Le petit village libanais qui a changé le visage d’Halifax

Deux photos, l’une de bâtiments éparpillés de part et d’autre d’une vallée montagneuse avec des sommets enneigés en arrière-plan, l’autre d’un grand immeuble d’habitation s’élevant vers le ciel.
À gauche : Le village en montagne de Diman, et les villages environnants (photo gracieuseté de Jasmine Ghosn). À droite : L’immeuble Brenton Suites de 161 unités, entouré de l’immeuble Trillium de 84 unités, deux projets menés par le promoteur Wadih Fares, né à Diman.

Au nord du Liban, à 1 400 mètres au-dessus du niveau de la mer, se trouve un village appelé Diman. Il est petit. Il compte 650-700 résidents enregistrés. On peut le traverser à pied en 20 minutes environ.

Dans la ville d’Halifax, selon certaines estimations, il y a autant de personnes originaires ou dont les familles sont originaires de Diman qu’il n’en vit dans le village lui-même. Ce qui est peut-être encore plus surprenant, c’est la réussite des membres de cette communauté. Parmi ceux-ci figurent des chefs d’entreprise et des dirigeants communautaires, des politiciens provinciaux et fédéraux, ainsi que certains des promoteurs immobiliers les plus importants de la ville. Et Halifax compte une importante population de Canadiens d’origine libanaise, à raison de près de quatre fois la moyenne nationale. La communauté en général, y compris les familles de Diman et des villages environnants, a eu un impact considérable sur la ville d’Halifax, notamment sa culture, sa nourriture, ses noms de rue, son économie et son paysage.

Comment cela s’est-il produit? Pourquoi tant de personnes et de familles de ce village se sont-elles réinstallées en Nouvelle-Écosse? Quand sont-elles arrivées? Et qu’est-ce qui explique le succès de la communauté?

Des racines profondes

Le premier villageois de Diman documenté qui se soit installé en Nouvelle-Écosse, Abraham Arab, est arrivé en 1894. L’avenue Edward Arab, dans le quartier Westmount de Halifax, porte le nom de son petit-fils. Edward a été le président fondateur de la Société canadienne du Liban en 1938 et a été tué en servant le Canada pendant la Seconde Guerre mondiale.

Peu de temps après son arrivée, Abraham a été suivi par d’autres. Ces premiers immigrants étaient pour la plupart des hommes qui travaillaient comme colporteurs, parcourant les routes rurales avec des sacs de 100 livres contenant des marchandises à vendre et échangeant de petits cadeaux contre une nuit chez un fermier qui pouvait les héberger. Le grand-père de Jasmine Ghosn est arrivé peu après Abraham Arab. Selon elle, « dans notre culture, il serait considéré comme un péché de se marier et d’avoir des enfants si l’on ne peut pas subvenir à leurs besoins. Il faut donc économiser de l’argent et construire une maison. » Au fil du temps et lorsque les finances le permettaient, ces hommes ont ouvert des magasins et envoyé de l’argent pour que d’autres membres de leur famille les rejoignent au Canada.

Cela dit, le chemin entre Diman et Halifax n’était pas à sens unique. Certains hommes sont retournés au village pour un temps, s’y sont mariés et sont revenus plus tard avec leur famille. Le grand-père de Ghosn avait cet objectif en tête. Or, lorsque la Première Guerre mondiale a éclaté, il a décidé d’élever sa famille à Diman. Des années plus tard, en 1958, ses fils Joseph et Jacob (le père de Jasmine) se sont installés à Halifax.

Ils ne partaient pas de rien

Lorsque les frères sont arrivés, ils ont été hébergés dans la maison de la famille Metlej, qui était venue du village en 1955. Tony Metlej, qui est né à Halifax l’année de l’arrivée de ses parents, conteste l’idée commune selon laquelle les premiers immigrants du Liban partaient de rien. Dans son entretien d’histoire orale de 2012 avec le Musée, il affirme : « Il n’y avait rien qu’ils ne pouvaient pas faire. Surtout quand vous grandissez dans la campagne libanaise, vous devez savoir comment faire votre propre service électrique, votre propre plomberie... C’était un groupe de personnes plutôt intelligentes. Il n’est donc pas étonnant que leurs enfants aient tous été poussés à aller à l’université. »

Au fil des décennies, d’autres parents et amis proches sont arrivés. Les gens travaillaient dur, commençant souvent par des emplois de débutant, comme nettoyeurs, barmen ou dans des usines, pour se faire une place et éventuellement créer une entreprise familiale.

Lorsque la guerre civile au Liban, dans les années 1970 et 1980, a chassé les gens du pays, bon nombre d’entre eux ont choisi Halifax. D’autres ont choisi Sydney, en Australie, peut-être la seule autre ville au monde qui compte autant de membres de la diaspora Diman.

Selon Tony, « environ un tiers de notre ville a abouti à Sydney, en Australie, un tiers à Halifax, et il en reste un tiers à Diman. » [1]

Les membres de la diaspora d’Halifax ont réussi en politique. En 2013, Lena Metlege Diab est devenue la première Canadienne libanaise du cabinet de la Nouvelle-Écosse, occupant notamment le poste de ministre de l’Immigration de la province. Elle est maintenant membre du Parlement. Lui emboîtant le pas, Patricia Arab a également fait partie du Cabinet provincial et est actuellement membre du caucus libéral de l’opposition.

Il n’y a pas de gratte-ciel à Diman

À un moment donné, un certain nombre de personnes et de familles sont devenues des promoteurs immobiliers. Aujourd’hui, bon nombre des grands projets de construction dans le noyau urbain en plein essor d’Halifax sont menés par des promoteurs de cette communauté.

Comment cela s’est-il passé?

Jasmine, présidente de la fondation Sisterhood of Diman, qui finance l’éducation et l’autonomisation des jeunes, pense que cette démarche était une progression naturelle : « Les temps étaient durs pour les nouveaux arrivants... Deux frères partageaient une pièce et louaient quatre pièces à l’étage à des chambreurs afin de générer une sorte de revenu.

Beaucoup de gens ont commencé de cette façon. Ils ont commencé à acheter des propriétés abandonnées. Puis ils les ont réparées au fil du temps, et ils ont construit un certain capital, et la progression naturelle était d’acheter plus de biens immobiliers. Ils sont devenus des experts en matière de développement et d’entretien de propriétés. »

Selon elle, les membres de la famille se conseillent et s’entraident, constituant ainsi un réseau de connaissances. Cette interdépendance a contribué à créer un sentiment d’indépendance et de sécurité. « C’est une chose sur laquelle on a le contrôle. Il ne faut pas compter sur quelqu’un pour nous donner du travail. »

À Halifax, le paysage a été transformé par de grands projets lancés par des promoteurs qui ont des racines à Diman, notamment le Nova Centre, d’une valeur de 500 M$, au cœur du centre-ville, King’s Wharf, un projet de construction de plusieurs bâtiments sur le front de mer de Dartmouth, et de nombreux immeubles d’appartements et de condos qui tentent de suivre l’explosion démographique de la ville. Certains des noms de famille liés aux projets de construction à Halifax (Fares, Metlege, Ghosn, Arab, Ramia) sont visibles sur les commerces situés dans le village, comme le Ghosn Market et le Kamil Arab General Store.

Un bâtiment en briques de deux étages, avec une enseigne indiquant le Centre libanais Diman.
Le Centre libanais Diman à Halifax, ouvert en 1973, porte le nom de ce petit village du nord du Liban.

Une migration en chaîne

La migration en chaîne se produit lorsque de nouveaux immigrants se rendent dans une destination où ils ont déjà de la famille, des amis ou un réseau de ressources. Le mouvement des personnes de Diman à Halifax est un exemple de migration en chaîne qui se poursuit encore aujourd’hui. Jasmine dit : « J’ai fait venir mon cousin ici en 2010... et beaucoup de gens font venir des proches au moment où on se parle. »

Le père de Nina Laba, Halim, a quitté Diman pour s’installer à Halifax (en passant par le Ghana) et a ouvert la boulangerie Fancy Lebanese en 1962. La boulangerie offrait un premier emploi à de nombreux immigrants qui sont arrivés à Halifax les poches vides. Produisant désormais deux cent mille sacs de pitas par jour, elle approvisionne les principales épiceries de la province et bon nombre de ses restaurants. Nina dit : « Je suis la Canadienne la plus patriotique que vous puissiez imaginer. Mais avons tous un lien sentimental à ce village. »

Le père de son cousin Mario est venu travailler dans la boulangerie pendant la guerre civile. La mère de Mario, également originaire de Diman, était déjà là, mais les deux hommes se connaissaient depuis le village. Ils ont repris contact dans leur nouveau pays et se sont mariés. « Il y a plusieurs générations de nous ici maintenant », dit Mario. Bien qu’il soit né et ait grandi à Halifax, il dit qu’il se sentirait immédiatement responsable d’accueillir une personne du village à son arrivée. « En arabe, le mot est wejbet. » La culture joue un rôle dans la migration en chaîne. Et pour la diaspora de Diman, le sentiment de lien avec la famille et le village, ainsi que l’esprit d’entreprise, ont permis à la communauté de s’épanouir.