Mur d'honneur de Sobey
Colonne
11
Rangée
23
Morris Josef Haugg
Je suis arrivé au Canada par le Quai 21 et je suis aussi heureux aujourd’hui d’être membre du Musée canadien de l’immigration du Quai 21. J’ai toujours été réticent à raconter mon histoire car je me suis souvent dit qu’elle ne serait jamais aussi impressionnante que toutes celles que j’avais pu lire durant mes visites au musée.
C’est à la lecture d’un article dans la revue Passage à propos de M. Arthur Vaughn, un ancien agent d’immigration qui avait travaillé de 1945 à 1965 au Quai 21, qu’il m’est venu l’idée et la motivation de relater mes souvenirs.
La plupart des immigrants arrivaient au Quai 21 par bateau. Ces immigrants arrivaient de différentes parties du monde et s’en allaient rapidement s’installer à différents endroits au Canada après une fois passées les douanes. Mon histoire se déroule autrement. Non seulement je suis arrivé d’une façon différente (en train) mais j’arrivais aussi d’un autre endroit (le Québec) et j’y suis restée beaucoup plus longtemps que bien des personnes. Le 10 mai 1960, tôt le matin, je suis arrivé au Canada à bord du navire Seven Seas et ce, en passant par le port de Québec. Là, j’y ai passé les douanes. Mon billet de traversée était valide jusqu’à Montréal alors j’ai décidé de monter à nouveau à bord et je suis arrivé à Montréal le jour suivant. Ma destination finale étant l’Est du Canada, je m’étais déjà procuré un billet de train pour aller à Halifax. Toutefois, je souhaitais d’abord avoir une idée de cette ville. La première grande ville d’Amérique du Nord que j’avais la chance de visiter. J’étais sidéré devant les immenses édifices. Particulièrement celui de la Sun Life, qui était à l’époque le plus grand édifice de tout l’Empire Britannique. J’avais passé la journée entière à me balader sans but précis et je commençais à me sentir un peu perdu. Je ne suis donc restée qu’une seule nuit à Montréal et j’ai ensuite commencé mon périple vers Halifax. Le voyage en train était magnifique et je suis arrivé le vendredi 13 mai en après-midi. Je me suis présenté au Quai 21 en taxi, laissant à la gare ma malle et mes autres bagages. En raison de l’heure tardive, personne ne pouvait traiter mon dossier. Un membre du personnel m’a donc assigné un lit, m’a expliqué où se situait la cuisine et m’a conseillé de faire comme chez moi jusqu’au lundi matin.
Mis à part quelques employés, j’étais le seul immigrant. Je trouvais cette situation étrange puisqu’ il y avait des salles immenses avec des lits superposés, des douches, des rangées de toilettes, une cuisine pouvant servir une centaine de personnes. Pourtant, j’étais le seul dans cet immense espace. Le personnel était très attentionné et la nourriture était très bonne, même si elle ne m’était pas familière. Je me souviens très clairement d’avoir mangé pour la première fois de la Jello verte pour le dessert.
Il n’y avait pas de douches dans la maison où j’avais grandi alors j’ai grandement apprécié les douches au Quai 21. J’en prenais aussi souvent que possible. Du reste, j’avais passé la fin de semaine à me balader à travers la ville et à faire différentes rencontres autant agréables que désagréables. Mais elles demeurent sans intérêt dans le récit que je vais raconter.
Le lundi matin, je me suis présenté à un douanier qui s’est occupé de mon dossier. Par la suite, j’ai été transféré à un agent qui m’a pris sous son aile en me demandant ce que je voulais faire et dans quelle région je souhaitais m’installer. Cet homme aurait pu être le M. Arthur Vaughan qui figurait dans la revue Passage. Il était très aimable, paternel et aidant. Il a lu mon dossier et a découvert que j’avais travaillé dans une manufacture et m’a proposé un emploi en lien avec mon expérience. Il m’a aussi offert un emploi dans un restaurant qui employait de jeunes immigrants. Précisons que j’étais venu au Canada de mon propre gré et que j’avais alors à peine 18 ans. Je n’avais aucune parenté, aucune connaissance, personne sur qui je pouvais compter. L’aide que j’ai reçue de cet agent d’immigration, au Quai 21, m’a été primordiale. J’avais indiqué sur mes formulaires d’immigration que je souhaitais travailler sur une ferme. Nous avons donc regardé cette dernière option puisque j’avais manifesté peu d’enthousiasme face aux deux dernières offres d’emploi. J’ai finalement choisi un endroit où j’allais pouvoir travailler et l’agent a même offert de m’y conduire. Je lui ai demandé de prendre ma malle et mes bagages mais il a refusé. Il m’a expliqué que sa voiture n’était qu’une petite anglaise qui ne ressemblait en rien aux belles grandes Mercedes auxquelles j’étais habitué en Allemagne. Il ne se rendait pas compte que, dans ma famille, nous ne possédions pas de voiture et que le seul fait de posséder une voiture était un luxe pour moi. Nous nous sommes organisés afin que ma malle soit acheminée vers Amherst en Nouvelle-Écosse, puisque j’avais décidé de m’installer sur une ferme non loin de là.
Par la suite, l’agent m’a conduit de Halifax à Amherst via Tatagamouche. Ensuite, il a appelé un de ses ‘protégés’, un autre jeune qu‘il avait aussi aidé à s’installer dans le nord de la Nouvelle-Écosse.
Finalement, en périphérie d’Ahmerst, nous sommes arrivés à la ferme en question. Il m’a déposé en me donnant quelques recommandations de dernière minute et en me pressant de lui téléphoner ou de le contacter si j’avais besoin d’information ou d’aide. J’étais trop enthousiaste pour me dire que j’aurais peut-être d’autres questions. J’étais loin de me douter que j’allais revoir mon agent d’immigration. Six semaines plus tard, alors que j’étais en train de peindre une enseigne devant la ferme, une voiture s’est approchée et un homme en uniforme m’a demandé comment je me débrouillais. Tout d’abord, je ne le reconnaissais pas mais il me posait beaucoup de questions à propos de mon adaptation et c’est là que j’ai réalisé qui était devant moi : l’agent d’immigration. Il était revenu pour s’assurer que tout allait bien pour moi. Cela m’a fait me sentir si bien. Je lui ai dit que tout allait bien, que les gens me traitaient bien et que j’étais très heureux d’être au Canada. C’était la dernière fois que j’ai eu affaire avec Immigration Canada. Ce n’est que de nombreuses années plus tard, après mes études universitaires et après mon école de Droit, que j’ai eu à me rendre à Halifax. C’est uniquement à ce moment que j’ai vu à nouveau le Quai 21. Ce fameux Quai 21 où j’avais débarqué et où j’avais reçu une aide si précieuse pour commencer ma nouvelle vie au Canada.
À propos, j’ai maintenant 61 ans, je suis partenaire sénior d’un cabinet de sept avocats à Amherst en Nouvelle-Écosse. Je suis marié et j’ai deux enfants ainsi que 3 petits-enfants et demi. Il va sans dire que je n’ai jamais regretté mon installation au Canada.