Wolfgang Paul Loofs

Mur d'honneur de Sobey

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32

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14

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Wolfgang Paul Loofs

Contexte:

Je suis né de parents germano-hollandais, mais j’ai grandi en Allemagne (Saxe) ; à l’âge de 18 ans, j’ai assisté à la chute de la République de Weimar, au régime d’Hitler dont six années de Seconde Guerre Mondiale, à la défaite et à la désintégration de l’Allemagne Nazie, à l’occupation américaine et soviétique et à la fuite vers l’Ouest. Comme toutes les autres familles allemandes à l’époque, la mienne avait été dévastée par la guerre : mon père était en captivité, mon frère aîné, pilote, avait été tué, mon deuxième frère avait survécu pour finir dans la Légion Étrangère Française, ma grande sœur avait été évacuée dans la zone américaine par les américains et ma petite sœur mise dans un camp d’emprisonnement par les soviétiques. On a été libérés deux fois : la première fois par l’Armée Américaine, puis par les Soviétiques (qui ont reçu la Saxe sous les accords de Yalta). J’ai vu ma part de morts et de destructions, de chaos d’après-guerre et de misère humaine, j’étais un adolescent désabusé qui devait y faire face.

Raisons d’émigrer :

Dans la zone soviétique (plus tard l’Allemagne de l’Est), les enfants d’universitaires n’étaient pas admis à l’université, alors juste après avoir terminé le lycée en 1947, je suis parti de chez moi comme pratiquement tous mes camarades de classe pour aller à l’Ouest. En travaillant pour les Forces d’Occupation Américaines, j’ai été non seulement légitimé, mais aussi confronté au mode de vie américain et c’est là que l’idée d’émigrer m’est venue pour la première fois ; mais le système de quotas en vigueur à l’époque la compromettait. Finalement, j’ai réussi à obtenir une place d’étudiant à l’université et j’ai donc pu avoir une place dans le premier échange d’étudiants avec l’Angleterre en juin 1950 – un moment décisif ! Je venais d’un foyer anglophone, admirant l’équité et l’histoire britannique; alors j’ai aimé travailler en Angleterre, même si seuls les travaux subalternes m’étaient accessibles. Je voulais rester. J’ai dû partir le printemps suivant, mais pas avant d’avoir posé ma candidature à Londres pour émigrer au Canada (des cueilleurs de pommes étaient recherchés dans la vallée de l’Annapolis). Cette candidature m’a suivi jusqu’en Écosse, en Suède et de retour en Allemagne où je me suis retrouvé sans argent au début de l’automne et avec peu de perspectives (ma petite-amie était aussi inquiète pour ma carrière).

Immigration au Canada :

Au début du mois d’octobre 1951, une lettre est arrivée de la Mission Canadienne à Hanovre qui me demandait de m’y présenter ; après un examen médical, le gouvernement me donnait un prêt de passage si je travaillais un an dans l’Agriculture ou l’Industrie Forestière et commençais le printemps suivant ou tout de suite dans l’exploitation minière. J’ai choisi la dernière option (même si je n’avais jamais vu de mine avant), j’ai obtenu mon visa et un contrat avec le Ministère du Travail le 15 octobre 1951, puis deux semaines plus tard une note de l’OIR (Organisation Internationale pour les Réfugiés) me demandait de me présenter au Camp de réfugiés Bremenlesum d’ici le 2 novembre 1951 ! Les choses avançaient vraiment maintenant, pas le temps pour les états d’âmes ou les arrière-pensées : j’allais tout laisser derrière moi ! Dans quoi je m’embarquais et est-ce que j’allais le regretter plus tard ?

Reconstitution du Voyage (inspiré d’un mini journal et de mémoires)

Dim. 4 nov. 1951 : J’espère que c’est le dernier jour dans ce camp de réfugiés bondé (8000 personnes !) où je ne connais personne, où les visiteurs ne sont pas autorisés, et où tout ce que l’on peut faire est attendre et écrire des lettres d’adieux.

Lun. 5 nov. 1951 : Excitation : Dans la nuit, mon nom a été inscrit dans la liste des passagers du Anna Salèn, et l’inscription a commencé tôt ce matin. Ensuite le train pour Bremerhaven, un processus laborieux. A midi, on nous a donné l’autorisation d’embarquer ; c’est un cargo suédois de 11000 tonnes transformé en transporteur de personnes, prenant environ 1000 personnes d’Europe Centrale ou de l’Est aux vêtements ternes, beaucoup de femmes et d’enfants. J’ai fini à la poupe du bateau et du côté du pont inférieur (D6B), beurk ! Nous nous sommes mis en route à 3h de l’après-midi, par temps frais et bruineux, quittant un port désert, je me suis senti très triste et seul, pas d’au revoir, uniquement dans le cœur, mais l’humeur était quand même positive : une nouvelle vie commence !

Mardi 6 nov. 1951 : Nuit agitée, déjà des douzaines de personnes ont le mal de mer, ce qui rend les escaliers glissants, etc. ! On donne 50 centimes par jour aux bénévoles pour qu’ils aident à nettoyer la saleté. Je fais partie des quelques personnes qui ont accepté. La traversée de la Mer du Nord dure toute la journée, le soir les falaises de Douvres sont en vue ; traversée de la Manche de nuit.

Merc. 7 nov. 1951 : Entrée au Havre le matin, 500 passagers montent à bord ! On part pour l’ouest dans l’après-midi (maintenant Oo, 50oN) dernière vue de la Normandie et donc de l’Europe, pour combien de temps ? Au départ, une nuit calme.

Jeu. 8 nov. 1951 : La mer devient agitée, beaucoup plus de personnes ont le mal de mer ! Le matin, exercice de SOS avec des résultats mitigés ; l’après-midi on peut voir le puissant Queen Elizabeth et brièvement notre navire-jumeau, le Nelly, à tribord. Position à midi : 8o30O/49oN.

Vend. 9 nov. 1951 : Dans la matinée, la mer devient de plus en plus agitée, dans l’après-midi des vagues sont vraiment grosses, aussi deux vagues de mal de mer ! Des vents forts et de la pluie, le petit navire (j’ai appris plus tard qu’il était légèrement plus grand que le traversier Vancouver-Victoria !) se soulève et grogne, des trucs glissent des tables, beaucoup de fracas et de craquements ; Alerte à la tempête ! Position à midi: 18oO/49oN

Sam. 10 nov. 1951 : De loin la pire nuit, état de la mer 10 à 11, quel trajet ! La plupart ont le mal de mer, presque personne ne s’aventure sur le pont (même pour vomir, donc une belle pagaille en bas ; sale boulot); difficile de marcher de toute façon : cordes tendues, j’ai pris des photos de la proue. A midi, la tempête s’est atténuée, un autre exercice de SOS, ça s’est bien passé. Temps moite, désagréable. Midi: 26oO/49oN.

Dim. 11 nov. 1951 : Rien d’un dimanche: pas de messe, mer agitée et désagréable toute la journée ; sur le pont, je suis plutôt seul avec mes pensées (ma petite-amie que j’ai laissé là-bas ; me rejoindra-t-elle plus tard ? Il s’est avéré que non). Midi : 34oO/48o30N.

Lun. 12 nov. 1951 : Une autre mauvaise nuit avec de grandes secousses et des houles ; tout le monde est fatigué et malade ou a mal au cœur : déjà une semaine passée en mer ! Midi : 41o30O/47o30N.

Mardi 13 nov. 1951 : Une autre mauvaise nuit, mais bien pire ; grelottant dans la neige fondue et la grêle. Près du Labrador maintenant et les cabines ne sont même pas chauffées ! J’ai demandé à un membre de l’équipage si je pouvais me faire engager, il m’a répondu qu’il n’y avait pas moyen. Position à midi : 48o30O/46oN.

Merc. 14 nov. 1951 : Enfin un temps plus calme, mais j’ai un rhume ! On est passés au sud de Terre-Neuve et maintenant on arrivera demain, après dix jours en mer (agitée), tout le monde est excité ! Position à midi : 56o30O/45oN.

Jeu. 15 nov. 1951 : Nous sommes arrivés au Nouveau Monde ! Arrivés à Halifax avant midi : au Canada maintenant ! Tout le monde a regardé, appréciant la terre ferme ; mais maintenant il y a tant à voir, le port habituel et je ne pouvais pas comprendre un mot de ce que les acconiers se racontaient ! Personne n’est autorisé à débarquer aujourd’hui ; l’après-midi, affectations sur des sites de travail de manière équitable, personne parmi nous des quelques 300 mineurs n’avait la moindre idée de l’endroit où on allait aller ! Dans une atmosphère similaire à celle du marché aux esclaves, les officiers nous ont appelés : on a besoin de six hommes pour Val d’or et ainsi de suite, mais une douzaine et quelques parmi nous voulaient aller à l’Ouest ; je voyais déjà les Rocheuses, les forêts, les lacs et les Indiens des histoires et des livres de mon enfance. Pourtant, le plus à l’Ouest qui s’est présenté était Winnipeg (en fait FlinFlon), alors on a accepté. Dernière nuit à bord du Anna Salèn !

Vend. 16 nov. 1951 : LE GRAND JOUR ! Aujourd’hui je suis officiellement entré au Canada en tant qu’ « Immigrant Reçu » ! Après mon dernier petit-déjeuner à bord (je suis l’un des rares à avoir mangé tous mes repas pendant ce voyage !), nous avons débarqué avec nos billets et nos passeports tamponnés en main pour passer la douane au Quai 21, un hall énorme, avec des centaines de nouveaux venus perplexes faisant la queue, se demandant ce qui allait se passer après. Mais tout s’est bien passé, je n’avais que des bagages à main de toute façon et au milieu de l’après-midi, notre petit groupe était contrôlé et prêt à partir. Nous avons regardé un peu autour de nous, nous avons vu le parc et l’hôtel juste à côté, et avons essayé de comprendre ce que disaient les panneaux, mais faute d’argent nous ne pouvions rien acheter (oui, j’avais mon billet de 5 $ que j’avais difficilement gagné avec le Roi George VII dessus, mais j’ai été raisonnable). Bientôt nous sommes montés à bord du Train C CNR, la Classe des Colons, c’est-à-dire des compartiments en bois avec des sièges pliables pour dormir. Nous portions tous nos étiquettes OIR numérotées et on était émerveillés à l’idée d’ « être nourris », pour cela on a reçu des coupons repas CNR. Nous sommes partis de Halifax à 6h du soir, à destination de Montréal et de l’Ouest.

Sam. 17 nov. 1951 : ça n’avait pas l’air très loin sur ma petite carte DC&I, mais le voyage a duré 24 heures, nous sommes arrivés à Montréal le soir. Changement rapide pour un autre train CNR à destination de Winnipeg ; moins d’immigrants maintenant car un certain nombre est resté au Québec. On repart, arrive en Ontario en passant par Ottawa, la capitale de ce pays ; j’ai eu le temps de voir le Parlement et le Mémorial de Guerre.

Dim. 18 nov. 1951 : On a voyagé toute la journée et toute la nuit dans un paysage hivernal interminable de l’Ontario ; je commence à bien m’imprégner des vastes contrées du Canada ! Le bruit court qu’on ira peut-être plus loin que Winnipeg ; ça me plairait bien !

Lun. 19 nov. 1951 : A midi, arrivé à Winnipeg (à mi-chemin du pays !) ; les portes ont été soufflées par le vent dès que je les ai ouvertes pour regarder aux alentours : temps très froid et venteux ! On a appris que nous irions effectivement plus loin à l’Ouest, six en Alberta, six (moi y compris) en Colombie-Britannique, hourrah ! On a changé de train CPR, on est partis le soir.

Mardi 20 nov. 1951 : Une autre nuit en train, on a passé les Prairies et Dieu qu’elles sont grandes et plates ! Un autre fuseau horaire et on arrive à Medicine Hat (on a trouvé le nom tellement drôle), en Alberta. Maintenant la Classe Touristes, avec des sièges en cuir ; il ne reste que six d’entre nous : les autres six personnes sont allées au Nord à Edmonton. Un autre fuseau horaire car on entrera en Colombie-Britannique ce soir.

Merc. 21 nov. 1951 : Après cinq nuits et quatre jours en train à traverser ce vaste pays, nous, six hommes d’Allemagne arrivons à midi en train à notre destination Nelson, en Colombie-Britannique. Là, deux camions pick-up Cominco (notre employeur) viennent nous chercher et les conducteurs veulent nous emmener tous les trois à « notre mine » ! Ainsi on se divise rapidement et on dit au revoir aux trois autres ; Frank, Sven, et moi sommes conduits à Salmo, C.B. (dans les Kootenays, juste là où je voulais être !) À ce moment-là, le contremaître nous a avancé de l’argent pour acheter les vêtements de travail nécessaires ainsi que les bottes ; je n’avais qu’une petite valise en carton et les vêtements que j’avais sur le dos et ensuite il nous a emmenés à la mine HB du coin. Là, on nous montre notre tente oui, juste une tente avec des planches autour de la base et un poële à bois, car les colis étaient toujours en construction ; mais il faisait froid et il y avait beaucoup de neige, en fait plus de neige et des longs glaçons comme je n’en avais jamais vu.

Épilogue :

Ainsi le 22 novembre 1951 j’étais employé de Cominco Ltd à Trail, C.B. J’ai remboursé mon prêt de traversée en quelques mois travaillant toute une année obligatoire sous terre ; ensuite j’ai suivi le Programme de Formation d’Essayeur de Métaux Précieux pendant deux ans et j’ai travaillé en tant que tel pendant sept ans, puis j’ai passé douze ans comme technicien de recherches. En tout, je suis resté à Cominco pendant 20 ans, de 1951 à 1971.

Je suis venu au Canada avec l’intention d’en faire mon chez-moi et de devenir citoyen dès que possible (avec mon pays sous régime communiste, y retourner n’a jamais été une option). J’ai fait ma Déclaration d’Intention après 2 ans et demi dans le pays et dans la foulée j’ai joint la Militia à Trail en 1954 (RCA), devenue RCE en 1955. Mon instructeur minier de Kimberley m’a parrainé pour l’entretien de citoyenneté à Rossland, C.B. au début de l’année 1957, où le greffier, crédule, m’a demandé : « Qu’est-ce que vous voulez ici? » car je m’étais présenté en Uniforme de l’Armée Canadienne ! (en fait, j’ai servi 27 ans dans la Réserve Primaire et 13 autres dans la Réserve Supplémentaire, soit un total de 40 ans).

Entre temps, j’avais reçu une offre d’emploi du Bureau de la Traduction du Gouvernement Fédéral ; donc ma famille et moi avons déménagé à Ottawa où j’ai travaillé comme traducteur et réviseur pendant près de 20 ans, de 1971 à 1990, quand j’ai pris ma retraite à Victoria, C.B. J’ai aussi, durant les années 80 et 90, obtenu un total de six crédits universitaires (j’ai notamment terminé ce diplôme en sciences que j’avais commencé 40 ans plus tôt en Allemagne !), si bien que maintenant je peux consacrer mon temps à un travail caritatif et au service de la communauté, notamment des missions médicales à l’étranger et ici avec la Croix-Rouge.

Le moment le plus émouvant était au début de novembre 2001 quand j’ai visité le Quai 21 avec mes deux filles pour célébrer le 50ième anniversaire de mon débarquement ici et de cette incroyable odyssée !