William Gouweleeuw

Mur d'honneur de Sobey

Colonne
11

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22

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William Gouweleeuw

Je m’appelle William (Bill) Gouweleeuw, je viens de Parry Sound, Ontario. Ma femme et moi avons récemment fait un voyage de 15 jours en autobus qui s’est terminé à Halifax. On nous a parlé de Quai 21. Étant immigrant moi-même, je voulais coopérer et apporter ma contribution à savoir « comment, pourquoi et dans quel but ? » je voulais venir au Canada.

J’ai travaillé pendant onze ans pour mon père en tant que maraîcher. Pendant la guerre, notre affaire a beaucoup souffert. Notre famille comptait trois garçons et le plus jeune était fiancé et allait se marier. Je suis l’aîné et je pouvais voir qu’il était impossible de construire un avenir en Hollande. A l’époque, j’avais tâté le terrain dans différents pays – la France, l’Afrique du Sud, l’Australie et l’Angleterre, mais je ne trouvais pas ce que je recherchais. Je me souviens qu’une fois la guerre terminée, les Canadiens m’avaient l’air bien. A ce moment-là, deux garçons de mon quartier m’ont invité chez eux un soir et m’ont dit qu’ils allaient quitter la Hollande pour immigrer au Canada. Ils m’ont aussi expliqué comment faire. Ils ont lancé le processus à la fin de 1946 et en 1947 ils étaient partis. Ils sont allés quelque part à Bradford en Ontario qui s’appelait « Holland Marsh ». Ils connaissaient des gens là-bas qui les ont parrainés. Ils avaient de meilleures chances que les miennes parce que les gens de l’église, l’Église Réformée Néerlandaise, les parrainaient. Pour moi, ça a pris onze mois. Les Églises Catholiques n’étaient pas prêtes pour ce genre de choses.

Entre temps, je me suis trouvé une belle fille et nous sommes tombés amoureux. Elle s’appelait Theodora Cornelia Maria Van Houdt. Elle avait 20 ans. Je lui ai parlé de mon projet et elle a pensé que c’était génial. Même ses parents pensaient que c’était une excellente idée. Nous avions l’intention de nous marier avant de quitter la Hollande, mais à quelques jours du mariage et de quitter le pays pour aller au Canada, il y a eu un changement. Sa mère nous a dit qu’en aucun cas elle ne la laisserait partir pour le Canada. On m’a mis à la porte et son père était envoyé pour voir où elle allait. On a continué à se voir en secret et on a décidé que je partirais toujours pour le Canada et que quand elle aurait 21 ans, je ferais tous les arrangements nécessaires pour qu’elle y vienne elle aussi. Entre temps, on se rapprochait lentement de la fin de notre relation.

Le 9 mars 1948, j’ai obtenu un visa. Mon parrain était un fermier canadien. Cela dit, je n’avais jamais travaillé dans une ferme avant, mais je me sentais assez jeune pour changer de travail et rester malgré tout dans l’agriculture. Le nom de mon parrain était George Davidson. J’étais prêt à partir le 6 avril 1948. Ce jour-là j’ai embarqué à bord du paquebot Kota Inten, transporté de la Ligne Hollande Amérique, à quai au port de Rotterdam. J’ai serré la main de mon père et celle de ma belle-mère (ma mère a été tuée le 17 septembre 1944 pendant la guerre). J’ai embrassé ma chérie et je lui ai répété ma promesse de la faire venir en 1949. Elle aurait 21 ans. Nous sommes tous allés au port où le Kota Inten était à quai. C’était le début de l’après-midi et beaucoup de personnes étaient là pour voir leurs parents partir, se serraient dans leurs bras et s’embrassaient. J’ai attendu jusqu’à ce que toutes mes affaires soient à bord. La proue du bateau a été mon logement pendant douze longues journées. Je suis retourné sur le pont supérieur pour faire signe à mes proches et le cœur serré, je me suis demandé quand je les reverrais. On a enfin levé l’ancre, il y a eu trois coups de sifflet, il était temps de dire au revoir à la Hollande. J’ai lâché un soupir et versé une larme et j’ai pensé que c’était peut-être pour toujours.

Nous sommes entrés au port de Hoek van Holland en début d’après-midi. Entre temps, je suis descendu pour m’organiser pour la traversée. J’étais surpris de voir qu’il n’y avait qu’un hamac. Il y en avait trois les uns au-dessus des autres. J’ai eu de la chance de me retrouver dans un coin, ainsi je ne devais pas en partager un au-dessus et au-dessous et j’avais assez de place pour le reste de mes bagages. Entre temps, on a annoncé que le dîner était prêt. Le cuisinier et ses assistants plaisantaient à propos de la nourriture – les pommes de terre, les légumes, et surtout, la sole frite ! Ils nous ont dit de nous assurer de remettre le poisson en mer parce que c’était sa place ! Après ça, on est retournés sur le pont. Nous avons fait signe aux gens qui étaient sur le quai à Hoek van Holland. La plupart d’entre nous sont descendus à la proue. Plus tard cette nuit-là, des officiers sont passés et nous ont tous distribué un paquet de cigarettes américaines, qui plus est, des Camel. On a adoré, mais nous les fumeurs, on a eu une grande surprise quand les officiers sont partis. Les grooms sont descendus et voulaient échanger nos cigarettes contre des cigarettes de Virginie britannique. Ils nous ont offert d’échanger l’une contre l’autre et la majorité des hommes ont fait l’échange et moi aussi. Plus tard, on a appris que dès leur arrivée, ils les avaient vendues au Canada pour le double.

J’ai passé cette nuit à connaître d’autres personnes. L’évent d’aération a lâché en un clin d’œil quand on s’est réveillés le lendemain matin, l’odeur était vraiment horrible. Après le petit-déjeuner, je suis allé sur le pont, c’était un matin clair. On pouvait voir la côte sud de l’Angleterre et il y avait une brise légère avec du soleil, mais comme il faisait froid il fallait s’habiller chaudement en milieu de journée. Les familles sont venues sur le pont supérieur avec leurs enfants. J’ai aussi rencontré une famille de sept enfants; le père était des provinces sud de la Hollande (Brabant). Il était meunier (dans une minoterie), mais pendant la guerre son moulin avait été complètement détruit, et, les larmes aux yeux, il m’a raconté son histoire. Au moment de reconstruire son moulin, le gouvernement lui a dit que s’il avait 75,000f, il le construirait pour lui. Le moulin était aussi sa demeure et ils ont eu de la chance de s’en sortir vivants car tout le reste a brûlé.

J’ai vraiment de la compassion pour cet homme. Le plus intéressant était que lui et sa famille ont fini dans la région de Blackwater. Nous avons beaucoup parlé sur ce navire. Il était déjà allé au Canada avant, pendant la Grande Dépression, mais lui et ses copains étaient allés en Colombie-Britannique et ça n’avait pas marché, alors ils étaient revenus en Hollande. Il s’appelait Bouwman, son ami Ben Van Treek (ils sont tous les deux décédés il y a des années). La traversée était pour moi très ennuyeuse : pas de divertissement, pas de bar, même pas de boissons non alcoolisées. C’était douze jours longs et mauvais. La majorité des gens venaient des deux provinces du nord, Friesland et Groningen. Le problème était que les gens de Friesland étaient soupe au lait. Alors de nombreuses fois nous avons assisté à une empoignade pour une chaise vide ! Le troisième matin à 4h, j’ai entendu un bruit bizarre. Le navire tanguait à droite et à gauche. Je suis descendu de mon hamac, je suis allé dans la cage d’escalier pour sortir et j’ai été noyé dans une vague qui est entrée par la porte. Il a fallu deux hommes pour fermer cette porte en acier. C’était là le début d’une tempête de trois jours le long de la côte irlandaise. Je suis allé dans la salle pour le petit-déjeuner en me dandinant autant que possible. Je me suis assis à la table au milieu de la salle mais à chaque bouchée je sentais mon estomac gargouiller. Deux hommes étaient assis en face de moi. L’un d’eux s’est levé. Il a dit: « Je ne tombe jamais malade » et il s’est renfoncé dans sa chaise (je crois qu’il mangeait du gruau). Tout d’un coup, la proue du navire s’est levée en l’air et est brutalement retombée. Le gars qui s’était vanté a volé en l’air. Le bol a fini sur ses genoux et il a été malade comme un chien ! Mais en y regardant de plus près, c’était aussi mon dernier petit-déjeuner pour trois jours. Je suis retourné à mon hamac jusqu’au soir. Deux jeunes garçons sont venus et m’ont demandé s’ils pouvaient emprunter mon manteau en cuir. J’ai dit oui rapidement pour qu’ils m’apportent un bon plateau de nourriture et du café. Quinze minutes plus tard, ils m’ont apporté du pain et une boîte de café et ils ont gardé mon manteau pour la nuit. Je n’ai pas eu de problème à manger au lit mais je ne pouvais pas me lever.

Le lendemain matin j’ai essayé d’aller sur le pont principal. J’ai appris que les doubles portes en acier étaient défoncées de l’intérieur. Ils m’ont crié dessus et m’ont dit de rester loin des portes parce qu’ils essayaient de les couper pour les ouvrir avec un chalumeau mais l’eau de mer n’arrêtait pas d’éteindre la flamme. Ça a duré trois heures avant que l’on puisse sortir. Quand la tempête était finie le lendemain, il y avait du soleil et il faisait plus chaud. Environ le trois quart des personnes à bord avait le mal de mer. Le plus important est qu’un bébé était né pendant le pire moment de la tempête. La maman et le bébé allaient bien. Nous avons continué pendant des jours jusqu’à ce qu’on atteigne un coin tropical. Il faisait aussi si chaud qu’on ne pouvait pas s’asseoir sur le pont ouvert : trop de coups de soleil. Ça a duré quelques jours et ensuite la température s’est stabilisée. Le seizième jour, on a senti de l’air frais venir de l’eau. Je n’avais jamais vu de dauphin et il y en avait cinq qui s’élançaient comme des jets à côté du navire. C’était un groupe joueur mais plus tard cet après-midi-là, le capitaine a lancé la sirène et nous a dit d’aller sur le pont pour voir un énorme iceberg. Quelle vue incroyable, avec le soleil qui brillait dessus, comme une énorme colonne en cristal ! Tout le monde était très excité !

Deux jours plus tard, on pouvait voir Halifax à l’horizon. Pour moi, ça n’allait pas assez vite. Plus on se rapprochait de la ville, plus les nuages s’assombrissaient et le froid a commencé à se faire sentir. De la neige mouillée et fondue et de la grêle tombaient. Quand nous avons amarré au port, tout le monde était sur le pont. Les Frieslanders ont commencé à chanter leur hymne provincial (ils avaient effectivement le leur) et ensuite l’hymne national néerlandais. Après ça, nous avons dîné sur le navire et on nous a clairement dit de rester à bord et de ne pas descendre du navire. C’était le samedi soir. Entre temps, les agents du port ont commencé à décharger le bateau. C’est vrai qu’on n’a pas beaucoup dormi cette nuit-là à cause du bruit des chaînes qui s’entrechoquaient et des moteurs, ce qui est inévitable dans ce cas. Le lendemain matin (dimanche), on nous a appelés par ordre alphabétique. On a vérifié nos papiers. J’ai fait mes adieux à un ami de mon père, un homme qui faisait la connexion avec la ligne Hollande-Amérique. Il a fait le voyage avec nous. Je lui ai donné ma dernière lettre à remettre à mon père. Je lui ai demandé ce qu’il en pensait et il a répondu: « C’est mauvais ».

Après avoir passé tous les contrôles sur le navire, je suis allé dans le hall pour faire inspecter mes bagages. Mis à part mes affaires, j’avais aussi une commande de graines de légumes d’un de nos voisins que je devais apporter au Holland Marsh en Ontario. Le jeune interprète m’a dit de tout ouvrir. J’ai dû lui expliquer que c’était du chou, du chou fleur, de la carotte, des haricots, etc. en devise néerlandaise 100+f. Une fois expliqué au douanier, il a demandé au jeune homme de me dire qu’il était illégal d’apporter des graines dans le pays. Je suis tombé de haut ! Je lui ai dit que je ne voulais pas avoir de problèmes. Je me suis dépêché de prendre le truc, de le mettre parterre et j’ai dit au garçon de le prendre avec lui et d’en faire ce qu’il voulait. Je ne parlais pas l’anglais et je n’en comprenais pas un mot. Le garçon a reçu l’ordre de prendre les sacs et de les brûler dans un incinérateur en marche. Dix minutes plus tard, j’ai quitté le hangar tremblant comme une feuille ! Ça m’avait tellement retourné que j’étais convaincu qu’ils allaient me déporter, mais plus tard le garçon m’a dit que ce n’était rien de grave. Cet après-midi-là, j’ai mangé mon dernier repas à bord avant de monter dans le train qui allait m’emmener en Ontario. Je suis allé en centre-ville pour acheter des cigarettes, des fruits et des sucreries pour le voyage en train. Quand je suis revenu, j’ai trouvé ma place dans le train et j’ai attendu jusqu’à 6h du soir avant de partir pour l’Ontario. Ils ont enfin donné les dernières instructions et on s’est mis en route.

Nous nous sommes installés et nous avons apprécié le paysage. En traversant une partie de la montagne, nous avons passé une petite ferme près du chemin de fer. Nous avons même vu un ours bizarre et un cerf qui broutaient parmi un troupeau de vaches. Quand il faisait nuit, ils mettaient le chauffage. Il y avait toujours du givre le matin et plusieurs fois on s’est réveillés sans chauffage. Ça ne me dérangeait pas, mais pour des familles avec sept ou dix enfants, c’était parfois terrible. Par chance, je devais partager mon compartiment avec un couple plus âgé qui avait la quarantaine. Je n’avais pas l’intention de dormir entre les deux, alors j’ai dû me faufiler au-dessus d’eux dans un compartiment à bagages en bois. Je suis arrivé en haut et j’ai commencé à tousser et à éternuer mais il faisait sombre là-haut et je n’ai rien vu jusqu’au lendemain matin. Un grand bruit m’a réveillé. J’ai appris plus tard qu’ils apportaient de l’eau pour les locomotives (il y en avait trois). J’ai essayé de me débarbouiller un peu. Je portais un pull blanc en laine de mouton mais quand j’ai regardé dans le miroir on aurait dit que j’étais sorti d’un casier à charbon ! J’avais de la suie d’UN seul côté. J’avais l’impression que ça faisait dix ans qu’ils n’avaient pas nettoyé ce wagon (plus tard, je l’ai signalé). Certaines personnes avaient couché leurs enfants dans les petits compartiments (bonjour le CP de CN, merci bien !) J’ai essayé de me laver autant que possible et je suis allé dans le wagon suivant pour prendre le petit-déjeuner. J’ai rencontré un homme du service d’immigration et nous avons eu une petite conversation. J’ai eu un bon petit-déjeuner avec des toasts dorés avec du jambon et du café (75 centimes Cdn). Plus tard ce jour-là, j’ai mangé un steak au dîner pour 1,50 $. Je n’en avais jamais mangé de toute ma vie ! Le lendemain, nous avons vu quelque chose qui n’arriverait jamais aujourd’hui. Le chemin de fer passait à côté d’une autoroute. L’après-midi, je pouvais voir cinq motos qui semblaient faire la course avec le train. C’était le genre de motos qui étaient utilisées pendant la guerre. Chaque motard avait un homme derrière lui et ils faisaient signe au train. Nous sommes passés sur le premier pont, les signaux du train étaient allumés pour qu’ils s’arrêtent mais ils ne se sont pas arrêtés. La course a donc repris. Cette fois, ils se sont arrêtés au prochain pont et cinq garçons sont montés à bord du train. Ce qui s’est passé est qu’au dernier arrêt où le train a fait le plein d’eau, on a dit aux passagers qu’ils pouvaient quitter le train pour quarante-cinq minutes. Ces cinq garçons ont oublié le temps et sont arrivés trop tard. Je ne sais toujours pas comment ils ont pu s’organiser avec ces motards mais ils sont tous arrivés à destination.

Le mardi matin, en me réveillant je me suis rendu compte que quelques wagons étaient séparés et je me suis retrouvé dans le dernier wagon. J’ai cherché l’agent d’immigration et, bien sûr, il était en train de manger. J’ai pris un café avec lui et lui ai demandé ce qu’il s’était passé. Il m’a dit que le train s’était arrêté à Montréal et qu’une moitié du train était restée là-bas. Je n’avais rien entendu. Il m’a dit qu’avec un peu de chance, nous serions à Toronto le lendemain vers 8h du matin et là-bas, il descendrait aussi du train. Eh bien, il avait raison. Entre 8h et 9h du matin, nous entrions dans Toronto. Il y avait du monde à la gare. Il faisait vraiment chaud là-bas. Toutes ces femmes sont venues au train, ont ouvert les portes et surtout, elles parlaient néerlandais ! Plus tard, j’ai appris qu’elles étaient bénévoles de la Croix-Rouge. Elles ont distribué des sandwiches, du café, du thé, des gâteaux, etc. La presse était là aussi et c’est là que ces femmes sont arrivées. Une femme est venue me voir et m’a demandé si ça ne me dérangeait pas de me faire interviewer par un journal de Toronto. Je lui ai dit que je ne parlais pas anglais. Elle a répondu « Pas de problème », « Je vais poser les questions en néerlandais et elle répondra en anglais. » J’ai expliqué que mon objectif était d’essayer de devenir maraîcher, que j’étais célibataire et que ma chérie était toujours en Hollande jusqu’à ce que je sois installé. Mais entre temps, j’allais travailler pour un fermier parce que je ne pouvais pas trouver de maraîcher comme parrain. Mon contrat était d’un an pour quoi que ce soit dans l’agriculture au Canada. L’entretien terminé, je lui ai demandé si elle savait où je pourrais me faire couper les cheveux et me faire raser. Elle m’a emmené chez un barbier et en une demi-heure mes cheveux étaient coupés, j’étais rasé et plus ou moins rafraîchi. Elles m’ont emmené, moi et une autre famille, là où on prendrait le train pour Lindsay. Je ne me souviens pas du nom de la famille mais cet homme devait travailler dans une pépinière (fleurs, serres).

A 11h30 du matin, j’entrais dans la gare de Blackwater, j’ai été conduit à un facteur rural dans un petit camion. Il faisait la livraison du côté du volant et moi je préparais le courrier à droite. Quand j’ai vu toutes les maisons et les granges du fermier, j’ai su que ce serait mon pays s’ils m’acceptaient et c’est justement ce qu’ils ont fait. Quand je suis enfin arrivé à la maison, j’ai rencontré mes parrains George Davidson, sa femme Eileen Davidson et leur deux garçons Larry and Morley. Je ne saurai jamais ce que le facteur et George ont dit en me voyant. J’étais enfin chez moi pour les treize mois et demi suivants. Après le déjeuner, il m’a fait visiter la ferme et la grange. Il avait deux mules, grandes avec de grosses oreilles, aussi lentes que le derrière d’un cochon savant. C’était une vie très simple et pour me faire comprendre on utilisait des pancartes, etc. Il m’a fallu environ trois mois avant que je puisse communiquer un peu. Eileen m’enseignait la langue, généralement après le dîner. Elle écrivait quelques phrases en néerlandais sur le tableau pour rendre l’anglais plus compréhensible.

Environ cinq semaines plus tard, j’ai aidé environ 35 fermiers voisins à ériger une grange. Cette ferme appartenait à la famille Baker qui avait subi un très mauvais incendie. Apparemment il y avait eu un court-circuit avec un câble brûlant complètement la grange. Je n’ai jamais rencontré de personnes aussi serviables. À la fin de la journée, toute la structure était montée. Ils m’ont invité pour le dîner et je n’en ai pas cru mes yeux. Il y avait une table longue de 20 pieds, pleine de nourriture comme dans les mariages en Hollande. Ce que j’ai trouvé là-bas était unique. J’ai écrit une lettre à mon père et je lui ai expliqué à quel point ces Canadiens étaient riches, peut-être pas financièrement, mais qu’ils avaient une quantité de nourriture comme je n’en avais jamais vu de ma vie. Globalement, je trouvais vraiment que cette vie à la campagne était excellente.

J’écoutais la radio même si je ne comprenais pas. Ils étaient très coopératifs parce que je suis catholique et ils étaient de l’Église Unie. Ils faisaient toujours en sorte que je puisse aller à l’église le dimanche. Un dimanche, vers le troisième mois, je suis allé à l’église Uxbridge Sacred Heart avec un fermier voisin et ses cinq enfants à l’arrière de son camion. C’est là que j’ai rencontré M. Bouwman et ses fils. On a été très surpris d’apprendre que nous étions tous les deux sur le Kota Inten. Après la messe, je suis allé chez lui. C’était mon jour de repos de la ferme, j’ai passé une bonne journée. J’ai dû marcher trois miles jusqu’à Greenbank pour attraper le bus de retour. À l’automne, nous sommes allés avec des jeunes gens à l’Exposition Nationale Canadienne de Toronto. Nous y avons rencontré des anciens combattants, certains qui étaient allés en Hollande, mon anglais commençait alors à être décent. Nous avons passé d’excellents moments. J’écrivais régulièrement des lettres d’amour à mon amour de Hollande. Parfois, je lui envoyais des petites choses ; une fois, je lui ai envoyé par bateau un châle en soie caché dans un journal. Ça a pris deux ou trois semaines, mais elle a tout reçu. L’été et l’automne étaient terminés et les premières neiges sont arrivées.

J’avais économisé un peu d’argent et j’ai acheté ma première voiture. Vous n’allez pas me croire mais c’était un modèle Ford de 1929 à quatre cylindres. En septembre, le beau-frère de George Davidson m’a demandé si j’avais des frères. Je lui ai répondu que j’en avais deux dont l’un était marié. Il voulait aussi parrainer un immigrant, alors j’ai écrit à mon frère Pete et après quelques « ooh » et « aah », il a accepté de venir. Il est arrivé fin octobre ou début novembre.

1948 touchait lentement à sa fin. Noël approchait et Pete et moi prévoyions de le célébrer avec des amis que l’on avait rencontrés dans la région de Uxbridge. À la veille de Noël, une tempête a éclaté avec de grands vents et a accumulé trois à quatre pieds de neige sur ces petites routes de gravillon. C’était le Noël où je me suis senti le plus seul. On était coincés aux alentours de la maison pendant quatre jours. Ensuite, la Saint-Sylvestre est arrivée et la plupart de la neige avait été dégagée au bulldozer. Pete et moi avons passé le Nouvel An avec nos amis. Cette année-là, l’hiver n’était pas si mal à l’exception d’un dimanche où nous allions à l’église et nous sommes arrivés sur une côte pentue. Il avait plu le matin, mais mis à part cette côte, les autoroutes étaient bien. Ma vieille Ford a percuté un talus sur le côté. Le moteur n’a pas lâché alors j’ai essayé de me dégager. Quand mon volant a fait trembloter ma direction, je me suis arrêté en bas de la côte et les deux roues, une devant et une derrière, avaient leurs fins rayons tellement tordus que j’ai dû en acheter d’autres. George Davidson a trouvé mes deux roues pour 5.00 $. Il était mort de rire quand il m’a vu revenir à la maison, et certains résidents aussi d’ailleurs. Le moment où Dora devait venir approchait enfin. A la fin du mois de mars, elle a eu 21 ans et a commencé à s’organiser. Elle restait avec mon père et ma belle-mère qui lui ont donné l’argent qui me revenait après la mort de ma mère pendant la bataille de Arnhem. Après avoir reçu les papiers, elle est montée à bord d’un train pour Bruxelles, en Belgique. De là, elle est partie pour Paris en France, jusqu’au Havre et a embarqué à bord d’un paquebot de la Ligne Cunard : le White Star. La date de son arrivée à la ville de Québec était le 7 juin 1949. Elle a terminé son voyage à la gare de Blackwater le 9 juin 1949. Je l’ai retrouvée à la gare. Elle était si excitée qu’elle a pratiquement poussé le conducteur de son siège ! Elle a reçu un accueil chaleureux de George et Eileen.

A partir de ce moment, nous avons commencé à organiser notre mariage. Les arrangements ont été faits à l’église Sacred Heart de Uxbridge. Le prêtre était irlandais, Père McCibney. Nous avons obtenu notre contrat de mariage et la date a été fixée pour le 14 juin 1949. Il n’y en avait qu’une dans l’église car le gouvernement exigeait que nous nous mariions sous trente jours. C’était un peu décevant car tout ce que nous avions était 300.00 $ et une vieille voiture. Quand le grand jour est arrivé, Dave (ancien combattant de la Seconde Guerre Mondiale) devait emmener Dora à l’église. Il faisait une chaleur caniculaire, 85-90 degrés F., mais le ciel était dégagé. Quand je suis arrivé à l’église, il n’y avait personne. Apparemment, mon frère Pete avait retenu Dora et Dave pour un café en ville et m’avait laissé prendre mon mal en patience ! Finalement, ils sont arrivés et il n’y avait que quelques personnes dans l’église. Entre nous deux, on n’avait qu’un seul parent, mon frère, et un ami et sa femme (Anna Denouden, qui était la demoiselle d’honneur). Une fois la cérémonie terminée, les papiers étaient signés et nous avons reçu la bénédiction du prêtre. Nous sommes ensuite allés chez des amis de la ferme, les Bakers. Ils nous ont offert un repas succulent. C’était très simple mais c’était des gens remarquables. C’était les gens que j’avais aidés à monter la grange et quand tout était terminé, nous sommes allés chez nos amis et avons passé la nuit à Leaksdale. Le lendemain matin, nous étions en route pour le pèlerinage du Martyr à Midland et y sommes restés quelques jours. Pendant la journée, il y a eu une éclipse alors j’ai dû allumer les phares de ma voiture et ça a duré plus d’une heure.

Quatre jours plus tard, en route pour les Chutes du Niagara, nous sommes partis au sud en passant par King Township. Nous avons visité la région pendant trois jours, surpris par la beauté de ce pays. Il y avait d’énormes vergers et des vignes, une région riche comme je n’en avais jamais vu avant ! Quand nous avons enfin atteint les chutes et le son puissant de la nature, nous avons décidé de rester quelques jours. Après ça, on est repartis en voiture à la ferme. Nous sommes arrivés vers 10h du soir et tout le monde était déjà couché. Nous sommes allés dormir car nous étions épuisés. Le lendemain matin, je me suis levé pour aider aux corvées et après nous avons pris notre petit-déjeuner. George nous a annoncé qu’il n’avait pas de place pour un autre couple et que je devrais trouver un autre endroit et un autre travail. Il m’a payé ce qu’il me devait et nous avons discuté de ce qui allait se passer. Le prêtre irlandais voyait les immigrants arriver par douzaine dans la région de Uxbridge. Nous lui avons téléphoné et il nous a dit qu’un fermier dans un ranch de bœufs au sud de Uxbridge avait besoin d’aide. Il a dit au prêtre d’attendre jusqu’à ce qu’il ait un endroit où nous pourrions vivre, mais la maison qu’il possédait devait être réparée. Alors, on est restés dans l’hôtel des alentours pendant une semaine et avec un voisin pendant deux semaines. L’hôtel était bien, mais avec le voisin c’était un peu différent. Il s’appelait Douglas Hall, pilote d’un escadron de bombardiers de la Seconde Guerre Mondiale. Il élevait des moutons, il avait des poulets, un tas d’enfants et une épouse de guerre, mais d’une certaine manière, on s’en est contenté jusqu’à ce que la maison soit prête et qu’on emménage. Quand nous avons emménagé, il y avait des meubles, très peu (on n’en avait aucun). Il me payait 100.00 $ par mois, mais Dora devait travailler dans la « grande » maison deux jours par semaine pour 2.00 $ la journée. Il était ce qu’on appelait un « gentleman farmer » et l’endroit s’appelait « The Sand Dune Farms Scottish Short Hornes », il n’y avait que du bétail de pure race. Il possédait une affaire à Toronto, une collection d’agence, le bruit courait qu’il avait pris la dernière vache d’un pauvre vieil homme pour payer une dette de 45.00 $.

En septembre, je n’ai pas eu de chance. J’ai eu une poussée de polio et on a appelé un docteur local qui a suggéré que j’aille à l’hôpital. Je lui ai dit que je n’avais pas d’argent et Dora ne parlait pas assez bien l’anglais pour que je la laisse toute seule. Il a dû comprendre ma situation car il est allé personnellement voir tous mes amis et leur a dit de ne pas venir me voir afin de me garder en quarantaine. Après avoir prélevé deux échantillons de ma colonne vertébrale, sans médicament, je me suis lentement senti mieux. Après quatre semaines, j’avais repris le travail. Il m’a dit d’absorber autant que possible la chaleur de l’été et ça a marché comme un miracle. Mon patron a fait une retenue sur mon salaire pour toutes ces semaines où je n’avais pas travaillé et on a dû vivre avec 25.00 $ ce mois-là. C’était un travail agréable avec ces animaux et je me sentais mieux. En octobre, Dora m’a annoncé qu’elle était enceinte. Nous étions très excités et le fait que nous n’avions pratiquement pas d’argent ne nous inquiétait pas. Nous étions aussi heureux que des enfants qui ont un jouet, mais le pire était à venir.

L’été est passé, l’automne est arrivé et est passé, ensuite mon frère Pete est venu habiter avec nous, mais ça n’a duré que jusqu’en janvier. Les mois de novembre et de décembre sont restés assez doux. A Noël, nous sommes allés à la messe de minuit sous une pluie battante. Ce temps a duré jusqu’à la première semaine de janvier et ensuite une tempête de neige est arrivée, le tout sans interruption. En deux semaines, il y avait des bancs de neige de quatre ou six pieds de haut et Dora ne pouvait plus aller à la « grande » maison. L’un des travailleurs a eu une fièvre qui a duré des semaines. Ce mois de janvier était horrible ; on avait l’impression que ça ne s’arrêterait jamais. Le pire était que, je suis allé en ville pour acheter du charbon mais on m’a dit que les mineurs étaient en grève. Cette fois, j’ai vraiment paniqué parce que je ne savais pas où trouver du fuel. J’ai parlé à mon contremaître et tout ce que j’ai pu tirer de lui était « désolé, mon gars ». Quand j’en ai parlé à mon patron, il m’a répondu: « Désolé, par contre il y a un gros arbre qui est couché dans le fossé à côté de notre maison, tu peux le prendre. » Après avoir jeté un coup d’œil à l’arbre, il était tellement trempé que ça aurait pris quatre semaines de temps très chaud et sec avant de pouvoir le brûler. Dans notre chambre, les cristaux de givre faisaient huit pieds de haut sur les murs et nous dormions sous une pile de couvertures et une cargaison de manteaux. L’eau et les pommes de terre gelaient dans le salon. J’apportais des branches mortes des buissons et ça a continué jusqu’à la fin de février. Alors le contremaître m’a donné une note du patron qui disait qu’à la fin de février, je n’aurais plus de travail (merci beaucoup !).

J’ai eu de la chance, mon frère m’a dit qu’il voulait quitter son travail à la tannerie et retourner à la ferme où il était avant. Il m’a pistonné à la tannerie et attention, le propriétaire m’a embauché à 60 centimes de l’heure. Trouver un logement était une autre histoire. Ils n’aimaient pas louer aux gens qui avaient des enfants et dont les épouses étaient enceintes. Le seul endroit que j’ai trouvé était une grande maison où il n’y avait qu’une seule pièce à l’étage. Mais c’était mieux que rien. Nous avons emprunté des chaises, un lit, une table et ça a duré quelques semaines après avoir commencé mon travail à la tannerie. Entre temps, j’ai trouvé un petit appartement en ville. Une dame, qui était invalide, le louait pour 18.00 $ par mois. Ce n’était pas très grand et après deux mois à la tannerie, j’ai eu la chance d’aller à General Motors à Oshawa. En l’espace d’une semaine, j’étais embauché et j’avais commencé à travailler dans l’équipe de maintenance. La paie était une mine d’or, 1,09 $ de l’heure ! Les cinq premières semaines, je n’étais jamais à la maison les dimanches. Avec les lignes de production en panne, on était toujours occupés le samedi et le dimanche, mais cela a alimenté notre rêve de nous acheter une maison. Le 21 juillet 1950, notre première fille est née et les dix années suivantes, nous avons été bénis avec neuf autres enfants. Un fils né en 1951, une fille en 1952, une autre fille en1953 ; une autre en 1954, un fils en 1956, une fille en 1957, une fille en 1958, un fils en 1959 et la dernière, une fille, en 1960, un heureux foyer bien occupé !

Au fils des années, j’ai été transféré à la ligne d’assemblage des voitures et ça a eu un impact sur ma santé, c’était sérieux au point de quitter mon travail à GM. En 1957, j’ai trouvé un travail de construction au moment de la construction de la St. John's Training School à Uxbridge. Quand c’était fini, j’ai trouvé un travail là-bas en tant qu’homme de maintenance et j’y ai travaillé pendant vingt ans. Comme nos enfants ont grandi et se sont mariés (sept enfants ont trouvé un travail en Colombie-Britannique), nous avons décidé de déménager à Parry Sound. Nous avions aussi déjà un cottage là-bas. Dans les années soixante, nous avons vendu notre maison à Uxbridge et avons déménagé au cottage pour quatre mois. A cette époque, nous avons acheté une maison permanente sur le même Mill Lake. En préretraite, j’ai fait une offre pour un travail avec la Garde Côtière Canadienne et ma femme et moi avons passé quatre étés comme gardiens de phares à temps partiel. L’année où j’ai eu 65 ans, tous les phares étaient automatiques.

Ce qui nous reste est cette belle vie que nous avons eu dans ce magnifque pays que j’appelle mon chez moi. Une terre où notre progéniture peut vivre en paix et harmonie.