La Pensée historique (5) : Analyser les causes et les conséquences

par Steven Schwinghamer, Historien
(Mise à jour le 28 janvier 2022)

Le quatrième élément de la pensée historique identifié par Le projet de la pensée historique (http://histoirereperes.ca/) est l’analyse des causes et des conséquences. Le classement des causes et des conséquences est l’une des sources plus fréquentes de difficulté — et peut-être d’erreurs — dans la construction des histoires. Les relations causales peuvent être difficiles à mettre en place correctement, surtout quand elles sont enracinées dans un passé inconnu et complexe.

Dans le cadre de notre exposition temporaire, Façonner le Canada : l’exploration de nos paysages culturels, nous avons examiné comment les communautés immigrées ont créé et façonné les paysages culturels canadiens. Nous avons abordé l’identification et l’exploration des paysages culturels à travers un certain nombre de lentilles, dont l’une était de voir de quelle manière le loisir et la récréation communautaires pouvaient influencer les espaces publics et partagés. Dans ce contexte, nous avons creusé l’histoire des immigrants sikhs au Canada, dont la création d’espaces publics et leur participation dans ceux-ci ont donné lieu, depuis un siècle, à des paysages complexes et étonnants de croisement culturel.

Les communautés sikhes du Canada partagent des liens envers une expérience complexe et hautement conflictuelle de l’immigration canadienne. Parmi les plus importantes étapes historiques du début de leur immigration se trouve leur bataille avec les gouvernements fédéral et provinciaux canadiens sur l’exigence de « voyage continu », qui imposait que tout immigrant au Canada devait arriver par un passage direct en provenance de son pays d’origine. C’était généralement impossible pour les immigrants de l’Inde. Tous les itinéraires passagers en provenance de ports indiens incluaient des arrêts dans d’autres ports et même des changements de navires avant la traversée du Pacifique vers le Canada. La Loi faisait implicitement barrage à l’immigration en provenance de l’Inde. Ce conflit a atteint son apogée dans le refus du Komagatu Maru. Le navire est arrivé en 1914, transportant près de 400 passagers sikhs. Le navire arrivait de l’Inde, mais s’était arrêté à Hong Kong en cours de route. Lorsque le navire est arrivé à Vancouver, il n’a pas été autorisé à accoster. Du 23 mai jusqu'au 23 juillet, le navire est demeuré en eaux canadiennes. Tous, sauf une vingtaine de passagers, se sont vu refuser l’entrée au Canada. Occasionnellement, même des fournitures de base comme de la nourriture et de l’eau leur était refusé. Finalement, le navire a été contraint de quitter les eaux canadiennes et de retourner vers l’Inde.

De façon générale, l’exigence de « voyage continu » et le refus du Komagatu Maru sont pointés comme des exemples de racisme de la Côte Ouest du début du XXe siècle. Est-ce que la cause et la conséquence peuvent être aussi claires dans ce cas ? Le racisme est une partie essentielle de cette histoire, mais des nuances importantes ne sont pas visibles sans un examen plus poussé. Si nous nous arrêtons à la race — et peut-être nous féliciter d’en faire une histoire critique qui montre un moment vraiment sombre de l’histoire de l’immigration et des relations interraciales— nous passons à côté de toutes sortes d’autres éléments d’influence. Qu’en est-il de la classe ? Qu’en est-il du fait que de nombreux Indiens étaient, comme les Canadiens, des sujets britanniques colonisés ? Qu’en est-il de Punjabi et la politique d’indépendance de l’Inde face à l’Empire britannique ? Et comment cela se rapporte-t-il à l’environnement d’alors des pseudosciences de la race ?

Je soulève ces questions pour rappeler qu’il est problématique de commencer et d’arrêter la conversation sur une seule cause ou une seule conséquence, même si celle-ci est tout à fait crédible, valable et fondée sur la preuve. Cette simplification est une erreur fréquente lorsqu’on examine les événements du passé.

L’autre erreur fréquente dans l’approche du passé est une erreur logique définie : « post hoc ergo propter hoc », qui signifie approximativement « après le fait, donc à cause du fait ». L’erreur peut être expliquée à l’aide d’un exemple : si vous donnez votre adresse électronique à un nouveau détaillant et que vous commencez à recevoir davantage de courriels indésirables, les deux sont-ils nécessairement liés? Il se peut qu’une liste d’abonnement antérieure ait été vendue par hasard à environ le même moment. La concordance temporelle n’est pas à elle seule une indication de causalité.

Les causes et les conséquences sont rarement simples et pour les traiter avec honnêteté, nous devons évaluer un événement ou une personne dans le cadre unique du passé, sans le juger dans notre milieu moderne. Cela nous amènera à notre prochain concept de discussion : Adopter des perspectives historiques.

Quelques images de la section « Les loisirs » de l’exposition Façonner le Canada, mettant en vedette des portraits photographiques contemporaines de Naomi Harris.

Un portrait encadré de six belles jeunes femmes portant des robes traditionnelles colorées.
Crédit : © SteveKaiserPhotography.ca
Un long mur avec plusieurs portraits encadrés et des plaques turquoises de texte.
Crédit : © SteveKaiserPhotography.ca
Cinq hommes portant des turbans et des manteaux de cuir tournent le dos à la caméra et regardent l’horizon.
Crédit : © SteveKaiserPhotography.ca
Deux portraits, l’un grand et l’autre plus petit, illustrent tous deux un jeune lutteur dans des poses de lutte.
Crédit : © SteveKaiserPhotography.ca
Author(s)

Steve Schwinghamer

Un homme, vêtu d'une chemise et d'un pantalon kaki et portant un sac à dos, se tient sur un terrain rocheux.

Steve Schwinghamer est historien au Musée canadien de l’immigration et est affilié au Centre d’histoire orale et de récits numériques de l’Université Concordia. Avec Jan Raska, il a co-écrit Quai 21 : Une histoire Il s’intéresse aux politiques et aux lieux de l’immigration canadienne, en particulier au XXe siècle.