Port prioritaire : Une histoire de l’immigration au port de Québec - Partie 1
Résumé
En 1850, le port de Québec accueillait les deux tiers de l’immigration européenne arrivant en Amérique du Nord britannique. La circulation transatlantique de passagers avait augmenté parce que la ville de Québec était géographiquement proche de l’Europe. Ainsi, les Commissaires du havre de Québec ont amélioré leurs infrastructures portuaires. Ils ont fait bâtir le bassin Louise et les quais Princess Louise, puis fait agrandir leurs installations d’immigration, améliorant davantage l’accueil offert aux immigrants. Pendant la Première Guerre mondiale, le port de Québec était un point d’embarquement pour les soldats partant pour l’Europe.
par Jan Raska PhD, Historien (Mise à jour le 22 octobre 2020)
Introduction
Avant l’arrivée des Européens, les nations algonquine et haudenosaunee (iroquoise) étaient les principaux habitants des berges du fleuve Saint-Laurent (connu en mohawk sous le nom de Kaniatarowanenneh, signifiant « grande voie navigable ») et de la région entourant ce qui est ensuite devenu la ville de Québec (connue en algonquin sous le nom de Kébec, signifiant « là où le fleuve se rétrécit »). En 1535, l’explorateur français Jacques Cartier a découvert le village haudenosaunee de Stadacona, où quelque 1 000 habitants vivaient principalement de la culture du maïs, de la pêche et de la chasse. En 1608, l’explorateur français Samuel de Champlain y a établi un poste de traite et des logements, puis a baptisé l’endroit Québec. Au cours des 150 années qui ont suivi sa fondation, la ville a subi de nombreux assauts militaires, puis a été conquise par les Britanniques en 1759. Québec a réussi à repousser une invasion américaine en 1775-1776 et la ville a continué de faire partie de l’Amérique du Nord britannique jusqu’à la Confédération canadienne en 1867.[1]
L'Immigration et la « population flottante » ont profondément marqué les fibres démographiques, socioculturelles et économiques de Ville de Québec. La population locale migrante et les immigrants venant d’Europe ont eu un impact majeur sur le développement des institutions, du commerce et des modes de transport. Ce rapport soutient que dans Ville de Québec, un site a été façonné par les trois domaines mentionnés ci-dessus : le port de Québec. À son tour, le port a plus tard aidé à diversifier la composition socioculturelle et politique de la ville. En 1850, quarante pour cent de la population de la ville était anglophone et au port de Québec transitait les deux tiers de toute l'immigration européenne en Amérique du Nord britannique.[2] À l'époque, Ville de Québec abritait le seul grand port océanique. Traditionnellement, la saison propice au voyage commençait à la mi-avril, après un long hiver où le fleuve Saint-Laurent était gelé. Les navires qui étaient affrétés pour voyager en mars dans les ports de l'Europe étaient souvent retenus à La Traverse, en aval de Ville de Québec en raison de forts vents et de hautes marées. Du printemps à l'automne, Ville de Québec était ouvert à l'importation de marchandises et des nouveaux arrivants tandis que les entreprises et les entrepreneurs canadiens envoyaient leurs produits sur les marchés de l'Europe.[3]
Depuis le régime français, Ville de Québec était le principal port du Canada mais a commencé à perdre de son influence dans la seconde moitié du XIXe siècle. À cause en partie de la réduction progressive du commerce du bois, une amélioration du chenal vers Montréal et du développement rapide des réseaux continentaux de communication à travers l'Amérique du Nord, le port de Québec a connu une baisse du trafic océanique et de la construction de voiliers en bois. Au XXe siècle, les politiciens locaux, les chefs d'entreprises, les responsables de l'immigration et les immigrants européens ont joué un rôle dans l’établissement des installations portuaires, ce qui augmentait le flot de trafic « humain » et l'importance du port comme une plaque tournante du transport maritime et canadien.[4]
Établir le Port de Québec
En 1858, la Commission du Havre de Québec (C.H.Q.) a été créée pour améliorer les installations maritimes de la ville. Avec un trafic transatlantique au port de Montréal en pleine expansion, la domination économique du Ville de Québec sur le Saint-Laurent a commencé à décliner dans les années 1870. Toutefois, l'immigration y est restée importante. De 1869 à 1889, 538 137 immigrants sont arrivés à Ville de Québec en comparaison avec les 91 910 à Halifax. Pendant cette période, le Bassin Louise ouvrait et le quai attenant de Pointe à Carcy était construit. En 1875, le gouvernement canadien dissolvait la Maison de la Trinité de Québec, qui était chargée de maintenir l'ordre dans le port, et transférait ses pouvoirs à la C.H.Q. Entre le milieu des années 1870 et 1890, la C.H.Q. construisait un grand quai, le seul de ce type en Amérique du Nord, assurant au port de Québec de maintenir une part importante du commerce canadien vers l'étranger. Durant la même période, les agents de l'immigration canadienne élargissaient les installations d'immigration du port pour faire face au nombre croissant des arrivées. L'expansion du Bassin Louise et des quais Princesse Louise ne modifiaient pas le flux croissant de trafic vers Montréal. En 1903, la C.H.Q. commençait à travailler sur une deuxième phase d'expansion du port afin de desservir deux autres secteurs économiques importants : les exportations de céréales de l'Ouest et le trafic de passagers transatlantiques. Les quais Princesse Louise agrandis nécessitaient une augmentation du trafic de passagers mais ne réussissaient pas à augmenter les exportations.[5]
Rénovations visant à améliorer l’accueil et l’hébergement des immigrants
Durant la saison de voyage transatlantique de passagers de 1907, l'amélioration de l'accueil et l'hébergement des immigrés devenaient une nécessité. Incapables d'obtenir d’Ottawa les fonds nécessaires, les agents d'immigration négociaient un accord avec la Compagnie des chemins de fer Canadien Pacifique (CP) qui leur permettrait de mener à bien les changements nécessaires, pour une somme totalisant 11 649.93 $.[6] Un an plus tard, les représentants de la Allan Lines of Royal Mail Steamship se plaignaient que les voies ferrées de l'installation de l'immigration au port de Québec n’étaient pas adéquates pour la prochaine saison de navigation. De même, la manutention des bagages était mal organisée par des sociétés de transport travaillant sur une plateforme étroite qui amenait des retards.[7] Avec ces plaintes à l'esprit, la C.H.Q. entreprenait d'améliorer le chemin de fer dans le port de Québec.[8] Dans un effort pour empêcher les immigrants de « se déplacer » entre le hangar de l'immigration et le hangar « Empress », les agents d'immigration installaient de nouvelles orientations pour le traitement des passagers débarquant des paquebots Empress. Les passagers de deuxième classe débarquaient au même moment où leurs bagages étaient déchargés. Une fois qu'ils étaient montés à bord des trains en direction de l’Ouest, les passagers de troisième classe étaient débarqués ainsi que leurs bagages étaient rendus disponibles pour le voyage en train. Avec une plateforme élargie et la manutention facilitée des bagages, les agents d'immigration de port de Québec cherchaient à rationaliser le débarquement des passagers. Les sociétés de transport désapprouvaient ces nouvelles façons et affirmaient que des retards de plus de quatre heures pourraient être attendus pour que les trains puissent quitter au port de Québec. Les agents d'immigration étaient en désaccord avec ces affirmations.[9] Deux ans plus tard, un incendie rasait un hangar à grain situé dans le secteur de la Pointe à Carcy du Port de Québec. Cet événement tragique n'avait pas ralenti l'immigration au port de Québec. Une fois les réparations complétées, la C.H.Q. choisissait de construire ses nouveaux bureaux à cet endroit.
La Santé publique et les interdictions d’entrer au Canada visant les immigrants « inadéquats »
Dans un discours au congrès annuel de l'Association canadienne de santé publique, J.D. Pagé, administrateur en chef de la santé publique du port de Québec et surintendant médical de l’hôpital d'immigration de Ville de Québec localement appelé Hôpital du Parc Savard, notait que « l'inspection médicale des immigrants devait être considérée, dans l'évolution actuelle du Canada, comme un problème d'une importance capitale du point de vue de la santé publique ». L’administrateur en chef de la santé publique démontrait que tandis que les autorités locales de la santé consacraient leur attention à la conservation et l'amélioration de la santé personnelle par des moyens de prévention et de promotion de remise en forme, les fonctionnaires fédéraux étaient chargés d’une « lourde responsabilité » qui était de contrôler le nombre d'immigrants « inaptes » arrivant au Canada. En 1906, le gouvernement canadien adoptait une nouvelle Loi sur l'immigration, la première révision législative majeure, strictement liée à l'immigration en près de quatre décennies. En vertu de la nouvelle Loi, les agents chargés du contrôle aux points d'entrée avaient le pouvoir d'interdire l'entrée en fonction de la santé, des finances ou de la personnalité d'un candidat. Ils avaient aussi un pouvoir discrétionnaire d'utiliser certaines des clauses vagues de la Loi pour interdire des individus qu’ils jugeaient indésirables en raison de l'origine culturelle ou de l'identité ethno-raciale. La Loi de 1906 était principalement utilisée pour empêcher l'entrée d'immigrants d'origine africaine ou asiatique, d’indésirables politiques comme les anarchistes, les handicapés mentaux ou physiques et tout individu susceptible de devenir une « charge publique ».
Quatre ans plus tard, le gouvernement fédéral élargissait la liste des immigrants illégaux et augmentait les dans le choix, l’admission ou le rejet d’immigrants désirant entrer au Canada. La Loi sur l'immigration de 1910 interdisait également des personnes sur le territoire qui étaient jugées « inaptes au climat » du Canada. La désignation « d’inaptitude climatique» ciblait principalement les groupes raciaux, notamment les candidats d'origine africaine ou asiatique. Cela permettait à des fonctionnaires canadiens de faire valoir de façon trompeuse qu'il n'y avait pas « d’obstacles de couleur » dans la législation canadienne. De cette façon, l'autorité discrétionnaire jouissait d’une protection accrue en vertu de la Loi de 1910 et le système judiciaire fédéral et provincial était empêché de réviser ou de renverser les décisions du ministre fédéral responsable de l'immigration. Après les mesures restrictives mises en place par les Lois de l’Immigration de 1906 et 1910 pour empêcher l'admission des « indésirables » et des inaptes médicaux, 80 à 90 pour cent des détentions et des rejets étaient dus à des troubles oculaires, principalement le trachome chez les immigrants d'Europe continentale qui constituaient la majorité des personnes détenues dans les ports d'entrée canadiens.[10]