Mur d'honneur de Sobey
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Les expériences en temps de guerre d'Iris May Cunneyworth (née Stovell)
Une épouse de guerre se souvient
Iris Cunneyworth, fille de Charles et Daisy Stovell de Bedfordshire en Angleterre, est née le 6 mai 1921. Elle est entrée dans ce monde dans la chambre de ses parents, au pub « the Horseshoes » datant du XIXe siècle, dans le petit village de Wrestlingworth. Sa naissance a été suivie de celle de son frère Hedley et de sa sœur Olive. En 1944, elle a épousé Bob Cunneyworth, aviateur dans l'Aviation royale canadienne. Ce faisant, elle a mis en branle ce qui allait la mener à un difficile voyage en mer vers le Canada en mars 1945, période de l’année quand l'Atlantique Nord est dans son pire état. Elle est ainsi devenue l'une des 50 000 épouses de guerre à faire le long voyage pour rejoindre son mari dans cette nouvelle contrée lointaine. Il allait s'écouler 22 ans avant qu'elle retrouve ses parents, son frère et sa sœur sur le territoire anglais.
C' est son histoire:
Quand la Seconde Guerre mondiale a éclaté en 1939, j'avais 18 ans. Chaque soir, ma famille et moi passions bien des heures collés à la radio tandis que la guerre commençait. Dans notre petite ville de Wrestlingworth dans le Bedfordshire, on voyait de plus en plus fréquemment des militaires en uniforme en plus de nos propres troupes de réserve (Territorials) qui se livraient à des exercices militaires depuis un an.
Dans les premiers temps de la guerre, je faisais partie d'un club qui s'était porté volontaire pour faire tourner une cantine, ce qui s'est révélé être un bon moyen de rencontrer toutes sortes de gens. Mon père travaillait aux précautions contre les raids aériens (ARP) et avait un petit bureau dans la salle communale où se tenait également le club. Étant donné que j'avais 18 ans, il gardait l'œil sur moi. Comme tout le monde, notre famille pouvait voir et entendre les raids aériens sur Londres une nuit après l'autre. Les incendies causés par les bombardements se voyaient à des milles.
Avec le commencement de la guerre, j'ai été enrôlée de force pour travailler dans un centre de formation du gouvernement qui utilisait une grande meule. Je faisais du travail par quarts et vivais dans un dortoir similaire à ceux utilisés par les troupes. Ma tâche à ce moment-là était de fabriquer des vilebrequins de camion. Bien que j'aie appris à utiliser des outils comme le micromètre, je soupçonne que quelques-uns des camions aurait bien pu avoir des problèmes par la suite ! La machine à meuler les vilebrequins utilisait un fluide qui s'est révélé être poison pour moi et après que j'ai eu une grave infection au bras, un docteur m'a dit que je ne devrais pas retourner à ce type de travail. Puisque j'avais été conscrite, j'ai été ensuite assignée à une usine fabriquant des avions où je faisais des altimètres pour les patrouilles aéronavales. Bien que l'usine soit à cinq milles, je pouvais vivre à la maison et me rendre au travail à bicyclette tous les jours. En ce temps-là, toutes mes amies et moi allions partout à bicyclette, soirées dansantes comprises. Certaines de mes amies ont été envoyées travailler dans des fermes. J'ai aussi travaillé dans une ferme durant une courte période avant de me faire appeler par le gouvernement.
Ma sœur Olive s'est engagée dans le Women's Royal Naval Service (Wrens) mais mon frère Hedley allait encore à l'école. Mon père s'est occupé de précautions contre les raids aériens durant toute la guerre tandis que ma mère est restée s'occuper du foyer.
La maison familiale de Bedfordshire était entourée de nombreux aérodromes canadiens, britanniques et américains. Il y avait en particulier deux énormes bases américaines. À Tempsford et dans les villages du voisinage, mes amies et moi allions à leurs soirées dansantes. J'ai appris plus tard que des avions de la base de Tempsford servaient à transporter des espions vers le continent. Il s'est révélé que certains d'entre eux sont devenus des espions notoires de l'effort de guerre allié. (Pour en savoir plus, voir le livre « Hertfordshire and Bedfordshire Airfields in the Second World War » de Graham Smith). Comme nous l’ignorions à l'époque, mes amies et moi avons côtoyé certains de ces braves individus. Ma sœur Olive sortait avec un aviateur qui venait de l'une de ces bases et qui a plus tard été fait prisonnier.
Avec ces aérodromes autour de notre village, nous nous sommes habituées au bourdonnement constant des avions qui décollaient et qui atterrissaient. Nous nous demandions pourquoi certains en décollant ne faisaient pas le même bruit que ceux qui, de toute évidence, peinaient à décoller avec leur lourde charge de bombes. Les avions chargés de bombes faisaient un bruit différent tandis qu'ils s'élevaient difficilement dans les airs. Je n'ai pas réalisé à l'époque que beaucoup de ces avions servaient à lâcher des tracts et transporter des espions, chose que nous avons apprise seulement une fois que la guerre était terminée.
J'ai rencontré mon mari en 1943 alors qu'il travaillait dans la salle des rapports du 405e Escadron Pathfinder (de Vancouver) de l'Aviation royale canadienne. Il s'appelait Joseph William Robert Cunneyworth et ses parents et amis l'appelaient Robert. Je l'ai toujours appelé Bob.
J'ai rencontré Bob dans une soirée dansante, là où quasiment tout le monde se rencontrait en ce temps-là. Nous, les jeunes filles anglaises, trouvions que les Canadiens, et encore plus les Américains, n'étaient pas particulièrement bons danseurs. Ces soldats étrangers semblaient traîner les pieds sur la piste de danse par opposition à ce qu'on voyait dans les danses de salon qui étaient si populaires en Grande-Bretagne. Malgré tous ces soldats étrangers, mes camarades civils et moi n'avions pas peur de nous promener dehors la nuit durant une panne d'électricité ou à bicyclette. Aujourd'hui les choses ont beaucoup changé.
Un soir, j'étais debout en train de parler à quelqu'un lors d’une soirée et mon futur mari m'épiait. J'ai appris plus tard que c'était mes cheveux qui l'avaient attiré. Après la soirée, je lui ai permis de me raccompagner.
Même s'il disait qu'il voulait me revoir, je n'étais pas persuadée de partager le même sentiment. La nuit suivante, il a cogné à notre porte et mes parents l'ont invité à entrer. Comme tous les parents, ils se faisaient du souci pour moi, se demandant dans quelle situation j'allais me mettre avec cet aviateur canadien. Toutefois, les choses ont progressé et nous nous sommes mariés en 1944. Nous avons eu un mariage typique de temps de guerre et, comme la plupart des filles en ce temps-là, je portais un tailleur. Si une fille se mariait en blanc à cette époque, c'était en général dans une robe empruntée. Pour obtenir les ingrédients d'un gâteau, il fallait faire la collecte des coupons de rationnement des amis et de la famille. Les épouses de guerre qui se sont mariées après la guerre ont eu plus de chance car elles n'ont pas eu à se soucier de ces restrictions.
En 1944, j'ai eu mon premier enfant, Diane, née avant mon départ d'Angleterre. (En 1945 j'ai eu une fille, Wendy, et en 1947 un fils, Wayne. Mon mari est resté en service au sein du 405e Escadron de bombardement durant toute la guerre et il est mort à Ottawa, au Canada, en 1972).
Au printemps de 1945, l'organisation de mon départ du Royaume-Uni était en cours. Après avoir quitté Wrestlingworth, j'ai passé une nuit à Londres. Mes parents savaient que je partais, mais conformément aux règles de temps de guerre, pas même ma famille n'avait le droit de me dire au revoir et c'était très difficile pour nous tous. Il y avait aussi des limites à ce qu'on pouvait emporter. Le fil et les aiguilles et d'autres articles du même genre étaient interdits car cela pouvait servir à créer et envoyer des messages.
J'ai passé ce qui devait être ma dernière nuit en Angleterre pour de nombreuses années dans une auberge de marin à Westminster. Avec d'autres épouses de guerre, nous avons dormi dans des lits de camp et en dépit de la précarité des services, les femmes du Women's Voluntary Service qui s'occupaient de nous étaient très gentilles. Tôt le lendemain matin nous avons quitté l'auberge et avons été transportées dans des autobus aux fenêtres obturées jusqu'à une voie d'évitement du chemin de fer. Je n'avais aucune idée de l'endroit où nous nous trouvions. Nous sommes ensuite montées à bord d'un train avec une petite boîte à lunch pour le voyage de Londres à Liverpool. À Liverpool, nous avons quitté le train pour embarquer sur un navire de transport de troupes. On ne nous a pas dit quand nous allions partir mais plus tard cette nuit-là alors que j'étais dans ma couchette, les machines du navire se sont mises en marche et le voyage vers le Canada a commencé. Je pense que nous n'étions sans doute pas même à une journée de Liverpool quand nous avons rejoint le convoi et les navires d'escorte. Notre bateau s'appelait le Mataroa et en 1945 il servait au transport de troupes. Tous les soirs durant le voyage, le navire tout entier était soumis au black-out et nous n'avions pas le droit d'aller sur le pont. La nuit sur la mer, on peut voir la cigarette d'un fumeur à des milles.
À bord du Mataroa, ma cabine comprenait deux couchettes superposées. Je dormais sur celle du bas et plaçais mon bébé Diane sur celle du haut comme faisait l'autre femme de ma cabine avec son bébé. Pour la plupart, nous avions un terrible mal de mer : nous étions tellement malades que nous allions rarement à la cuisine pour les repas. L'infirmerie était tellement pleine à cause du mal de mer que nous devions nous occuper de nos bébés nous-mêmes, malades comme nous l'étions. Dans l'Atlantique Nord au début du mois de mars il vaut mieux ne pas se trouver sur un petit navire de transport de troupes. C'était un véritable supplice.
Même s’il y avait d'autres épouses de guerre à bord, le navire transportait surtout des soldats en convalescence dans les niveaux inférieurs. Ma cabine se trouvait au centre du pont A. Le convoi comprenait de nombreux pétroliers vides, des corvettes et un porte-avions. Un jour j'ai regardé un avion décoller du porte-avions pour une patrouille mais la mer était très agitée et l'avion s'est écrasé dans l'eau. Nous étions toutes bouleversées jusqu'à ce qu'on nous dise que le pilote avait été repêché avec juste un bras cassé. Je ne savais pas si c'était vrai ou non. Durant le voyage, j'ai vu un autre marin se faire transférer d'un bateau à un autre à cause d'une appendicite. L'autre navire avait les installations nécessaires pour le soigner.
Après presque trois semaines à bord, je me souviens avoir entendu quelqu'un crier que la terre était en vue et tout le monde s'est mis à pleurer à la pensée qu'on allait enfin débarquer. Durant le voyage, nous ne savions jamais si les exercices menés avec l'équipage, les troupes et nous-mêmes étaient réels ou non. Bien des fois, nous hésitions à sortir nos bébés dehors sur le pont à cause du temps souvent si mauvais qu'on ne pouvait pas voir les autres navires. Durant les 19 jours de notre voyage vers le Canada, je me souviens des zigzags du navire dans l'Atlantique Nord pour éviter les sous-marins allemands. Deux jours après notre arrivée, le dernier sous-marin allemand a été coulé juste à la sortie du port de Halifax. Nous avons quitté l'Angleterre vers le 25 mars et avons débarqué au Quai 21 le 12 avril. Je suis arrivée à Ottawa le 13 avril 1945. J'ai encore mon passeport original avec le timbre de l'immigration datant du voyage. Mon mari Bob m'a suivie le 28 juin 1945 après la fin de la guerre. Les épouses de guerre qui sont arrivées sur le Queen Mary en 1946 ont dû connaitre une traversée bien différente !
À l'arrivée au Quai 21, quelques bébés avaient la rougeole. Ces bébés et leurs familles ont été mis en quarantaine à Halifax. Ma propre fille Diane, qui avait six mois, ne l'avait pas, mais elle l'a attrapée exactement trois semaines après être arrivée à Ottawa.
Je me vois clairement debout dans le hall du Quai 21 en 1945 avec mes bagages devant moi. Les couches jetables n'avaient pas été inventées et pendant le voyage, nous devions laver les couches en tissu. Sur le bateau, nous avions commencé à manquer d'eau douce et devions les laver dans l'eau salée. La peau des bébés était constamment irritée. Peu après avoir réglé les formalités d'immigration au Quai 21, nous sommes montées dans un train. Il y avait peu de temps pour faire du tourisme. Les soldats nous ont aidés à monter dans le train et les gens de la Croix-Rouge ont offert à boire aux voyageurs fatigués que nous étions. Pendant le trajet pour Ottawa, le train est passé sur une voie d'évitement à Levis, au Québec, pour laisser passer un autre train. Je suis allée avec les autres épouses de guerre dans un petit magasin où nous sommes restées médusées à la vue des bananes et des oranges, des fruits et du pain blanc. Il n'y avait pas eu de pain blanc en Angleterre ou sur le navire. Nous avons pu acheter des choses en tendant simplement cette étrange monnaie. Plus tard, le porteur nous a dit que nous avions payé trop cher.
À l'arrivée à Ottawa, je devais rester avec la famille de mon mari que je n'avais bien sûr jamais rencontrée. À la gare Union, mon beau-père a reçu la permission spéciale de passer de l'autre côté des portes et il m'a accueillie à l'arrivée du train. Ma belle-mère voulait voir le bébé tout de suite. Il me semble avoir le souvenir qu’une trentaine de personnes attendaient de me rencontrer. Mon beau-père était de souche anglaise et ma belle-mère française. La majorité de ma belle-famille parlait français, une langue que je ne parlais pas. J'ai vécu avec eux jusqu'au retour de mon mari à Ottawa en juin. Le jour où mon mari est revenu, je suis allée à la gare avec ma fille et ma belle-famille pour l'accueillir.
Après avoir eu une permission, Bob a été transféré à Greenwood en Nouvelle-Écosse et pendant qu'il était parti, j'ai déménagé dans deux pièces à Hull, à environ une rue de chez mes beaux-parents, et c'est là que Bob nous a rejointes à son retour de Greenwood à l'automne de 1945. Il était à présent de nouveau un civil. Nous partagions tous les trois la cuisine avec une dame qui ne parlait pas anglais, ce qui me rendait la communication difficile. Au printemps 1946, on nous a attribué une des maisons construites pour les soldats de retour et leurs familles. Beaucoup d'épouses de guerre et leurs maris étaient dans le même cas. Nous nous sommes enfin installés : le long voyage que j’avais fait de la maison de mes parents à Wrestlingworth jusqu’à mon propre foyer au Canada s’était finalement terminé. (Quelques années plus tard, nous avons acheté la maison.)
Un post-scriptum:
Après le décès de mon mari en 1972, j'ai travaillé de nombreuses années et après avoir pris ma retraite, je me suis toujours tenue occupée avec mes passe-temps et d'autres choses. J'ai fait de nombreux bavoirs pour les mères célibataires et leurs bébés ainsi que des gants et des mitaines pour l'Opération Retour au foyer. Je continue à coudre pour mes petits-enfants et mes arrières petits-enfants.
En mai 1989, le 405e Escadron a organisé une réunion à Great Gransden, en Angleterre. Je suis allée au Royaume-Uni pour cette occasion et y ai rejoint environ deux cent participants canadiens. Par chance, ma sœur Olive connaissait les organisateurs, et ainsi avec elle, sa famille et moi, nous avons pu entrer dans l'église St. Bartholomew's et assister à l'office de consécration d'un vitrail commémoratif le dimanche 13 mai 1989. Ce beau vitrail offert par l'Escadre avait déjà été mis en place dans l'église. Les hommes étaient en civil. Sur le vitrail, il y avait de nombreuses feuilles d'érable qui représentaient ceux de l'Escadron qui étaient morts en service. Les Canadiens ont aussi offert un lutrin en bois d'érable pour l'église.
Durant la réunion, j'ai entamé une conversation avec un homme que j'avais reconnu et qui s'est révélé être un commandant d'aviation. Je lui ai raconté comment une nuit, durant la guerre, un aviateur qui descendait une colline à bicyclette avec quelques autres, en prétendant faire de la chasse nocturne, m'avait télescopée. Je lui ai demandé s'il se souvenait de cet incident. Il ne s'en souvenait pas, mais nous avons ri alors qu'il me présentait ses excuses avec tant d'années de retard.
Je me souviens de nombreux détails à propos du 405e Escadron. Pendant la réunion, un bombardier Lancaster, un Spitfire et un avion de chasse Hurricane, entre autres, ont fait un survol. Tout en assistant aux cérémonies, j'ai rencontré une autre épouse de guerre britannique qui avait elle aussi perdu son mari. Nous avons toutes les deux pleuré quand ils ont joué l'hymne national canadien. J'avais toujours les listes d'équipage originales de l'Escadron de mon mari, qui n'avaient pas été détruites, j'en avais emporté quelques-unes à la réunion de l'Escadron en 1982 et je les ai données à quelques hommes.
Avant la guerre, mon mari travaillait au ministère des Pensions et de la santé nationale. Après la guerre, il est entré au ministère des Anciens combattants. Notre fils Wayne (maintenant à la retraite) y a aussi travaillé. Je me souviens comment après la guerre, beaucoup de soldats buvaient, avaient des soucis de santé et des problèmes psychologiques. Malgré les difficultés rencontrées au fil des ans, je considère que j'ai de la chance d'avoir vécu au Canada, d'avoir élevé une famille et accompli ce que j’ai pu.
Dans le monde d'aujourd'hui, je pense que les Canadiens en général ne se rendent pas compte à quel point ce doit être difficile d'être un nouvel immigrant. J'ai un gendre dont les parents ont immigré de Hollande. En Hollande, ils avaient une entreprise mais après être arrivés au Canada, ils ont dû travailler dans une ferme, ce qui leur a certainement été difficile.
Je suis retournée plusieurs fois à l'endroit où ma vie au Canada a débuté, au Quai 21 de Halifax qui est l'endroit de mon arrivée. Ma dernière visite datait d'août 2006. Le Quai 21 a été transformé en un merveilleux musée qui rend véritablement hommages à ces moments vieux de plusieurs décennies où nous, les épouses de guerre, étions si contentes de dire au revoir à nos navires et de laisser nos premières empreintes sur le sol canadien.
Une amie immigrante originaire d'Afrique, qui vit à Ottawa, pense que je suis une mine incroyable de renseignements. Au fil du temps, nous aimons toujours à nous rappeler nos voyages respectifs vers le Canada. Les souvenirs sont éternels.
Novembre 2006