Mur d'honneur de Sobey
Colonne
5
Rangée
11
Veke,Toini,Raili
Kaarina Parviainen
LE JOURNAL PERSONNEL D'UNE PETITE IMMIGRANTE FINLANDAISE
Cher journal,
La première année au Canada
11 juillet 1951
Je commence aujourd'hui à écrire ce journal, car nous quittons notre maison de Kuopio, en Finlande, pour aller très loin, dans un pays appelé le Canada. Mon nom est Kaarina et j'ai neuf ans. Ma sœur Raili a onze ans et Äiti en a trente-deux. Isi a cinq ans de plus.
Le train vient de quitter la gare de Kuopio avec un sifflement aigu et se dirige vers Helsinki. Raili a dit qu'elle ne voulait pas partir et elle vient de me murmurer que nous aurions dû sauter du train et courir jusqu'à la maison pour retrouver notre mummi. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée parce que je veux être avec Äiti et Isi. Raili est en colère et elle boude dans le coin, près de la fenêtre du train.
Äiti n'arrête pas de pleurer et ça me rend triste. Elle se sent très mal de quitter mummi, parce qu'elle est sa seule enfant. Nos proches étaient à la gare et il y a eu beaucoup d'embrassades et de pleurs. Plusieurs collègues de travail d'Äiti sont venus près des rails pour lui envoyer la main. Elle a encore plus pleuré. Elle n'arrête pas d'essuyer ses yeux et de se moucher.
Nous avons laissé mummi en pleurs à la maison. Elle me faisait des câlins et disait que nous ne nous reverrions jamais sur cette terre. Mais nous allons bien sûr revenir. Je suis certaine que nous n'allons pas rester au Canada pour toujours !
Je ne suis pas très contente moi non plus, car Isi a vendu notre chalet pour acheter nos billets. Nous y avons eu tant de plaisir pendant l'été. Lors de notre dernière visite, Raili et moi sommes allées dans le bois et nous avons arraché autant de muguet que possible. Nous ne voulions pas que les nouveaux propriétaires puissent profiter de nos fleurs.
Nous avons trois grosses valises lourdes et Isi dit que la prochaine fois qu'il voyagera, il n'amènera que son portefeuille et une brosse à dents dans sa poche. Il essaie d'être drôle pour remonter le moral d'Äiti et de Raili, mais je ne crois pas que ça fonctionne.
Nous avons dû laisser beaucoup de choses avec mummi, car nous n'avons bien entendu pas réussi à mettre tout ce que nous possédons dans trois valises. Le violon et la mandoline d'Äiti sont restés derrière nous. Même chose pour nos grosses poupées qui peuvent ouvrir et fermer leurs yeux. Au départ, Äiti ne voulait pas me laisser amener Vurre, mon chien en laine d'agneau, car il est si vieux qu'il brille d'usure par endroits. Elle a dit que je pourrais en acheter un nouveau au Canada. Je lui ai donc demandé si elle laisserait Raili ou moi derrière et elle a commencé à pleurer, puis a dit : « Vas-y ma chérie, apporte ton chien! » La pauvre bête est maintenant coincée quelque part au fond de la valise.
Une fois à Helsinki, nous irons jusqu'à Stockholm, en Suède, à bord d'un grand traversier, puis de là, nous irons jusqu'à Copenhague en train. C'est une ville du Danemark. C'est là que nous monterons à bord d'un grand navire pour traverser l'océan Atlantique et nous rendre au Canada. Je ne sais pas vraiment où se trouve le Canada, car l'an passé, nous avons seulement étudié les lacs et les rivières de la Finlande à l'école. L'endroit où nous allons vivre s'appelle Winnipeg. Isi nous a montré le Canada sur la carte et ça ne semblait pas être si loin, mais comme nous allons voyager longtemps avant d'arriver, je suppose que ça doit être très loin. Parfois, quand il plaisante, Isi appelle l'océan la grande flaque.
16 juillet 1951
Ici, au bureau d'immigration de Stockholm, ils ont dit qu'Isi était censé aller au Canada tout seul et que sa famille devait venir le rejoindre plus tard, après qu'il se soit établi. Mais Isi et Äiti lui ont dit qu'il nous était impossible de repartir, car nous n'avions plus de maison et que tout ce que nous possédions se trouvait dans ces valises. Après avoir discuté, ils ont dit que nous pouvions poursuivre notre route en direction du Canada.
Äiti a dit qu'elle n'allait pas laisser Isi partir seul faire face à on ne sait quelles misères. Elle veut être là, avec lui, pour commencer une nouvelle vie. Moi aussi je préfère ça comme ça. Je veux que nous soyons tous ensemble. Raili est en colère. Elle pensait qu'elle pouvait retourner en Finlande, mais ce n'est pas le cas.
18 juillet 1951
Nous sommes maintenant à Copenhague. Notre navire a neuf jours de retard, alors nous habitons avec une famille danoise. Nous sommes dans l'une de leurs belles chambres. C'est une très belle maison avec de beaux meubles. Ils ont une fille, Susanne, qui a notre âge. Elle a beaucoup de poupées et de jouets. Nous lui avons dit que nous avons dû laisser nos grosses poupées à la maison, parce qu'il n'y avait pas assez de place pour elles dans les valises. Nous devons utiliser nos mains et pointer les choses en parlant. Nous devons aussi parfois faire des dessins pour montrer ce que nous voulons dire. Nous arrivons cependant assez bien à nous comprendre. Susanne nous a amenées au parc avec quelques-unes de ses amies. Les filles nous ont appris des mots danois et nous leur avons enseigné des mots finlandais. Je trouve que les mots danois sont beaucoup plus difficiles.
23 juillet 1951
Nous restons dans un camp de réfugiés près de Copenhague. Isi a dit que la chambre qui était dans la maison de Susanne était trop chère pour que nous puissions y demeurer pendant neuf jours. Il a entendu des Finlandais parler de cet endroit et nous sommes venus. Ici, il y a beaucoup d'autres personnes qui attendent le navire et certaines d'entre elles viennent de la Finlande.
Raili et moi aimons cet endroit. Nous habitons dans une petite chambre. Nous avons des lits superposables le long des deux murs, une table de bois et pas grand-chose d'autre. Les murs sont faits d'une sorte de carton épais et friable. Certaines personnes ont fait des trous dans les murs, alors il est possible de voir dans la chambre d'à côté.
Äiti n'aime pas du tout cet endroit. Nous devons faire la file dans un grand bâtiment avec de longues tables pour avoir de la nourriture. Ils ont des assiettes minces et de minuscules cuillères minces qui plient facilement. Lorsqu'elles se brisent, nous pouvons les utiliser pour faire des dessins sur le sol extérieur ou pour percer de nouveaux trous dans le mur, tant qu'Äiti ne nous attrape pas. Elle nous laisse faire la grasse matinée tous les jours pendant qu'elle prépare le déjeuner avec Isi, puis ils nous apportent à manger sur un plateau.
Il y a un Finlandais qui joue de la guitare et qui chante dans le camp. Sa famille est toujours en Finlande et il se rend seul au Canada. Je sais ce qu'Äiti en pense! Elle n'aime pas non plus ses chansons. Elle ne veut pas que nous les écoutions, mais je crois qu'elles sont plutôt drôles, même si je ne les comprends pas vraiment. L'une d'elles parle d'un drapeau mouillé aussi noir qu'un balai à four sur lequel bondissent plein de puces. Bizarre !
27 juillet 1951
Le navire sur lequel nous nous trouvons se nomme Anna Salén. Il y a toujours quelqu'un qui crie « Achtung! Achtung » sur le haut-parleur et qui dit quelque chose que je ne comprends pas. J'aimerais bien qu'il parle finlandais pour que tout le monde puisse le comprendre.
Nous n'avons pas vu d'autres enfants sur le navire, seulement deux petits garçons. Ils viennent aussi de la Finlande. Le plus âgé a cinq ans et l'autre est encore un bébé. Ils sont introuvables la plupart du temps, car leur mère a le mal de mer et elle reste avec eux dans leur cabine.
Aujourd'hui, nous avons fait un exercice de bateau de sauvetage. C'était terrible, car la grosse cheminée beuglait tellement fort que je me suis mise à pleurer. Nous avons dû porter d'horribles gilets de sauvetage durs et encombrants et avec tous ces gens sur le pont et ce bruit horrible et assourdissant qui provenait de la cheminée, je n'arrivais pas à arrêter de pleurer. Isi était fâché contre moi et il m'a dit : « Je t'ai dit que ce n'est pas vrai et qu'il n'y a pas de danger! Alors, arrête de pleurer, pauvre fille! » Je savais que ce n'était pas vrai, mais pour une raison ou pour une autre, je n'arrivais pas à arrêter.
29 juillet 1951
Raili et moi avons des manteaux de marin rouges avec des boutons or en forme d'ancres. Äiti les a fait faire juste pour nous avant que nous quittions la Finlande. Ils sont très beaux, surtout lorsque nous portons nos nouveaux pantalons blancs. Äiti ne nous laisse cependant pas porter ces pantalons très souvent, car ils ne feraient que se salir sur le navire.
Chaque jour, nous nous assoyons dans un petit recoin confortable protégé par un bateau de sauvetage et nous inventons des histoires au sujet de l'océan. La plus grosse vague mousseuse se nomme le Prince du jour et il s'élance à la rescousse de la Princesse du jour. Elle a été capturée par le Prince de la nuit, qui se trouve à être la plus grosse vague sans mousse. Toutes les petites vagues font partie des armées et elles se battent et se cognent les unes les autres. Lorsque la mer est plus calme et qu'il n'y a pas de grosses vagues mousseuses, ce n'est pas très amusant, mais du même coup, nous n'avons pas le mal de mer.
Lorsque nous nous sentons vraiment malades, nous essayons d'inventer des histoires pour penser à autre chose qu'à nos estomacs. Parfois ça aide et parfois nous devons vraiment courir jusqu'au bord du navire pour vomir. Une fois, quand j'étais penchée sur la rambarde, un homme m'a dit que je devrais aller de l'autre côté du navire, là où le vent ne souffle pas dans ma direction, histoire que la bouillie ne me revienne pas dessus. C'est une bonne idée, mais je n'ai pas le temps de penser à la direction du vent quand je commence à courir. Parfois, je n'ai même pas le temps de me rendre jusqu'à la rambarde et c'est plutôt gênant !
Äiti, Raili et moi avons souvent le mal de mer, mais jamais Isi. Il dort sous les ponts avec les autres hommes. Ils sont dans une grande pièce qui était autrefois la cale à marchandise. La pièce est remplie de rangées de lits de camp et elle est située juste au-dessus de l'hélice. Isi dit que le bruit est assourdissant lorsque le temps est orageux (ce qui semble être la plupart du temps) et que l'hélice est hors de l'eau. Äiti et nous partageons une cabine avec cinq autres femmes et nous avons des lits superposables.
1er août 1951
La traversée de l'océan est plus longue que prévu, car nous avons essuyé un très gros orage. Le navire a dû s'arrêter et affronter la tempête pendant deux jours. La cabine était très silencieuse, mais il était difficile de se tenir debout, parce que le bateau faisait des mouvements étranges. Personne n'avait le droit d'aller dehors et Isi a dit qu'il n'y avait pratiquement personne dans la salle à manger. Même les marins étaient malades, mais pas notre Isi! Au moins, il n'a pas eu à endurer le bruit de l'hélice pendant quelques jours.
Dans la salle à manger, nous devons faire la file pour les repas. Un cuisinier barbu distribue la nourriture sur des plateaux munis de petits compartiments. La nourriture est bonne, mais malheureusement, nous devons souvent nous abstenir de manger, car nous sommes si malades que nous ne pouvons même pas la regarder.
De grosses baleines suivent le navire. Nous avons vu leurs énormes dos gris et elles soufflent de grands jets dans les airs. J'étais un peu nerveuse et j'ai demandé à Isi si elles pouvaient renverser le navire en passant en dessous. Isi a répondu : « Oh oui, puis elles aiment manger le navire pour déjeuner. » Bien entendu, je savais qu'il faisait encore des blagues! Mais tout de même, je suis contente que les baleines gardent leurs distances.
3 août 1951
Après avoir passé neuf jours sur l'océan, nous sommes enfin au Canada. Le navire s'est amarré au Quai 21 d'Halifax à 9 h 30 ce matin. Tout le monde était vraiment excité de voir de quoi le Canada avait l'air, mais moi, je suis tout simplement heureuse que ce bateau ne tangue plus. Tout ce que je pouvais voir, c'était des lumières de rue et de gros bâtiments noirs.
Nous sommes descendus du navire et nous attendons tous dans une grande salle du Quai 21. Elle est remplie de rangées de bancs, comme dans une église, mais c'est beaucoup plus grand et vraiment pas joli. Les fenêtres sont sales et pleines de mouches. La salle est bondée de gens assis qui attendent encore et encore, ils attendent qu'on les appelle pour pouvoir parler à l'un des hommes situés à l'avant de la pièce, derrière un long bureau. Ils sont lents, ça, c'est certain!
Je suis malade. Isi dit que je fais de la fièvre et il n'arrête pas de toucher mon front et de prendre mon pouls. Äiti a essayé de me donner de la poudre pour la fièvre, mais comme il n'y avait pas d'eau pour l'avaler, je n'ai pas pu la prendre. J'ai un gros ulcère très laid sur haut de mon bras gauche, où le docteur du navire m'a vacciné pour la variole. Nous avons été vaccinés à Helsinki, mais pour une raison ou pour une autre, ça n'a pas fonctionné pour moi, alors ils ont dû recommencer. C'est probablement pour ça que je suis si malade, parce que j'ai eu deux doses!
On nous a dit qu'un train se dirigeant vers Winnipeg partait vers minuit ce soir, mais il passe par les États-Unis et comme nous n'avons pas de visas, nous ne pouvons pas le prendre. Nous pouvons retourner à bord du navire pour une autre nuit plutôt que d'avoir à trouver un hôtel payant.
4 août 1951
Je n'ai vraiment pas aimé dormir à bord du navire. Tout était si silencieux, si mort sans le bruit des moteurs. Mais Isi a dormi avec nous, ça, c'était bien. La nuit dernière, Äiti et Isi sont allés faire une marche sur la berge et je suis restée dans la cabine avec Raili. Isi a dit qu'il voulait voir si le sol du Canada est solide ou s'il est mou et souple comme dans les marais où l'on s'enfonce jusqu'aux genoux. Il plaisantait bien sûr. Ils ont trouvé un magasin ouvert et ont ramené du lait dans une belle petite bouteille de verre avec un bouchon rond en carton. En Finlande, nous devions apporter nos propres contenants de lait au magasin et ils les remplissaient à la louche. J'ai bu presque tout le lait, car je n'avais pas bu de vrai lait depuis que nous avons quitté le Danemark. Ils n'avaient que du lait en poudre sur le navire et je n'ai pas aimé ça.
Ce matin, nous allons monter à bord d'un train qui part vers Winnipeg à 11 h. Je suis contente, finalement nous allons bouger !
5 août 1951
Nous sommes à bord d'un train, nous allons à Winnipeg. Le sifflet de ce train ne fait pas un beau son comme ceux des trains de la Finlande. Il siffle fort et fait un son de grognement.
6 août 1951
Ce voyage de train va durer trois jours. Isi et Äiti restent dans leurs sièges, même la nuit, mais Raili et moi partageons une couchette dans un wagon-lit. Les parents de ces deux petits garçons, ceux que nous avons vus à bord du navire, nous ont offert un lit du haut, car ils n'en ont pas besoin.
Isi a un livre intitulé Tou-Wow qui parle des Finlandais qui vivent au Canada. Il contient aussi des photos d'Indiens! J'essaie toujours de trouver des Indiens, mais je n'en ai pas vu. Ce serait super de les voir à dos de cheval avec leurs arcs et leurs flèches.
Isi a aussi un petit dictionnaire qui explique comment dire les choses en anglais. J'ai dit à Isi que je ne veux pas apprendre l'anglais et je vais toujours continuer de parler finlandais, peu importe ce qui arrive! L'anglais semble trop difficile et je ne comprends pas comment quelqu'un peut apprendre à comprendre cette langue. Äiti a dit : « Ma chère enfant, continue de parler finlandais! » Mais Isi a dit que ce serait mieux si je commençais à apprendre l'anglais, car c'est la langue que tout le monde parle au Canada.
En fait, je connais déjà quelques mots. Lorsqu'un vendeur de nourriture passe, je dis « sandvits au jambon » et il me donne un petit paquet qui contient de la viande placée entre deux morceaux de pain blanc. C'est très bon. Puis je dis merci.
7 août 1951
Aujourd'hui, après notre arrivée à Winnipeg, nous avons placé nos valises dans un taxi de la gare. Isi a montré au conducteur un bout de papier sur lequel se trouvait l'adresse du centre d'hébergement d'immigrants. L'homme a agité le bras pour nous indiquer que c'était juste au coin de la rue. Nous avons donc sorti nos valises du taxi et nous sommes allés à pied pour épargner de l'argent. Äiti et Isi ont transporté les valises lourdes et les autres choses qui semblent être apparues pendant le voyage en train, alors que Raili et moi avons transporté quelques sacs. Raili a dit qu'elle était vraiment gênée par toutes ces histoires. Tout le monde était fatigué et de mauvaise humeur. Isi essayait de faire des blagues, comme il le fait toujours lorsqu'il veut nous remonter le moral, mais ça n'a pas fonctionné. Alors il a simplement dit : « Arrêtez de vous plaindre et avancez! Ce n'est pas si loin! » Mais c'était loin, en tout cas, pour moi ça l'était !
11 août 1951
Nous avons une petite chambre avec des lits superposables dans le centre d'hébergement d'immigrants. Nous avons vraiment dormi dans beaucoup de lits superposables depuis que nous sommes partis de la Finlande. Je me retrouve toujours dans le lit du bas parce que je suis la plus jeune et parce que je bouge beaucoup selon Äiti.
Ce centre m'inquiète un peu, parce qu'il y a des barreaux devant notre fenêtre. Les autres chambres n'ont pas de barreaux aux fenêtres. Isi dit que c'est parce qu'ils pensent que notre famille est un peu sauvage. C'est drôle, mais je n'aime toujours pas ces barreaux. J'ai entendu un homme dire que ce bâtiment était probablement autrefois une prison.
Les gens peuvent rester ici pendant deux semaines. Ils disposent de cette période de temps pour se trouver du travail et un endroit pour vivre. Toutes ces choses ont été expliquées lors d'une réunion. Isi et Äiti n'ont pas compris ce que l'homme disait, mais quelques-uns des Finlandais ont compris certaines choses et ont pu leur expliquer. Quelqu'un a demandé ce qui allait arriver s'il n'arrivait pas à se trouver un emploi pendant cette période et la personne a répondu en se serrant la ceinture. Tout le monde a semblé comprendre ce que ça voulait dire et les gens ont ri.
Isi a dit qu'il y avait des personnes de 27 pays différents dans ce bâtiment. Pas étonnant qu'il soit si difficile de comprendre les gens, sauf les Finlandais, bien sûr.
Tous les matins, une dame ouvre une réserve et les gens pointent la nourriture qu'ils veulent avoir pour la journée. Chaque famille prépare ses propres repas dans une immense cuisine avec de grands poêles à gaz.
Quand j'ai faim et qu'Äiti est au travail, je mange du pain blanc et de la confiture de fraises et je fais aussi frire des œufs. Äiti lave la vaisselle du restaurant de la gare et Isi pave le stationnement d'un magasin Safeway en compagnie d'autres Finlandais.
Raili et moi aimons explorer la cour du centre d'hébergement d'immigrants. Nous sommes encore un peu tristes pour notre collection d'emballages de crème glacée et nous en avons commencé une de morceaux de verre de couleur. Il y a beaucoup de verre brisé contre le mur et nous essayons de trouver autant de couleurs différentes que possible. Il y a de la suie noire partout à cause des trains. La gare est juste à côté du centre d'hébergement d'immigrants. Nos mains sont toujours toutes sales. Nous ne disons rien à Äiti à propos de nos morceaux de verre, parce qu'elle nous les ferait probablement jeter. Nous ne nous retrouverions encore avec rien.
20 août 1951
Nous vivons à l'étage d'une maison qui appartient à deux personnes âgées. Ils viennent de la Pologne, mais ils peuvent parler anglais parce qu'ils sont au Canada depuis longtemps. Nous dormons dans le salon. Äiti et Isi dorment dans la chambre à coucher. Il y a aussi une cuisine et une salle de bain.
Chaque fois qu'une lettre arrive de la Finlande, Äiti pleure. Isi se fâche et jure que si elle continue de pleurer comme ça, il va dire à tout le monde d'arrêter d'écrire. Nous ne pensons pas qu'il va le faire. Il n'aime tout simplement pas voir Äiti pleurer. Raili m'a dit qu'elle prie tous les soirs pour que Dieu la laisse retourner en Finlande. Je m'ennuie aussi de notre maison sur la colline, de mummi et de nos cousins.
L'autre jour, Äiti a fait frire du foie. Nous ne mangions presque jamais de foie en Finlande. Ça sentait tellement bon que Raili et moi avons prétendu que nous étions des princesses et que nous mangions un repas royal de foie frit servi dans des assiettes dorées.
10 septembre 1951
Mme Wetton nous a conduits à l'école pour notre première journée. C'est une grosse dame finlandaise qui aide les immigrants finlandais. Elle a un très petit mari qui ne parle que quelques mots de finlandais. Il est canadien.
L'école est un gros bâtiment en pierre grise. À l'extérieur se trouve une grande tour de métal munie d'une glissoire de secours en forme de spirale. L'enseignante nous laisse parfois glisser dedans quand l'école est terminée. C'est amusant !
Il y a deux autres enfants finlandais dans cette classe : Eero, qui a treize ans, et sa sœur Liisa, qui a seize ans. Il y a aussi Angela et Isabella, deux sœurs qui viennent de l'Italie. Elles ont environ notre âge. Nous, les immigrants, nous assoyons tous dans la même rangée, du côté gauche de la classe. C'est une classe de quatrième année. C'est la bonne année pour moi, mais tous les autres enfants sont plus vieux et devraient être dans des classes plus avancées. Liisa semble vraiment détester le fait de devoir aller à l'école avec tous ces jeunes enfants. Son frère nous a dit qu'elle ne voulait pas venir au Canada, mais que leurs parents ont refusé qu'elle reste au pays.
27 septembre 1995
Tous les jours, j'accompagne les autres immigrants en bas et nous lisons un livre à propos de Dick et de Jane. J'aime la façon dont la petite Sally est habillée. Elle a de beaux petits souliers brillants avec des brides de cheville. J'ai toujours voulu avoir des souliers comme ceux-là! Je crois que je suis la seule qui ne comprend pas ce que nous lisons. Hier, Raili s'est fâchée contre moi parce que je n'ai pas compris lorsque l'enseignante m'a posé une question. Raili a dit que l'enseignante voulait seulement savoir si je comprenais. Eh bien,non, je ne comprends pas! Bon !
Par contre, les maths sont faciles. Les nombres du Canada sont les mêmes que ceux de la Finlande. Dieu merci !
Vera, une fille de notre classe, a une corde à sauter. À la récréation, pour jouer à la corde à sauter, il faut lui demander « est-ce que je peux jouuu-er, Vera » avec un ton chantant et plaintif. Après, il est possible qu'elle vous laisse jouer. Une fois, je voulais vraiment jouer à la corde à sauter alors j'ai gémi comme les autres et elle a dit : « NON! » J'étais vraiment gênée! Je suis partie rapidement, parce que je pouvais sentir que mes joues étaient très rouges. Je ne vais plus jamais gémir pour elle! Même si ça veut dire que je ne pourrai plus jamais faire de code à sauter de ma vie !
16 octobre 1951
J'ai découvert que le livre que l'enseignante nous lit chaque jour est Winnie l'ourson. J'ai vu les images et j'ai tout de suite reconnu l'ours. Maintenant, j'écoute très attentivement et j'essaie de comprendre. J'arrive toujours à comprendre quand elle dit « ourson », mais je n'arrive pas encore à comprendre le reste. Nous avons amené notre livre Nalle puh de la Finlande. Raili et moi connaissons certaines des histoires par cœur. Nous les adorons! Porcinet et lui sont tellement drôles.
J'ai essayé de dire à l'enseignante que je connais Winnie l'ourson et que nous avons le même livre à la maison, mais je crois qu'elle n'a pas du tout compris ce que je disais. J'ai pointé vers le livre, puis vers moi-même et j'ai dit « Nalle puh », mais elle n'a fait que me regarder avec une expression vide sur le visage.
Je crois que les enfants sont meilleurs pour comprendre le langage des signes des autres enfants, comme Susanne au Danemark. Quand nous marchons de l'école jusqu'à la maison avec les sœurs italiennes, nous parlons de toutes sortes de choses. Nous savons de quelle ville elles viennent et combien de frères et de sœurs elles ont. Nous savons toutes sortes de choses à leur sujet.
Nous savons même ce qu'elles aiment manger, comme du spaghetti ou cette chose ronde qui s'appelle de la pizza. Nous ne mangeons jamais de spaghetti ou de pizza en Finlande. Nous y mangions des patates et du pain de seigle.
31 octobre 1951
Ce soir, plein d'enfants étranges viennent cogner à la porte. Ils sont tous étrangement habillés. Certains portent des draps et d'autres ont l'aire de clochards. Ils crient tous quelque chose qui sonne comme « friandize oubétize » et ils transportent des sacs dans lesquels la propriétaire met des bonbons. Elle nous a dit de venir en bas pour voir les enfants et elle a essayé de nous expliquer ce qui se passait, mais nous n'avons pas compris. Elle disait « Halovin » ou quelque chose comme ça. Elle nous a donné des bonbons que nous avons pu ramener avec nous à l'étage et chaque fois que la porte sonne, nous courrons jusqu'au haut de l'escalier pour voir les costumes. Ils semblent avoir beaucoup de plaisir. Je me demande s'ils font souvent ce genre de chose et qu'est-ce qui se passe exactement.
25 novembre 1951
En soirée, quand Äiti est au travail, Raili et moi aimons aller marcher dans les grandes rues passantes pour regarder les néons. Notre néon préféré est situé au-dessus de la porte d'un restaurant. Il a la forme d'un œuf dans du gazon. Puis il devient un œuf avec une fissure. Ensuite l'œuf est ouvert et il y a un poussin entre les morceaux de coquille. Dans la dernière scène, les morceaux de coquille ont disparu et il ne reste que le poussin dans le gazon. Nous le regardons encore et encore. C'est presque comme un film !
12 décembre 1951
Hier, lorsque nous sommes arrivées de l'école, plein de boîtes nous attendaient. Mme Wetton avait ramassé tous ces dons d'autres familles finlandaises. C'était principalement des vêtements, mais il y avait aussi de belles boules fragiles et des objets de forme pointue. Nous ne savions pas ce que c'était, mais Mme Wetton nous a dit que c'était des décorations d'arbre de Noël.
Nous avons eu du plaisir à essayer les vêtements. Nous avons fait semblant que nous étions des modèles qui faisaient un défilé. Bien des pièces de vêtement étaient trop grandes pour nous, mais Äiti a dit qu'elle connaissait une couturière finlandaise qui pourrait les rapetisser. Il n'y avait rien pour Isi, mais ça ne semblait pas le déranger. Il n'y avait pas de jouets non plus. Dommage.
18 décembre 1951
J'ai vraiment peur, parce que Mme Wetton a dit à Äiti qu'il faisait parfois si froid à Winnipeg que les gens meurent gelés dans les rues. Le vent souffle si fort qu'ils gèlent sur place! Je prie tous les soirs pour que nous ne gelions pas cet hiver. Je n'ai jamais entendu dire que quelqu'un était mort de froid en Finlande.
Lorsque je quitte l'école pour rentrer à la maison, je fais des sculptures de neige avec les blocs que le chasse-neige pousse sur le côté de la rue. Hier, j'ai fait une sculpture vraiment jolie. C'était un bébé grassouillet en neige qui me faisait penser à la poupée bébé de mon amie Anna de la Finlande. J'ai toujours rêvé d'avoir une poupée comme celle-là! J'ai déjà dit à Isi à quel point j'en voulais une et le Noël suivant je me suis croisé les doigts et j'ai espéré que l'un des présents contiendrait cette poupée. J'étais tellement déçue! Quand j'en ai parlé à Isi, il ne se souvenait même pas que nous en avions discuté.
25 décembre 1951 Joyeux Noël !
Nous avons fait notre réveillon de Noël hier. Raili et moi avons décoré l'arbre ensemble, parce qu'Äiti et Isi étaient au travail. Nous avons accroché aux branches ces belles décorations fragiles qui se trouvaient dans les boîtes de dons. Nous n'avions que ces décorations, mais l'arbre est tout de même très beau. Les gens qui habitent à l'étage du dessous ont des lumières de couleur dans leur arbre. Elles sont très belles. Elles ressemblent à des chandelles et il y a de l'eau de couleur ou quelque chose comme ça à l'intérieur. Quand elles sont allumées, elles font des bulles comme de l'eau qui bout. L'extérieur de plusieurs maisons est décoré avec des lumières de couleur.
Mme Wetton a dit qu'au Canada, il était interdit de mettre de vraies chandelles dans les arbres de Noël à cause des règlements sur les incendies. En Finlande, notre arbre de Noël était toujours très beau. Il était orné de décorations de paille, des bonbons avec des emballages colorés étaient accrochés aux branches et il était entouré de séries de petits drapeaux finlandais. Puis il y avait les petites chandelles blanches qui produisaient leurs flammes vacillantes. Elles étaient attachées aux branches avec des ficelles. Oh, et il y avait les feux de Bengale!
Isi est rentré du travail passé six heures, mais Äiti est seulement rentrée à sept heures. Elle a fait du pouding au riz pour le repas de Noël, puis nous avons déballé nos cadeaux. Bien entendu, Joulu Pukki n'est pas venu et même si je sais qu'il n'existe pas vraiment, j'étais quand même un peu déçue. Il venait toujours visiter notre maison après le repas du réveillon et il apportait des cadeaux. J'imagine qu'au Canada... même Noël est différent.
Raili et moi avons toutes les deux reçu un crayon et des bonbons, puis nous avons ouvert un paquet que notre tante nous a envoyé de la Finlande. Nous étions vraiment heureuses de voir qu'il contenait des livres, parce que nous avons déjà lu plusieurs fois tous ceux que nous avons apportés. J'ai eu Heidi et ma sœur a eu Le jardin secret. Comme nous n'arrivons pas encore à lire l'anglais, ça fait un bon bout de temps que nous n'avons rien eu de nouveau à lire.
Nouvel An, 1952 Bonne année !
Nous venons d'arriver à Port Arthur, en Ontario. Nous sommes partis de Winnipeg en train et nous avons voyagé toute la nuit en compagnie d'un couple finlandais. La première chose que j'ai remarquée c'est cette grosse colline. « Regardez tout le monde, une colline! » J'ai pleuré et tout le monde a ri.
Je crois que nous sommes tous heureux de voir un paysage qui ressemble plus à celui de Kuopio. Isi dit qu'il y a beaucoup de Finlandais qui vivent dans cet endroit. Je crois que je vais aimer Port Arthur. Je ne voulais pas rester à Winnipeg et geler dans la rue, alors je suis bien contente que nous soyons partis! L'homme qui a fait le voyage de train avec nous a une sœur qui habite ici, à Port Arthur. Nous allons demeurer avec sa famille pendant un certain temps, jusqu'à ce que nous trouvions un endroit où habiter.
12 février 1952
Äiti et Isi travaillent tous les deux dans un camp de bûcherons et ils reviennent seulement à la maison la fin de semaine. Äiti fait la cuisine et Isi coupe des arbres. Raili et moi sommes toujours ici avec cette famille finlandaise et la dame nous donne nos repas. Le reste du temps, nous restons dans notre chambre. Nous lisons, nous faisons du coloriage, nous inventons des histoires ou nous faisons nos devoirs. Nous nous allongeons sur le lit double parce que dans cette chambre, il n'y a même pas de table pour travailler.
Parfois, je rentre à la maison pendant l'heure du dîner, je m'assois près de la fenêtre et je mange du cacao et du sucre en regardant les enfants dans la cour d'école. Raili retourne à l'école quand elle a fini de manger, mais les enfants se moquent de moi parce que je suis grosse. Je n'aime pas retourner et jouer avec eux. Et mes genoux font mal quand je marche.
Pâque 1952
Nous habitons maintenant à l'étage d'une maison qui appartient à une famille finlandaise. Ils ont un garçon de notre âge, mais il ne nous parle jamais parce qu'il est gêné et parce qu'il ne parle pas très bien finlandais. Nous avons une cuisine et un salon, mais la salle de bain est en bas.
Je suis contente qu'Äiti ne travaille plus dans le camp de bûcherons. Maintenant, elle s'occupe des tâches ménagères tous les jours. C'est vraiment mieux, parce que maintenant elle peut nous faire à dîner et s'occuper de nous. Elle a regardé mon genou et a dit que c'était probablement simplement de la douleur de croissance. Il fait moins mal.
Nous allons maintenant à une école différente. Ça fait trois écoles en une seule année scolaire. Je suis encore en troisième année et je suis beaucoup plus grande que les autres enfants. Je suis à l'arrière de la classe et la plupart du temps je reste assise et je dessine parce que je n'aime pas être ici avec tous ces enfants, à faire des trucs de bébé.
15 juin 1952
Au bout de notre rue se trouve un champ au milieu duquel il y a une grosse roche. Nous l'appelons « la roche soleil », parce qu'elle est vraiment belle et chaude quand le soleil la réchauffe. Nous l'escaladons et nous nous assoyons dessus, puis nous inventons des histoires drôles. Nous rions parfois si fort que nous tombons en bas de la roche! Une fois à la maison, Raili écrit les histoires dans un carnet de travail et je dessine les images. Les histoires ne sont pas aussi drôles une fois écrites, parce que nous ne pouvons pas reproduire les voix que nous faisions sur la roche par écrit. Nous avons notre propre maison d'édition qui s'appelle « Les éditions filles Parviainen ltée ». Nous avons notre propre logo et tout.
3 août 1952
Il y a aujourd'hui un an que notre navire est arrivé au Quai 21 et que notre famille est arrivée au Canada !