Tadej, Irene, Oksana

Mur d'honneur de Sobey

Colonne
145

Rangée
11

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Tadej, Irene, Oksana
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Turczyniak

LE CONTE D'UNE IMMIGRANTE UKRAINIENNE

Irene Turczyniak

Je suis née dans l'ouest de l'Ukraine, en 1924, dans le village de Bohatkiwci. C'est là que j'ai vécu jusqu'à ce que je finisse l'école élémentaire. Puis mes parents m'ont envoyée au secondaire dans la ville pittoresque de Berezhany. J'y suis restée jusqu'en 1939. Le 1er septembre 1939, Hitler a déclaré la guerre à la Pologne. À l'époque, l'ouest de l'Ukraine était sous le contrôle du gouvernement polonais. Hitler avait fait un pacte avec Staline, stipulant que l'Union Soviétique occuperait la Pologne à l'est et l'Ukraine de l'ouest est alors passée dans les mains des communistes. L'occupation a duré à peu près deux ans, mais le KGB s'est arrangé pour détruire tout ce qu'il trouvait sur son passage. Des milliers de familles ont été envoyées en Sibérie et d'autres ont été exécutées dans les prisons.

En juin 1941, les Allemands ont déclaré la guerre aux soviétiques ; mais auparavant, Hitler avait promis l'indépendance à l'Ukraine. On pouvait entendre l'hymne ukrainien partout. Tous les bâtiments publics pavoisaient avec le drapeau ukrainien bleu et jaune. Les Ukrainiens pensaient que de meilleurs temps étaient arrivés, mais cette joie n'a pas duré longtemps. L'Ukraine a été trahie par Hitler. Pendant la deuxième semaine de l'occupation allemande, ils ont arrêté tous les chefs et politiciens ukrainiens. L'Ukraine était occupée par l'Allemagne.

J'étais encore à l’école secondaire. Après mon diplôme, je me suis inscrite à l'université de Lviv. J'avais choisi d'étudier la chimie. En janvier 1944 j'avais fini deux semestres et j'entamais mon troisième. La défaite de l'armée allemande à Stalingrad a été le début de la fin. L'armée soviétique marchait vers l'ouest le plus rapidement possible. Au même moment, les forces alliées (Le Canada, les États-Unis, la France et l'Angleterre) combattaient les Allemands à l'ouest. En mars 1944, l'avant-garde de l'armée soviétique s'est approchée de notre village de Bohatkiwci. Ma famille a empaqueté tout ce qu'elle pouvait sur une carriole tirée par des chevaux et a cherché refuge vers l'ouest. Pendant trois mois nous avons voyagé, passant de villages en villages avec le bruit de l'artillerie qui nous talonnait. Des milliers de réfugiés voyageaient de la même façon. En août 1944 nous avons atteint le village de Komancza, près de la frontière tchèque, le cœur lourd d'abandonner notre chère Ukraine. La frontière était gardée et personne ne pouvait traverser.

Le troisième jour, un long train vide de marchandise est passé dans le village et s'est arrêté en gare. Il y avait quelques soldats allemands à bord du train et deux de nos prêtres leur ont demandé de nous laisser traverser la frontière. Ils ne nous ont donné que dix minutes pour embarquer à bord du train. Nous avons été prêts en moins de temps que cela. On entendait dans chaque wagon le cri des enfants et les prières que tout le monde adressait au ciel. Nous sommes restés dans ce train deux nuits et trois jours jusqu'à ce que nous franchissions finalement la frontière autrichienne. Le train s'est arrêté dans la ville de Graz et on nous a transférés dans des camps de travail. Dans ces camps, les gens étaient triés par groupes d'âge, selon leur éducation et leur santé, et envoyés dans divers endroits pour travailler. Étant donné que j'étais étudiante d'université avec une spécialité en chimie, on m'a envoyée travailler comme assistante pharmacienne dans la ville de Rottenman. J'ai travaillé là-bas jusqu'à la capitulation allemande en 1945. C'est là aussi que j'ai rencontré mon futur mari, Tadej. Nous avions étudié tous les deux dans la même université. C'était agréable de l'avoir comme compagnon. Après la guerre, nos familles ne sont pas restées très longtemps en Autriche. Nous avons tous déménagé à Munich. L'Allemagne était divisée en quatre zones qui étaient contrôlées par les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l'Union Soviétique. À l'époque, l'Allemagne regorgeait de réfugiés. Les gouvernements des Forces alliées ont organisé les camps de l'UNRA (l'Association des Nations Unies pour les Réfugiés). Tous les endroits qui avaient servi de quartiers généraux aux Allemands pendant la guerre et qui étaient désaffectés étaient maintenant occupés par des refugiés. Le camp où on nous a envoyés était situé dans la très jolie ville de Mittenwald. Ce village était entouré par les hautes cimes des Alpes. A partir de ce moment, nous avons été sous la protection du gouvernement des États-Unis. Toute notre nourriture, nos vêtements et autres besoins étaient fournis par l'UNRA. Le reste pouvait être acheté au marché noir.

En septembre 1945, je suis rentrée à l'université de Munich. Vues mes notes et mon expérience en pharmacie à Rottenman, on m'a acceptée en troisième année du programme de quatre ans en pharmacie. Tadej a été accepté en quatrième année de génie civil. La vie est devenue plus tolérable ; au moins nous avions un espoir pour le futur. En même temps, les conditions dans les camps s'amélioraient. Un petit bâtiment a été rénové et transformé en église. Nombre d'entre nous avaient emporté des peintures et des icônes sacrées de notre patrie, et nous les avons utilisées pour décorer notre nouvelle église. Mon père était instituteur et a été autorisé à utiliser quatre pièces dans le bâtiment pour servir d'école élémentaire. Quelques autres pièces ont été utilisées pour servir d’école secondaire. Parmi les six mille habitants du camp, il y avait beaucoup de docteurs, de prêtres, d'instituteurs, d'avocats, etc. et des enfants de tous âges. Les Ukrainiens étaient très débrouillards, travaillaient dur et se sont arrangés pour rendre la vie dans les camps aussi plaisante qu'elle pouvait l'être, étant données les circonstances de l'époque.

Au début de 1947, on nous a dit que l'immigration serait bientôt possible. Les premières personnes à partir étaient celles qui avaient déjà de la famille outre-mer. Le père de Tadej a été la première personne de notre famille à partir au Canada. Au même moment, Tadej et moi commencions notre dernière année d'université et nous avons décidé de nous marier. Notre mariage a eu lieu le dimanche 21 septembre 1947, en présence de notre famille et de nos amis. Le lundi, nous sommes retournés à l'université et nous sommes allés vivre dans la maison de Tadej. Nous avons travaillé dur pour obtenir nos diplômes. Mais au printemps 1948, nos plans ont changé du tout au tout quand nous avons découvert que nous allions être parents. Tadej et moi avons décidé de suivre sa famille au Canada, tandis que mes parents et ma famille s'installaient aux États-Unis. Notre fille, Oksana, est née en novembre 1948. Nous avons dû attendre six mois avant d'être autorisés à voyager avec un jeune enfant.

Notre voyage a commencé en mai. Nous avons été transportés de Mittenwald à Naples, en Italie. Le 20 mai, nous étions à bord du bateau grec New Hellas qui voyageait vers l'ouest en méditerranée. Les paysages magnifiques des côtes italiennes sont difficiles à décrire ; seul un peintre pourrait leur rendre justice. Au bout de cinq jours, nous nous sommes arrêtés à Lisbonne, au Portugal, pour prendre d'autres passagers. De Lisbonne, le voyage à travers l'Atlantique a été long et rude. Nous avons passé un total de douze jours à bord de ce bateau avant d'atteindre le Canada.

Le matin du 10 juin 1949, nous avons finalement aperçu les côtes du Canada. Je n'oublierai jamais le jour où notre regard s'est posé sur la côte de la Nouvelle-Écosse. C'était un luxe ne serait-ce que de l'imaginer. Quel soulagement d'entendre la voix du Capitaine nous annoncer : "C'est la fin du voyage. A huit heures ce matin, nous allons rentrer dans le port de Halifax." À ce moment, la fatigue des passagers a disparu et ils se sont massés sur le pont du bateau. Les lumières scintillantes de la ville et les ombres de la terre ont été mes premières impressions de ma nouvelle patrie. Ce pays généreux a ouvert ses portes à des milliers d'immigrants. J'étais debout, aux côtés de mon mari, tenant ma fille dans mes bras ; tout était très calme et chacun regardait dans la même direction, celle du pays qui dorénavant allait être le leur. Autour de nous, nos compagnons de voyage : vieux, jeunes, certains mariés avec des enfants, d'autres seuls et égarés. Il y avait tellement de gens de tant de nationalités différentes, chacun murmurant des prières dans sa langue, mais tous partageaient les mêmes pensées que moi. Je rêvais à notre avenir, à une pièce convenable pour notre petite famille, à un lit avec un nouveau matelas, un nouveau berceau pour notre bébé, beaucoup de lait, et une tranche de pain blanc avec du jambon ; toutes ces choses que nous n'avions pas eues depuis si longtemps. Nos priorités étaient simples. Il nous fallait peu de chose pour être comblés et heureux après toutes nos privations pendant la guerre. Nous étions décidés à travailler dur et à accomplir ces choses dont nous avions été privées pendant tant d'années. Soudain, je suis revenue à la réalité.

On nous appelait et on nous a demandé de débarquer pour passer par les bureaux de l'immigration au Quai 21. Les officiers de l'immigration ont vérifiés nos visas, les ont tamponnés, et nous avons été autorisés à entrer dans notre nouveau pays. On nous a aussi donné 30 $ pour la nourriture. C'était un moment très important pour nous parce que c'était le premier geste de charité que l'on nous témoignait au Canada. Puis on nous a informés que le train pour Toronto nous attendait.

Après deux jours de voyage, nous sommes arrivés à notre destination finale, la ville de Toronto. Au début Toronto nous a déçus. La ville ne semblait pas très cosmopolite, mais il y avait par contre une grande attraction : de petites maisons familiales, avec des fleurs et des arbres dans les jardins au-devant des maisons. Chaque fois que je marchais sur le trottoir en poussant le landau de ma fille, je rêvais qu'un jour nous possèderions ne serait-ce que la plus petite de ces maisons. Ce rêve est devenu réalité pour moi, pas à Toronto, mais, grâce à l'aide d'une connaissance qui habitait à Holland Marsh, nous avons acheté cinq âcres de terrain avec une petite maison.

Quand nous sommes arrivés là la première fois, on était au début du printemps, par un jour ensoleillé. Le sol était noir et on avait l'impression en le foulant de marcher sur un épais tapis. La maison était très petite et n'avait que deux pièces. Elle était très différente de celle à laquelle j'avais rêvé, mais elle était nichée sous un bouquet de saules, et de l'herbe verte commençait à pousser au-devant.

Je dois reconnaître que notre nouvelle profession de fermiers m'a beaucoup effrayée. Nous ne savions pas par où commencer. Heureusement, de bons voisins, pour beaucoup des Ukrainiens, nous ont appris tout ce que nous devions savoir. Nous nous sommes améliorés et avons prospéré davantage chaque année. Nous avons acheté plus de terrains, avons construit des maisons plus modernes et plus spacieuses, et avons bien élevé nos quatre enfants qui ont tous fait des études et été à l'université. Le Canada a été, et est toujours, une très bonne chose pour nous. A 85 ans, je chéris toujours mes souvenirs de cette propriété de Holland Marsh et toutes les opportunités qu'elle a créées pour ma famille et pour moi.

En juin 2009, j'ai eu la chance de retourner à Halifax et de revoir le Quai 21, qui est maintenant devenu un Musée national de l'immigration. Même s'il est très différent de ce qu'il était en 1949. Je me souviendrai toujours de ces moments passionnants où je suis arrivée dans ce pays merveilleux et accueillant. Nous devons remercier le Canada pour tant de choses : la liberté, une belle maison, une vie bien remplie et des opportunités magnifiques. De tout cela, nous lui sommes à jamais reconnaissants.

Portrait d’Irène en jeune femme.
Photo d’un navire avec de nombreuses personnes agitant des ponts et l’écriture grecque sur le côté.
Vieille photo du train devant le quai 21.
Je suis une femme plus âgée, debout devant un buisson.