Mur d'honneur de Sobey
Colonne
65
Rangée
14
Nous avons été forcés de quitter la Lettonie en 1944 pour fuir l’armée russe qui approchait. La famille était constituée de mon père, Ilgvaris (John), ma mère Alexandra (Sasha), ma grand-mère Lina et moi-même alors âgée de 4 ans. Nous n’avons pris que ce que nous pouvions porter avec nous et nous nous sommes embarqués pour l’Allemagne.
On a passé les six années suivantes dans de nombreux camps de déplacés, dont l’un était Lueneberg où ma sœur Maruta est née. Ces camps se trouvaient dans le secteur britannique et on était bien traités : il y avait même une école. La nourriture était rare et les adultes étaient obligés de compléter notre alimentation en allant chiper chez les fermiers locaux. Parfois, c’était sans leur accord, mais la faim est un puissant stimulant.
Ma tante avait immigré au Canada et vivait à Red Lake en Ontario. Elle a pu nous parrainés en 1950. Mes parents devaient avoir un emploi qui les attendait et la promesse de la part de ma tante que nous n’allions pas être un poids pour le système. Ça a été la meilleure décision qu’on n’a jamais prise.
Tout ce dont je me souviens de la traversée en bateau, c’est de cette minute quand le remorqueur a commencé à nous pousser hors du port et que le mal de mer a commencé. Les hommes étaient séparés de leur famille et étaient réquisitionnés pour le nettoyage du navire. Ma mère est donc restée seule pour s’occuper d’un enfant en bas âge et d’un autre de dix ans qui était très malade. Ma grand-mère avait dû rester en Allemagne parce qu’elle avait une ombre sur sa radio des poumons et elle n’a pu nous rejoindre qu’un an plus tard. J’ai récemment retrouvé une photo de ma famille sur le pont du bateau deux jours avant d’amarrer à Halifax. J’ai aussi découvert que le navire était le General M. L. Hersey (qui allait devenir plus tard le St Louis).
L’une des règles à bord était que la nourriture ne devait pas sortir de la salle à manger. C’était un problème puisque je ne pouvais pas me rendre à la salle à manger même si j’avais pu manger. C’est là que la gentillesse des marins a fait toute la différence du monde. Ils chipaient de la nourriture et l’apportaient à ma mère pour que j’aie quelque chose. Je ne les oublierai jamais d’avoir fait cela.
À notre arrivée à Halifax, on nous a donné de quoi acheter nos billets de train pour nous rendre à Red Lake en Ontario. Cet argent, mes parents l’ont remboursé dès qu’ils en ont eu les moyens. Le choc culturel a été terrible quand nous sommes arrivés dans cette petite ville minière et isolée, après avoir vécu toute notre vie dans une ville. Cet été-là, les moustiques et les mouches noires nous ont presque dévorés. Puis, bien sûr, l’hiver, c’était encore autre chose. En dépit de tout cela, nous avons appris à apprécier le Nord et nous l’aimons toujours.
Quand nous sommes arrivés à la gare de Kenora, mon oncle m’a dit « Salut ! » en anglais. Je n’avais aucune idée de ce qu’il me disait. Mon anglais était à ce niveau-là. Cependant, je l’ai rapidement appris et j’ai sauté de classe en classe pour finalement mon retrouver dans mon groupe d’âge. Ça a été plus difficile pour mes parents. Ma mère travaillait comme femme de chambre dans un hôtel du coin et souvent elle rentrait en larmes car elle ne pouvait pas comprendre ce qu’on lui disait. Mon père travaillait dans le centre d’hébergement à la mine d’or et c’était plus facile pour lui car il avait étudié l’anglais à l’école.
Nous avons vécu à Red Lake pendant deux ans à peu près et quand la mine a commencé à diminuer son activité, nous avons déménagé à St Catharine’s en Ontario. C’était en 1952 et mon mari et moi sommes toujours là. Ma sœur et sa famille habitent à Sarnia en Ontario où mon beau-frère tient un magasin de meubles. Mes parents, ma sœur et moi-même sommes devenus citoyens canadiens dès que nous étions en droit d’en faire la demande.
Ma grand-mère et mes parents sont décédés, ma mère seulement depuis mai dernier, mais je sais qu’ils aimaient le Canada et appréciaient le fait que si vous travailliez dur, tout était possible. Ils ont en effet tous beaucoup travaillé et sont partis de rien alors qu’ils n’étaient déjà plus très jeunes. Le fait qu’ils aient été capables de vivre confortablement sans avoir jamais à tendre la main prouve à quel point c’est un grand pays.
Mon mari Gary et moi avons élevé deux fils merveilleux : Chris et sa femme Donna habitent à Scarborough, Jeff et Judy à Crystal Beach sur le Lake Erie. Ils ont tous de bonnes situations. Jeff et Judy ont une petite fille. Notre petite-fille, Samantha (Sammy) représente la deuxième génération de notre famille au Canada et elle est la joie de notre vie. Ma sœur Maruta et son mari Tom Gillies ont trois enfants : Mary, John et Jessica. Jessica a comme deuxième prénom Vilumsons et ainsi, le nom d’origine de la famille continue d’être transmis. Ce sont tous de bons enfants et ils réussiront dans tout ce qu’ils entreprendront.
Je suis canadienne née en Lettonie, pas une latvino-canadienne. Je déteste cet ajout du tiret et du canadien et crois qu’on doit placer ce pays en premier. J’ai bien entendu un intérêt pour ce qui se passe dans mon pays de naissance, mais le Canada vient toujours en premier. J’espère que nous apprécions tous la chance que nous avons de vivre ici !
Merci cher Canada pour ma vie et pour le fait que ma famille puisse vivre en toute liberté. Après tout, c’est la raison pour laquelle nous sommes venus jusqu’à cet endroit magnifique !
Merci aussi d’avoir créé le Quai 21 pour que notre histoire puisse être documentée pour nous et pour les générations futures. Pour tous ceux qui sont arrivés comme nous avec le peu qu’ils pouvaient emporter, notre histoire commence réellement à ce quai à Halifax. Continuez votre excellent travail !
Anita MacLean (née Vilumsons)