« J’étais juste un petit enfant de deux ans quand nous atteignîmes Halifax. Mes parents m’ont raconté, il y a longtemps, l’histoire de l’arrivée du navire à Halifax. J’étais alors endormi dans ma chambre sur le pont. Eh bien, le navire fit sonner sa corne de brume et tout le monde se précipita sur le pont pour voir le Canada. Tout le monde était si excité qu’on oublia que j’étais seul et endormi. Avec tout ce tapage, je m’éveillai et ne vis personne. Au bout de cinq à six minutes, mon père, ma mère ou les deux revinrent à la cabine où ils me trouvèrent criant en pleurant : « Je n’aime pas le Canada, j’ai peur du Canada. Le Canada mange les enfants ! » (Rosa Feldman / Vardit Zafri, 1951)
« Nous sommes arrivés une soirée de mars 1956 dans le port de Halifax. Tout le monde était sur le pont, passagers et équipage, pour voir à quoi ressemblait le Canada vu de notre navire, le Groote Beer. Puis quelqu’un cria mon nom à partir du quai. C’était mon petit copain Wiet qui était venu de Madoc, en Ontario, m’accueillir à mon arrivée à Halifax. Des mots étaient échangés du navire vers le quai en contrebas. Nous ne fûmes autorisés à descendre du bateau que le lendemain matin. Le service de l’immigration devait certifier que nous n’avions pas de maladie. Pendant ce temps, une passerelle fut installée entre le navire et le quai. Tout le monde demandait au capitaine de nous permettre à Wiet et à moi de nous rencontrer. Alors, le capitaine nous donna la permission de nous rencontrer. À mi-chemin de la passerelle, nous nous sommes embrassés et tous les gens sur le navire ont commencé à applaudir et à crier en notre honneur. C’était un tel bonheur après deux ans d’attente et de corrrespondance. » (Diny Willemsen, 1956)
« Nous avions prévu aller chez un fermier à Tilbury, mais, depuis notre arrivée, il avait changé d’idée. Donc, nous n’avions ni logement, ni adresse où aller dans ce grand pays et personne ne voulait de nous. Mais, maman et papa avaient l’adresse d’une famille à Chatham, en Ontario. Ils les appelèrent et fort heureusement, ils nous dirent de prendre le train jusqu’à Chatham et qu’ils nous accueilleraient à la gare. Nous y demeurâmes quelques jours puis, un agent d’immigration vint nous chercher pour nous amener à Windsor, en Ontario. Nous y passâmes une semaine entière dans un grand hôtel, le Prince Edward. Enfin, l’agent d’immigration revint mais cette fois, accompagné par un homme aimable et chaleureux venu d’Allemagne quelques années auparavant. Il prit ma mère dans ses bras et lui dit : « Je vous emmène à la maison avec moi. » Et il nous logea dans une jolie maison. C’est ainsi que commença notre nouvelle vie au Canada. » (Lea van Muren, 1952)
« Le Waterman arriva à son poste d’accostage dans le port de Halifax tôt durant l’après-midi du samedi 16 mai. Lors du débarquement, tous les passagers devaient être vérifiés par des agents de l’immigration canadienne avant de monter à bord de trains spéciaux pour immigrants devant les conduire à leur destination finale. Bien que notre famille fut l’une des premières à avoir quitté le navire, nous fûmes retenus plusieurs heures durant à l’immigration, les agents examinant nos documents, étant incapables de retrouver l’un d’entre eux. Comme nous voyagions en famille, on nous fit tous attendre dans une zone derrière la barrière de sécurité, tandis que d’autres passagers voyaient leurs documents traités. Alors que ces passagers nous dépassaient, plusieurs d’entre eux nous regardaient en se demandant ce qui n’allait pas, ou peut-être, par association d’idées, ce que nous avions fait d’incorrect. Pendant ce temps, l’heure du départ de notre train, 18 h, s’approchait de plus en plus tandis que croissait notre niveau d’anxiété et de frustration. Finalement, à 17 h 30, après que tous les autres passagers eurent été traités, les agents d’immigration tournèrent une fois de plus leur attention vers notre famille délinquante qui avait eu l’audace de tenter d’entrer au Canada avec seulement sept formulaires d’immigration pour huit personnes. Ce n’est qu’à ce moment qu’ils découvrirent, à leur grand regret et à notre soulagement, que deux des documents avaient temporairement collé ensemble, de sorte qu’il y avait toujours eu huit formulaires pour huit personnes. À quelques minutes de délai, nous pûmes monter à bord du train qui devait nous amener à travers ce grand pays jusqu’à Edmonton. » (Kenneth Robert Vandenberg, 1953)
« N’étant qu’une enfant de six ans, je traversai l’Atlantique à bord d‘un navire qui servait peu avant au transport de troupes et de chevaux durant la guerre d’Indonésie. Je conserve quelques souvenirs de ce voyage de dix jours, mais le plus vivant est celui de mon arrivée au Quai 21. On nous avait remis à tous un sac à lunch contenant, entre autres choses, une orange. Pour moi, c’était un véritable délice. Nous n’avions habituellement qu’une orange par année : le jour de notre anniversaire. Avoir une orange un jour ordinaire, c’était une vraie fête. Cependant, les oranges étaient trop lourdes pour les sacs en papier, en cette journée pluvieuse. En descendant sur la passerelle de débarquement avec le reste de ma famille, je vis des centaines d’oranges tomber à l’eau. « Quelle honte », pensai-je. « Si au moins il y avait moyen de les récupérer. » (Dora Stroobosscher, 1950)
« Durant la semaine célébrant le 75e anniversaire de l’immigration hollandaise au Canada, j’ai fait don au Quai 21 d’une poupée de guenille que j’avais reçue à mon arrivée au Canada. Mes parents, Gerard et Wilhelmina Bouma et leurs six enfants avaient quitté les Pays-Bas en décembre 1954 à bord du SS Maasdam et étaient arrivés au Quai 21 quelques jours avant Noël. Je me rappelle que les cinq autres enfants (j’avais 10 ans à l’époque), avaient reçu chacun un cadeau. Ma sœur Jane (âgée de 8 ans) et moi avions chacune reçu une poupée de guenille, mon frère Peter (11 ans) avait reçu un camion à bascule jaune, ma sœur ainée, Elly, avait reçu un livre à colorier et des crayons et mon autre frère Hans (âgé de 16 ans) avait reçu un petit jeu de Meccano. J’ai appris depuis que ce n’étaient pas tous les enfants qui recevaient des cadeaux à leur arrivée au Canada, mais comme nous arrivions quelques jours avant Noël, je suppose que nous eûmes droit à un traitement de faveur. On nous offrit aussi des bonbons de Noël. Certains d’entre eux étaient des anciennes sucreries de ruban façonné. Quelques uns goûtaient la racinette (une saveur toute nouvelle pour nous) et nous appelons toujours ce genre de bonbons des « bonbons de Halifax ». Ce sont les religieuses qui nous accueillirent au Quai 21 et qui nous offrirent cadeaux et bonbons. » (Wilhelmina Lafrance, 1954)
« Les formalités au Quai 21 se déroulèrent de façon ordonnée, mais je ne me rappelle d’aucune attitude vraiment chaleureuse de la part du personnel. Cela ressemblait davantage au rassemblement d’un troupeau. Mes parents étaient très nerveux car c’était une période très stressante. Une fois sortis du Quai 21, après avoir parcouru une longue passerelle inclinée, nous montâmes immédiatement à bord d’un train à destination de Montréal et par la suite, de Calgary, en Alberta. Le voyage en train était une longue épreuve de près de quatre jours. Je me rappelle avoir pris une courte marche à Montréal puis être monté dans un train pour Toronto. Nous arrivâmes par la suite à Edmonton où nous prîmes un petit train appelé Dayliner à destination de Calgary. Nous arrivâmes tard le soir à la vieille gare du CN à Calgary où nous fûmes accueillis par des amis. Nous étions tellement heureux d’être finalement arrivés dans notre nouvelle ville d’adoption. » (Hans Kowalski, 1957)
« Jamais je n’oublierai les infirmières de la Croix Rouge qui se trouvaient là, prenant les bébés de nos mains pour nous permettre de nous occuper de toutes les formalités et de faire quelques courses pour acheter des denrées pour le reste de notre voyage. Ces infirmières étaient merveilleuses; elles s’occupaient des enfants avec tout ce qu’il fallait d’amour et de tendresse. Le voyage en train dura encore une autre semaine et nous eûmes une journée d’arrêt à Montréal. Les dames à l’accueil à la gare là-bas n’étaient pas à moitié aussi gentilles que les infirmières à Halifax. Elles se plaignaient de ce que nos bébés pleuraient trop. En y repensant maintenant, je me dis que ce bébé âgé de cinq semaines seulement, nourri par une mère qui avait été malade, était probablement très affamé ! » (Alec et Jerry Popma, 1952)
« Nous fûmes les derniers passagers à quitter le navire car Wally avait été terrassé par la rubéole et on nous avait mis en quarantaine. Wally avait été placé à l’infirmerie du Quai 21, papa et les trois garçons, dans le dortoir des hommes, et maman et les deux filles, dans celui des femmes. Nos valises, passeports, et documents d’immigration avaient été confisqués. Les portes des dortoirs fermaient à 22 h. Il n’était pas nécessaire de les fermer à clé car il n’y avait pas de poignées aux portes à l’intérieur et les fenêtres étaient garnies de barreaux. Le soir, nous devions laver nos sous-vêtements dans l’évier de la salle de bain en prévision du jour suivant, car nous n’avions pas accès à nos bagages. Les repas étaient servis en mode cafétéria et nous n’oublierons jamais le visage de Gerry alors que la serveuse tentait de piquer une pomme de terre pour la mettre dans son assiette et que celle-ci se fragmentait continuellement. En fin de compte, elle regarda la pomme de terre et la fourchette, déposa la fourchette et prit une pomme de terre avec sa main nue pour la placer dans son assiette. Gerry avait pratiquement les yeux sortis de la tête. Après les premières 48 heures, on remit à mon père un document qui nous permettait de jouer aux touristes à Halifax. Auparavant, nous avions, les larmes aux yeux, debout sur le balcon du Quai 21, regardé le Groote Beer repartir pour la Hollande. Nous aurions donné n’importe quoi pour retourner avec lui. Le quatrième jour, on nous remit nos effets et on nous fit monter dans un train pour Saskatoon. » (Gysje Koenderink, 1953)
« Nous allions à Charlottetown, Î.P.E., c’était un samedi, le train était déjà parti et il n’y avait pas de train le dimanche. Ce qu’on nous expliqua par l’entremise d’un interprète. On nous logea juste là dans le port près de l’eau. L’édifice avait des barreaux aux fenêtres. C’était peut-être une ancienne prison ou un endroit où l’on gardait les passagers clandestins. Nous avons été très bien traités et nous étions libres d’aller partout où nous voulions. Certains n’avaient pas le droit de sortir de l’édifice, sans doute des immigrants illégaux ou des passagers clandestins, je n’en sais rien. Nous eûmes droit à nos premiers corn flakes, et pommes de terre en robe des champs (ma mère pelait toujours les pommes de terre). Les œufs au bacon, à la canadienne, passaient fort bien. Ma mère nous enjoignait de ne rien laisser afin de montrer notre appréciation. » (Cathy Bos, 1953)
« Debout sur le pont du Zuiderkruis, nous étirions le cou pour voir le plus possible du port de Halifax. Finalement, après sept jours en mer, nous avions atteint notre destination, le Canada. Notre voyage s’était très bien déroulé, sans mauvais temps. Toute notre famille partageait une grande cabine. C’était le plus grand changement de ma vie. À l’âge de 17 ans, j’avais déjà quitté mes amis, mes nombreux oncles et tantes, et ma chère grand-mère en sachant que peut-être je ne les reverrais jamais. Mais maintenant, j’arrivais au Canada, terre de toutes les possibilités. Mes parents pensaient que leurs enfants y auraient de meilleures chances dans la vie qu’en Hollande. Ma première expérience au Canada fut de voir les travailleurs des quais avec leur curieux balai d’apparence verte et la suivante fut de me rendre compte que je ne pouvais comprendre personne. Vous saviez que les gens vous regardaient et qu’ils parlaient de vous, mais vous ne saviez pas ce qu’ils disaient. Nous passâmes la nuit à Halifax dans des espèces de baraquements militaires et le matin, je fis connaissance avec les corn flakes. Puis, on nous fit monter dans le train vers l’Î.P.E. On posa sur nos vestes des étiquettes portant le nom de notre destination, et nous partîmes. » (Janette Vantveld, 1954)