Mur de Service
Colonne
14
Rangée
23
J’ai quitté le Canada en tant que sergent-chef et deux ans et demi plus tard, je suis revenue au Quai 21 en tant que simple soldat. Vous allez penser: « Quel tire-au-flanc ! » Alors, voici ce qui s’est passé.
Pourquoi diable une jeune femme de 22 ans joindrait l’armée surtout dans les premières années de la Seconde Guerre Mondiale ?
C’est pourtant ce que j’ai fait ! Je ne sais pas pourquoi, pour faire quelque chose de différent ; pour avoir un emploi convenable et sûr ; d’élégants uniformes ou peut-être parce qu’une amie de longue date avait rejoint l’armée et avait dit qu’elle menait une vie fantastique. Elle m’a dit qu’il y avait des gens, des emplois et des hommes très intéressants. Quel changement par rapport au travail à la banque sans compter que notre pays était en guerre. J’ai intégré l’armée le 11 novembre 1941 et j’y suis restée jusqu’en décembre 1945.
J’ai demandé à être conductrice et j’ai adoré ce travail. J’ai suivi un entraînement de base à la vieille armurerie sur University Avenue à Toronto. Je conduisais les voitures du personnel, des jeeps (il y en a une que j’ai fait monter et descendre les escaliers au Old City Hall à Toronto pendant un événement à Victory Loan qui rassemblait des milliers de personnes). Je conduisais de gros camions de l’armée que nous avions appris à conduire dans des convois. J’avais toujours des problèmes avec les vitesses. C’était bien longtemps avant les transmissions automatiques et la direction assistée. Je suis devenue mécanicienne de moteur ; j’ai suivi un cours et j’ai touché 10 centimes de plus par jour ! Je donnais des leçons de conduite aux gamins qui entraient dans l’artillerie et pour certains d’entre eux, je pensais : « Si je survis à ça, je peux survivre à la guerre ! ».
Ensuite, j’ai été rattachée au Régiment Royal de l’Artillerie Canadienne et plus tard, j’ai temporairement travaillé pour le département des Relations Publiques où j’étais impliquée dans de nombreux évènements publics tels que la communication audiovisuelle, les célébrations à l’Hôtel de Ville, les vedettes de cinéma et les reconstitutions de batailles à Riverdale Park (à Toronto).
J’ai rencontré des gens renommés et je suis apparue dans de nombreuses photos publicitaires dans des journaux, des magazines et des brochures et, comme un photographe me l’a fait remarqué : « Ce n’est pas parce que tu es belle mais parce que tu es là. »
Je conduisais des véhicules du personnel pour de nombreux trajets à l’extérieur de la ville où je livrais le courrier en camionnette à Camp Borden (à l’ouest de Barrie en Ontario), je conduisais des officiers à des évènements importants. On n’avait pas à rentrer pour une heure particulière de la nuit. On pouvait toujours dire que nous partions emmener quelqu’un.
A ce moment-là, la Hollande, la Belgique et la France étaient tombées sous les griffes des Allemands. Les Canadiens étaient grandement impliqués dans le célèbre Débarquement de Dieppe, surtout l’Infanterie Légère du Royal Hamilton. Certains maris, des frères et des amis des filles C.W.A.C. (Canadian Women Army Corps) étaient dans ce débarquement qui nous a rapprochées de la guerre.
Comme j’avais travaillé à Toronto et ses alentours pendant plus d’un an, j’ai décidé que je voulais aller outre-Atlantique. Je voulais être plus utile dans l’effort de guerre et je voulais voir l’Angleterre. Souvenez-vous qu’à l’époque, la seule manière d’aller en Angleterre, c’était en bateau et d’habitude c’était uniquement si vous étiez posté à l’étranger.
Il n’y avait aucun trafic aérien commercial et les navires de passagers étaient maintenant des navires de transport de troupes. Il y avait une autre raison aussi : là-bas, un garçon qui m’était très cher m’attendait.
Maintenant, j’étais sergent. Il y avait un vieux proverbe qui disait que si vous aviez un problème avec un soldat, vous lui donniez un galon et ensuite il devait prendre ses responsabilités. C’est pourquoi je suis montée dans les rangs. J’ai trop de choses à dire. Alors, j’ai d’abord été soldat de première classe, puis caporal-chef mais toujours conductrice. Quand je suis devenue sergent, je faisais plus d’heures de bureau et mais je conduisais toujours les véhicules du personnel.
J’ai été acceptée au troisième appel sous les drapeaux outre-Atlantique. J’ai convaincu les officiers que je serais capable de reprendre le travail de quartier-maître dans les garnisons d’intendants militaires en Angleterre. A l’époque, le monde du travail était toujours un monde d’hommes et nous les femmes, on y allait pour remplacer les hommes dans des postes qui n’étaient pas sur le terrain. En tant que femmes, on devait convaincre les officiers que nous étions assez intelligentes et disciplinées pour remplir des postes à responsabilités. Je suis devenue sergent-chef pour remplir mes fonctions outre-Atlantique.
On était en route ! Je suis rapidement rentrée chez moi à Orillia et ensuite je suis partie pour Toronto en mars 1943 pour quatre mois d’entraînement à Sainte-Anne-De-Bellevue au Québec.
En juillet 1943, nous sommes arrivés en train de Saint-Anne-De-Bellevue au Quai 21. Je me souviens encore descendre du train et marcher vers ce grand bâtiment. Ça ressemblait plutôt à une grange. Bien entendu, je venais d’une ferme alors pour moi, ça ressemblait à une grange. Nous sommes entrés et nous sommes montés au deuxième étage où nous avons traversé une passerelle pour monter à bord du gigantesque navire Queen Elizabeth parmi 17 000 troupes, uniquement des hommes à l’exception de 139 C.W.A.C. et de quelques infirmières. Et bien évidemment, tous les hommes nous interpelaient et nous faisaient signe de la main. Ils étaient plutôt contents de voir des femmes monter à bord ! Mais on nous a envoyées à un pont supérieur et on nous a laissées seules. Je crois qu’une fois ils avaient eu des problèmes à bord d’un autre navire avec des femmes qui avaient fait la fête avec des hommes, alors on nous a séparées.
Nous sommes partis pour l’Angleterre sans escorte. Le Queen Elizabeth était trop rapide pour que les sous-marins puissent le rattraper. Mais pendant 500 miles, un démineur est resté plusieurs miles devant nous. (Ce que je ne savais pas, c’est que mon cousin était à bord de ce démineur). Nos cabines, conçues à l’origine pour deux ou quatre personnes, ont été modifiées pour contenir 21 lits superposés en bois à trois étages tellement serrés qu’on avait à peine de la place pour s’y glisser, il y avait également une allée étroite et des toilettes ce qui n’était pas génial pour les maladies liées aux voyages en bateau. Nous avions deux repas par jour afin de laisser de la place au grand nombre de troupes qui étaient nourries.
Quatre ou cinq jours plus tard à l’aurore, nous remontions l’estuaire de Clyde en Écosse. Les gens étaient alignés le long des rives et nous faisait signe de la main, se réjouissait de notre fanfare de l’Infanterie Légère du Royal Hamilton qui jouait de la musique. C’était la vue la plus paisible que l’on puisse imaginer, alors c’était difficile de croire que ce pays était en guerre depuis presque quatre ans.
Eh bien, j’étais sergent-chef, faisant lieu de quartier-maître pour les 139 C.W.A.C. qui étaient parties outre-Atlantique. Et c’était loin d’être romantique ! Ils ont dit : « Vous n’allez pas à Londres. Vous allez à la Base de Lessive N°1 et si vous pensez que vous allez ailleurs, vous êtes folles ! » La plupart des C.W.A.C. en Angleterre avaient été envoyées à Londres pour travailler dans des quartiers généraux militaires. Notre unité s’occupait de la lessive de l’hôpital. C’était un travail vraiment essentiel parce qu’il y avait plusieurs hôpitaux dans cette région. C’était Camp Borden, Hampshire, près de Aldershot. Nous les C.W.A.C. étions rattachées au Royal Canadian Army Service Corps. Les hommes avaient un quartier-maître et nous avions un quartier-maître. Il fallait toujours que les hommes soient responsables, alors j’ai été nommée sous-quartier-maître.
Les 139 filles venaient de partout au Canada et elles remplissaient des tâches liées à la lessive. Mon travail était de m’occuper des vêtements des filles. Je devais donner tous les vêtements et l’équipement, les uniformes, les uniformes de combats, les chaussures, les jupes, les sous-vêtements, les bas, toutes les choses essentielles. Je suis restée en Angleterre un an et demi.
Mais, je voulais rejoindre le continent. J’ai plusieurs fois essayé d’obtenir un transfert pour la France, mais en vain. Alors, en septembre 1944, comme par hasard, on m’a dit que je pouvais y aller si j’acceptais de redevenir simple soldat. J’y ai bien réfléchi et j’ai répondu, oui ! Après tout, maintenant que j’étais si proche, je n’aurais pas été heureuse à moins d’être là-bas. Je suis allée travailler aux Registres des Victimes, rattaché au 2nd échelon, la section canadienne, 21e groupe d’armée, B.W.E.F. Nous avons débarqué en France sur la plage de Juno à l’un des ports flottants appelés les ports Mulberry installés pour le Débarquement et ensuite nous sommes entrés en Belgique. Nous avons fini à 10 miles du front à Anvers.
Nous avions un système de fichier alphabétique pour la position sur le continent de chaque homme et de chaque femme de l’armée canadienne. Il fallait le mettre à jour 24 heures sur 24. C’était plutôt intéressant et triste. S’il y avait beaucoup de blessés dans une unité, on savait qui combattait et où. On savait qui était transféré à l’hôpital ou à une autre unité. Nous envoyions des informations pour les rapatriements au Canada, l’information était transmise au parent le plus proche. Nous donnions l’information au bureau de poste s’ils cherchaient une adresse exacte. Nous enregistrions les informations envoyées du front. Les hommes téléphonaient assez souvent des premières lignes, utilisant le système « Able, Baker, Charlie » pour nous transmettre les informations et l’orthographe exacte. Il fallait être vraiment précis. Bien évidemment, les hommes avaient un code bien différent pour A-, B-, C-. Il aurait fallu que je dise « C’est une femme au bout du fil ! »
Le Second Échelon était une section/bureau central pour l’organisation générale. Il y avait 10 ou 15 personnes dans notre bureau, pas seulement des femmes. Les hommes travaillaient aussi aux registres des victimes, les hommes qui n’avaient pas réussi l’examen médical. Au total, il y avait environ 1000 personnes qui travaillaient dans nos bureaux, elles s’occupaient des registres des victimes, elles tapaient les télégrammes pour le Canada, elles s’occupaient des affaires personnelles des hommes, etc. Quand nous avons dû partir, il a fallu qu’on emmène tout, les bureaux et tout le reste en deux jours.
Au début, des missiles V1 qu’on appelait des « Doodlebugs » tombaient sur Anvers et ensuite des V2. Les V2 étaient plus rapides que le son. On n’entendait rien venir, on ne sentait que l’explosion. Il y avait peu de temps calme entre les bombes qui explosaient. Toutes les quelques minutes, quelque chose tombait. Une bombe est tombée en face de là où on travaillait. Je regardais par la fenêtre et je m’étais juste retournée alors j’ai été frappée à l’arrière de la tête par une baie vitrée. Toutes les autres personnes se sont rapidement mises sous leurs bureaux. La moitié de notre bureau a été logée à Hoboken, à l’extérieur d’Anvers, de sorte que, si on était frappés, quelqu’un pouvait toujours faire marcher le service. Je suis partie à Hoboken, une banlieue d’Anvers pensant que si le bureau de fichiers alphabétique était atteint, on n’aurait de toute façon rien à faire.
À la fin du mois de décembre 1944, pendant la Campagne des Ardennes, nous avons été évacués à Aalst, à 25 miles au sud-ouest d’Anvers. Nous y sommes restés jusqu’à ce que nous soyons déplacés à Lemgo, en Allemagne en juillet 1945 ; nous y sommes restés jusqu’en octobre 1945.
Je suis revenue de Southampton en Angleterre au Quai 21 à bord de l’Ile de France et nous avons été accueillis par une fanfare au Port de Halifax. Nous sommes montés à bord du train et nous étions à Toronto le 23 octobre 1945. Comme mon anniversaire est le 24 octobre, j’avais écrit à ma mère lui disant que je pourrais peut-être arriver le 24 octobre chez nous à Edgewood Farm.
J’avais tant appris. Venir d’une famille très unie et se retrouver d’un seul coup à vivre et travailler avec des gens qui habitaient le même pays mais qui venaient d’un monde tout à fait différent ! Ils venaient de ranchs des prairies, des montagnes de Colombie-Britannique, de l’Ile de Vancouver, de Terre-Neuve, des Maritimes et de Québec ; tous si différents et pourtant tous impliqués pour la même raison : aider notre pays et vaincre le Nazisme. Je n’avais jamais connu les modes de vie dont toutes ces personnes étaient issues et j’ai vite réalisé que mon mode de vie n’était pas le leur. La communauté dans laquelle j’ai grandi était uniquement anglaise et tout le monde faisait tout à l’anglaise. Au début, j’ai essayé de sélectionner et de choisir mes amies mais j’ai très vite réalisé que les filles avec le vocabulaire le plus étendu étaient les meilleures amies que l’on puisse avoir. J’ai appris en peu de temps comment en tirer parti. Celles qui sont devenues mes amies étaient celles qui disaient ce qu’elles pensaient et qui n’avaient aucun problème quand je disais ce que je pensais. J’ai appris à vivre ainsi. Mais quand je suis revenue à la vie civile, j’ai réalisé qu’elles ne vivaient pas comme ça là-bas. Il m’a fallu du temps pour m’adapter.
J’ai été libérée de mes fonctions le 11 décembre 1945. J’étais de nouveau simple soldat, un soldat tapageur, mais un soldat.
Catherine K. Drinkwater,
Soldat, caporal-chef, caporal, sergent, sergent-chef, sous-quartier-maître, de nouveau soldat. C.W.A.C. - W2092
Ces informations ont été réunies à partir des entretiens de Catherine Drinkwater qui ont lieu en janvier 2007, de parties de ses lettres de l’étranger, de l’ « introduction » à son livre Letters to Edgewood Farm: From a Canadian Girl in World War II publié en 2002 par Bunker to Bunker Publishing, Calgary, Alta., et édité par Bonnie Rourke, ISBN 1-894255-21-6.
Catherine, née le 24 octobre 1918, habite à Edgewood Farm, juste à l’extérieur d’Orillia en Ontario, une ferme tenue par cinq générations de sa famille. Son arrière-arrière-grand-père, le Révérend George Hallen, était installé dans une église locale en 1834 après être venu d’Angleterre avec sa femme et ses dix enfants. La famille de Catherine est une famille de rédacteurs de presse écrite et d’historiens locaux. Quand elle a commencé à écrire des lettres à sa famille depuis l’Angleterre et ensuite du continent, sa mère les a conservées et sa sœur Joan les a tapées et elles ont créé des albums avec plein de photos que Catherine, qui compte la photographie parmi ses talents, avait prises. Les lettres et les photos de ces albums sont à l’origine de son livre, Letters to Edgewood Farm. Les albums originaux sont maintenant conservés au Musée Huronia à Midland en Ontario, ainsi qu’avec d’autres contributions importantes de la famille. Les photos de la Seconde Guerre Mondiale qui accompagnent cet article sont issues de la collection de Catherine et de son livre dont une copie a été donnée au Musée du Quai 21. Le livre est disponible au Musée Huronia, 549 Little Lake Park, P.O. Box 638, Midland, ON L4R 4P4, 705-526-2884, info@huroniamuseum.com.
Susan Charters
Orillia, 2007