Walter Martin Kleinwort

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Walter Martin Kleinwort

Walter Kleinwort, 1929-1965
Par Margarete (Kleinwort) Gillies

À l’âge de 23 ans, mon père, Walter Martin Kleinwort, a fait ses adieux à ses parents, à ses deux frères et ses deux sœurs dans leur village de Wedel, sur les rives de l’Elbe, non loin à l’ouest de Hambourg, en Allemagne. Même si sa famille dirigeait une importante culture de roses pour laquelle il avait travaillé, mon père, motivé par son goût de l’aventure, voulait tracer son propre chemin dans un pays qui jouissait à ses yeux d’une sorte de mystique.

Papa partit d’abord du port de Hambourg à bord du S.S. Thuringia avec son ami d’enfance, Gerhardt Neudoffer, deux de ses cousins, Hans et Heinrich Kleinwort, ainsi qu’un autre ami, Heinz Rottger, durant la seconde moitié de mars. Cependant, à la grande surprise de sa famille, un jour après leur départ, papa a réapparu à la maison de ses parents car un navire russe était entré en collision avec le Thuringia dans l’embouchure de l’Elbe. Une fois les réparations au navire terminées, les cinq jeunes hommes de Wedel ont quitté Hambourg le 3 avril, accostant au port d’Halifax le 13 avril 1929. Lorsqu’il m’a raconté son arrivée à Halifax alors que j’étais jeune fille, il m’a confié ses souvenirs de cet événement.

Une fois remplies les formalités d’immigration, papa a été surpris et heureux lorsque lui et les autres ont reçu un sac d’épicerie rempli de vivres tel que du pain, de la viande et du fromage pour le long voyage en train qu’ils devaient entreprendre. S’il y a eu un élément déplaisant durant leur voyage vers l’Ouest, c’est que les portes du train étaient restées verrouillées pour toute la durée du voyage jusqu’à Winnipeg. Comme la politique du gouvernement à ce moment-là consistait à envoyer les nouveaux immigrants dans l’Ouest canadien plutôt que dans d’autres régions plus populeuses de l’Est du Canada et de l’Ontario en particulier, aucun des passagers n’était autorisé à quitter le train avant son arrivée à Winnipeg.

Cependant, le voyage en train jusqu’à l’Ouest canadien était en soi une aventure pour mon père en raison des vastes distances parcourues et de la nature changeante du paysage qu’il a traversé. Pour mon père, le contraste entre des milles d’une forêt sans fin et les prairies planes et sans arbres, a créé un souvenir impérissable. Durant ce voyage, papa a pris quelques photographies qu’il a finies par mettre dans un album. L’information au dos des photographies révèle une chronologie de dates où se sont produits quelques événements qui sont gravés dans sa mémoire.

Durant une courte période après leur arrivée à Winnipeg vers le 21 avril, ils ont été accueillis par la famille Anderson, sur la rue Langside. La destination finale de mon père et de ses compagnons était Revelstoke, en Colombie-Britannique. Le séjour de Papa dans la région de Revelstoke n’a pas duré longtemps lorsqu’il a réalisé que son expérience de vie antérieure ne l’avait pas préparé au travail à la sueur de son front d’un travailleur du rail. Avec des pics et des pelles, papa et ses meilleurs amis ont été mis au travail sur la ligne de chemin de fer dont les méandres traversaient les Rocheuses. Un peu désabusés, ils sont partis pour Edmonton. En racontant sa brève expérience d’Edmonton, papa a indiqué que sa faible connaissance de la langue anglaise a présenté des défis lorsqu’il fallait acheter de la nourriture. Pour la première fois de leur vie, ils ont vu et mangé des bananes. Plutôt que d’acheter quelques bananes, ils en ont acheté par inadvertance presqu’un régime complet !

Au début de juin, papa, Gerhardt et un des cousins Kleinwort sont retournés à Winnipeg. Leur ressources s’épuisant, comme beaucoup de chômeurs durant ces mois précédant le début officiel de la dépression, ils ont sauté illégalement à bord de wagons couverts traversant les poussiéreuses Prairies jusqu’à Winnipeg, espérant y trouver du travail. Les photos de son séjour à Winnipeg racontent une histoire de travail et de repos dominical durant le mois de juin, alors que mon père et Gerhardt travaillaient pour un fermier à St-Paul Ouest, près de la Rivière Rouge.

Derrière l’une de ses photos, papa fait une référence humoristique à une bière bue lors d’un « dimanche sans alcool » suggérant que « ne pas travailler est un repos bienvenu ». Lors d’une randonnée en barque, le 30 juin avant leur départ de Winnipeg, mon père compare avec humour son expérience en barque sur la rivière à celle d’un autre bateau avec cette description « Mit der Thuringia auf dem Red River ». C’est avec ces événements que les aventures de papa et de Gerhardt dans l’Ouest canadien se sont terminées. Même s’il l’avait voulu, papa n’est jamais retourné dans l’Ouest.

Bien que mon père ait conservé de bons souvenirs de son voyage dans l’Ouest canadien, le peu d’ouvrage qui y était offert l’était généralement contre chambre et pension. En foi de quoi, il y a eu des moments où ils étaient affamés et réduits à voler des choses telles qu’un poulet de fermier qu’ils cuisaient à feu ouvert, loin des yeux du fermier. Plus tard, ils sont résolus à cueillir des cerises qu’ils mangeaient par plein paniers. Ayant laissé les trois autres compagnons derrière eux, le 4 juillet, papa et Gerhardt ont voyagé en train vers le nord de l’Ontario, en quête de travail dans le sud de l’Ontario.

Au cours des mois d’été 1929, les deux hommes ont travaillé pour un M. Stevenson qui était fermier dans le village de Clarkson, juste à l’ouest de Toronto. Des photos prises à cette époque montrent qu’ils vivaient dans une structure plus ou moins en ruine sur le territoire de la ferme. C’est durant son séjour sur la ferme de Clarkson que mon père a découvert une variété de maïs inconnue en Europe. Il a noté à l’endos d’une photo les mots suivants (traduits) « ce maïs était destiné à la consommation humaine » !

Il semble que papa et son ami ont découvert en août de cette année là l’intense chaleur d’un été canadien alors qu’ils avaient décidé de coucher à la belle étoile, sur le sol, dans une couverture. Durant leur séjour à Clarkson cet été là, ils sont parvenu à trouver le temps pour une excursion dominicale à Niagara Falls. Le repos dominical fut toujours important pour mon père, toute sa vie, mais il note, à l’endos d’une de ses photos, qu’il y avait quand-même les 'Sonntagmorgen Arbeit'(« tâches du dimanche matin » ) à accomplir, comme la préparation des repas et la lessive.

Alors que l’automne cédait la place à l’hiver, les deux hommes étaient de nouveau en recherche d’emploi. Grâce à l’aide du Cercle allemand de Toronto, ils ont été conduits à une pension de la rue Dundas propriété de la famille Kopp. Après deux semaines de séjour, ils se sont dirigés vers Brampton, une petite ville au nord-ouest de Toronto connue comme la capitale des fleurs du Canada. À Pâques 1930, Walter Calvert & Son avait embauché mon père et son ami pour travailler dans ses immenses serres commerciales. Mon père était enfin satisfait de sa situation puisqu’il travaillait dans un domaine qui lui permettait d’utiliser ses connaissances.

À cause des nombreuses difficultés éprouvées durant sa première année au Canada, papa m’a dit qu’il avait à plusieurs reprises été découragé et qu’il avait songé à retourner en Allemagne. Cependant, une fois passée cette première année, il n’a plus souhaité vraiment retourner vivre dans sa patrie d’origine. Avec le temps, de nouveaux intérêts et de nouveaux lieux découverts dans la région de Brampton ont remplacé les aspirations culturelles qui étaient siennes en Allemagne. Durant ses dernières années, je me rappelle que mon père encourageait d’autres immigrants désillusionnés en leur disant qu’une fois passée cette première année, les choses s’amélioreraient.

En dépit de la Dépression, les choses avaient graduellement commencé à devenir plus positives pour mon père, après son arrivée à Brampton. Même si papa était heureux d’avoir du travail dans un domaine auquel il avait été préparé en Allemagne, il savait que c’était aux dépens d’autres travailleurs. Papa n’aimait pas sentir que même s’il était moins bien payé, il devait subir le ressentiment de ceux qui avaient perdu leur emploi.

Durant ses premiers jours à Brampton, papa vivait dans une pension tenue par une dame Giffin. Pendant ses heures de liberté dominicale, il s’était fait des amis parmi les autres immigrants qui travaillaient dans les serres. Un de leurs loisirs favoris était de se rassembler autour d’un tourne-disque pour écouter de la musique en partageant le café et les gâteaux du dimanche. La chanson « Tiptoe Through the Tulips », est la pièce musicale dont papa se souvenait le mieux de ces premiers jours à Brampton. Les journaux de Toronto et un dictionnaire ont été des sources majeures pour améliorer sa connaissance d’usage de l’anglais.

Un an après leur arrivée à Brampton, papa et son ami Gerhardt ont acheté un lopin de terre et sont devenus ainsi associés dans une entreprise d’horticulture. Ce fut le début de la « Brampton Nursery Company » (Pépinière de Brampton). Deux années durant, les associés ont conservé leur emploi de jour, consacrant les soirs et les fins de semaine à tenir leur jardinerie. Durant l’été de 1932, ils ont cultivé un champ de tomates ainsi que plusieurs variétés de fleurs coupées qu’ils vendaient au marché local du samedi. À l’automne, ils ont commencé à construire la première des deux serres.

À compter de l’été 1933, papa et son associé exploitaient leur entreprise à temps plein. Ils avaient étendu leurs affaires qui comprenaient maintenant la vente de plantes en pot, en particulier des rosiers. La famille de papa, en Allemagne, avait fourni les premiers rosiers pour cette portion des affaires.

En 1934, ils ont construit une petite maison de plein pied en blocs de béton. À ce moment là, l’associé de papa s’était marié, mais papa a continué à vivre dans cette maison jusqu’après son mariage, en 1936. Bien qu’il ait consacré beaucoup de temps à son travail, papa continuait à effectuer des excursions le dimanche dans la région Brampton.

Vers la fin de 1935, avec l’aide financière de sa famille, et se sentant en rassuré en raison de l’obtention récente de sa citoyenneté canadienne, papa est retourné en Allemagne pour une visite hivernale à sa famille. C’est durant ce voyage qu’il épousa Charlotte Ossenbruggen une amie de sa sœur aînée. Inquiétés par la dégradation de la situation politique en Allemagne, papa et sa nouvelle épouse ont fait la traversée vers New-York et le Canada en mars 1936. Un autre événement difficile dans la vie de mon père s’est produit peu après son retour à Brampton ce printemps là. Il en est résulté qu’il a du vendre à l’improviste sa part de la Brampton Nursery Company l’été suivant.

Alors que papa soupesait ses prochaines étapes, il a passé l’automne et les premiers mois de l’hiver à travailler à la boulangerie familiale des Kopp à Toronto. Finalement, au printemps de 1937, papa a acheté une propriété de six acres comprenant une serre décrépite et une maison de brique avec étage sur la rue Sidney, à Trenton, en Ontario. De ce jour, et jusqu’à son décès prématuré, 28 ans plus tard, papa a consacré sa vie à « Kleinwort Wholesale Greenhouses » et à sa famille de trois enfants : Margarete, Gunter et Edda.

Grâce aux sacrifices et au labeur incessant de papa, la seconde génération canadienne descendant de Walter Martin Kleinwort et Charlotte Ossenbruggen Kleinwort a été richement comblée d’innombrables façons.

Groupe de personnes à l’extérieur de la maison assis et debout pour la photo.
Walter Kleinwort