Les héros immigrants et l’art de l’activisme au quotidien

Par Anthony Black, Rédacteur principal
Publié le 01/03/2022

Le 4 mars 2022, l’artiste en résidence du Musée, Aquil Virani, a dévoilé un nouveau projet d'art (anglais seulement). Lisez ce qu’il a à dire sur ce qui fait un héros, ce qui fait un immigrant idéal, et ses espoirs pour l’avenir.

Ton projet s’appelle « Nos histoires d'immigrantes ». Comment le décrirais-tu ?

Il s’agit d’un projet artistique qui demande « Qui est le héros immigrant dans votre vie? » J’ai essayé de créer une occasion pour nous de prendre un moment, d’écrire notre réponse et d’exprimer notre appréciation à l’égard des autres.

Les participants ont été invités à écrire des histoires, à soumettre des photos... Je leur ai laissé le choix. Une fois que les gens soumettent leur travail (peu importe le format), mon objectif était de présenter les soumissions telles quelles, puis de les intégrer dans un projet artistique où l’on voit les soumissions individuelles, mais aussi l’ensemble de l’œuvre. Parfois, l’écriture de la soumission initiale se transformait en art visuel. Parfois, la photographie se transformait en animation. Mon rôle était de trouver un moyen d’amplifier les histoires des autres de manière créative, comme une sorte de mégaphone médiateur ou un chef de chœur.

Les mots de Salima Punjani sur sa mère, Dilshad, ont été refondus en un des 31 collages numériques qui constituent une partie de « Nos histoires d'immigrantes ».

Comment cette résidence est-elle survenue ?

J’ai eu le privilège de partager certains de mes précédents projets artistiques qui s’étaient déroulés au Musée en 2016 (le projet Autoportrait du Canada). Mais même avant cela, j’ai toujours gardé un œil sur le Musée canadien de l’immigration du Quai 21, car il traite de beaucoup de choses qui m’intéressent, à la fois en tant qu’artiste et en tant que personne. L’élément virtuel de la résidence m’a permis de poser ma candidature tout en vivant à Toronto ― ou Tkaronto (mot kanien’keha signifiant « l’endroit dans l’eau où se trouvent les arbres »)

Autoportrait du Canada est un projet artistique collaboratif qui incluait plus de 800 participants, explorant l’identité canadienne, exposé au Musée en 2016. Photo par Aquil Virani.

Quels sont les chevauchements entre tes intérêts et ce que fait le Musée ?

Je suis fièrement le fils de deux immigrants au Canada : mon père est un musulman ismaélien d’origine indienne, né en Tanzanie, en Afrique de l’Est, alors que ma mère est une Française, éducatrice de la petite enfance, aujourd’hui à la retraite, originaire de Beauvais, au nord de Paris. Mes parents ont déménagé à Vancouver dans les années 1970. C’est de là que vient mon intérêt pour l’immigration : mon propre patrimoine et le lien entre migration et identité.

J’éprouve un certain sentiment de fierté à être le fils de deux immigrants au Canada. Je veux contribuer à raconter leur histoire (et la mienne) et l’adapter d’une manière ou d’une autre à un public qui me ressemble davantage, c’est-à-dire qui est né au Canada. C’est pourquoi je me reconnais dans le mandat du Musée et dans son travail. J’ai aussi une affinité pour les histoires vraies. En vieillissant, j’ai envie de documenter, d’écrire des choses, de prendre des photos de tout.

Ton travail brouille la frontière entre l’art et l’activisme. Peux-tu parler de l’activisme dans le contexte de ce projet ?

Pour moi, l’activisme est un terme générique qui recouvre les moyens de construire un monde meilleur de manière active et délibérée. Ce projet est une forme de militantisme : je considère que les histoires, en particulier celles des immigrants, s’inscrivent dans un contexte plus large de changement systémique.

Les problèmes systémiques peuvent sembler écrasants du fait de leur ampleur. Face à cela, je me demande : « Que puis-je faire aujourd’hui? Quels sont les outils à ma disposition en ce moment? » Je considère l’acte de raconter mon histoire, l’acte de partager, d’amplifier et d’élever les histoires des autres, comme une forme d’activisme. Il peut être difficile de voir toutes les conséquences qui découlent de nos actions. Mais je peux vous dire avec certitude que partager nos histoires d’immigrants suscite l’empathie. Et l’empathie est l’une des choses qui manquent dans certains cadrans politiques de notre pays.

Aquil Virani travaille sur un portrait de Bochra Manai, l’un des 12 portraits qui composent son projet 2018 CelebrateHer, une série de portraits et installation audiovisuelle féministes créé en collaboration avec Erin Lindsay et Imago Theatre. Photo par Aquil Virani.

La demande d’histoires de héros immigrants indique que « l’œuvre célébrera les réalisations, grandes et petites, des gens qui ont immigré dans ce pays. » Pourquoi est-il important de se concentrer à la fois sur les grandes et les petites histoires ?

Nos normes sociales suggèrent que la personne qui remporte une médaille aux Jeux olympiques mérite d’être célébrée, mais que l’employé du service d’entretien qui lave les planchers tous les soirs ne mérite pas d’être sous les feux de la rampe. Nous avons une façon d’intérioriser qui est vu et célébré sans nous demander pourquoi. J’ai écrit « grandes ou petites » pour que chaque personne se sente invitée à partager son histoire, qu’elle la considère comme inspirante ou non. Pour qu’elles soient valorisées. Il y a quelque chose de perdu lorsque nous n’entendons que les histoires de certaines personnes. Ce n’est pas tout ce qu’il y a.

Par le passé, les politiques d’immigration du Canada se sont articulées autour de l’idée de l’« immigrant idéal ». As-tu le sentiment que le Canada d’aujourd’hui a encore un immigrant idéal ?

Oui. Le problème réside en partie dans le fait que les hommes politiques se sentent poussés à « faire valoir les avantages » de l’immigration. Lorsqu’un politicien dit « nous devrions accepter les immigrants parce que c’est la bonne chose à faire et parce qu’ils nous aident à construire notre économie », les critiques commencent à évaluer les immigrants sur la base de leurs contributions. C’est une chose très malavisée et dangereuse à faire. Je ne suis pas d’accord avec l’objectif d’évaluer les immigrants en fonction de leur contribution économique. Une personne, c’est une personne.

Une grande partie du discours sur l’immigration devrait être ancrée sur la compréhension du fait qu’une personne prend un grand risque à commencer une nouvelle vie dans un nouveau pays. Il y a probablement une très bonne raison de le faire : pour fuir un pays déchiré par la guerre, ou pour trouver un moyen de subsistance menacé par des problèmes sociaux ou les changements climatiques, par exemple. Nous ne pouvons pas non plus ignorer les effets en cascade de la participation de notre propre gouvernement à l’exploitation, à l’extraction et à l’intervention coloniale dans les pays étrangers du monde entier, en particulier dans le tiers monde.

Ton travail est porteur d’espoir et d’aspirations. Quels sont tes espoirs pour ce projet et pour l’avenir du Canada ?

J’admets que je me sens parfois dépassé par les problèmes auxquels le Canada et le monde sont confrontés, mais il faut bien commencer quelque part. Dans beaucoup de mes projets, j’essaie de créer des petits gestes que les gens peuvent poser comme point d’accès à la construction d’un monde meilleur.

J’ai beaucoup d’espoir pour l’avenir. J’espère que l’avenir du monde implique que des personnes d’horizons différents se réuniront plus que jamais pour des conversations très honnêtes et sécuritaires. J’espère que ma famille et mes communautés musulmanes pourront se sentir plus en sécurité quand elles marchent dans la rue. J’espère que les gens qui viennent s’installer, y compris les nouveaux immigrants, pourront se poser des questions difficiles sur leur rôle dans la réconciliation, dans les réparations, dans une contribution significative et basée sur les ressources à la « réparation des torts historiques ». J’espère que nous ne perdrons pas notre optimisme quant à comment nous pouvons améliorer le monde, en commençant modestement et en étant honnêtes avec nous-mêmes face aux conséquences de nos actions. J’espère que les politiciens trouveront assez de courage pour demander des comptes aux entreprises. J’espère que les futures générations qui s’installeront pourront apprécier les sacrifices de leurs héros immigrants du passé.

Y a-t-il autre chose dont tu aimerais parler ?

Je m’efforce de faire un travail qui soit inclusif et accessible, mais cela implique des questions plus difficiles sur qui ce projet inclut et qui il n’inclut pas : les personnes qui travaillent et qui n’ont pas beaucoup de temps libre pourraient ne pas y participer, de même que les familles qui ont des histoires traumatisantes trop dures à partager. Il est important pour nous, les artistes, les conteurs et les institutions culturelles, de nous demander quels groupes de personnes ne sont pas inclus et quelles solutions pourraient rendre notre travail plus inclusif.

Je réfléchis également beaucoup à la manière dont l’histoire de l’immigration interagit avec l’histoire de la réconciliation et celle des peuples autochtones. Comment célébrer les sacrifices de nos héros immigrants dans nos vies personnelles sans omettre où ces histoires s’inscrivent dans le projet colonial? Ce sont des questions lourdes, car nous nous trouvons dans une réalité imparfaite que nous essayons de débroussailler. Ces conversations sont difficiles, certes, mais absolument essentielles.

Apprenez-en plus sur le travail d’Aquil Virani sur aquil.ca.