par Steve Schwinghamer, Historien
(Mise à jour le 21 juillet 2021)
Introduction : Le port d’Halifax et les premières arrivées
Le port d’Halifax est grand, profond, et il ne gèle pas. C’est un centre de transport naturel, avec un accès riverain à l’intérieur des terres néo-écossaises, à proximité de routes efficaces pour les expéditions de l’Europe vers l’Amérique du Nord. Mais avant 1876, il n’y avait pas de lien par chemin de fer vers le reste du pays. Le port n’était donc pas particulièrement utile pour les services de passagers ou de marchandises en direction du reste du Canada.[1] D’autres ports, notamment le long du Saint-Laurent et dans les Grands Lacs, avaient des installations d’immigration qui remontaient aux années 1820. Ils étaient ainsi essentiels pour le transport océanique vers le Canada avant l’achèvement du chemin de fer vers Halifax.[2]
Cependant, dans l’intervalle de cinquante ans entre l’achèvement du chemin de fer et l’ouverture du Quai 21 en 1928, un grand nombre de personnes qui arrivaient à Halifax par la mer sont venues au Quai 2, du côté nord d’Halifax. Avec le temps, il y a eu plusieurs installations différentes pour accueillir les immigrants au Quai 2, allant de simples adaptations d’un quai de marchandises à des quartiers spacieux et conçus sur mesure.
Les premières dispositions pour accueillir les passagers étaient rudimentaires. Même une décennie après l’achèvement du chemin de fer intérieur, les passagers océaniques arrivaient néanmoins dans un hangar à marchandises. Le flux de personnes et de bagages dans le hangar signifiait que les portes du hangar étaient souvent ouvertes, et à Halifax, un port principalement hivernal, cela représentait une situation misérable pour les passagers qui attendaient d’entrer au pays ou d’embarquer dans leur train. Bien que la petite salle d’attente n’ait pas été bien confortable, le site offrait néanmoins des toilettes aux immigrants, de même qu’une billetterie et des installations pour les bagages.[3]
Construction d’une nouvelle installation d’immigration au Quai 2
En 1889, les agents d’immigration souhaitaient améliorer les installations.[4] À l’époque, les passagers débarquant à Halifax utilisaient habituellement le terminus en eaux profondes, un ensemble de quais et de hangars servant au fret et aux passagers des navires vers le chemin de fer intercolonial. Ce terminus était situé du côté nord d’Halifax, le long de l’eau, près du centre-ville, au pied de la colline où est située la commune d’Halifax et l’Église St. Patrick. Au terminus en eaux profondes, les rails s’éloignaient de la route accidentée qui suivait le bord de l’eau pour desservir les quais, dont les Quais 2 et 3. Cela laissait un triangle de terrain ouvert au bout des quais, où les autorités d’immigration ont coopéré avec les agents des chemins de fer pour bâtir un hangar d’immigration d’une longueur de 200 pieds. Le hangar était accompagné d’un petit bâtiment auxiliaire où se trouvaient une cuisine, des salles à manger, et des dortoirs. Ces nouvelles installations d’immigration au Quai 2 ont été achevées à l’hiver 1890.[5]
Le travail visant à établir des installations d’accueil appropriées a été anéanti par un incendie en février 1895. Une grande partie de l’infrastructure du terminus en eaux profondes a brûlé, dont les quartiers d’immigration.[6] En l’absence d’installations d’accueil appropriées, les passagers étaient dirigés vers le quai de la compagnie Cunard (au sud du Quai 2), et on les examinait à la station de train North End.[7] Le chemin de fer intercolonial a rapidement entrepris la reconstruction, et des plans étaient déjà prêts à la fin du mois suivant.[8] Cependant, la recherche d’installations de remplacement s’est avérée d’autant plus urgente au printemps, lorsqu’un incendie a brûlé le terminus Richmond du chemin de fer intercolonial (du côté nord d’Halifax, à l’extrémité de la rue Richmond), au mois de mai 1895. Bien que ces installations aient été éloignées de la station de train, le quai et le hangar de Richmond avaient déjà servi à gérer les immigrants après l’incendie de février.
Problèmes avec les quartiers d’immigration reconstruits
Malgré le besoin pressant de remplacement, le prochain bâtiment ne sera prêt que deux ans après l’incendie initial. En février 1897, le chemin de fer intercolonial ouvre de nouvelles installations d’immigration au Quai 2. Ce nouveau quai était court, en angle. Il n’était pas approprié pour les plus gros navires transocéaniques. Compte tenu de ces particularités, les entreprises de navires à vapeur préféraient faire débarquer leurs passagers au Quai 3, à côté du Quai 2. Ce quai était plus long, et desservi d’un côté par un plus grand bassin. Le bassin du côté du Quai 2 était si étroit que la présence de deux navires côte à côte pouvait mener à des accidents coûteux. Pourtant, bien que le Quai 3 ait été préférable pour les navires, il ne convenait pas à l’arrivée des passagers. Les gens qui débarquaient au Quai 3 devaient traverser des voies ferrées, passant par des zones de manutention de fret achalandées entre les quais, afin de rejoindre les installations d’immigration.[9] Il était aussi facile pour les autorités de perdre le fil des arrivées, car le Quai 3 n’était pas un lieu sécurisé. Il s’agissait tout simplement d’un hangar ouvert. Une personne aurait facilement pu débarquer et partir sans être soumise à un examen.
Mis à part le quai, le nouveau bâtiment présentait aussi des problèmes. La plainte principale à cet effet était qu’il manquait de quartiers de détention pour les passagers inadmissibles.[10] Le bâtiment était aussi accessible au grand public, de sorte que les agents d’immigration se plaignaient des « traînards et flâneurs » sur les lieux qui se promenaient dans les installations et regardaient dans les fenêtres. Lorsque les navires arrivaient, les agents d’immigration se plaignaient que « des foules de personnes entouraient le bâtiment ».[11]
Rénovation des quartiers d’immigration
Ces lacunes ont mené à une mise à jour rapide des quartiers d’immigration.[12] En 1905, on leur ajoute un deuxième étage.[13] Les espaces pour examiner les passagers et leurs bagages y ont dont été déménagés. Cela a aussi servi aux plus grands navires de passagers, car ceux-ci étaient conçus pour des passerelles de débarquement à cette hauteur. Le rez-de-chaussée a été rénové pour desservir les passagers qui avaient réussi l’inspection d’immigration et qui attendaient d’embarquer dans leur train vers l’intérieur des terres. On y trouvait une billetterie, une salle à manger, et une grande salle d’attente.[14]
Les rénovations ont rendu le site beaucoup plus approprié pour l’immigration; un capitaine de navire a d’ailleurs commenté que les changements de 1905 en ont fait un lieu « égal à tout autre lieu qu’il ait jamais visité ».[15] Ces rénovations arrivaient à point pour le port d’Halifax, car après 1905, le Canada constaté une hausse marquée de l’immigration. Bien que le nouveau bâtiment fonctionnait bien, les problèmes liés au quai lui-même et à l’expédition persistaient, de sorte qu’en 1911, le Ministère des Chemins de fer et canaux prévoyait un autre projet de construction au Quai 2, dont un très grand quai et de nouveaux hangars et installations d’immigration. Malheureusement, la construction s’est étalée sur plusieurs années. Juste avant la Première Guerre mondiale, pendant les années les plus intenses de l’immigration canadienne, les installations d’Halifax traversaient une période de turbulence. À la fin de 1913, un an qui a vu plus de quatre cent mille immigrants entrer au Canada, le nouveau quai en béton était prêt, mais deux autres années devront s’écouler avant que le nouveau hangar et les nouveaux quartiers d’immigration bâtis sur ce quai soient prêts. Les nouvelles installations ont ouvert leurs portes à l’automne 1915.[16]
Le Quai 2 amélioré en 1915 et sa fonction pendant la Première Guerre mondiale
Le bâtiment de 1915 du Quai 2 était une amélioration marquée sur les installations précédentes. En matière de dimensions, il était comparable aux quartiers qui seront éventuellement bâtis pour le Quai 21, mais intégré en un seul bâtiment. Il pouvait accueillir deux navires à la fois, et améliorait la sécurité des passagers pour leur passage du navire au train, car il incluait des rails enfoncés à l’intérieur et directement à côté du hangar. Les quartiers de 1915 incluaient aussi des espaces destinés à plusieurs services de soutien, des œuvres de charité aux billetteries de train, agences de télégraphie et bureaux d’immigration américaine.[17]
À son ouverture, le nouveau bâtiment du Quai 2 a immédiatement été mis en service comme point d’embarquement clé pour l’effort de guerre du Canada dans la Première Guerre mondiale. Pendant la guerre, il a survécu à l’explosion d’Halifax, et est revenu en service moins de deux semaines plus tard.[18] Après la guerre, il a été rendu au Ministère de l’Immigration. Ses installations sont restées essentielles au traitement des passagers transocéaniques jusqu’au déménagement, du jour au lendemain, du Quai 2 au Quai 21 en mars 1928.
Conclusion : Un portail océanique essentiel
Le Quai 2 était un point d’entrée important pour de nombreuses personnes arrivant au Canada par la mer pendant la période entre l’achèvement de la ligne ferroviaire d’Halifax et l’ouverture du Quai 21. Les premières installations étaient rudimentaires et compliquées par des facteurs tels que le climat hivernal et le manque de quartiers de détention. Les rénovations entreprises avant la Première Guerre mondiale ont permis d’améliorer l’espace juste à temps pour accueillir une vague d’immigration. Le bâtiment est ensuite devenu un point d’embarquement pour le personnel militaire canadien jusqu’à la fin de la guerre. Les opérations d’immigration ont été transférées au Quai 21 en 1928.
- Sandford Fleming, The Intercolonial: A Historical Sketch (Montréal : Dawson Brothers, 1876), 239.↩
- Lisa Chilton et Yukari Takai, « East Coast, West Coast: Using Government Files to Study Immigration History », Historie Sociale/Social History 48:96 (mai 2015), 12.↩
- D. Owen Carrigan, « The Immigrant Experience in Halifax, 1881-1931 », Canadian Ethnic Studies 20:3 (janvier 1988), 30.↩
- Bibliothèque et Archives Canada, fonds du Ministère de l’Agriculture, RG 17, vol. 610, dossier 69092, « J.S. Blogdon & Son, Halifax: Estimate for new immigration shed at Halifax; with memo from Mr. Lowe », Note de service de John Lowe, sous-ministre de l’Agriculture, 23 avril 1889. De la Confédération à 1892, les questions d’immigration revenaient au Ministère de l’Agriculture.↩
- BAC, fonds du MA, RG 17, vol. 626, dossier 70944, « Acknowledging letter of 14th instant re erection of new Immigration Shed at Halifax », Secrétaire du Ministère des Travaux publics à H.B. Small, secrétaire du Ministère de l’Agriculture, 7 octobre 1889; Bibliothèque et Archives Canada, fonds du Ministère de l’Agriculture, RG 17, vol. 665, dossier 75843, « Urging the immediate fitting up of the new Immigration Shed », E.M. Clay, agent d’immigration d’Halifax, à John Lowe, 15 novembre 1890.↩
- Dossier 142, partie 2. E.M Clay à A.M. Burgess, sous-ministre de l’Intérieur, 27 février et 12 mars 1895. Après 1892, la responsabilité de l’immigration revenait au Ministère de l’Intérieur, sous le service d’Immigration, jusqu’à la création du Ministère de l’Immigration et de la Colonisation en 1917.↩
- Dossier 142, partie 2, E.M. Clay à A.M. Burgess, 4 et 21 mars 1895.↩
- Dossier 142, partie 2, E.M. Clay à L.M. Fortier, secrétaire du Ministère de l’Intérieur, 23 avril 1895; et A.M. Burgess à T. Mayne Daly, surintendant général des Affaires indiennes et ministre de l’Intérieur, 25 avril 1895.↩
- Dossier 142, partie 3, Lyndwode Pereira, secrétaire adjoint du Ministère de l’Intérieur, à H. et A. Allan, agents d’Allan Lines, 5 mars 1897; « One of the Finest: The New Immigrant Shed at the Terminus », Halifax Daily Echo, 14 janvier 1895; Dossier 142, partie 3, G. Hannah, agent de Montréal pour Allan Lines, à A.M. Burgess, 23 février 1895; diagramme sans nom d’un ajout proposé au quai d’immigration à Halifax, mai 1898; T.E. Clay, agent d’immigration à Halifax par intérim, à L.M. Fortier, 13 avril 1897; et note de service par W.D. Scott, 3 juin 1897.↩
- Dossier 142, partie 4, L.M. Fortier à J.A. Smart, sous-ministre du Ministère de l’Intérieur, 21 octobre 1902.↩
- Dossier 142, partie 3, J.A. Kirk, agent d’immigration d’Halifax, à Clifford Sifton, ministre de l’Intérieur, 20 octobre 1897.↩
- Dossier 142, partie 4, J.A. Smart, sous-ministre de l’Intérieur, à D. Ewart, architecte en chef du Ministère des Travaux publics, 9 janvier 1904; F.W. Annand, agent d’immigration d’Halifax, à J.A. Smart, 12 avril et 2 juin 1904; et D. Ewart à J.A. Smart, 7 et 15 avril 1904.↩
- Dossier 142, partie 4, W.D. Scott, surintendant de l’Immigration, à J.A. Smart, 7 octobre 1904; et F.W. Annand à W.D. Scott, 27 novembre 1904.↩
- « Immigration Building Undergoes Changes », Halifax Daily Echo, 23 mars 1905.↩
- « Sees Big Improvement in Facilities Here », Halifax Daily Echo, 28 décembre 1908.↩
- Dossier 12795, A.J. Dyer, ingénieur résident, à John Kennedy, ingénieur, 8 décembre 1911; et pour faire le suivi des progrès dans la construction du Quai 2, voir les images et la correspondance de décembre 1913, décembre 1914, et septembre 1915.↩
- Dossier 142, partie 6, F.P. Gutelius, directeur général du Chemin de fer intercolonial, à W.D. Scott, 12 avril 1915. La note de Gutelius est intéressante, dans le sens où il a communiqué ses suppositions quant aux droits à payer et aux relations entre les organisations qui voudraient être hébergées au Quai 2. Par exemple, il a mentionné que les agents américains réclamant la dépense des invitations à Halifax auprès des chemins de fer, et avait comme opinion que l’Armée du Salut, bien que généralement un organisme caritatif, avait fait « des sommes considérables à l’aide des personnes sur lesquelles elle veille ». Voir aussi le Dossier 19403, « General Plan of Offices and Baggage Equipment in Upper Storey of Shed No 2 », Plan 882, 4 juillet 1913.↩
- Dossier 142, partie 8, W.L. Barnstead, agent d’immigration d’Halifax, à W.D. Scott, 18 décembre 1917; et note de service de T.W. Puller, architecte en chef adjoint, Ministère des Travaux publics, 26 décembre 1919.↩