William et Christine Stoffer

Familles

26 septembre 1956 – Skaubryn

Notre voyage au Canada avait été inspiré par le rêve de meilleures perspectives et de plus d'espace pour notre famille nombreuse. Le fait d'immigrer vers un nouveau pays était à la fois excitant et effrayant… et allait s'avérer très exigeant. À l'époque, nous avions six enfants, lesquels allaient devoir être hébergés chez des proches pendant au moins deux mois, le temps que nous terminions les préparatifs pour l'immigration. Nos meubles furent mis dans une grande caisse en bois sous l'œil vigilant des agents d'immigration. Les caisses devaient être combles afin d'éviter que leur contenu ne se déplace à l'intérieur. Les agents avaient donc cru bon de couper notre canapé en deux pour s'assurer que tout soit bien serré dans la caisse ! Avant notre départ, nous avions dû faire un pèlerinage jusqu'à La Haye pour passer des examens médicaux et recevoir des vaccins.

Nous avons passé notre dernière semaine en Hollande à la maison de mes parents et les enfants avaient dû dormir sur le plancher. Dans la matinée du 21 septembre 1956, un bus passa nous prendre. Tous les résidents de la rue sortirent de chez eux pour nous dire au revoir, en agitant leurs mouchoirs et en versant quelques larmes, alors que nous quittions le pays pour entamer une nouvelle vie. Nous sommes arrivés à Rotterdam à bord d'un bus bondé d'immigrants enthousiastes. Avant de pouvoir monter à bord du navire, nous devions faire la queue afin que des médecins nous fassent une dernière petite piqûre et pour que l'on nettoie le fonds de nos chaussures à l'aide d'un produit désinfectant. Tout cela visait à éviter que ne se propage à d'autres pays la terrible maladie de la vache qui menaçait alors.

Une fois à bord, certains immigrants ont été contraints de dormir dans de grandes salles. Nous avons eu la chance de nous retrouver dans une cabine comportant trois lits superposés et un lit d'enfant. Notre premier repas sur le bateau fut extraordinaire, mais ce soir-là, la plupart d'entre nous eurent le mal de mer. Seuls l'aîné et le cadet s'en tirèrent. Avec six enfants, vous comprendrez que le voyage ne fut pas sans incident. Un jour, par exemple, il nous fallut détacher nos deux jumeaux de quatre ans des rambardes du navire (après quelques affreux incidents, on allait enfin ouvrir la garderie). Il y avait aussi, bien sûr, le problème des enfants malades dont il fallait s'occuper; une de nos filles a dû être amenée à l'hôpital du navire et une autre a dû être mise sous médication. Puis, il y avait les tempêtes que nous devions endurer. Une bonne nuit, alors que je dormais sur la couchette du haut, je me suis réveillée complètement trempée d'eau de mer : le hublot fuyait ! On nous faisait faire des exercices d'évacuation au cours desquels nous devions mettre des gilets de sauvetage et emmener toute la famille sur le pont, à un emplacement qui nous était attribué. Devoir s'occuper d'un bébé de six mois sur un bateau n'était pas non plus une mince affaire. J'avais apporté quarante couches neuves à bord, lesquelles furent toutes perdues par le service de blanchisserie… et l'on me donna de vieux chiffons pour les remplacer. Les activités sur le navire comprenaient le service religieux du dimanche, des films, des jeux, des classes d'exercices et des lectures d'histoires. Le voyage allait durer cinq jours en tout.

Le premier bout de terre et les premières lueurs de la ville nous remplirent tous d'excitation et, comme par magie, plus personne n'avait le mal de mer. Nous sommes demeurés dans le port pendant deux heures avant de pouvoir enfin débarquer. Nous avons donc mis pied à terre au Quai 21, à Halifax, puis nous sommes entrés dans un grand hall où nous avons été accueillis par des bénévoles de la Croix-Rouge, des agents canadiens d'immigration et des représentants néerlandais. Sur place, des gens distribuaient les échantillons (de café, de thé, etc.) de différentes compagnies. Les enfants reçurent des jouets et les petits bébés, du Pablum. Puis on vérifia leur état de santé et on les pesa. Chaque famille se fit allouer cinquante dollars et les hommes furent invités à se rendre à l'épicerie pour y acheter de la nourriture. Nous étions maintenant prêts à entreprendre la prochaine étape de notre voyage.

Le reste du voyage allait être effectué par train. À Halifax, les autorités nous ont escortés jusqu'à un train en attente qui allait nous mener à Montréal. Ce train très vieux était pourvu de bancs en bois que personne n'appréciait particulièrement. Le train suivant était, cependant, plus moderne et le reste de notre voyage à travers le Canada fut merveilleux, ce qui nous permit de constater toute l'ampleur de notre nouveau pays. Le seul inconvénient était l'aménagement de nos lits, constitués de couvertures posées sur des valises placées entre les sièges. Il y eut de nombreux arrêts dans de petites villes le long du trajet, ce qui nous permettait d'acheter chaque fois quelques provisions. Nous sommes finalement arrivés à Vancouver, après cinq jours de train, le 1er octobre 1956.

Nous avons été accueillis à Vancouver par des gens de l'Église chrétienne réformée de Bethel. Nous étions en compagnie de six autres familles et on nous emmena tous dans une maison d'immigration de la rue Water, où chaque famille se fit attribuer un appartement. M. Laninga, un agent agricole hollandais, prit tous les hommes avec lui pour leur trouver du travail. Tous les enfants furent inscrits à l'école privée néerlandaise pour y apprendre l'anglais. Une semaine après notre arrivée à Vancouver, nous étions dans notre première maison située dans une communauté de New Westminster appelée Maillardville.

De 1956 jusqu'à aujourd'hui, nous pouvons dire que le Canada a été un bon foyer pour nous. Nous avons élevé huit enfants en tout. Mon mari a travaillé pour le bureau de poste et moi, comme infirmière. Nous avons également tenu un foyer de groupe et hébergé des enfants en famille d'accueil pendant vingt ans. Nos enfants ont tous grandi heureux et en santé, et sont tous devenus de respectables citoyens. L'un d'eux est devenu membre du Parlement, un autre gère un foyer de groupe, l'aîné prendra bientôt sa retraite de la fabrique, etc.. Nous avons maintenant vingt-deux petits-enfants et huit arrières petits-enfants… la vie est belle !