Cescato Aldo, Renato

Mur d'honneur de Sobey

Colonne
21

Rangée
13

First Line Inscription
Cescato Aldo, Renato
Second line inscription
e Tasca Maria

Allez à l'histoire de Maria

Aldo Cescato

Ma vie d’immigrant a débuté quelques années après la Seconde Guerre mondiale alors que j’avais 23 ans. J’étais né et j’avais grandi dans la région italienne de Vénétie, une région située dans le nord de l’Italie qui a toujours été une région agricole jusque dans les années 60. Après cette époque, il y a eu un développement industriel et de nombreux fermiers ont abandonné leur terre pour travailler dans des usines ou des bureaux.

De 1945 à 1948, il y avait un peu de travail dans des villes telles que Trévise ou Mestre pour reconstruire tout ce qui avait été détruit par les bombardements pendant la guerre. Dès cette époque, de jeunes hommes ont commencé à préparer leurs valises et à partir chercher du travail en tant que migrants en France où ils restaient jusqu’à ce qu’ils soient pris et renvoyés en Italie, puisque les deux pays n’avaient pas d’accords sur le travail. Les premiers accords ont été signés avec la Belgique pour le travail dans les mines de charbon, avec la France pour le travail dans les mines de charbon et d’acier et avec la Suisse pour le travail saisonnier. Plus tard, la Suisse recherchera aussi des travailleurs dans la construction et le chemin de fer. À ce moment-là, nombreux sont ceux qui sont aussi partis en Amérique du Sud (en Argentine, au Brésil, au Venezuela) pour travailler dans la construction.

Au printemps de 1949, la France cherchait des travailleurs pour une usine d’acier en Alsace-Lorraine et j’ai posé ma candidature. Les représentants de l’usine ont vérifié nos mains et nos bras pour être sûrs que nous avions les muscles nécessaires pour ce dur travail. Une fois l’examen médical passé, un groupe de 150 hommes de Trévise est parti en mai pour Milan, où nous avons subi un autre examen médical. Puis nous sommes partis directement pour la ville de Tulle en France. Je suis resté en France pendant presque deux ans ; le travail n’était pas si mal mais les habitants de la ville ne nous aimaient pas puisque nous avions été dans le camp adverse pendant la guerre.

Je suis rentré en Italie en 1951 et au mois de juin, j’ai épousé Maria. Les perspectives d’emploi étaient toujours mauvaises et pour obtenir un travail avec le chemin de fer ou le gouvernement, il fallait connaître des gens et être prêt à payer. J’ai alors décidé de demander un emploi en Belgique dans les mines de charbon et je suis donc parti pour Milan pour subir l’examen médical habituel. Je n’ai pas réussi l’examen médical et on m’a dit d’essayer à nouveau deux semaines plus tard, mais j’ai encore une fois échoué et je suis rentré à la maison.

Je suis rentré chez moi et j’ai travaillé ici et là jusqu’en janvier 1953. En lisant le journal local (Il Gazettino di Treviso), j’ai vu un article sur le Canada qui cherchait des travailleurs pour le chemin de fer. Je suis alors allé au bureau local, je me suis enrôlé et j’ai commencé les examens médicaux. En mars, ils m’ont invité à me rendre à Milan avec ma femme et mon fils pour des examens médicaux supplémentaires administrés par des médecins canadiens. Même si j’étais le seul à immigrer à l’époque, ils voulaient s’assurer que ma femme et mon fils étaient eux aussi en bonne santé puisqu’ils allaient sûrement me suivre plus tard. En 1953, la population canadienne comptait 8 millions d’habitants et le Canada cherchait à augmenter sa population.

Les documents sont finalement arrivés pour mon départ et un samedi matin, un représentant des chemins de fer est venu chez moi et a dit à ma femme que je devais me présenter au bureau le dimanche avec 70 000 lires pour payer une partie de mon billet. Le reste serait déduit de mon salaire au Canada. Je savais déjà qu’ils allaient me demander de payer une partie du billet mais puisque ma femme n’était pas au courant et savait que nous n’avions pas d’argent, elle a dit au représentant qu’elle ne croyait pas que je pourrais avoir l’argent. Quand je suis rentré à la maison, j’ai rapidement commencé à essayer de récolter 70 000 lires. Grâce à l’aide financière de ma mère et de mon beau-père, j’ai récolté l’argent et me suis présenté avec ma valise et les 70 000 lires le dimanche au bureau. Le représentant du chemin de fer ne m’avait pas gardé de place à bord du navire car il pensait que je n’arriverais pas à réunir l’argent nécessaire et il m’a alors dit de revenir le 27 avril alors qu’un autre navire serait en partance. Je suis alors rentré chez moi avec ma valise pour attendre à nouveau. Cela faisait déjà trois fois que je retournais chez moi après avoir dit au revoir à ma famille en pensant que j’allais partir (deux fois pour la Belgique et une fois pour le Canada).

Finalement, le 27 avril, sans dire au revoir à ma famille et à mes amis encore une fois, je suis parti pour Gênes. Le 30 avril, tôt le matin, nous sommes monté à bord et à 11h00, le navire a quitté le port pour Naples et Palerme. Le navire s’appelait le Conte Biancamano et avait près de 1100 d’entre nous de Trévise et du Frioul, très peu avec femme et enfants. Certains de ceux à bord avaient déjà été en Argentine mais puisque la vie n’y était pas meilleure qu’en Italie, ils ont pensé tenter leur chance au Canada.

Je m’étais fait un ami avant de quitter le navire, un homme qui venait d’une ville près de la mienne et qui était pauvre comme moi. À Gênes, je me suis acheté un miroir pour me raser et il ne me restait que 5 lires en poche. Une fois que le navire a quitté le port, mon ami et moi sommes allés à la salle à manger. Nous avons été accueillis par une table pleine de risotto fumant au pesto avec peu de gens dans la salle puisqu’ils étaient tous dehors sur le pont à regarder le navire quitter le port. Nous avons mangé de bon cœur et à la fin du repas, il y avait deux carafes de vin laissées sur notre table alors que notre table accueillait 4 hommes, 2 femmes et 6 enfants. Le serveur à notre table était un homme de Trieste et quand nous lui avons dit que nous n’avions pas d’argent, il nous a apporté deux bouteilles vides pour que nous puissions y verser le vin des carafes et les emporter dans nos cabines. Nous passions la journée à nous promener sur le pont du navire et un matin nous avons aperçu la côte du Canada. C’était le 9 mai vers 9h du matin que le navire est arrivé à quai à Halifax par un matin très brumeux. Vers 10h, ils nous ont laissés débarquer et on nous a amenés au Quai 21.

Avant de quitter le navire, j’ai pris les 5 lires que j’avais en poche et je les ai mis dans un vase à bord du navire. Je voulais arriver dans ce pays sans argent et tout recommencer de là. Dans l’entrepôt du Quai 21, il y avait des représentants de la compagnie de chemin de fer R. F Welch qui était basée à Port Arthur. 70 d’entre nous ont été choisis pour commencer à travailler à Wasaga Beach. Le représentant nous a donné à tous une avance de 18,10$ et nous a dit de nous acheter de la nourriture pour le voyage en train. Ce soir-là, nous sommes montés à bord du train pour un voyage de deux jours et une nuit. Nous nous sommes arrêtés à Toronto le 11 mai vers 7h du matin.

Le représentant qui nous accompagnait nous a dit de ne parler à personne dans la gare Union Station car il y avait beaucoup d’autres entrepreneurs qui recherchaient des travailleurs et ils avaient peur que nous les laissions. Ils nous ont poussés vers le restaurant de la gare et nous avons pris notre premier repas canadien : des œufs, du lard, du pain, de la confiture et du café. Nous mourions de faim puisque lorsque nous avions acheté de la nourriture à Halifax, nous avions acheté de la confiture, du fromage et du pain. Le pain n’était pas à mon goût puisqu’il était trop mou. On avait aussi acheté une bouteille avec une image de raisin dessus en pensant que c’était du vin, mais c’était en fait du jus de raisin.

Après le petit déjeuner, à 10h, ils nous ont fait monter à bord du train pour Wasaga Beach où nous sommes arrivés vers 1h de l’après-midi. Ils nous ont montré les 10 wagons qui allaient désormais être notre maison. L’un des wagons était la cuisine, un autre la salle à manger, un autre contenait la citerne d’eau, un autre était plein d’outils de travail et il y avait 6 wagons qui servaient de dortoir et dans chaque wagon, on pouvait dormir à 12. Dès que nous sommes arrivés, on nous a envoyés à la salle à manger pour prendre un repas. Sur les tables, il y avait des plats avec des desserts dessus et nous avions tellement faim que nous les avons dévorés. Quand le serveur est arrivé avec notre soupe, il nous a dit que nous ne devrions pas nous inquiéter de la nourriture ici et que nous serions bien nourris. Après le repas, on nous a fourni des couvertures et des draps et on nous a indiqués que le travail commencerait à 7h du matin et que nous allions travailler 10 heures par jour, 6 jours par semaine. La paie était de 90 cents par heure et le coût de la chambre de 2,40$ par jour serait déduit de notre salaire. Autrement dit, 3 heures de notre travail journalier servaient à payer chambre et pension.

Cette après-midi-là, certains d’entre nous sommes partis nous promener en ville pour faire un tour. Il n’y avait que quelques personnes qui vivaient dans les environs à cette époque-là et nous étions curieux de voir ces petites maisons au milieu de la forêt. La plupart était proche de l’eau et semblait inhabitée. Plus tard on nous a expliqué que c’était des chalets qui appartenaient à des gens qui travaillaient ailleurs et qu’ils venaient juste y passer du temps durant les fins de semaine. Et donc le 12 mai, j’ai commencé ma première journée de travail au Canada à réparer des voies ferrées. Après quelques semaines, nous bougions un peu plus au nord en Ontario. Pendant l’hiver, nous étions responsables de déneiger les voies et nous sommes allés très loin vers le nord, jusqu’à Nipigon.

Nombreux sont ceux qui n’ont pas respecté les termes de notre contrat qui devait durer un an et qui sont partis pour Toronto, Hamilton ou Montréal où ils avaient de la famille. Ils avaient cependant toujours remboursé leur billet pour la traversée et quittaient simplement ce travail parce que le salaire dans les villes était meilleur. Quand mon ami et moi avons reçu notre premier chèque de paie, nous avons décidé d’envoyer l’argent en Italie où nous avions laissé nos êtres chers et nos dettes. Nous avons trouvé l’adresse de la Banque Royale de Toronto et nous leur avons envoyé l’argent avec une adresse où il fallait le leur faire parvenir. Au bout de quelques mois, il était clair que l’argent n’arrivait pas en Italie, donc quand le représentant du chemin de fer est venu en ville, nous lui avons expliqué ce que nous avions fait. Quand il est allé à Toronto, il a retrouvé notre argent toujours bien déposé à la Banque Royale puisque personne à la banque ne comprenait l’italien et ne pouvait donc suivre nos instructions. Le représentant nous a par la suite aidés à faire suivre les sommes d’argent subséquentes à la Banque du Commerce de Port Arthur. À partir de ce moment-là, ma femme a reçu régulièrement de l’argent de ma part et a pu rembourser nos dettes.

Pendant l’été, nombreux étaient ceux qui partaient à Toronto pour chercher du travail mieux payé ; mais une fois que l’hiver arrivait, l’activité de nombreuses entreprises de construction ralentissait elle aussi à cause du froid. Ceux qui avaient quitté la compagnie de chemin de fer essayaient de toucher de l’assurance emploi en hiver, mais on leur refusait puisqu’ils n’avaient pas rempli leur contrat avec le chemin de fer pour une année entière. Puisque mon ami et moi devions subvenir aux besoins de nos familles là-bas au pays, nous n’avions pas quitté le chemin de fer avant que notre contrat soit terminé. Cet hiver-là était très rude et souvent nous ne pouvions pas travailler plus de 9 heures par jour, mais avec quelques sacrifices, nous avons finalement fini au printemps 1954.

Au mois de mars de cette année-là, il ne restait plus beaucoup d’hommes qui faisaient partie du groupe initialement venu travailler avec le chemin de fer. Nous étions censés nous rendre à Stratford en passant par Toronto et nous avons donc décidé, mon ami et moi, que le 19 mars, quand le train s’arrêterait à Toronto, nous allions y descendre et y chercher du travail. Nous avions déjà écrit à des amis qui s’y trouvaient et ainsi, le jour de la fête de la St Joseph, nous sommes arrivés à Toronto. Le travail dans la construction n’avançait pas très vite à ce moment-là mais en quelques jours, nous avons trouvé du travail avec une compagnie italienne. J’ai alors commencé à mettre de l’argent à la banque pour pouvoir demander que ma femme et mon fils puissent me rejoindre ici.

À l’église catholique St Carmel dans le centre-ville de Toronto, il y avait un organisme qui pouvait nous aider à remplir les formulaires qu’il fallait pour faire venir nos familles et réserver leur traversée qui pouvait être remboursée plus tard, petit à petit. Alors, le 2 novembre 1954, c’est comme cela que ma famille est arrivée à bord du Homeland à Halifax. J’ai beaucoup travaillé comme assistant maçon et j’ai appris le métier de poseur de briques. À cette époque-là, c’était difficile de louer une chambre ou deux, encore plus quand on avait des enfants. Nous avons dû changer de logement 4 fois parce que les propriétaires avaient besoin de la chambre soit pour accueillir de la famille qui immigrait, soit parce que leurs enfants se mariaient.

Les premières années au Canada n’ont pas été faciles. Seulement trois mois après son arrivée, mon fils est mort d’une crise d’asthme avant son troisième anniversaire de naissance. À cette époque-là, quand il faisait très froid, on ne pouvait pas travailler dans la construction et souvent, on ne pouvait rien faire jusqu’à avril. Pendant de nombreuses années, j’ai touché le montant maximum annuel de l’assurance emploi et je devais même aussi demander le montant supplémentaire, soit l’équivalent de 9 autres semaines.

C’est en décembre 1955, précisément le jour de Noël, que Nadia est née. En janvier 1959, je suis devenu citoyen canadien et cette même année, ma femme a accouché de jumeaux qui n’ont pas survécu. En 1961, notre fille Anna est née et en 1967, notre fils Paolo.

Et alors, la dernière fois que nous avons dû déménager et laisser une location au printemps 1964, j’ai cédé sous l’insistance de ma femme et nous avons décidé d’acheter une petite maison dans le même quartier de la ville où nous avions jusque-là toujours habité. Avec un apport de 1200 $ et une hypothèque de 10 000 $, nous avons finalement pu avoir notre maison à nous.

Après sa 12ème année, Nadia a commencé à travailler alors qu’Anna et Paolo sont allés à l’université grâce à des bourses du gouvernement et à nos sacrifices. Anna a fini ses études avec un Bac en géographie et un Bac en éducation, alors que Paolo a obtenu un Bac en génie industriel. En 1968, nous sommes allés en Italie pour la première fois depuis que nous étions partis et nous avons amené les enfants avec nous pour qu’ils rencontrent la famille. 10 ans plus tard, en 1978, nous y sommes retournés en famille. Depuis, j’y retourne seul tous les 2 ans et ma femme et les enfants y sont aussi retournés séparément. En 1998, je suis rentré pour célébrer le 100ème anniversaire de naissance de ma mère. En 1999, 2 mois seulement avant son 101ème anniversaire, elle nous a quittés.

Le temps passe et Nadia a acheté une maison comme la nôtre plus bas dans la même rue. En 1971, j’ai eu mon permis de conduire et j’ai acheté une voiture d’occasion et j’ai commencé à aller explorer la région des lacs pendant les fins de semaine. En 1988, avec ma fille Nadia, nous avons décidé de vendre nos deux maisons à Toronto pour en acheter une autre plus récente et plus grande à Mississauga. Aujourd’hui, je suis à la retraite, j’ai 73 ans et ça fait 20 ans que je n’ai pas travaillé à cause d’une blessure au dos que j’ai eu au travail. J’ai la chance d’avoir ma fille Nadia qui habite avec moi parce qu’elle paie la moitié des dépenses de la maison sans quoi nous ne pourrions pas nous permettre de vivre là avec la pension que ma femme et moi recevons.

Aujourd’hui, je suis heureux de vivre au Canada parce que ce pays m’a offert beaucoup d’opportunités que je n’aurais peut-être jamais eues en Italie. Mais mon pays natal me manque et tous les jours, je regarde les nouvelles locales sur la chaine câblée Telelatino.

Tasca Maria Cescato

Le 30 juin 1951, après trois ans de fiançailles, Aldo et moi, nous nous sommes mariés dans ma ville natale de Silea dans la province de Trévise. C’était une petite cérémonie très simple avec seulement la famille et quelques amis puisque nous étions très pauvres et que ce n’était pas possible de faire plus. En même temps, mon mari était au chômage parce que pendant ces années d’après-guerre, il n’y avait pas beaucoup de travail en Italie. La plupart des hommes avaient commencé à chercher du travail à l’extérieur dans des pays où on avait besoin d’ouvriers et Aldo, après avoir essayé sans succès d’immigrer en Belgique, est parti pour le Canada le 27 avril 1953. Je suis restée en Italie avec Renato, notre fils de 9 mois. On attendait que mon mari finisse son contrat avec le chemin de fer pour qu’il puisse déménager à Toronto. À Toronto, il espérait trouver du travail et un appartement avec deux chambres et pouvoir ensuite nous faire venir pour le rejoindre.

Pendant ce temps, alors que j’attendais de pouvoir le rejoindre, je continuais d’habiter avec mes parents et mes frères et sœurs dans une maison de trois pièces. Je partageais la pièce qui aurait dû être ma chambre matrimoniale avec mes trois sœurs et mon jeune fils. Ça faisait un mois que mon mari était parti et comme il avait promis de m’envoyer une lettre dès qu’il arriverait, j’ai commencé à m’inquiéter parce qu'aucune lettre n’arrivait. Mes parents avaient peur qu’il m’ait abandonnée et qu’il ne veuille pas me faire chercher. La première lettre qu’il a envoyée a été volée par le facteur. Il a pris les 5 dollars que mon mari y avait mis , mais a quand même fini par la distribuer. J’ai écrit à mon mari et je lui ai dit ce qui s’était passé. Il a envoyé 5 dollars dans sa seconde lettre, qui est heureusement bien arrivée, et m’a dit d’acheter une chaine en or pour notre fils.

Après 14 mois passés loin l’un de l’autre, il a finalement pu commencer le processus de demande d’immigration pour qu’on aille le rejoindre au Canada. L’idée de me voir partir était très difficile pour mes parents. Comme tous les parents, ils n’auraient pas hésité à donner jusqu’à leur dernier bout de pain pour garder leurs enfants près d’eux. Comme j’avais toujours vécu dans une petite ville de 5 000 habitants et que j’avais rarement été, ne serait-ce qu'à la ville la plus proche, ils avaient l’impression que mon fils et moi allions partir pour le bout du monde. Mes parents étaient des gens très simples : mon père ne savait ni lire ni écrire et ma mère avait seulement été à l’école primaire.

Quand Renato et moi avons dû aller à Rome pour les examens médicaux et pour voir le consul canadien, on n’avait presque pas d’argent et on a dû prendre le train tout seuls. Après une longue nuit, nous sommes arrivés à la gare de Piazza Cratti à Rome et puisque le consulat était tout près, on y est allé à pied. Je ne savais pas que les Canadiens appelaient les femmes mariées par le nom de famille de leur mari. Nous étions dans une très grande salle pleine de femmes et d’enfants dont les maris avaient demandé leur immigration. Ils ont commencé à appeler Maria Cescato et ont appelé plusieurs fois avant que je comprenne que c’était moi, puisque je n’avais pas l’habitude d’être appelée comme cela.

On m’a accompagnée à l’étage où on m’a posé plusieurs questions pour savoir pourquoi je voulais aller au Canada et si j’avais de la famille là-bas. Je leur ai expliqué que mon mari avait immigré et que mon fils et moi voulions le rejoindre. Après les examens médicaux, on nous a donné notre visa qui nous autorisait à immigrer. Une fois sortis du consulat et pour célébrer la nouvelle, j’ai trouvé un marchand de fruits et j’ai acheté une grosse grappe du raisin blanc que mon fils aimait. Maintenant que je savais que plus rien ne pouvait nous empêcher de partir, je le regardais manger tout le raisin puis, après une autre très longue nuit dans le train, nous sommes rentrés à la maison. Quand mes parents ont appris la nouvelle que nous étions autorisés à partir au Canada, mon père était très content. Ma mère, par contre, a pleuré désespérément parce qu’elle avait peur de ne plus jamais nous revoir. Ma mère m’a vue à trois autres reprises avant de mourir en 1989, mais elle n’a jamais revu mon fils.

Donc, après avoir souffert de la faim en Italie où la vie était devenue très difficile avec peu de travail et d’argent, et alors que j’étais mariée depuis trois ans, après 17 mois de séparation, je suis partie rejoindre mon mari. Le 24 octobre, je suis montée à bord du Homeland pour sa toute dernière traversée. Le long voyage sur l’océan a duré 9 jours. Je me sentais bien mais mon jeune fils Renato avait un terrible mal de mer. En tant qu’immigrants, on était logés dans les ponts inférieurs du navire, sous le niveau de l’eau et, comme tels, nous n’avons jamais pu respirer d'air frais. Tôt le matin, le personnel du navire m’autorisait à monter au niveau de la première classe et à m’asseoir dehors sur le pont pour que Renato respire un peu d’air frais et se sente un peu mieux. J’ai eu la chance de devenir ami avec quelques passagers qui venaient des Abruzzes et de Monte Belluno et ils nous apportaient un peu de pain et des œufs durs. Je ne pouvais pas aller dans la salle à manger puisque l’odeur de la nourriture rendait malade Renato. C’est triste de me rappeler que les serveurs sur le navire ne m’ont jamais apporté ne serai-ce qu'un verre d’eau parce que j’étais une immigrante modeste. Je n’étais pas la seule assise sur le pont pour prendre l’air car beaucoup de passagers avaient le mal de mer. Un jour, le capitaine du navire est venu nous voir et m’a demandé d’où je venais. Quand je lui ai dit que j’étais de Silea dans la province de Trévise, il a répondu que les gens de Trévise mangeaient du « radicchio » et qu’ils se sentaient toujours bien.

Un jour, on a entendu dire que durant la nuit, à cause de la brume épaisse, on avait manqué de frapper un autre navire. À cette époque, il y avait beaucoup de navires qui traversaient l’océan. Je me rappelle que le jour où j’ai quitté Gênes, j’avais vu le Andrea Doria dans le port et plus tard, au Canada, je me souviens l’avoir vu à la télévision en train de couler. Finalement, après 9 jours, nous sommes arrivés à Halifax et ils nous ont tous emmenés dans un entrepôt gigantesque (le Quai 21) où nous avons dû passer les douanes. Ils ont fouillé toutes nos malles, nos valises et nos sacs. Je n’avais rien à déclarer sauf un petit salami que j’avais mis dans mon sac à main pour mon mari comme je ne savais pas que c’était illégal de transporter de la viande. Ce que j’ai vu ce jour-là était incroyable. Les gens avaient apporté toute sorte de choses avec eux qui leur avaient été offertes par leur famille et leurs amis avant de partir. Ils ont commencé à faire une montagne avec toutes les choses qui avaient été confisquées aux passagers : du salami, des bouteilles d’huile d’olive, des boîtes de thon, etc. Ça semblait incroyable de comparer cette pile énorme avec le petit salami que je transportais. Mes parents n’auraient pas pu se séparer de beaucoup plus puisqu’ils étaient encore plus pauvres que moi.

On m’a envoyée dans une petite épicerie m’acheter à manger pour le train. J’étais terriblement perdue car je ne pouvais rien reconnaitre dans le magasin et je ne parlais pas anglais. Ceux qui travaillaient dans le magasin ne parlaient pas italien alors, finalement, j’ai acheté du pain et un peu de fromage Velveeta. Le voyage en train a duré 2 jours et 1 nuit avec un changement à Montréal. A Montréal, je n’arrivais pas expliquer pourquoi j’avais besoin des toilettes pour mon fils et j’ai dû faire des gestes et des mimes pour me faire comprendre. Mon fils avait toujours des vertiges à la suite de sa traversée difficile et c’était un soulagement pour lui de pouvoir utiliser des toilettes sur la terre ferme.

Nous sommes finalement arrivés à Toronto. Pendant tout le voyage en train, je m’inquiètais de voir de petits baraques tout le long de la voie. J’ai vu beaucoup de bois par terre un peu partout. Je me souvenais à quel point c’était difficile chez nous d’acheter du bois pour le poêle alors qu' ici, il y en avait partout. A la gare, j’ai retrouvé mon mari. Mon fils n’avait que 9 mois quand son père est parti et aujourd’hui il avait 2 ans et il n’a donc pas pu reconnaître son père. Nous sommes partis, avec deux autres couples, pour manger le midi chez l’un des amis que mon mari s’était faits pendant qu’il était à Toronto, avant notre arrivée. Plus tard, Aldo nous a emmenés dans une maison où il venait de louer deux chambres pour nous. Nous y avons habité pendant deux ans avec une famille merveilleuse qui a été très bonne avec nous. Mais ma peine ne faisait que commencer. 3 mois seulement après notre arrivée au Canada en février, Renato est mort à cause de l’asthme. Je ne peux pas décrire le désespoir que j’ai alors ressenti. Cette première année a été très douloureuse et très triste et je remercie Dieu de m’avoir donné la foi de continuer. Le jour de Noël de cette année-là, notre fille Nadia est née et j’avais l’impression de retrouver des forces et de commencer à m’habituer à cette nouvelle vie au Canada.

Ma vie a de nouveau été touchée par la mort quand en 1959, j’ai donné naissance à des jumeaux qui sont morts presqu’immédiatement. Ça a été vraiment dur pour moi car j’avais toujours aimé les enfants et je voulais en avoir plusieurs. Nous avons dû déménager car les propriétaires avaient besoin de nos chambres pour accueillir de la famille qui allait venir d’Italie. Nous avons changé de maisons plusieurs fois et en 1961, notre deuxième fille Anna est née et notre famille a été alors plus heureuse et sereine. À nouveau, les propriétaires nous ont demandés de partir pour faire de la place pour leurs parents et nous avons alors décidé d’acheter notre propre maison. J’étais fatiguée de déménager constamment et j’aurais préféré retourner en Italie plutôt que de devoir encore louer. Donc en 1967, nous avons acheté notre première maison et notre fils Paolo est né. Ma famille était enfin complète, et même si l’argent ne coulait jamais à flots, nous étions heureux.

Lors de mon voyage au Canada, j’avais apporté deux malles chargées d’objets en verre et en porcelaine. Tout a été cassé pendant le voyage sauf quelques décorations de noël en verre. Nous décorons toujours notre arbre de noël avec ces décorations si particulières qui datent de notre premier noël après notre mariage en 1951. Je suis toujours en possession des deux malles et je voulais en faire don au musée du Quai 21.

Quand je suis arrivée au Canada la première fois, j’ai acheté une machine à coudre d’occasion pour 21$ et j’utilisais de vieux vêtements au rebus pour faire des robes pour mes filles et moi. En 1972, je suis finalement devenue citoyenne canadienne. Nous avons vécu dans cette première maison pendant 24 ans et y avons élevé 3 enfants. Entre temps, les enfants ont grandi et ont étudié, et notre fille ainée est allée travailler et elle s’est acheté une maison avec ses économies plus bas dans la même rue que nous. En 1989, nous avons vendu les deux maisons pour en acheter une plus grande à Mississauga où nous habitons toujours.

Notre seconde fille est devenue enseignante et en 1983 elle a épousé quelqu’un de Montréal. Ils ont habité à Montréal pendant 4 ans et ont ensuite déménagé en Ontario où, en 1997, ils ont eu un fils, Sean. C'est notre premier petit-fils. Il nous apporte beaucoup de joie et nous en sommes très fiers. Notre fils a fini ses études d’ingénieur industriel et en 1998 il a épousé une Italienne qui avait immigré au Canada à l’âge de deux ans en 1967.

Nous habitons aujourd’hui à Mississauga avec notre fille Nadia et, avec nos deux pensions de retraite et le revenu de Nadia, nous vivons bien. Même si notre vie au Canada n’a pas toujours été facile, avec la foi et beaucoup de travail, aujourd’hui, après 45 ans, je remercie cette grande nation de m’avoir donné la possibilité d’une vie meilleure où nous n’avons jamais eu faim et où nous avons pu élever nos 3 enfants. Malgré toutes les peines que nous avons eues, nous nous considérons toujours chanceux et nous remercions tous les amis qui nous ont aidés tout au long de cette route et qui sont toujours nos amis aujourd’hui dans la joie comme dans la peine.

Carte d’identité de l’immigration canadienne de Renato Cescato.
Vieux coffre vert utilisé par la famille pour aller au Canada.
Page d’un vieux passeport avec la photographie de Maria Cescato.
Portrait en noir et blanc d’une femme tenant un petit garçon.
Carte d’identité de l’immigration canadienne d’Aldo Cescato.
Carte d’identité de l’immigration canadienne de Maria Cescato.
Vieille photographie montrant sept hommes pelletant de la neige sur une voie de chemin de fer nouvellement construite.
Page d’un vieux passeport montrant la photographie d’Aldo Cescato.
Photographie couleur d’une femme et d’un homme plus âgé devant un arbre de Noël.