aviatrice-chef Sarah Sharpe Platana

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WAAF and War Bride

J’ai commencé cette introspection le 11 novembre 1997, le Jour du Souvenir, un jour qui a toujours eu une signification bien particulière pour moi, jamais autant que cette année. La signification passée a toujours été un rappel du père que je n’ai jamais connu, un mitrailleur de bord de l’ARCT âgé de 21 ans qui a perdu la vie en survolant la France le 14 juillet 1944 alors qu’il servait le 156e escadron d’éclaireurs de la RAF. Il est enterré auprès de quatre des membres de son équipage du Lancaster PA984 dans le cimetière de la petite commune française d’Ancerville.

J’ai attendu pas mal de temps pour écrire cette histoire et je n’ai jamais pu trouver comment commencer. J’ai pensé que je pourrais commencer par raconter comment j’ai hérité de la collection de lettres de ma grand-mère quand elle est décédée, toutes les lettres que mon père avait écrite à l’époque où il s’est engagé en 1941 jusqu’à sa mort en 1944. J’ai pensé commencer avec ses lettres qu’il envoyait à ses parents leur parlant de la magnifique jeune auxiliaire de l’armée de l’air (WRAF) qu’il avait rencontrée. Ensuite, j’ai pensé que je pourrais commencer par le début de son petit journal de poche tout abîmé par le temps à la date du 12 décembre 1943 : « J’ai rencontré Sadie Sharpe. Une sacrée gamine. Quelles rigolades » ou avec la date du 5 juin 1944 : « Je me suis marié à Felling. Je suis l’homme le plus heureux de la terre. » J’ai survolé ses journaux de bord et j’ai songé à commencer par le début de la dernière date du 14 juillet 1944 : « Opérations sur Revigny. Retour non accompli ». J’ai aussi pensé à commencer par le début des lettres, qui me sont hélas si familières, écrites à ma mère et à mes grands-parents qui les informaient que mon père était porté disparu. J’ai pensé commencer avec la recherche que j’ai lancée en 1980 afin d’essayer de trouver quelqu’un qui l’aurait connu pendant les années où il a servi avec l’Escadron Alouette 425 en Italie, en Afrique du Nord, et à Dishforth en Angleterre, ou bien quelqu’un qui aurait eu un quelconque contact avec lui pendant le temps qu’il a servi avec la Force d’Eclaireurs parmi l’escadron 156 de la RAF. Il semblait y avoir tellement de manières différentes de commencer cette histoire que je n’ai pas arrêté de repousser son écriture et d’attendre que la bonne manière et le bon moment se présentent. Le Jour du Souvenir m’a rappelé qu’il y a rarement, si ce n’est jamais, une bonne manière ou un bon moment pour certaines choses.

Après la guerre, ma mère et moi sommes venus habiter avec la famille de mon père à Regina, en Saskatchewan. Depuis mon arrivée ici en février 1946 alors que je n’étais qu’un bébé de 11 mois et le moment où nous avons fait partie d’une nouvelle famille, le Jour du Souvenir est devenu une date dans ma vie que j’anticipe régulièrement chaque année. Je me souviens des premières années, quand j’observais mon grand-père défilant fièrement dans le défilé des Anciens Combattants, exhibant les médailles qu’il avait gagnées pendant la Première Guerre Mondiale. Je me souviens des cérémonies au cénotaphe dans le Parc Victoria auquel nous assistions toujours même si la température était comme à la fin de l’automne ou au début de l’hiver. Je me souviens des jours passés lors d’un Jour du Souvenir particulier et des cérémonies en l’honneur des anciens combattants à la Légion de Regina. Je me souviens de la première fois que ma grand-mère a posé, avec fierté mais appréhension, sa couronne de fleurs en tant que Mère décorée de la Croix d’argent. Un journal a raconté ce qui suit dans une chronique juste avant le Jour du Souvenir :

Le 15 juillet 1944 était une journée ensoleillée à Regina, un jour que Mme M.M. Platana n’oubliera jamais. Ce dimanche après-midi-là, Mme Platana a reçu la visite de son prêtre qui lui a annoncé que son fils était porté disparu et qu’on pensait qu’il était mort en mission outre-Atlantique. Le lieutenant d’aviation Daniel D. Platana avait presque 22 ans quand son bombardier Lancaster, qui faisait partie de l’escadron d’Eclaireurs, est descendu sur l’est de la France. Le jeune mitrailleur de queue n’était pas sensé faire partie de la mission qui s’est avérée être sa dernière ; il remplaçait un autre membre de la force aérienne. Daniel était sensé se préparer pour son retour chez lui qui était promis à chaque membre de la force aérienne après avoir terminé une tournée d’opérations avec l’escadron. Ce n’est pas avant mars 1945 que les Platana ont reçu la confirmation de la mort de leur fils. Ils ont attendu pendant huit mois la lettre qui a été livrée par un officier de police de Regina – il y a bien longtemps que les livreurs de télégrammes ont refusé de porter ce type de message. Partout à travers le Canada, les mères et les épouses ont connu l’attente de Mme Platana pour recevoir la même nouvelle.

L’article poursuivait avec l’explication de la signification de la Croix d’argent et a ensuite conclut avec une chose à laquelle je pense chaque année quand je regarde la représentante de la Croix d’argent déposée la couronne de fleurs…

Mme Platana a souligné que, quand elle déposera la couronne de fleurs le Jour du Souvenir, elle agirait en l’honneur de tous les proches, pour les mères, les épouses, les pères, les frères et les sœurs, pour toutes les récipiendaires de la Croix d’argent.

Chaque année le 11 novembre, quand je regarde le journal télévisé, je vois de nouveaux visages et pourtant, en même temps, ce sont des visages que j’ai déjà vu avant. Je vois les visages marqués par l’âge des anciens combattants qui se tiennent fièrement tout en défilant, mais je vois le visage de mon grand-père qui est mort en 1969 après avoir servi dans les deux Guerres Mondiales. Je vois les visages des Mères décorées de la Croix d’argent mais je vois le visage de ma grand-mère, décédée il y a sept ans mais qui occupe une grande place dans mes souvenirs. Je vois les visages des jeunes élèves-officiers des collèges militaires et cela me rappelle que mon père et ses équipiers avaient leur âge quand ils sont décédés. Cela me rappelle les jours où j’étais élève-officier au Monument commémoratif de Guerre à Ottawa.

Je repense aux émotions que j’ai ressenties au fil des années alors que j’attends avec impatience et en même temps avec une grande peine qui monte en moi, que le trompettiste commence the Last Post et ensuite Reveille. Je repense au moment où chaque année mon cœur commence à battre la chamade quand j’entends les mots « Nous nous souviendrons d’eux ». Et je repense au moment que je redoute et que pourtant j’adore, quand je ne peux pas contenir mes larmes alors que la musique commence « Abide with Me ».

Les cinquante-deux dernières années de ma vie, le Jour du Souvenir m’a causé mes souvenirs les plus pénibles et en même temps des souvenirs d’immense gratitude et d’appréciation pour ceux qui ont tant donné. Le Jour du Souvenir de 1997, bien plus que ceux du passé, était un jour plein de souvenirs pour moi. C’était un jour non pas plein de souvenirs d’il y a bien longtemps mais de souvenirs récents du 20 août 1997, le jour où nous avons enterré les cendres de ma mère au même emplacement que mon père à Ancerville en France.

L’histoire unique de mes souvenirs de ce Jour du Souvenir est liée au mois de mars 1996 quand ma mère est décédée. Pendant ses dernières années, ma mère a souffert de la maladie d’Alzheimer et avait peu de mémoire à court terme mais elle avait encore d’incroyables souvenirs de ses plus jeunes années et, en particulier, du court moment où elle était mariée à mon père. Elle parlait bien plus que d’habitude du père que je n’ai jamais connu et qui n’avait même jamais su qu’elle était enceinte.

Il y a bien trop de souvenirs à écrire ici mais voir les anciens combattants du Jour du Souvenir m’a rappelé les nombreuses fois où ma mère m’a parlé de ce qu’elle a ressenti après la guerre. Elle avait tellement peur de décider de quitter l’Angleterre et de partir pour un pays qui lui paraissait si étrange et où les seuls contacts qu’elle avait étaient la famille de son mari maintenant disparu. Elle n’avait qu’un frère et une tante qui lui restaient en Angleterre mais au moins elle les connaissait. Elle m’a raconté ses souvenirs de la traversée de l’Atlantique et de notre arrivée à Halifax le 14 février 1946. Elle a parlé du long voyage en train d’ici jusqu’à Regina, quand elle se demandait qui et ce qui l’attendait, elle était inquiète parce que j’avais une toux terrible et elle avait peur qu’ils nous demandent de descendre du train pour que je ne contamine pas les autres passagers. Elle a parlé plus particulièrement de l’arrivée à la gare de Regina, debout sur les quais et pas un chat aux alentours. Elle a dit qu’elle a attendu longtemps – je sais maintenant que c’était moins d’une minute – se sentant complètement déroutée et seule, portant un bébé de onze mois dans les bras. L’autre souvenir est celui qu’elle a gardé avec elle toute sa vie. Elle l’a décrit ainsi : « Tout d’un coup, quelqu’un a pris mon bébé de mes bras. J’ai commencé à crier « mon bébé, mon bébé, quelqu’un a pris mon bébé » et ensuite j’ai entendu une voix douce que j’ai ensuite appris à aimer me dire : « ça va aller ma chère, vous êtes avec nous maintenant. » C’était là les présentations de ma mère à mon grand-père et à sa nouvelle famille canadienne. Mes grands-parents, ma tante et mes oncles étaient là, ils attendaient la jeune femme et son enfant qu’ils pourraient uniquement reconnaître à la couleur du manteau, du chapeau et de l’écharpe qu’ils lui avaient envoyés pour que je les porte. Elle a décrit ce moment comme le plus effrayant et pourtant le plus heureux qu’elle n’a jamais connu.

Des années plus tard, quand elle a réalisé qu’elle perdait le contact avec la réalité, elle a parlé de ses dernières volontés, qu’elle voulait être incinérée et que ses cendres soient emmenées en France. Au départ, notre famille a hésité. Mais, finalement on a décidé qu’il était important de respecter ses vœux. Après sa mort, j’ai contacté la Commonwealth War Graves Commission à Ottawa. Ils ont été très serviables et après avoir obtenu les autorisations du gouvernement français, nous avons organisé notre voyage à Ancerville et son enterrement au même emplacement que mon père.

C’est ainsi qu’a commencé en août 1997 mon voyage à Ancerville en France avec mon épouse Madeleine. Des années avant son décès, ma grand-mère avait correspondu avec une cousine germaine de France, Suzanne Chanal. Ma tante avait continué de garder le contact après la mort de ma grand-mère et avait expliqué nos intentions à Suzanne dans une lettre. Peu de temps après, j’ai reçu une lettre de Madame Chanal me demandant si elle pouvait nous aider pour l’enterrement. Après avoir échangé des lettres et des appels téléphoniques, ma femme et moi sommes partis pour la France, pensant que nous assisterions à une petite messe suivie de l’enterrement des cendres.

Je dois faire ici de petites digressions nécessaires. L’histoire du rôle de Suzanne et Pierre Chanal est vraiment une histoire à part entière. En correspondant il y a bien des années avec ma grand-mère, elle a appris que mon père était enterré en France, et soit dit en passant, près de là où elle et son mari, Pierre, un officier de l’armée française à la retraite, habitaient. Mais, ils avaient oublié le nom exact du village, ils se souvenaient seulement que ça finissait en « ville » ce qui, en France, laissaient de nombreuses possibilités. Un jour, en revenant chez eux à Troyes en France d’un voyage en Allemagne, sur la route qu’ils ont pris bien des fois, ils sont passés par Ancerville. Sous l’impulsion du moment, ils sont entrés dans la ville et ils ont trouvé le cimetière. Ils ont rencontrés un couple de personnes âgées dans le cimetière et ils leur ont demandé s’ils savaient s’il y avait des membres des forces aériennes alliées qui étaient enterrés là. Il s’avérait que le couple dans le cimetière faisait partie des premières personnes qui ont accouru la nuit où l’avion s’est écrasé en juillet 1944. Ce couple les a immédiatement emmenés à l’emplacement militaire où les cinq militaires étaient enterrés. (Cette nuit-là, l’équipage était composé de huit personnes : cinq hommes de la RAF, un de la RAAF, un belge et mon père de la ARC. Deux ont survécu et ont réussi à s’échapper. Le dernier membre de l’équipage n’a pas été trouvé avant mars 1945. Il a ensuite été enterré à Ancerville mais plus tard son corps a été exhumé et rapatrié en Belgique pour y être enterré.) En parlant avec le couple âgé au cimetière, les Chanal ont appris qu’il y avait eu une cérémonie spéciale deux semaines avant dans la commune avoisinante en l’honneur des membres des forces aériennes tués pendant la guerre et qu’il y avait eu un article dans les journaux à propos de cet événement.

Cet article a fait entrer Suzanne en contact avec M. Jean-Marie Chirol. M. Chirol est le Président d’une Association en France appelée « le Club des Mémoires 5 » fondée en 1991 en l’honneur de certains évènements historiques dans le Départment de la Haute-Marne qui est juste à côté d’Ancerville. Une partie de leurs recherches historiques était à propos des avions qui ont été abattus dans cette région pendant la guerre notamment le Wellington X.3763 abattu le 15 avril 1943. M. Chirol est membre de l’Association3.

Ces deux digressions vont expliquer ce qui vient. Ma femme et moi sommes arrivés à Zurich le mercredi 20 août et tout de suite après, nous avons fait le voyage en voiture jusque chez Suzanne et Pierre à Troyes en France. Ce soir-là, nous avons commencé à apprécier leur incroyable effort à faire de cet enterrement un jour mémorable pour nous. Suzanne avait contacté le cousin de ma grand-mère et sa femme qui avaient voyagé de Paris jusqu’à Troyes pour être à Ancerville le lendemain.

Le jeudi matin nous avons voyagé de Troyes à Ancerville pour la messe commémorative à 10h du matin. Alors que nous nous approchions de Ancerville, nous avons vu une voiture garée à côté de la route avec un homme qui se tenait à côté et qui portait un drapeau canadien et c’est ainsi que nous avons rencontré M. Chirol.

Nous avons continué à avancer dans Ancerville. À ce moment-là, ma femme et moi nous attendions toujours à une petite messe suivie d’une cérémonie d’enterrement discrète. Nous sommes arrivés à Ancerville et nous avons rencontré le Père Roland Adnot, le prêtre de la paroisse dont l’hospitalité a été immédiate et qui a annoncé ce qui allait suivre. Il nous a fait faire une visite de la magnifique vieille église construite au 12e siècle et maintenant classée patrimoine historique en France. Après nous être rafraîchis au presbytère de la paroisse, nous sommes retournés à l’église. J’ai été tout de suite surpris de voir que M. Chirol avait préparé une énorme affiche qui se tenait au-dessus de l’autel de l’église. Sur l’affiche, on pouvait voir une grande photo de mon père avec ses insignes de l’Escadron Alouette 425, des Groupe des Éclaireurs et deux cocardes avec une feuille d’érable au centre. Sur l’affiche, il y avait une inscription (en français) : « Dans ta bonté, Seigneur accueille Sarah sur cette terre d’Ancerville où son mari Daniel a été enterré depuis juillet 1944. » Mon cœur a tressailli car je ne savais pas que quelqu’un là-bas avait vu une photo de mon père. J’ai appris par la suite que ma tante en avait envoyé une. J’avais apporté la photo de mariage de mes parents de 1944 pour que les gens voient à quoi mes parents ressemblaient. Cette photo était sur une petite table devant l’autel avec l’urne qui contenait les cendres de ma mère.

Nous étions submergés d’émotions quand nous sommes entrés dans l’église où il y avait une grande foule. Parmi ces personnes, il y avait M. Yvon Vannerot, le maire d’Ancerville et sa femme Renée, les représentants des Associations des Anciens Combattants Français, un chœur et trois officiers d’une base aérienne militaire française située tout près à St. Dizier, qui était en fait la même base que celle où le chasseur de nuit allemand avait décollé la nuit où il a abattu le Lancaster de mon père. Suzanne a dit au Père Adnot que j’étais Diacre permanent dans l’Église catholique, alors il m’a demandé si je voulais célébrer la messe avec lui. Je savais que ce serait un moment difficile pour moi et je voulais vraiment être assis près de Madeleine alors j’ai décliné. Il m’a demandé si je voulais porter les vêtements sacerdotaux et lire l’Évangile au moment opportun. Cela avait l’air important pour lui que je participe de quelque manière que ce soit, alors c’est ainsi que j’ai eu ma première expérience en tant que Diacre lisant l’Évangile en français. Juste avant le début de la messe, la femme du Maire est venue devant l’église et a lu une petite annonce concernant l’importance de cette messe. J’étais très ému quand elle a expliqué que nous étions réunis non seulement pour célébrer la vie et la mort de ma mère mais aussi celles de mon père et de ses équipiers qui avaient donné leur vie et qui étaient enterrés à Ancerville.

Les mots du Père Adnot dans l’homélie m’ont profondément ému. Suzanne m’avait demandé avant de lui envoyer des informations au sujet de ma mère qu’elle lui avait transmises. J’ai pleuré quand je l’ai entendu parler de l’amour qui a été si brièvement partagé par mes parents, mariés six courtes semaines avant qu’elle ne devienne veuve et ne sachant alors même pas qu’elle était enceinte. Il a parlé du sacrifice fait par mon père et ceux qui étaient enterrés avec lui dans ce cimetière et le sacrifice fait par tous ceux qui ont donné leur vie au nom de la liberté et de la libération de la France.

Alors que la fin de la messe approchait, je pensais que j’avais vécu tout ce qui était possible. Je ressentais envers ces personnes une gratitude au-delà de toute imagination. Je n’étais réellement pas préparé pour ce qui allait suivre ! Alors que les personnes dans l’église faisaient la queue pour sortir, chaque personne est venue l’une après l’autre à la petite table où il y avait les cendres et a béni l’urne avec l’eau bénite. Les dernières personnes qui l’ont fait étaient trois officiers des Forces Aériennes françaises qui, après avoir béni les cendres, se sont retournés vers moi et je les ai aperçus. J’étais très ému par tout ça ! Je me suis senti profondément honoré et en même temps très humble. J’ai apprécié le geste et pourtant je savais que ce n’était pas pour moi mais pour mon père et ses camarades et pour ma mère et toutes celles qui ont connu la même chose qu’elle et qui avaient tant donné.

J’ai brièvement discuté après la messe, j’ai expliqué aux gens pourquoi le nom de « Ancerville » avait toujours eu une signification particulière pour notre famille et comment nous avions toujours eu un lien particulier avec leur ville. A chaque fois que le nom était prononcé dans notre famille, surtout par ma grand-mère, c’était comme si la France devenait une partie de nous. On en a toujours parlé avec une sorte de respect car cela nous rappelait à tous qu’il y avait une partie de notre famille qui n’était plus parmi nous. J’ai essayé de leur expliquer que pour moi ce nom aurait désormais une importance bien plus grande sachant que mes parents auraient maintenant une place dans leur commune.

Au moment où nous partions de l’église, le Père Adnot nous a demandé de nous mettre derrière le porteur du drapeau qui était resté à côté de l’autel dans l’église. Un petit cortège semblait se former. J’ai suivi le drapeau et toutes les personnes qui étaient dans l’église suivaient. Alors que nous marchions sur la place de la ville et dans les quelques pâtés de maisons jusqu’au cimetière, des gens sont sortis de leurs magasins et de leurs maisons et sont restés debout sur le pallier de leurs portes. Madeleine m’a dit plus tard que quand elle marchait avec le Père Adnot elle lui a dit combien nous étions reconnaissants pour ce qu’ils faisaient pour nous et que les gens n’aient pas oublié après cinquante-trois ans. Il l’a regardée et il a dit : « C’est nous qui sommes reconnaissants. Sans des hommes comme eux, je ne serais pas là aujourd’hui. »

Nous approchions de l’entrée du cimetière où, sur le mur en pierre qui entourait le cimetière, j’ai tout de suite remarqué la petite plaque que je n’avais jamais vue avant et qui disait « Commonwealth War Graves. » En arrivant au cimetière, j’ai connu un autre moment d’une grande intensité. J’étais déjà venu à Ancerville trois fois auparavant pour visiter le cimetière et j’avais vu la tombe de mon père. Mais, je n’étais pas préparé à voir le trou qu’ils avaient creusé au pied de la tombe pour y placer l’urne qui contenait les cendres de ma mère. Tout le monde de l’église s’est réuni autour du petit emplacement bien entretenu qui contenait les tombes des cinq aviateurs. Le Maire a lu un discours. Ses mots étaient pour moi profondément émouvants que je les traduis et les inclus verbatim ici :

"C’est avec respect que j’accueille les cendres de Mme Platana ainsi que les membres de sa famille qui sont parmi nous aujourd’hui ici dans notre cimetière. Le lieutenant d’aviation Daniel Platana était membre de l’équipage du Lancaster III PA984 de la Royal Air Force qui, en participant à un raid dans la gare de Revigny sur Ornain la nuit du 14 au 15 juillet 1944, a été attaqué par un chasseur allemand alors qu’il survolait Ancerville et s’est abattu dans la forêt de Valtiermont. Le 15 juillet 1944, les troupes alliées venaient à peine de débarquer en Normandie, 40 jours plus tôt, et la bataille continuait de faire rage. Les Allemands, surpris par l’offensive des Alliés qu’ils n’avaient pas anticipée dans cette région, avaient besoin de renforts en hommes, en équipement, en munitions et en fuel. C’était important pour les Alliés, aidés par la résistance française, de ralentir ces renforts par tous les moyens possibles. Le bombardement des lignes de ravitaillement, des points de stationnement et des ponts était l’un de ces moyens. Le sabotage des routes et le harcèlement de la résistance en était un autre.

L’escadron 156 de la RAF a décollé de sa base à Upwood à 21 h 55 avec pour mission d’illuminer la cible, les gares de triage de Revigny en lâchant des bombes de marquage en préparation des bombes elles-mêmes. A 1 h 53, l’avion a établi sa dernière communication avec le chef de la mission. Vers 2 h du matin, les habitants d’Ancerville ont entendu un avion en détresse qui descendait de plus en plus bas en dessinant des cercles à l’extérieur du village comme s’il cherchait un endroit où atterrir. Il y a eu une grande explosion, puis plus rien.

Le Maire et les Conseillers municipaux, la police, les forestiers et les pompiers, entourés d’un détachement de soldats allemands, sont partis la nuit vers le lieu du crash qui se trouvait dans les alentours de la branche du Beau Chêne entre Ancerville et Sommelonne. Parmi les débris de l’avion, qui étaient éparpillés sur un large périmètre, ils ont découvert les corps de cinq des aviateurs alliés.

Malgré la présence des forces de l’occupation qui exigeaient de simples funérailles, tout le village a accompagné les corps à l’église, ensuite au cimetière, dans un long cortège, témoignant en silence et de manière contemplative d’un impressionnant patriotisme emprunt de dignité, sous les yeux vigilants de leurs maîtres du moment. Le risque était énorme parce qu’à l’époque les Allemands étaient durs et ils semblaient prendre plaisir à donner des exemples épouvantables dans le but de terroriser la population et, en tout cas c’est ce qu’ils pensaient, de paralyser la Résistance Française.

N’oublions pas que le 10 juin 1944, une compagnie de S.S en direction du front en Normandie venaient tout juste de massacrer 642 habitants d’Oradour sur Glane dans le centre de la France. N’oublions pas non plus que très près de chez nous, dans notre région, ces mêmes troupes se préparaient à déporter le 30 juillet 1944 pour être exact, 100 hommes de Clermont en Argonne dont 25 seulement sont revenus des camps de concentrations mais aussi à brûler les villages de Robert-Espagne et Couvonges dans la proche vallée de Saulx et à fusiller plus de 80 hommes le 29 août 1944.

Parmi ces héros alliés honorés de manière solennelle par toute la population d’Ancerville en ce juillet 1944 se trouvait Daniel Platana. Au début du mois de juin, il avait épousé une jeune femme anglaise, Sarah, une commis dans la RAF. En mars 1945, Terrence (Terry), le fils de Daniel et de Sarah, est né. Aujourd’hui, à l’âge de 52 ans, il est juge à la Court de Justice de l’Ontario et il concrétise les derniers vœux de sa mère qui voulait, après sa mort, rejoindre son mari qu’elle avait connu si peu de temps.

Je remercie tous ceux qui, par leur présence, rendent aujourd’hui hommage à la mémoire des cinq aviateurs alliés qui sont tombés sur notre sol au nom de la liberté et de la fidélité remarquable de Mme Platana envers l’un d’eux.

Nous nous sentons quelque peu responsables du malheur qui a affecté M. Terrence Platana, bien même avant sa naissance. Au nom de tous les habitants d’Ancerville, je l’assure ainsi que les membres de sa famille, de toute notre estime et de notre gratitude. »

A la fin de son discours, il m’a présenté des serre-livres en cuivre avec le nom et le timbre d’Ancerville. On m’a dit qu’ils n’étaient fabriqués qu’en nombre très limité et uniquement offerts lors d’occasions très spéciales. Je savais que je venais de recevoir quelque chose que je chérirais toujours. Alors que je me tenais là essayant toujours de comprendre ce que tout cela représentait pour moi, les villageois ont commencé à marcher et à offrir leurs condoléances. Un couple de personnes âgées ont marché à côté de la tombe. Le vieil homme avait des larmes qui lui coulaient le long du visage. Il m’a regardé et a juste dit : « J’y étais. Merci. » Il m’a semblé que mon cœur s’arrêtait, et une fois de plus, mes larmes ont commencé à couler de manière incontrôlable. Ce que je pensais n’être qu’une simple et petite cérémonie pour l’enterrement de ma mère s’est transformé en ce qui était pour moi l’un des jours les plus difficiles mais incroyables. C’était un jour où j’ai finalement réussi à faire enterrer ma mère et pourtant, en même temps, il semblait que j’avais aussi enterré mon père, tué cinquante-trois ans auparavant.

Après l’enterrement, nous avons été invités à une petite réception au presbytère. Là, nous avons eu une autre expérience incroyable quand j’ai rencontré deux autres personnes importantes. L’une d’elle était M. Moreau, maintenant retraité, qui avait treize ans la nuit du crash et qui était allé sur les lieux le lendemain. Il était alors enfant de chœur pendant la messe des funérailles pour les cinq hommes qui étaient enterrés. Il se souvenait comment le prêtre qui célébrait la messe lui avait donné une orange. L’autre personne était Mme Claude, une femme qui était maintenant octogénaire. Elle avait été la secrétaire du Maire et du Conseil en juillet 1944. Elle avait pris des notes la nuit du crash et des événements qui avaient eu lieu aux alentours et c’était elle qui avait donné la plupart des informations au Maire qu’il avait ensuite partagées au cimetière. Elle m’a donné une copie des notes qu’elle avait prises. C’était elle aussi qui avait fait des mouchoirs à partir des parachutes qui avaient été trouvés sur le lieu du crash et que ma grand-mère m’a donnés il y avait bien des années et que j’ai toujours aujourd’hui. La Maire m’a donné une copie des registres officiels de la ville et le Père Adnot m’a donné des copies des registres paroissiaux de juillet 1944. L’une des choses les plus émouvantes qu’on m’a données ce jour-là, c’était une photo des funérailles prise le 17 juillet 1944.

Plus tard dans l’après-midi, après le déjeuner, le Maire Vannerot nous a emmenés dans la forêt, pas loin d’Ancerville, et il nous a montré l’endroit exact dans la forêt où l’avion s’était écrasé. Madeleine se souvient de lui quand il a dit que même si la forêt avait repris l’avantage, les gens savaient toujours où mon père et ses équipiers ont terminé la dix-septième mission opérationnelle de leur tournée, ce qui pour lui était sa deuxième tournée d’opérations. Ma mère et lui avaient déjà décidé de partir pour le Canada et qu’elle rendrait visite à sa famille. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser aux autres membres de l’équipage et je me suis demandé quelle était l’histoire de leur famille ! Je me suis aussi demandé combien d’autres fils et filles de ceux qui ont été tués étaient venus sur leurs tombes et où ils avaient perdu la vie. La forêt semblait si paisible qu’il était difficile d’imaginer comment aviaent été ces premières heures du matin du 15 juillet 1944 et moi-même je ne voulais pas vraiment l’imaginer ! J’ai fait une prière pour mon père et son équipage et pour leur famille. Il semblait presque impossible que quoi que ce soit de similaire à ce que le Maire avait décrit puisse avoir eu lieu, mais je savais très bien que c’était le cas !

Juste avant de partir d’Ancerville ce jour-là, nos hôtes nous ont ramenés au cimetière et ils ont eu la délicatesse de nous laisser visiter la tombe tous seuls. Elle avait été refermée. Il y avait des bouquets de fleurs énormes de la part de mes cousins et du Maire et des citoyens d’Ancerville qui étaient présents. J’ai rapidement ressenti un regret quand j’ai regardé l’emplacement car je savais que les règles des Commonwealth War Graves n’autorisent pas qu’une identification de l’enterrement de ma mère soient inscrite sur la tombe, mais j’ai tout de suite repensé aux évènements de la journée et qu’en aucun cas l’inscription sur la tombe pourrait rendre ce jour encore plus important pour moi. J’étais aussi extrêmement heureux parce que la femme du Maire nous avait dit avant que, chaque année depuis 1945, le 8 mai et le 11 novembre, il y a une cérémonie spéciale sur les tombes de ces aviateurs afin de les honorer et de se souvenir d’eux. Les gens mettent des fleurs sur leurs tombes et prient. Comme la femme du Maire me l’a dit, ils vont maintenant aussi honorer et se souvenir de ma mère.

Je dois encore une fois digresser pour un moment. Depuis notre arrivée en France, nous avons constamment rencontré les personnes les plus formidables, avenantes et attentionnées. Nous étions arrivés à Ancerville ne connaissant Suzanne et Pierre Chanal depuis moins de vingt-quatre heures et déjà nous avions l’impression d’être des amis de longue date. Leur hospitalité, leur chaleur, leur ouverture d’esprit et leur sincère et criant enthousiasme de pouvoir organiser pour nous cette magnifique cérémonie nous avait déjà profondément touchés. Madeleine et moi avons parlé sur la route d’Ancerville à propos du fait que nous avions vraiment rencontré des personnes remarquables ! Nos cousins qui avaient voyagés de Paris m’ont captivé avec de vieilles histoires quand mes grands-parents avaient visité la France. Ils ont raconté des histoires concernant une partie de ma famille que je n’avais jamais entendues avant.

M. Chirol était aussi quelqu’un qui nous avait fait tout de suite une grande impression. C’était comme écouter l’histoire en train de se rejouer quand on l’écoutait parler des recherches qu’il avait faites sur cette région de la France et surtout de son implication dans le Club Mémoires et l’Escadron Alouette 425. Il était évident qu’il avait un immense respect pour l’histoire et les souvenirs de 1939-45 et des hommes qui ont perdu leur vie en libérant la France.

Nos souvenirs des gens d’Ancerville sont probablement le mieux incarnés par le Père Adnot et le Maire Vannerot et sa femme Renée. Leur implication au nom des citoyens de la ville, et en leur propre nom, nous a laissé un sentiment impérissable sur la nature de ces personnes. L’accueil qu’ils nous ont donné, la chaleur avec laquelle ils ont parlé, la fierté de leur ville et la compassion que l’on nous a témoignée un jour si difficile est quelque chose que nous n’oublierons jamais. La fierté du Maire pour cette ville et son histoire est évidente. L’attention personnelle témoignée par le dirigeant de cette commune française m’a, d’une certaine manière, bien plus apaisé quant à la décision d’enterrer ma mère si loin du Canada. Cela m’a aussi rendu fier de savoir que mon père et ses équipiers étaient enterrés dans un coin de la France qui était si attentif et reconnaissant envers les actions de ces hommes.

Nous sommes partis d’Ancerville avec un grand sentiment de gratitude. Nous avions appris de ces personnes ce que nous n’avions jamais prévu. L’honneur qu’ils nous ont donné, nous savions que ce n’était pas à cause de nous. C’était plutôt leur façon d’exprimer leurs remerciements et d’honorer ces hommes et ces femmes qui avaient sacrifié leurs vies pour que les personnes d’Ancerville et de France puissent aujourd’hui célébrer leur liberté et ne pas vivre sous l’oppression. Peut-être qu’un homme plus âgé l’a mieux expliqué. Je lui disais que je ne pourrais jamais comprendre ou remercier les personnes pour ce qu’elles avaient fait pour nous ce jour-là. Il m’a dit : « A moins d’avoir vécu sous l’oppression, on ne sait jamais ce que c’est de connaître la liberté. C’est nous qui vous remercions. » Je savais que ce n’était pas moi qu’il remerciait. Il remerciait plutôt tous ceux que l’on garde en mémoire et que l’on honore à chaque Jour du Souvenir, les anciens combattants qui marchent dans les défilés à travers le pays, se souvenant eux-mêmes d’amis, de camarades des années passées qui ne sont plus ici pour marcher avec eux. Il remerciait les anciens combattants qu’ils gardent en mémoire, et ceux qu’ils, et nous aussi, gardent en mémoire.

Je me souviens d’avoir vu des cérémonies qui marquaient le 50e anniversaire du Débarquement il y a deux ans. J’ai été frappé par la réaction des Français et comment après toutes ces années, ils semblent toujours se souvenir et apprécier le service que les hommes de notre pays ont rendu en leur assurant la liberté. Je ne pouvais pas comprendre pleinement à l’époque et je ne le peux toujours pas. Par contre, je sais et je comprends que pour ma femme et moi le souvenir de ces personnes à Ancerville est profondément gravé dans nos esprits et nos cœurs. Ils ont peut-être été présents pour remercier et honorer mes parents. En fait, c’est nous qui sommes partis avec un profond sentiment d’affection et de gratitude pour ces personnes qui nous m’ont aidé à traverser une expérience que je n’aurais jamais pu traversé il y a 53 ans ; ces personnes qui ont pris soin pendant 53 ans des tombes de ceux qui font maintenant partie de leur terre pour de bon ; ces personnes qui m’ont aidé à mieux comprendre que des vies n’ont pas été sacrifiées en vain.

Le Jour du Souvenir a toujours été pour moi le jour le plus important de l’année et chaque année, je regarde les cérémonies aux cénotaphes locaux ou au Monument commémoratif de Guerre. Si Dieu le veut, un jour je vais manquer la célébration de ce jour au Canada comme je l’ai déjà fait car je serai de retour à Ancerville pour honorer la mémoire de mes parents et prier pour une paix éternelle que personne dans le monde n’aura plus jamais à honorer ceux qui pourraient être tués dans les horreurs de la guerre.

Je me souviendrai toujours d’eux !

Terry Platana (fils)