Mur d'honneur de Sobey
Colonne
36
Rangée
18
VOICI MON HISTOIRE
(par Antonietta Gallelli)
C’est le 21 juillet 1955 que le Volcanic a quitté le port de Naples. L’agitation que je ressentais à l’idée de m’en aller vers un nouveau pays, tout là-bas de l’autre côté de l’océan, et mon goût pour l’aventure (j’avais 15 ans) ont fait en sorte que les adieux à la famille n’ont pas été trop pénibles.
Après avoir mouillé dans plusieurs ports de la Méditerranée pour prendre des passagers, le navire nous a ammenés à Lisbonne, la dernière ville européenne avant de traverser l’Atlantique. En tout, la traversée a duré 13 jours. Certains jours, les vagues étaient plus grandes et la couleur de l’océan s’intensifiait, tout comme mon anxiété. Les jours les moins mauvais, j’aimais me tenir à la proue du navire, le regarder fendre les vagues, projeter l’écume et regarder les dauphins qui faisaient la course à côté. C’était là que j’ai commencé à rêver à cette nouvelle terre.
Le 4 août 1955, nous avons pu voir la côte : Halifax. À ce moment-là, j’étais tellement impatiente que le temps qu’il a fallu pour amarrer m’a semblé plus long que toute la traversée. Mon imagination s’est transformée en réalité et malgré mon jeune âge, ou peut-être à cause de cela, j’ai été frappée par les visages fatigués et tristes des autres passagers. Il s’agissait d’un douloureux rappel des endroits et des gens que j’avais laissés derrière moi.
Des années plus tard, je me souviens encore du visage sévère des agents d’immigration qui traitaient mécaniquement nos dossiers. J’avais imaginé des sourires chaleureux. Je suppose que ce n’était pas réaliste de penser que ces personnes-là pouvaient s’occuper de milliers de gens avec chaleur.
Je suis ensuite montée à bord d’un train pour ma destination, Ottawa, mais auparavant, on nous avait dit d’aller acheter de la nourriture pour le voyage. C'est là que je me suis sentie étrangère. Ça a été difficile de me faire comprendre et de comprendre moi-même ce qu'on me disait. J’ai acheté un morceau de pain en tranches, je l’ai pris dans les mains et l’ai tâté pour tester sa fraicheur et quand j’ai vu qu’il avait rapetissé d'autant, j’en ai acheté 5 autres, certaine que cela serait assez pour une personne. J’ai été tellement surprise quand j’ai vu la quantité de pain que j’avais achetée ! Il avait un drôle de goût, un rappel amer de ce que j’avais laissé derrière moi. Une femme plus âgée m’a généreusement offert quelques-uns de ses «taralli» (biscuits secs), un goût que je connaissais bien.
Le trajet en train de Halifax à Ottawa m’a déçue. Le paysage que j’avais imaginé, plein de petites maisons pittoresques, ne correspondait pas à ce que je voyais. À la place, mes yeux voyaient défiler de longues étendues plates et ternes.
Quarante-cinq ans ont passé. Je suis bien mariée et j’ai une famille à moi. J’ai vu ce pays grandir, changer et il m’a façonnée tout autant que moi, je l’ai façonné.
Je suis deux personnes à la fois : je suis un fier Canadien et je suis un fier Italien. Voici mon histoire.