
« Je ne sens plus mes mains! »
Saïd portait des gants. Mais pas sa femme, Ghita.
C’était le 4 février, neuf jours seulement après leur arrivée au Canada en provenance de Rabat, au Maroc. Les températures hivernales y sont rarement inférieures à 10 °C.
Saïd et Ghita avaient emménagé dans un appartement et faisaient ce les gens que font lorsqu’ils commencent à vivre dans un nouveau pays. Ils avaient choisi ce jour pour faire leur première grande épicerie. Ils avaient prévu de plonger dans l’expérience alimentaire canadienne et étaient à la recherche de produits comme du sirop d’érable et des beignes, ainsi que des produits laitiers, des bagels et de la viande halal.
Ils n’avaient pas de voiture, mais avaient fait une recherche sur Google pour savoir comment se rendre de leur appartement, au centre-ville de Dartmouth, jusqu’au Walmart situé dans le parc industriel de Bayers Lake. Le voyage durerait environ une heure, mais la majeure partie de cette heure serait passée à l’intérieur d’un bus bien chauffé. Ils ont commencé par une marche de huit minutes à travers un parc, le long de Dartmouth Commons, jusqu’au terminus.
Saïd et Ghita avaient déjà vu de la neige, dans leur jeunesse, dans les hautes montagnes du Maroc. Leur première chute de neige au Canada, et leur première chute de neige en tant que couple marié, avait eu lieu quatre jours après leur arrivée. La neige était tombée doucement et avait recouvert la terre comme une couche parfaitement fine de glaçage sur un muffin au gâteau aux carottes. Ils avaient trouvé cela romantique.
Quelques jours plus tard, en se préparant à leur voyage d’épicerie, Saïd consulte la météo sur son téléphone. Il y voit -22° Celsius. Une journée froide, même pour la plupart des Canadiens. Il n’y avait aucune mention du refroidissement éolien arctique qui donnerait l’impression d’une température de -35 °C.
« Nous sommes sortis et nous avons traversé le parc. On s’amusait... Au bout de deux minutes, alors qu’elle souriait et riait, son visage a soudain changé. Je l’ai regardée et j’ai demandé : “Qu’est-ce qu’il y a?” Elle était choquée et très inquiète. J’ai dit : “Quoi? Quoi?!” Elle m’a dit : “Je ne sens plus mes mains.” Elle avait les larmes aux yeux. »
Les archives du gouvernement canadien indiquent que des vents soufflaient du nord ce jour-là, que les rafales atteignaient 89 km/h.
Saïd a demandé à Ghita si elle voulait rentrer. « Elle a dit : “Non, je ne veux pas rentrer. Je veux aller au supermarché! »
Ils se sont pressés jusqu’au terminus d’autobus chauffé.
À notre arrivée, nos sourcils et tout le reste étaient blancs. La neige a tout simplement glacé nos sourcils. On n’avait jamais vu ça auparavant. J’ai essayé de lui réchauffer la main. »
Saïd ne lui a pas dit qu’il ne sentait plus ses propres mains. Il ne voulait pas « semer la panique. »
Il a essayé d’insister pour qu’ils rentrent, mais « Elle m’a dit non. La neige est notre maison maintenant, et la maison, c’est la neige. Il faut s’y habituer. » Sinon, comment pourraient-ils enseigner à leurs enfants à naître comment survivre ici, a-t-elle raisonné.
Ils ont donc poursuivi leur mission.
Quelques heures plus tard, les achats terminés, les sacs d’épicerie à la main, ils attendaient leur chauffeur Uber. Un Uber était plus cher, certes, mais il les emmènerait jusqu’à leur porte d’entrée, un luxe qu’ils étaient heureux de s’offrir. À son arrivée, la porte de la voiture était glacée.Le très agréable chauffeur est sorti et a bravé le froid pour les aider à l’ouvrir. Dans la chaleur de la voiture, ils ont appris que le chauffeur, lui, n’était au Canada que depuis quelques mois. Il était arrivé à Halifax en provenance d’une Ukraine déchirée par la guerre.
Saïd et Ghita se sont finalement adaptés à beaucoup de choses, y compris au climat. Alors, recommandent-ils aux gens d’éviter de s’installer au Canada à cause du froid?
« Pas du tout. Ce n’est pas une raison pour ne pas venir au Canada. En fait, c’est magnifique, dit Saïd. S’il faisait moins 44 pendant six mois, je ne refuserais pas le Canada. Nous nous adapterions au climat. Parce que les personnes qui vivent ici sont des êtres humains comme moi. Je ne vois pas la différence. »
Saïd donne les conseils suivants aux personnes arrivant de pays chauds :
- Téléchargez l’application météo du gouvernement canadien. « Elle est plus précise que les autres », selon Saïd.
- Achetez vos vêtements d’hiver au Canada. Saïd et Ghita ont acheté des tenues d’hiver au Maroc, mais « nos vêtements n’étaient pas appropriés pour l’hiver d’ici. »
- Achetez des mitaines, pas des gants. Saïd a appris que « les mitaines sont plus efficaces contre le froid que les gants. »
- Portez une tuque. Saïd est au Canada depuis moins de 12 mois. On peut donc lui pardonner d’utiliser un nom étranger pour désigner un élément essentiel de l’équipement de protection contre le froid lorsqu’il dit : « Portez un bonnet pour ne pas laisser la chaleur de votre corps passer de votre tête à la nature. »
Saïd Allibou travaille au Musée en tant qu’interprète du patrimoine depuis le 8 février 2023, soit 13 jours après son arrivée et 4 jours après le dégel de ses mains.