par Jan Raska PhD, Historien
(Mise à jour le 1er octobre 2020)
Introduction
L'histoire est souvent perçue par le public comme l'étude des dates, des noms, des lieux et des événements. En tant que discipline, l'histoire est beaucoup plus diversifiée et comporte plus de couches que ce que l'on pourrait croire. On peut d'une certaine manière la considérer comme une interaction complexe entre la continuité et le changement.
Cerner la continuité et le changement en cours de recherche afin de soutenir le développement d’une exposition
Dans cet article, nous allons discuter du troisième concept présenté dans Le projet de la pensée historique (http://histoirereperes.ca/)— définir la continuité et le changement.[1] Dans les recherches qu'ils effectuent pour un projet donné, les historiens ne se contentent pas simplement de noter les moments où la continuité et le changement se produisent; ils cherchent plutôt à savoir si la continuité se produit lorsque le changement est abondant ou si le changement se produit lorsque la continuité est présente. L’exposition temporaire de 2012, Façonner le Canada : l’exploration de nos paysages culturels, une étude de cas sur la communauté libanaise d’Halifax, en Nouvelle-Écosse, nous fournit un exemple unique de l’interaction entre la continuité et le changement.
Pour mener nos recherches sur l'immigration libanaise du Canada, et en particulier sur celle d’Halifax, la littérature savante précédemment publiée et les documents d'archives se sont avérés être des ressources utiles pour connaître le rôle de l'émigration. Ces œuvres parlent souvent de traversées pénibles depuis la mère patrie pour rejoindre les côtes du Canada. Les documents traitent également de la façon dont ces immigrés ont pu conserver leurs communautés dans cette nouvelle vie, transposant leurs familles et leurs expériences dans un nouveau pays. Au cours des recherches que nous avons menées pour l'exposition Façonner le Canada, j'ai pu constater que la plupart des premiers immigrants arrivés à Halifax étaient originaires du village de Diman, situé à 1 400 mètres d'altitude dans les montagnes du nord du Liban.
Au bout de plusieurs générations, un réseau migratoire a fini par s'établir. Les proches de ces Libanais arrivés plus tôt envoyaient maintenant de l'information dans leur pays d'origine au sujet de la vie au Canada, offrant même de l'aide financière à leurs familles pour venir les rejoindre au Canada. Très souvent, les immigrants libanais arrivés à Halifax envoyaient donc de l'argent à leurs familles pour payer leur traversée de l'Atlantique, en plus de leur fournir de l'aide sur place pour payer les frais de scolarité et démarrer une entreprise. Là où les recherches antérieures parlaient de déracinement, de réinstallation, de lutte, d'ambition et de succès comme exemples de changement, j'ai également trouvé de la continuité faisant état d'agents d'actions humaines. Les immigrants libanais avaient réussi à maintenir des liens avec leur ancien pays et à rétablir, ou plutôt à transplanter leur identité à Halifax. Au fil du temps, plusieurs familles libanaises ont pu être reconstituées et habiter les mêmes quartiers. Elles ont démarré leurs propres entreprises, telles que des dépanneurs, et embauché de proches parents à leur compte.
Les conditions de vie des immigrants libanais à Halifax démontrent qu'ils étaient agents de leur propre destin. Devant la pauvreté, c'est l'ambition et l'esprit d'entreprise qui a conduit de nombreux habitants de Diman à se réinstaller sur les côtes canadiennes. Une éthique de travail et un sens de la communauté hors du commun se sont transmis de génération en génération. Les descendants de ces mêmes immigrants sont souvent embauchés par leurs parents qui fixent la succession de l'entreprise familiale. Les générations successives continuent de visiter leur patrie ancestrale et reviennent au Canada désireuses de mettre en valeur leurs liens historiques avec Diman.
Conclusion
Pour les Canadiens et Canadiennes d'origine libanaise de Diman, le fait de s'être réinstallés sur les côtes canadiennes constitue un changement dans leurs histoires personnelles, mais cela constitue également un exemple de continuité. Ce sont les liens de parenté qui ont permis à ces immigrants de préserver, d'une part, leur langue et leur identité après leur réinstallation, et de maintenir, d'autre part, des liens avec leurs familles au Canada et au Liban.
Quelques images de la section « Les liens de parenté » de l’exposition Façonner le Canada, mettant en vedette des portraits photographiques contemporaines de Naomi Harris.
- Le projet de la pensée historique, « Concepts », consulté le 20 novembre 2012, http://histoirereperes.ca/les-six-concepts.