colonisation agricole du Canada. La petite déception, ainsi que les autres aspects de son entrée au Canada, reflète les principaux motifs d'entrée du moment ainsi que certaines préoccupations majeures des autorités de l'immigration. Par exemple, l'une des principales préoccupations des agents d'immigration et les planificateurs au Canada au cours de la période de colonisation agricole de l'Ouest était la promotion que de nombreux immigrants « désirables » étaient en fait des artisans ou travailleurs urbains qui ne voudraient pas rester sur la terre, mais qui accepteraient des travaux à court terme pour quelques années dans une ferme comme alternative raisonnable à la possibilité de déménager et de s'installer dans l'une des villes émergentes du Canada. C’est exactement ce qu’a fait Knebli lorsqu’il a amené sa femme au Canada en 1938 : il a quitté l’agriculture, s’est installé dans un grand centre (Toronto) et a commencé une carrière d’artisan.

La question de l'intégration pourrait être abordée à travers l'expérience d’Ellen Burka. Elle est arrivée au milieu de l'une des vagues d'immigration suivant la Seconde Guerre mondiale : les émigrations massives des Pays-Bas. Mariée à un artiste d'origine tchèque qu’elle a rencontré tout en survivant aux persécutions des Nazis, son récit ouvre également la question et l'exploration du genre sur la nationalité et la citoyenneté, dans cette période de tumulte énorme. Beaucoup de femmes se sont retrouvées, par inadvertance, apatrides ou déchues de leur citoyenneté de naissance à cause de lois de citoyenneté qui les ont forcées à adopter la nationalité de leurs maris. En dehors de ces origines, Burka est arrivée à Toronto dans les années 1950 et a rapidement été séparée de son mari.

Une médaille de bronze des Olympiques dans une vitrine en verre; elle fait partie d’une exposition de musée.
Petra Burka est arrivée au Canada avec sa famille en 1951. Elle a été entraînée par sa mère, Ellen, vers une médaille de bronze olympique, en 1964, au championnat du monde de 1965. (Artéfacts : Panthéon des sports canadiens)
Crédit : Azam Chadeganipour pour le Musée canadien de l'immigration du Quai 21

Mère immigrante seule avec deux jeunes filles, elle avait besoin de trouver un moyen de vivre, pour elle et ses enfants, dans un pays inconnu. Être coach de patinage lui a fourni une vie et un moyen de faire face aux conventions de l'époque. Bien que toute approche face à un large enjeu à travers un récit personnel comporte de nombreux risques, la biographie de Burka est une vision unique qui nous permet d'étudier l'interaction des pouvoirs, des autorités et des événements, de la géopolitique à l'intimité personnelle. Dans tterrissages parfaits, nous avons la possibilité d'examiner cette histoire à côté de la médaille olympique et du ruban de championnat du monde de sa fille Petra, (empruntés pour cette exposition au Panthéon des sports canadiens à Calgary, en Alberta).

Enfin, sur la question de l'appartenance et de l'identité, plusieurs patineurs artistiques canadiens modernes ont forgé l’identité publique qui fait appel à leurs racines étrangères ainsi qu’à leur place au Canada. Après ses premiers succès au Canada, Victor Kraatz était invité à revenir en Suisse ou en Allemagne pour représenter ces pays comme athlète. Il a conservé son choix après avoir immigré et a continué à représenter sa nouvelle patrie sur la scène internationale, jusqu'au championnat du monde avec sa partenaire de danse sur glace Shae-Lynn Bourne en 2003. Canadiens de deuxième génération et patineurs bien connus, Elvis Stojko (dont les parents sont de Slovénie et Hongrie) et Patrick Chan (dont les parents sont de Hong Kong) ont tous deux attiré l'attention sur leurs propres identités internationales. C’est parfois controversé, mais les sports professionnels modernes se déroulent dans un espace de fluidité de façon remarquable contournant les frontières nationales. Les patineurs artistiques vivent souvent dans un pays, sont formés et s’entraînent dans d'autres. Ils voyagent aussi beaucoup pour compétitionner. Ces migrations professionnelles peuvent s’ajouter aussi à leur patrimoine personnel issu de l'immigration. De cette façon, les athlètes peuvent avoir un réseau de connexions à travers le monde, ce qui complique la prise d’images d’une personne qui compétitionne pour son pays d’origine.

En somme, Atterrissage parfaits propose que les immigrants aient apporté des contributions profondes au développement du sport du patinage artistique au Canada. En couvrant des récits personnels, des années 1890 au début des années 2000 et en traitant de l'histoire du patinage artistique de la Nouvelle-Écosse à la Colombie-Britannique, l'exposition représente une bonne gamme de contenu de l'histoire de ce sport. Ces exemples ont aussi une grande valeur comme réflexions sur des thèmes majeurs de l'histoire de l'immigration canadienne, en particulier à travers le XXe siècle.

Author(s)

Steve Schwinghamer

Un homme, vêtu d'une chemise et d'un pantalon kaki et portant un sac à dos, se tient sur un terrain rocheux.

Steve Schwinghamer est historien au Musée canadien de l’immigration et est affilié au Centre d’histoire orale et de récits numériques de l’Université Concordia. Avec Jan Raska, il a co-écrit Quai 21 : Une histoire Il s’intéresse aux politiques et aux lieux de l’immigration canadienne, en particulier au XXe siècle.