Alexandra Dochmacka et Sofia Bain

Mur d'honneur de Sobey

Colonne
102

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11

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Alexandra Dochmacka and Sofia Bain

Sofia Dochmacka Bain
Immigrante polonaise et uste parmi les Nations
Le SS Nelly 5 mai 1951

Note de la rédaction : il s’agit de la traduction d’une transcription du récit donné par madame Sofia Dochmacka Bain

Je suis très fière d’avoir été invitée par le docteur Dehav pour me donner l’occasion de vous parler de deux personnes courageuses : ma mère, Alexandra et ma sœur, Nina.

Je sais que vous avez étudié les années horribles de l’histoire juive : l’Holocauste et les choses innommables et inhumaines qui ont été perpétrées sur le peuple juif et d’autres au cours de cette période.

La Deuxième Guerre mondiale sera gravée dans l’histoire comme la plus cruelle, la plus horrible, la plus brutale et la plus bestiale de toutes les guerres, une leçon à retenir par les meurtriers de masse de toute époque future.

La destruction de la Pologne a débuté le 1er septembre 1939, quand l’armée allemande l’a envahie et s’est propagée dans tout le pays, là où les Juifs vivaient depuis plus de 800 ans.

Bien que l’avancée allemande ait été rapide, les forces polonaises ont combattu avec habileté et bravoure en de nombreux endroits pour contrer les forces allemandes dans une série de combats acharnés. Au cours de la bataille, plus de 60 000 soldats ont été tués, dont 6 000 étaient des Juifs. Des milliers de civils ont été également tués dans le bombardement des villes. À la fin de l’agression sauvage et brutale de trois semaines, plus de 400 000 soldats polonais ont été capturés, dont environ 61 000 étaient Juifs. Les Juifs ont été immédiatement expulsés de la Pologne, et des milliers se sont vu refuser les droits les plus fondamentaux.

Le 28 septembre 1939, la Pologne a été partagée entre l’Allemagne nazie et l’Union soviétique, tandis que la région de Vilnius a été annexée à la Lituanie. Les Russes et le KGB ont pris notre ville de Pinsk, où vivaient 80 000 habitants. De 35 000 à 40 000 d’entre eux étaient des Juifs. Les Russes sont venus en chars, en avions et la ville s’est rendue dans le silence. Ils avaient leur propre manière brutale de traiter leur population nouvellement conquise. Le russe est devenu la seule langue et la seule loi, étant obligatoire dans les écoles et dans la vie quotidienne. La punition aussi rapide que sévère, et bien des gens se sont tout simplement volatilisés. La population n’a pas tardé à se rendre compte que le fait de joindre les rangs du Parti communiste améliorerait ses chances de survivre et de nombreux Juifs l’ont fait. Par ailleurs, en raison de leurs études supérieures, beaucoup travaillaient en haut lieu, comme à la Cour Suprême, etc.

Les Russes n’ont pas eu un long règne de terreur : un an et trois mois. Le 4 juillet 1941, 13 jours après que l’armée allemande eut lancé son attaque contre la Russie, les Allemands sont arrivés aux portes de Pinsk.

À 11 h, les premiers avions allemands sont apparus dans le ciel. Dans la panique, les gens couraient dans les rues jusqu’à leurs maisons. Les paysans quittaient les places de marché et se précipitaient vers leurs villages. Les membres du NKVD russe, ou Commissariat du peuple aux Affaires intérieures, emballaient leurs biens à toute vitesse et se précipitaient dans leur voiture pour traverser le pont enjambant la rivière Pina. Une énorme explosion a alors été entendue, c’était celle du pont, détruit par les Russes en retraite. Plusieurs bâtiments en bordure de la ville ont aussi été incendiés, toujours par les Russes. Les bombes survolaient la ville en direction des Russes, et il pleuvait un peu.

Les premiers Allemands sont entrés dans la ville à motos, suivies derrière eux par des voitures enveloppées de drapeaux. Les gens les accueillaient, croyant qu’ils étaient libérés.

Maintenant, sur un plan plus personnel, je suis née le 27 avril 1940 et lorsque j’avais environ un an, mon père, tout comme ses trois frères, a dû joindre l’armée et la marine russes, et il nous a dit au revoir à la gare, laissant ma mère, alors âgée de 34 ans, et ma sœur, âgée de 11 ans. Ils ne sont jamais revenus. À l’exception de l’unique sœur de ma mère, nous n’avions personne vers qui nous tourner.

Dès que les Allemands sont entrés, ils ont commencé leur tuerie, expulsant seize jeunes hommes juifs de leurs maisons pour les emmener… On ne les a jamais revus vivants. Le prétexte était que quelqu’un avait tiré sur les Allemands, ce qui n’était pas vrai. Les Juifs ont reçu l’ordre de remettre leurs radios et effets personnels et ont été battus sans pitié, sans respect et à la grande joie des habitants polonais et russes, qui étaient heureux de se débarrasser des Communistes. Ils ont également pris tout ce qui était de leur goût des maisons juives, les ont pillées et ont posé une marque sur les portes.

La Police polonaise a été formée par les forces d’occupation durant les premiers jours et a assisté avec enthousiasme les Allemands dans leur pillage, tout en humiliant et en dénonçant les Juifs. De vieux comptes étaient réglés et les Communistes, qu’ils le soient vraiment ou non, étaient identifiés… C’est exactement ce que les Allemands voulaient que la population croit.

Après un mois d’occupation, le 4 août 1941, les massacres ont commencé pour de bon. Entre 2 000 et 3 000 soldats spéciaux ont été amenés pour ce projet. Les Einsatzgruppen (groupes d’intervention) étaient des groupes de tueurs d’élite qui devaient faire de l’Europe une Europe libérée des Juifs. Le détachement S.S., avec la marque des S.S. sur les manches et les têtes de mort sur les casques, tout vêtu de noir et armé de haches à double tranchant, était accompagné de chiens de Saint-Hubert (bloodhounds) et de bergers allemands. [Ce jour-là,] 300 jeunes hommes juifs ont été arrêtés, jetés dans une cave et abattus d’une balle.

Le 5 août 1941, 8 000 hommes juifs, ont été alignés côte à côte dans deux longues colonnes de cinq hommes de large. Tous les objets de valeur ont été confisqués, tout sauf ceux de 150 constructeurs de ponts qui ont été renvoyés chez eux. Aux autres, on a dit de marcher rapidement, presque à la course, par une journée d’été chaude et ensoleillée… Des nuages de poussière étaient soulevés par les milliers de marcheurs, les hommes de main étaient à cheval, il y avait des motos tout autour, cette colonne compacte s’étendait sur des milles… Après avoir marché environ 10 kilomètres, ou 6 milles, hors de la ville, là, ils se sont arrêtés et on leur a dit de descendre dans le fossé… des coups de feu ont retenti. Les hommes ont alors vu les fosses à ciel ouvert, et les Allemands, le doigt sur la gâchette de leurs mitrailleuses… Alors les hommes se sont mis à courir en panique, mais cela avait été prévu et la plupart ont été abattus avant de pouvoir s’enfuir. Il y avait 14 immenses fosses qui les attendaient… On a dit aux Juifs de s’agenouiller, de se déshabiller et de ramper jusqu’au bord de la fosse. C’est à ce moment que ces personnes ont été abattues. Au cours de la nuit, les Allemands et la police polonaise sont revenus et ont pris des garçons juifs de 12 et 13 ans, environ 300, pour ramasser les corps des hommes abattus en tentant de s’échapper. Une fois le travail terminé, eux aussi ont été tués, à l’exception de deux qui ont dû couvrir les fosses.

Le jour suivant, les femmes et les enfants couraient dans tous les sens à la recherche des hommes… Seul un petit nombre pouvait être vu : quelques médecins, des hommes de métier et les dirigeants du Ghetto. En 3 jours, 11 000 hommes furent tués. Ils étaient la crème de la population juive de la ville, des personnes de toutes les classes d’instruction, à l’exception des médecins. Cela a laissé la population juive défaite et sans défense. Environ 20 000 restaient : la majorité étant des femmes et des enfants. Les Juifs devaient marcher au milieu de la rue et faire place à tout Juste qu’ils rencontraient sur leur passage. Tout contact était strictement interdit. Tout Juste pris en train de donner un morceau de pain ou cachant un Juif était puni par la mort, pendu sur la place de la ville, avec cette mention : « Ce Juste a nourri ou tenté de cacher un Juif ». La Pologne était le seul pays où la population avait un décret de peine de mort. Et tous devaient assister à ces pendaisons. La doctrine nazie soutenait que tuer un « Pole » (un Juif polonais) servait à « purifier » les races du monde. Ils n’avaient donc aucun problème avec le fait de pendre les aidants polonais.

Les 30 et 31 octobre, il y a eu une autre action importante. Cette marche de la mort, composée de quelque 8 000 habitants juifs, est survenue quand les Allemands ont encerclé le grand Ghetto pour ensuite le scinder en deux, le Grand et le Petit, et laisser le Petit Ghetto aux hommes de métier. Dans un premier temps, ils ont fait marcher les Juifs jusqu’au cimetière de Karlin et les ont mis à genoux, puis de là, ils ont été forcés à entreprendre un autre voyage : marcher vers un village situé à 4 kilomètres (2 milles).

C’était une autre journée chaude et ensoleillée… Ils devaient marcher d’un bon pas, avec les villageois voisins qui regardaient sans la moindre difficulté… Alors que les Juifs s’approchaient des fosses, ils ont vu devant eux les cadavres des victimes jetées en bordure de route et déchirées par les balles dum-dum. Comme ils s’approchaient des fosses, on leur a dit une fois de plus de se dévêtir et de déposer leurs vêtements en ordre, selon leur type. Devant eux se trouvaient des cadavres de Juifs abattus, face contre terre, empilés les uns sur les autres, la tête fracassée. Les meurtriers ont commencé à pousser les Juifs nus dans les fosses en les rouant cruellement de coups, furieux et remplis de haine, les obligeant à descendre les marches découpées dans les fosses à cette fin, à se coucher par-dessus les morts et les blessés se tordant de douleur, face contre terre et à attendre que la balle leur transperce le cou. Des profondeurs venaient les pleurs angoissés de ceux dont la balle avait été incapable de les achever du premier coup. « Ils ont choisi 50 Juifs parmi ceux qui attendaient pour se livrer à un jeu meurtrier », un Nazi allait se tenir devant le malheureux Juif tandis qu’un autre allait le pousser vers le premier et un troisième, qui attendait, devait frapper la victime dans le dos avec une pioche, puis retirait celle-ci alors que l’homme tombait au sol. Une belle jeune fille qui avait refusé de se déshabiller s’est fait arracher ses vêtements… Ses longs cheveux noirs sont devenus blancs en quelques minutes. Un témoin qui a survécu et qui était dans la fosse, avait ceci à ajouter.

Le deuxième jour de l’Action, il a été envoyé pour travailler dans les fosses d’un autre village. Tout au long de cette journée, ils ont emmené d’autres Juifs, les obligeant à se déshabiller et à se mettre à genoux. Un Allemand conduisait chaque Juif nu jusqu’au bord de la fosse où un autre lui tirait une balle dans la tête. Plus tard, ils devaient placer en rangée tous ceux qui avaient été abattus. Quand l’Allemand avait vidé son chargeur, un autre pistolet lui était remis… Il avait des éclaboussures de sang sur son visage et son uniforme. Un survivant devait aussi compter et noter le nombre de cadavres. Un petit groupe de Juifs a fait ce travail pendant quatre jours, et quand il s’est échappé, un policier polonais, qui était son ami et protecteur et qui le cachait à ce moment-là, lui a dit qu’au cours de la première nuit de l’Action, il montait la garde près des fosses. Tout au long de cette nuit-là, la terre se soulevait, de façon semblable à des vagues, une coulée de sang et de mousse blanche remontait à la surface, tout comme le son des gémissements. Cela s’est poursuivi jusqu’au matin, quand le S.S. est arrivé et a versé de la chaux sur les cadavres. Ce policier a été incapable de manger ou de dormir pendant toute une semaine.

Le 23 décembre 1942, le petit Ghetto a été liquidé et alors que les Allemands s’apprêtaient à célébrer Noël, quelques Juifs se sont enfuis. C’est là que commence notre histoire.

Lorsque les Communistes étaient au pouvoir, ils occupaient le premier plancher de la maison où nous habitions. Quand ils ont quitté, ma mère est partie de l’étage, où nous vivions, et s’y est installée, occupant une chambre et la cuisine.

Lorsque les Allemands sont arrivés, c’était le chaos total, deux chambres ont été prises - elles avaient une entrée séparée de notre partie… Et la partie arrière de la maison, ma mère l’a détruite, la rendant semblable à des décombres, pour empêcher n'importe quel autre Allemand d’y vivre. Dans la cave, on avait creusé un trou où se trouvait un matelas recouvert d’une planche. C’était petit, humide. Ma mère ne se souvient pas qui avait creusé ce trou, mais il était là lorsque nous avons déménagé au sous-sol.

Un soir, ma mère était en train de ramasser du bois et a dit à ma sœur qu’elle se sentait comme si quelqu’un la regardait dans l’obscurité. C’était bien vrai. Marek Schejnberg, un voisin qui était le fils d’une famille possédant plusieurs propriétés à Pinsk, est sorti de la remise, où il se cachait sous le bois. Il se cachait aussi dans la toilette arrière de la maison maintenant abandonnée, mais qui autrefois appartenait à sa famille et avait été saisie par les Communistes. Il s’est approché d’elle et lui a demandé de pouvoir rester. D’une façon ou d’une autre, il avait réussi à échapper à la marche de la mort, qui avait emporté toute sa famille, y compris sa femme et son enfant. Ils étaient les aristocrates de Pinsk et Varsovie et par conséquent, avaient été tués sur-le-champ. Ma mère l’a fait entrer et il lui a dit : « Ce ne sera que pour une courte période de temps… jusqu’à ce que je sois en mesure de rejoindre les partisans dans les bois ». Il est entré et s’est caché dans la cave. Un peu plus tard, sa belle-sœur et sa fille de 8 ans, qui pesait 22 kg, soit environ 50 lb… Mania Shejnberg et sa fille étaient mortes de faim dans le grand Ghetto et elles se s’étaient enfuies pour trouver refuge, à 4 h du matin, épuisées, en décidant de frapper à notre porte. Les chiens se sont mis à aboyer dans la maison. Ma sœur a regardé par la fenêtre et a ouvert la porte. Ma mère était terriblement surprise et elle avait peur - cette femme apportait la mort pour nous tous - mais elle l’a fait entrer… Et ça s’était passé, comme je le disais… La belle-sœur de Marek… Son mari et ses frères avaient été tués… Et maintenant, ils partageaient le même trou et un simple matelas.

Un partisan polonais qui nous connaissait et nous faisait confiance, a demandé l’aide de ma mère pour sauver son ami juif, Sioma Yielinsky. Il était très malade et affamé, se cachant dans un sous-sol, et ce n’était qu’une question de temps avant que les Allemands le trouvent et le tuent. Ils sont sortis dans la nuit et ont pratiquement traîné ce jeune homme à l’intérieur pour le ramener à la santé en le faisant manger avec une cuillère, car il vomissait… Et dès qu’il irait mieux, ils pourraient aller rejoindre les partisans. Entretemps, notre ami partisan polonais, qui nous avait aidés à trouver de la nourriture a été tué et il nous a terriblement manqué.

D’une façon ou d’une autre, les deux hommes ont trouvé des armes à feu et ont volé des grenades aux soldats. Nous avons été informés par des partisans qu’il serait sécuritaire pour eux d’aller avec ces deux hommes qui étaient venus les chercher… Puis, ils les ont conduits dans la forêt. Quand les deux hommes ont forcé Marek et Sioma à enlever leurs vêtements, ils ont réalisé qu’ils voulaient les tuer et prendre leurs armes… Ils se sont battus pour leur vie. Sévèrement blessés et ensanglantés, ils ont être soignés par Mania et Nina pendant un long moment. Il n’y a pas eu d’autres tentatives de rejoindre les partisans. Il semble qu’un document ayant été retracé jusqu’à notre maison, la Gestapo est arrivée pour rechercher des Juifs. Ma sœur était à la maison à ce moment et a réussi à mettre le tapis sur l’entrée de la cave, avec la chienne et ses petits chiots. Et voici une jeune fille de 12 ans qui leur dit qu’elle déteste les Juifs et que s’il y en avait ici, elle les livrerait à la Gestapo. Ils ont fouillé la maison, mais pour une raison ou une autre, ils ont évité la zone de la chienne et ont finalement abandonné et quitté les lieux. Lorsque ma mère fut de retour, ma sœur lui a dit de partir avec moi car elle était inquiète que la Gestapo ne revienne pour elle. Ma mère et moi avons quitté et nous nous sommes cachées pour la nuit, en surveillant pour voir si une camionnette arriverait à la maison. Mais aucune ne s’est présentée et nous sommes enfin rentrées à la maison. Il semble que malgré mon jeune âge, j’avais conscience des dangers. Cette nouvelle famille était avec nous et j’étais très sérieuse… Lorsque des enfants venaient à la maison et voulaient savoir ce qu’il y avait dans cette pièce, je leur disais de ne pas y entrer… Que c’était sale, c’était là où vivait le poulet. L’enfance a été perdue instantanément, le temps d’une nuit… et surtout pour ma sœur, qui avait la responsabilité et la garde de quatre personnes, en plus de moi-même, et de prendre soin de nous tous.

Ma mère était forcée de travailler dans la cafétéria de l’hôpital pour les soldats allemands blessés qui arrivaient du front russe. Bien qu’elle ait dû m’allaiter au-delà de mes deux ans, elle cuisinait et servait les repas aux soldats allemands. Cela lui donnait l’occasion de voler de la nourriture, du gruau, n’importe quoi. Elle attachait un pantalon de mon père autour de ses jambes et y fourrait tout ce qu’elle pouvait pour le ramener et nourrir tout le monde. Lorsqu’elle ne travaillait pas là, ma sœur devait la remplacer.

Ma mère me prenait sur son dos et nous allions voir les villageois et y trouver des pommes de terre, du chou, tout ce qui était possible. Cela représentait une marche d’au moins 16 kilomètres (10 milles).

Alors qu’elle travaillait à la cafétéria, elle ressentait de la pitié envers ces jeunes garçons allemands qui avaient des jambes coupées et elle leur donnait de la nourriture de plus. Peut-être que cela lui a sauvé la vie. Un jour, un officier l’a prise avec de la nourriture et l’a battue violemment, mais il lui a épargné la vie car elle était aimée à cet endroit. Le fait qu’elle avait une enfant en bas âge l’a aussi aidée, je suppose… à moins que ce ne soit un véritable miracle.

Nous devions également aller à la Place de la ville pour y chercher de l’eau au puits et sortir le seau rempli d’excréments humains de Juifs et les enterrer durant la nuit dans le jardin. Nous avions une toilette extérieure, mais ça aurait été suspect… Comment une femme seule avec deux enfants pouvaient produire autant d’excréments ? Et si les voisins l’avaient su, ils nous auraient trahis et nous aurions tous été tués.

Ma tante, qui se trouvait à une fête, avait déclaré que « l’Allemagne allait perdre la guerre » et quelqu’un l’a signalée à la Gestapo, qui l’a enlevée… Elle a été emmenée vers les fosses et abattue par les soldats ukrainiens S.S., qui portaient les mêmes uniformes noirs et avaient été formés en Allemagne, mais avec des écussons différents, pour les distinguer des Allemands. Quand ma mère, tout en me portant sur son dos, est allée à la recherche de sa sœur, le soldat ukrainien lui a dit de s’en aller… Sinon, elle subirait le même sort.

Quand les Russes ont commencé à prendre le dessus sur les Allemands, ceux-ci ont commencé à évacuer la ville, ils incendiaient tout, ainsi que les maisons, en tirant sur les gens qui couraient. La maison dans laquelle nous étions a aussi été incendiée et tous semblaient courir dans des directions différentes. Ma mère, ma sœur et moi avons plongé dans un abri souterrain en compagnie de plusieurs autres personnes. Le reste se cacha dans un autre abri souterrain appartenant à des paysans russes. Nous sommes restés là pendant 3 jours, jusqu’à ce qu’un homme en uniforme allemand ne soulève le sac de patates avec un fusil et regarde en bas les gens et enfants entassés, sales et affamés… Il s’est avéré qu’il était un parachutiste russe et nous a dit que nous pouvions sortir. Et ce qui semblait être une libération instantanée de la barbarie des Allemands, s’est transformé en un autre emprisonnement, celui-là par les Russes bolchéviques.

La vie avec les Russes n’était pas facile. Mania, craignant que les Allemands reviennent est parvenue à s’enfuir avec sa fille et a réussi à se rendre à Israël, où elle a vécu jusqu’en 1992. Quand des missiles Scud irakiens ont été lancés sur Israël, elle est morte d’une crise cardiaque. Renia s’est mariée et a eu sept enfants : des triplets, une paire de jumeaux et deux autres. Ils ont maintenant leurs propres enfants. Renia vivait à Hadere, certains habitent Pardes Chana et Tel-Aviv. Arik et Szimszi, les jumeaux : le premier est pilote israélien – il en coûte 1 million de dollars pour former un pilote - et Szimszi est officier dans la brigade Golani… J’ai assisté à sa remise de diplôme, dans le Néguev.

En nous échappant à travers les villes et villages, nous avons enfin pu entrer clandestinement dans Berlin-Ouest, où je suis restée avec ma sœur. Ma mère nous a rejointes un an plus tard, alors que le rideau de fer tombait. J’ai été embarquée clandestinement sur un bateau, cachée sous du charbon et lorsque la patrouille russe est montée à bord, j’ai entendu les chiens aboyer, mais ils ne m’ont pas trouvée. Quand ma mère est arrivée, elle était presque asphyxiée car elle s’était cachée derrière la chaudière. Berlin était une ville dévastée par les bombardements, et l’Organisation internationale pour les réfugiés, dirigée par l’armée américaine, s’occupait du traitement des dossiers. Ma mère et moi avons été sélectionnées pour le Canada. Ma sœur nous a suivies en 1958.

Nous avons quitté le port de Bremerhaven, sur un petit navire de 3 500 tonnes, le SS Nelly… un vrai seau ravagé par la rouille ! Nous sommes arrivées le 5 mai 1951, accostant à Halifax, en Nouvelle-Écosse et de là, on nous a conduites au hangar, puis ce fut le train pour nous rendre à Ajax, en Ontario.

Nous ne parlions pas tellement de la guerre, surtout pas à moi, car nous n’avions pas de papiers. On ne m’a donc jamais rien raconté, mais en 1987, quand ma sœur est décédée à l’âge de 56 ans, j’ai trouvé un carnet d’adresses avec le nom de la dame que ma mère avait sauvée, Mania, et l’endroit où ils sont allés vivre en Israël, dans l’ancienne section de Tel-Aviv. Quelqu’un qui s’y rendait l’a trouvée : elle vivait sur Nordau au coin de Ben Yehuda, tout près de la mer Méditerranée, et je suis allée lui rendre visite. Elle me racontait comment ma mère devait s’occuper de laver les vêtements souillés de sang des Allemands, et qu’elle-même devait repasser les chemises… Les soldats étaient tellement saoulés par la folie meurtrière de la journée qu’ils ne savaient même pas où ils se trouvaient. Sauf que quelqu’un veillait sur nous tous.

Mania et sa fille ont témoigné à Yad Vashem. Un livre a déjà été écrit au sujet des bonnes actions de ma mère et de ma sœur et il reconnaît 17 autres survivants juifs qui se sont cachés pendant près de deux ans. Yad Vashem a honoré ma mère et ma sœur de sa plus haute distinction, celle de la plantation d’un arbre dans l’allée des Justes, d’une médaille et d’un certificat d’honneur.

Lorsque vous visitez le Musée de l’Holocauste à Yad Vashem, vous en revenez « bouleversé et atterré par ce que vous y avez vu. » Pourtant, lorsque vous entrez dans l’avenue des arbres, avec ses vallées et collines, vous vous rendez compte que chaque arbre commémore une personne non juive qui n’a pas fermé les yeux mais a plutôt risqué sa propre vie pour sauver des Juifs au moment le plus sombre. Vous ne pouvez jamais oublier le Musée de l’Holocauste et les arbres.

Note de la rédaction : Sofia a été bénévole au sein du Mémorial de l’Holocauste à Miami de 1990 à 2004 et s’adresse aux enfants d’âge scolaire pour leur raconter les expériences de sa famille et les horreurs de l’Holocauste. Un arbre a été planté en Israël en l’honneur de sa famille. Voyez les photos et coupures de presse ci-dessous.

Aleksandra Dochmacka

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Photo d’une vieille tête attachée sur un papier avec des épingles d’une jeune femme.
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Une jeune fille portant une robe représente une photo.
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Carte d’identité de l’immigration avec le nom du passager et du navire estampillé.
Dochmacka-Bain
Portrait d’une jeune femme bien habillée.
Dochmacka-Bain
Photo avec libellé : En mémoire des six millions de victimes juives de l’holocauste.
Dochmacka-Bain
Médaille d’honneur d’Israël pour les survivants de l’Holocauste.
Dochmacka-Bain
Une vieille dame est assise sur le pont d’un navire avec l’air pensif.
Aleksandra Dochmacka
Un arbre grandit en Israël
Un arbre grandit en Israël
Coupure de journal intitulée : Le courage montréalais en temps de guerre honoré.
Dochmacka-Bain
Coupure de journal intitulée : Les gens devraient faire la bonne chose pour les bonnes raisons.
Dochmacka-Bain
Plaque : Aleksandra dochmacka et sa fille Nina.
Dochmacka-Bain
Une jeune femme en robe blanche se tient sur une colline et montre un petit arbre.
Dochmacka-Bain
Une jeune femme en robe bleue se tient à côté d’un petit arbre.
Dochmacka-Bain
Une jeune femme souriante tient un prix tout en étant debout avec deux jeunes hommes.
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Coupure de journal intitulée : Gentile juste.
Dochmacka-Bain