par Siniša Obradovic, Ancien Chercheur en histoire orale
La collection d’histoires orales et les entrevues en français
L’équipe de recherche d'histoire orale du Musée canadien de l’immigration documente les récits et les témoignages des gens vivant à travers le pays pour en apprendre davantage sur l’immigration. Nous voulons également représenter la diversité du pays dans notre collection croissante en effectuant des entrevues dans les deux langues officielles.[1] Notre collection préserve et rend accessible environ 125 entrevues en français.
En 2018, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a publié un plan d’action notant qu’il « est nécessaire de redoubler d’efforts pour attirer, sélectionner, intégrer et retenir les immigrants d’expression française» dans les communautés francophones en situation minoritaire (CFSM).[2]Presque la moitié des entrevues effectuées en français préservées dans la collection du Musée proviennent des personnes faisant partie de ces communautés. L’une des questions fondamentales qui ressortent à la suite d'une exploration initiale de ces entrevues est : pourquoi certaines personnes d’expression française décident-elles de s’installer dans un endroit majoritairement d’expression anglaise ?
Les extraits ci-dessous, dans lesquels nous soulignons les facteurs d’attraction, nous donnent des pistes de réponse. Dans un court extrait de son entrevue, Souleymane Sidibé répond à cette question en décrivant la situation l’ayant menée à déménager à Calgary, en Alberta, dans le but d’apprendre et de travailler en anglais afin de faire avancer sa carrière. Dans cet article, les extraits de Ben Maréga, Saïda Ouachou-Ozarowski et Quitterie Hervouet, illustrent leurs processus décisionnels, en particulier le rôle que jouait la langue dans la prise de décision.
Rencontrez les personnes
En mars 2020, environ 60 des 125 entrevues de la collection effectuées en français se sont déroulées avec des personnes habitant au Québec. Les lieux de résidence de l'autre moitié sont divisés parmi les principales régions métropolitaines des autres provinces : Moncton, St. John’s, Winnipeg, Halifax, Calgary, Ottawa, Toronto, et Vancouver. C’est donc une occasion unique de pouvoir commencer à explorer des récits personnels des personnes qui ont décidé de s’installer dans une communauté où leur langue officielle parlée est en situation minoritaire.[3] Les entrevues que nous avons sélectionnées ont été faites avec des personnes qui avaient un degré de contrôle relativement élevé sur leur parcours migratoire et qui ont choisi volontairement leur destination.[4]
Ben, par exemple, a déménagé à Saint-Boniface, au Manitoba, pour poursuivre ses études universitaires; Saïda est initialement allée à Vancouver, en Colombie-Britannique, pour pratiquer son anglais, et elle s’est construit un réseau; et Quitterie, suivant son rêve d’enfance de vivre en Amérique du Nord, a choisi Toronto, en Ontario. Leurs raisons pour immigrer au Canada sont bien sûr plus complexes, et la possibilité de vivre dans une communauté où l’anglais est la langue courante n’a pas le même niveau d’importance dans chaque récit de vie. Ici, les personnes interviewées expliquent ces nuances dans leurs propres mots.
Ben Maréga - Étudier en français et vivre en anglais
Et là, c’est arrivé, la question de : « Est-ce que je poursuis mes études en français, ou est-ce que je poursuis mes études en anglais? »
Deux extraits de l’entrevue avec Ben Maréga nous aident à comprendre ses choix. Dans le premier extrait, disponible ailleurs sur notre site web, il décrit comment ses parents ont financé ses études au Canada. Dans l’entrevue complète, Ben a précisé sur le choix du Canada, plus précisément Winnipeg. Dans le deuxième extrait ci-dessous, Ben nous offre plus de contexte. Il décrit comment, après la fin de son baccalauréat au Sénégal, l’équivalent des études secondaires au Canada, on se posait la question où il ferait ses études. Même si les parents de Ben faisaient confiance au système d’éducation sénégalais, Ben et sa famille ont choisi le Canada après avoir considéré quelques autres pays. Dans l’extrait, il parle de l’attrait des opportunités potentielles au Canada, mais que la spécificité linguistique de Saint-Boniface, à Winnipeg, était centrale dans le choix.
Saïda Ouchaou-Ozarowski – Pratiquer l’anglais, nouer des liens et la météo
La première fois que je suis venue, j’ai compris qu’il y avait des possibilités d’emploi en français. Oui, pratiquer l’anglais, c’est bien. Sauf que, au travail, moi, ma force... je me disais : « Je suis vraiment meilleure en français. »
Saïda Ouchaou-Ozarowski est née à Paris dans une famille d’origine berbère qui a émigré de l’Algérie. Malgré les difficultés socioéconomiques que sa famille a pu vivre dans les années 1980 dans la banlieue parisienne, Saïda trouve qu’elle est chanceuse d’avoir pu bénéficier des activités extracurriculaires offertes par sa municipalité. Par exemple, elle a suivi des cours de violon et elle a pu voyager en Irlande dès l’âge de 11 ans. Plus tard, elle a fait un échange étudiant à l’Université d’Amsterdam dans le but de pratiquer l’anglais. Ensuite, suite à six années de mandat en tant qu’élue municipale, Saïda voulait prendre une pause de quelques mois pour réorienter son cursus vers le culturel et, encore une fois, pratiquer l’anglais. C’est à ce moment qu’elle a pensé au Canada. L’attrait initial envers le Canada était donc linguistique, mais son choix de s’installer à Vancouver était basé sur un mélange de climat, de réseaux préexistants et d’opportunités de travail, comme elle l’explique dans l’extrait qui suit.
Quitterie Hervouet – Réaliser un rêve de longue date
Depuis que j'ai 15 ans, j'ai souhaité habiter en Amérique du Nord. J'ai toujours eu ce, je me suis dit que j'habiterais dans un pays anglophone.
Vancouver était également parmi les choix de Quitterie Hervouet, qui a ultimement choisi de s’installer à Toronto. Suite à ses recherches, elle est arrivée à la conclusion que Toronto semblait avoir une meilleure industrie du cinéma, tout en précisant que l’information était peut-être contestable. Avant l’entrevue, Quitterie a également mentionné avoir une préférence pour Toronto parce qu’elle a toujours vécu dans les grandes villes. Lors de ses études universitaires, elle a fait un séjour à San Francisco et un stage à Atlanta, où elle a appris l’anglais. C’est durant une période de sa vie, lorsqu’elle avait besoin de changement, que Quitterie a décidé de poursuivre ses rêves de longue date et de s’installer au Canada. Elle l’explique dans l’extrait ci-dessous :
Un ensemble de raisons complexes pour immigrer
Les trois extraits des entrevues et de cette exploration initiale de la collection d’histoires orales du Musée nous donnent une idée de la façon dont le facteur d’attraction linguistique s’insère dans les décisions sur l’endroit choisi. Ce facteur est souvent décisif, mais de façon plus générale, les entrevues avec les personnes résidant dans des CFSM nous montrent comment le processus décisionnel peut être influencé par d’autres facteurs. Ceux-ci incluent les opportunités d’éducation ou d’emploi; les relations préexistantes professionnelles, familiales ou romantiques; ou l’épanouissement personnel, avec des degrés variables selon les individus.
- La langue parlée fait partie intégrale de nos identités, et peut être complexe. Elle peut façonner la manière dont nous percevons et interagissons avec le monde qui nous entoure. La langue maternelle d’un nombre de personnes ayant décidé de participer aux entrevues d’histoire orale peut différer de l’une des langues officielles représentée dans la collection du Musée. Voir : Saint-Jacques et al. « Langues Immigrantes au Canada », L’Encyclopédie canadienne https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/ethnies-langues-des page consultée le 16 avril 2020.↩
- Canada, IRCC. Plan d’Action Fédéral-Provincial-Territorial Visant à Accroître l’Immigration Francophone à l’Extérieur du Québec https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/organisation/publications-guides/plan-action-federal-provincial-territorial-immigration-francophone.html, consulté le 25 mars 2020.↩
- Les entrevues dans la collection du Musée ont été co-crées avec les participants et les participantes, donc les guides d’entrevue n’ont pas été standardisés à des fins comparatives.↩
- L’une des questions fondamentales que nous pouvons poser est « pourquoi (im)migrer? » et ainsi s’interroger sur les facteurs de pression et d’attraction de migration. À la base, les causes qui poussent les gens à quitter leurs pays d’origine sont un mélange de facteurs volontaires et involontaires. Ceci influence les possibilités dans les choix disponibles en termes du lieu où l’on peut s’installer.↩