par Steve Schwinghamer, Historien
(Mise à jour le 20 juillet 2021)
Introduction : Dépistages médicaux au Quai 21
Le manuel utilisé par le personnel d'immigration des années 1950 indiquait que les exigences médicales et physiques de la Loi sur l'immigration existaient « pour la protection des résidents du Canada et pour veiller à ce que les personnes qui demandent à être admises ne deviennent pas des charges publiques… »[1] Cette relation entre la santé publique et les contrôles médicaux des immigrants au Canada a de profondes racines historiques au Canada, notamment à Halifax, qui a subi plusieurs épidémies de choléra et des paniques liées à la migration au cours du XIXe siècle.[2] En l'immigration exigeait des immigrants éventuels de passer les examens médicaux à l'étranger et à leur port d'entrée.[3] Ces politiques ont été mises à jour régulièrement, ce qui a mené à des installations médicales des plus dynamiques dans l'histoire du Quai 21. Ceci a aussi influencé l’expérience personnelle et les pratiques du Quai 21, autant pour les immigrants que pour le personnel.
Examens outre-mer : Accélérer l’inspection à l’arrivée
Les médecins du Quai 21 travaillaient pour le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social et non pas pour le ministère de l'Immigration.[4] Ils veillaient à ce que les passagers qui arrivaient soient en conformité avec les règlements et les exigences de la loi sur la santé publique, y compris la Loi sur l'immigration. Cependant, ce n’était pas possible pour eux de procéder à un examen complet de tous les passagers arrivant au port : le volume aurait été écrasant.[5] Ce problème était antérieur aux opérations du Quai 21 tout comme la solution : obtenir des immigrants un contrôle médical avant de traverser l'océan. Les immigrants qui arrivaient au Quai 21 avaient généralement obtenu une autorisation médicale à l'étranger, généralement de la part de médecins canadiens accrédités à l'étranger ou de médecins étrangers approuvés par les autorités canadiennes de l'immigration.[6] Les immigrants éventuels qui ne disposaient pas d'accès à ces médecins autorisés pouvaient, sur les conseils des autorités canadiennes d'immigration, obtenir un examen et des rayons X de la part « d’un médecin de confiance de grande réputation. »[7]
Ce système réduisait considérablement la charge de l'inspection sur place mais ne l'éliminait pas complètement. Les immigrants présélectionnés par un médecin non autorisé normalement par l'immigration canadienne nécessitaient encore un examen complet à l'arrivée. En pratique, la nécessité était été relativement faible : entre 1961 et 1962, seulement 916 personnes ont eu besoin d’un examen complet à Halifax, soit une moyenne d'un peu plus d'une personne par jour.[8] Ceci illustre l'impact significatif de l'examen à l'étranger dans la réduction de demande de dépistage, à la frontière canadienne. Selon le Dr Lloyd Hirtle, médecin au Quai 21 pendant les années 1950, le processus d'autorisation médicale à l'étranger « le rendait beaucoup plus facile pour nous, ici, parce c’était juste une question de vérification des documents dans la plupart des cas. »[9] Cependant, l'augmentation de points d'origine des immigrants au Canada d'après-guerre dépassait l'infrastructure médicale à l'étranger, ce qui a conduit à une emphase renouvelée pour un examen médical approfondi des immigrants, à leur point d'entrée au Canada.[10] Ce changement a contribué à ce que les installations médicales soient la seule partie physique du Quai 21 à être régulièrement améliorée et agrandie après 1954.[11]
Examens et dispenses
Qu’il ait été obtenu à l'étranger, au port d'entrée ou sur le continent après l'arrivée, tous les immigrants étaient soumis à un examen médical avant de se voir accorder un statut.[12] Un examen complet pour des fins d'immigration comprenait une évaluation de l'état mental et physique des requérants, des radiographies thoraciques, des tests sanguins et ainsi de suite. Les médecins utilisaient également une inspection visuelle moins formelle ainsi qu’une conversation avec les demandeurs pour confirmer la recevabilité.[13] Cet examen était la vérification la plus commune au Quai 21 où les immigrants qui avaient passé des mois à se préparer et avaient passé par le dépistage à l'étranger souvent ne nécessitait que quelques minutes pour traverser chacune des inspections nécessaires sur place (médicales, civiles, et les douanes).[14] Le Dr Hirtle se rappelle particulièrement de la recherche d'éruptions cutanées visibles comme étant un signe de maladie infectieuse.[15] Comme garantie de ces contrôles, les agents d'immigration devaient également évaluer leur aptitude médicale mais seulement au niveau le plus général.
Les occasions où les agents d'immigration, à différents ports, admettaient des gens atteints de surdité totale, d’amputations doubles et autres, sans référence à un examen médical de suivi, ont provoqué de vives critiques de la part du chef de la Division des opérations, G.R. Benoit, en 1956. Dans sa lettre circulaire sur le sujet, il a rappelé aux officiers les exigences de santé et de condition physique pour l'admission et a suggéré un modèle de base de l'évaluation pour s’assurer que les agents n’aient aucun doute quant à l’admissibilité d'un individu.[16]
Ce n’était pas tous les passagers entrant au Quai 21 qui faisaient l'objet d'une inspection. Plusieurs groupes n’ont pas été normalement examinés, y compris des touristes, des voyageurs d'affaires et des personnes en visite au Canada pour moins d'un an.[17] Contrairement aux adultes, les enfants de moins de 10 ans n’étaient pas tenus de produire des rayons X ou un rapport d'un radiologiste à moins d’avoir une histoire clinique pertinente. [18]Les seules personnes complètement exemptées de l'examen médical étaient les Canadiens revenant au pays et des diplomates ou fonctionnaires étrangers, bien que ces deux groupes fussent encore soumis aux conditions de la quarantaine dans certains cas.[19]
La clinique médicale du Quai 21
Le Quai 21 était l'une des seules parmi un groupe de grandes installations canadiennes de l'immigration qui ait intégré des zones de traitement médical et d'hébergement d'immigration.[20] Au Quai 21, il y avait deux espaces médicaux distincts utilisés par le service médical de l'immigration. La clinique médicale, composée de deux ou trois médecins, était située sur le côté de l'eau, au deuxième étage du Hangar 21 près de la zone de rassemblement. Le second espace était l'hôpital de l'immigration, à l'extrémité nord des quartiers d'immigration, à l'intérieur de l'immeuble, presqu’à côté du pare-feu avec le hangar 20.[21] La clinique médicale a servi de plaque tournante pour les inspections et les examens. Il y avait des tables dans la zone de rassemblement pour les agents médicaux pour qu’ils puissent vérifier les documents des passagers, le premier examen que les immigrants passaient au Quai 21 étant médical.[22] Si le passager nécessitait un examen complet, il y avait une salle d'attente et les salles d'examen secondaire dans la clinique.[23] Après la Seconde Guerre mondiale, le Quai 21 avait également des installations sur place pour les rayons X et les travaux de laboratoire, ce qui démontre le rôle des progrès scientifiques et technologiques dans les pratiques de dépistage.[24] Il y avait une salle d'opération mineure mais qui n’a été utilisée que pour des besoins superficiels. Tout patient nécessitant une intervention chirurgicale importante était envoyé à un hôpital local.[25]
L’hôpital du Quai 21
Contrairement à la nature immédiate des travaux effectués à la clinique, l'hôpital se consacrait aux soins et au traitement à long terme. Il pouvait accueillir jusqu'à une trentaine de patients et était souvent près de sa faible capacité. L'hôpital de l'immigration du Quai 21 a été doté de deux infirmières dont une vivait dans un petit appartement sur place. Florence Waldron, l'infirmière résidente au Quai 21, de 1949 à 1962, se rappelle avoir traité une grande variété de besoins médicaux y compris la varicelle, la rougeole, la fièvre rhumatismale, la polio, la bronchite, la typhoïde, la tuberculose et l'appendicite.[26] Un autre membre du personnel, Alison Trapnell, se rappelle de patients souffrant de maladies mentales dont la situation se concluait généralement par la déportation.[27]
Au milieu de ces divers besoins, les principaux occupants de l'hôpital, selon l’infirmière Waldron, étaient des enfants. Les membres des familles des enfants malades restaient généralement dans les quartiers d'immigration.[28] Comme le montre l'utilisation de l'installation de l'hôpital, les enfants étaient particulièrement vulnérables à la maladie pendant la migration. Les éruptions de maladies comme la rougeole apparaissaient à bord des navires, avec une certaine régularité, en tête de liste des passagers arrivant au Quai 21. Malgré les progrès des soins, ces cas menaient encore parfois à la tragédie : par exemple, une jeune fille polonaise, Stefania Piasta, âgée de 5 ans, est morte de la rougeole à l'hôpital de l'immigration, le 23 Mars 1937.[29] Elle était la plus jeune d'une famille nombreuse qui se dirigeait vers l'ouest arrivée au Canada à bord du Duchess of York, le 19 mars 1937.[30] L’infirmière Waldron se souvient aussi d’occasions plus heureuses de l’accueil de mamans et de leurs nouveau-nés. Elle a été sollicitée à plusieurs reprises pour devenir marraine et elle a organisé un baptême dans le salon de l'appartement de l'infirmière.[31] Bien qu'il existe des anecdotes d'enfants nés au Quai 21, l’infirmière Hirtle ne se souvient pas de naissances pendant qu’elle était en fonction. Généralement, les femmes enceintes étaient transférées à l'un des hôpitaux de la ville pour la naissance de leur bébé lorsque le besoin apparaissait.[32]
Il est important de noter que les installations du Quai 21 ont considérablement changé au fil du temps. La clinique médicale était une partie mineure de la structure au moment de son ouverture en 1928 : seulement deux cabinets de médecins et de petites salles d'examen.[33] En 1971, la clinique médicale s’était agrandie vers le nord, dans l'espace de bureau avec une salle d'opération mineure et comprenait un complexe de plus de vingt chambres d’une centaine de pieds de longueur et d'environ trente pieds de largeur.[34] Les installations de l'hôpital et des infirmières qui y étaient attachées ont été réorganisées et modifiées après le feu de 1944, alors que cet espace n'a pas été augmenté.[35]
Installations de support
Au-delà de la clinique et de l'hôpital, il y avait une petite salle de quarantaine au Quai 21, mais dans les faits, les cas de maladie infectieuse grave étaient généralement traités dans l’unité de quarantaine de Lawlor’s Island ou à l’hôpital des maladies infectieuses Rockhead.[36] Ce besoin était plutôt limité, tout comme les changements médicaux qui ont conduit à la fermeture de Lawlor’s Island en 1938, ont fait que Rockhead n’était pas tellement utilisé comme unité de quarantaine régulière. Cependant son équipement était utilisé pour l'épouillage des passagers et des bagages si nécessaire.[37] Lors de plus grands mouvements avec plus d’exigences médicales, les autorités sanitaires et d'immigration utilisaient les installations de Rockhead pour élargir l’hébergement régulier comme cela a été fait pour les réfugiés qui sont arrivés à bord du Walnut en 1948-1949 et de nouveau en 1956-1957 pour les réfugiés de Hongrie arrivant à Halifax.[38]
Conclusion : La santé publique, une considération centrale pour le Quai 21 et la politique d’immigration canadienne
La santé publique est un facteur central de l'histoire de la politique canadienne d'immigration et de la pratique. Les structures physiques du Quai 21 le reflètent. Le personnel médical employé au Quai 21 a fait progresser les résultats canadiens des programmes préalables de dépistage médical à l'étranger et les institutions médicales locales en règlementant les admissions et la prestation de soins pour les immigrants éventuels. La sélection qu’ils ont menée sur place n’était pas un programme statique : leurs pratiques changeaient selon des orientations stratégiques plus larges, les besoins de la santé publique et les progrès des soins médicaux. Pour le Quai 21 comme installation, cette pression continue a abouti à la clinique médicale comme étant le seul secteur du site ayant subi un renouvellement constant et une rénovation tout au long des années de fonctionnement.
- Ministère de l’Immigration et de la citoyenneté, « Chapter 8: Medical Procedure », 10 déc. 1953, dans « First Immigration Manual », Bibliothèque et Archives Canada, RG 76 Volume 934, classeur 8, section 8.00 (ci-après « Medical Procedure »)↩
- Cameron, « Quarantine: What is Old is New. Halifax and the Lawlor’s Island Quarantine Station, 1866-1938", (Halifax: New World Publishing, 2007) », 31-56↩
- Lors d’une inspection à l’étranger, voir comme un exemple JD Pagé, « Medical Examination of Immigrants to Canada », The British Medical Journal, 1:3675 (Juin 1931), 1040-1041.↩
- Florence Waldron, interviewée par James Morrison, 21 avril 1998, 98.04.21FW, A, 00:08:45; Lloyd Hirtle, interviewé par James Morrison, 17 avril 1998, Musée canadien de l’immigration du Quai 21 collection d’histoire orale, 98.04.17LH, 00:01:17.↩
- Interview de Hirtle, B, 00:22:1↩
- Ministère de l’Immigration et de la citoyenneté, « Medical Procedure », 8.19-8.21; G.D.W. Cameron, « The Department of National Health and Welfare », Canadian Journal of Public Health 50:8 (août 1959), 332.↩
- Ministère de l’Immigration et de la citoyenneté, « Medical Procedure », 8.25-8.33↩
- Surintendant par intérim du district de l’Atlantique au directeur de la division des opérations (Reid?), Halifax, 6 Fév. 1963, dossier 546-2 (Restreint)↩
- Interview de Hirtle, 00:13:10↩
- Correspondance en continu dossier 546-2 (Restreint)↩
- Voir comme exemple Travaux publics, « Alterations to Port Medical Clinic », dessin architectural A1, mai 1967, consulté à partir d’un document numérisé de l’Administration portuaire de Halifax (ci-après HPA) #8470.↩
- Ministère de l’Immigration et de la citoyenneté, « Medical Procedure », 8.11↩
- Ministère de l’Immigration et de la citoyenneté, « Medical Procedure », 8.03↩
- Charles Dwyer, interviewé par James Morrison, 24 mars 1998, Musée canadien de l’immigration du Quai 21 collection d’histoire orale, 98.03.24CD, 00:15:48; Bill Marks, interviewé par James Morrison, 24 avril 1998, Musée canadien de l’immigration du Quai 21 collection d’histoire orale, 98.04.24BM, 00:38:05↩
- Interview de Hirtle, B, 00:19:15↩
- Benoit, Circulaire à tous les agents d’immigration, No. 8-3, 9 février 1956, dossier 546-2 (Restreint)↩
- Ministère de l’Immigration et de la citoyenneté, « Medical Procedure », 8.13↩
- Benoit au consul général canadien, New York, Ottawa, 30 avril 1951, dossier 546-2 (Restreint)↩
- Ministère de l’Immigration et de la citoyenneté, « Medical Procedure », 8.15↩
- « Best Immigration Facilities on the Continent Here », Halifax Chronicle, 10 novembre 1927. Reproduit au ministère de l’immigration. « Immigration Building – Halifax, N.-É ». Bibliothèque et Archives Canada. RG 76 Vol 666 dossier C1594 (ci-après dossier C1594) partie 2. Voir aussi Travaux publics Canada, « Min. de l’immigration Quai 21 Halifax, N.-É., plan du 2e étage », mars 1956, dessin 51103-412, document numérisé consulté de l’Administration portuaire de Halifax #11000↩
- Travaux publics Canada, “Immigration, Pier 21, Halifax NS, Accommodations”, 14 février 1969, dessin 51103-101, document numérisé consulté de l’Administration portuaire de Halifax #10899.↩
- H.J. Crudge, ingénieur en bâtiment du Canadien National région de l’Atlantique, à Fraser, Moncton, 20 mai 1927, dossier C1594 pt 1; Interview de Dwyer, 00:01:04ff.↩
- Interview de Hirtle, 00:02:30↩
- Interview de Hirtle, 00:03:30↩
- Interview de Waldron, 00:27:00↩
- Interview de Waldron, A, 00:04:00; 00:24:00; 00:13:00 and 00:01:00↩
- Alison Trapnell interviewée par James Morrison, 16 avril 1998, Musée canadien de l’immigration du Quai 21 Collection d’histoire orale 98.04.16AT, 00:21:57↩
- Interview de Waldron, B, 00:02:30 and 00:04:30↩
- Crosman, « Recollections », 39.↩
- Archives nationales (Royaume-Uni), la liste d'embarquement, Duchess of York, 12 mars 1937, BT27, consultées en ligne à www.ancestorsonboard.com; historique de l'état civil de la Nouvelle-Écosse, acte de décès de Stefania Piasta, 1937, livre 169 page 224, consultées en ligne à www.novascotiagenealogy.com.↩
- Interview de Waldron, B, 00:02:30 and 00:04:30↩
- Interview de Hirtle, 00:31:00↩
- Chemin de fer Canadien National, « Halifax Ocean Terminals Proposed Immigration Facilities Sheds No. 21 & 22 – General Layout », 31 oct. 1928, HPA #10882↩
- Travaux publics, « Alterations to the Port Medical Clinic », 1967, HPA #8470↩
- Travaux publics, « Min. de l’immigration – Quai 21, Halifax, N.-É. », 29 mars 1958, HPA #11000; Travaux publics, « Immigration, Quai 21 - Halifax, N.-É. », 14 février 1969, HPA #10904↩
- Cameron, « Quarantine », 149↩
- Cameron, « Quarantine », 100-102; 143-144; Interview de Hirtle, C, 00:19:00↩
- Voir « Admission to Canada of the Corvette Walnut », Bibliothèque et Archives Canada, RG 76 Vol 668 dossier C19279; Interview de Hirtle, 00:09:30↩