Mur d'honneur de Sobey
Colonne
116
Rangée
1
La famille Damiani
par Sam Damiani (fils)
Je me souviens encore de ce matin, vers la fin d'avril 1966, où très tôt toute ma famille, mon père, Giulio, ma mère, Vilde, mon jeune frère, Fred, et moi-même, s'est entassée avec une amie de la famille et son fils comme conducteur dans leur voiture pour aller à Naples.
Nous partions vivre au Canada. Notre voyage a commencé à 3 h du matin et il faisait noir et froid comme ce qui nous attendait. Je me souviens d'avoir été assis sur le siège arrière et de m'être demandé ce qui allait nous arriver. Quelle serait notre destination finale ? Qu'est-ce qui attendait notre famille ? Comment allais-je me faire de nouveaux amis et est-ce que j'apprendrais la langue rapidement ?
C'était à la fois excitant et effrayant parce que nous quittions notre petite ville de Popoli avec une population de 6 000 habitants dans la région des Abruzzes pour nous rendre dans la grande ville de Naples et de là, par bateau, au Canada.
Le navire était l'Olympia et, pour un jeune de 14 ans, il semblait énorme. Avec le recul et après avoir fait quelques croisières sur des navires modernes, je suis certain qu'il me semblerait bien petit maintenant.
L'intérieur du navire était à la fois comme un hôtel et un restaurant avec en plus une piscine, ce qui était pour nous à l'époque quelque chose de rare. Un luxe comme celui-là était non existant dans notre petite ville. On ne voyait des choses comme ça que dans les films américains. Je ne pouvais pas croire toutes les commodités qu'il y avait à bord, l'abondance et la variété des aliments offerts.
Le voyage lui-même a été intéressant. Il a duré sept jours parce que nous nous sommes arrêtés à Gênes, près de Cannes et enfin à Halifax. La traversée a été relativement calme dans la Méditerranée, mais pas dans l'Atlantique. C'est curieux comment certains détails restent gravés dans nos mémoires. Je me souviens clairement qu'on nous a annoncé par haut-parleur que nous étions dans le détroit de Gibraltar et que ce serait la dernière fois que nous verrions la terre avant d'arriver à Halifax. C'était l'heure du déjeuner et tout de suite après le message, le navire a commencé à rouler. Je n'ai jamais vu une salle à manger se vider aussi rapidement. Elle a été à moitié vide pendant les jours suivants jusqu'à notre arrivée à Halifax. Je me souviens que ma mère a été malade pendant toute la traversée et qu'elle a passé la plupart du voyage dans la cabine. Mon père, mon frère et moi nous nous en sommes tirés passablement bien. J'avais remarqué en me promenant partout dans le navire qu'il y avait de petits contenants qui semblaient être en carton. J'ai vite appris à quoi ils servaient quand j'ai été malade. Cela m'est arrivé seulement une fois mais c'était suffisant. J'ai encore un vague souvenir du dîner du Capitaine et si ma mémoire est exacte, on tournait une sorte de film en grec. Je me souviens encore que la veille de notre arrivée à Halifax, il y avait de la brume. Le navire avait fait entendre sa corne de brume à intervalles réguliers et, pour une raison quelconque, les membres d'équipage avaient tendu des cordes le long des ponts extérieurs et à l'intérieur. J'étais à la fois heureux et triste de voir Halifax. Heureux parce que nous arrivions à destination et triste parce que ce qui m'avait semblé des vacances était fini et aussi parce que je me rendais compte que le voyage le plus difficile commençait, celui de vivre dans un nouveau pays.
J'ai été frappé de voir combien Halifax était différente de Naples : la quantité d'arbres et le manque d'immeubles comparativement au port de Naples avec ses bâtiments en béton et son peu de végétation. J'ai aimé immédiatement l'aspect sauvage de ce pays.
Une fois à terre, on nous a escortés à ce qui me semblait une salle immense avec des bancs où il y avait beaucoup d'immigrants. Nous avons fait la queue jusqu'à ce que nous arrivions à l'officier d'immigration qui a finalement estampillé nos passeports avec le timbre qui disait « Canada Immigration May 3 1966 Halifax , Immigrant Landed » c'est-à-dire Immigration Canada 3 mai 1966 Halifax, immigrant reçu.
Il y a eu un incident intéressant alors que nous étions au quai à Halifax. Nous avons entendu du vacarme et nous avons appris que quelques serveurs avaient essayé d'entrer au Canada avec l'aide de certains passagers. Les serveurs avaient donné leurs bagages aux passagers pour qu'ils les déclarent comme étant les leurs. Les passagers et les serveurs ont été pris mais je ne sais pas ce qui leur est arrivé.
Quand nous sommes arrivés à Toronto, mes deux oncles du côté de ma mère nous attendaient. Ils étaient arrivés ensemble dans les années 1950 avec la mère de ma mère (ma grand-mère) et ils nous avaient parrainés. Mon grand-père était décédé depuis. L'un de mes oncles est reparti avec ses enfants vivre en Italie dans les années 1980.
Mon père, qui avait travaillé pendant 20 ans dans une usine de produits chimiques, a trouvé du travail avec mon oncle dans une boulangerie commerciale qui faisait le fameux pain « Wonder Bread ». Il est resté dans cette entreprise jusqu'à sa retraite à l'âge de 65 ans et ma mère, qui était restée au foyer toute sa vie, est allée travailler comme couturière dans le secteur du vêtement de Toronto (Spadina). Elle a travaillé là pendant quelques années, puis elle est allée travailler dans une entreprise de composants électroniques jusqu'à sa retraite.
Quand on regarde en arrière les quarante et une années depuis que nous avons immigré dans ce grand pays, beaucoup de choses sont arrivées et les photos sont là pour le prouver. D'immigrants à fiers citoyens canadiens établis.
Mon frère Fred et moi avons été à l'université et tous les deux, nous avons obtenu nos diplômes. Nous avons tous les deux une carrière. Mon frère est directeur des ressources humaines dans une entreprise de services publics et moi je suis directeur de la logistique dans une entreprise pharmaceutique. Nous sommes tous les deux mariés et heureux en ménage et nous avons tous les deux trois beaux enfants.
Ma mère est à la retraite et mon père est décédé en octobre 2005. Il a souffert de la maladie d'Alzheimer pendant quelques années. J'admire le grand courage qu'ils ont eu parce qu'ils avaient une bonne situation dans leur propre pays. Mais ils sentaient que le Canada offrirait plus de possibilités à leurs enfants et ils ont décidé d'entreprendre le voyage pour s'installer dans un autre pays et ce, sans avoir de travail et sans parler la langue.
Tout cela m'est revenu à l'esprit quand j'ai eu le privilège avec ma famille de visiter le Quai 21 en juillet 2007 alors que nous célébrions notre vingt-cinquième anniversaire de mariage.
Nous avons fait une visite merveilleuse et j'étais content que mes enfants et ma femme puissent avoir une idée de ce que cela signifiait d'être un immigrant mais aussi d'apprécier l'ouverture bienveillante du Canada qui accueillait tous ces gens d'autres pays et qui leur donnait des possibilités qu'ils n'avaient pas chez eux.
Je suis très fier de mes racines et de la culture, mais surtout, je suis fier d'être Canadien et je tiens à remercier le Canada de m'avoir donné l'occasion de parvenir à la vie que j'ai.