Matelot de 2e classe Alex Chelekower

Mur de Service

Colonne
10

Rangée
25

First Line Inscription
Able Seaman Alex Chelekower
Second line inscription

Canadian Merchant Navy

Je suis né en novembre 1918 à Berlin, en Allemagne de l’Est, d’une famille juive de classe moyenne qui dirigeait une compagnie de tabac. Quand j’ai eu deux ans, mon père est mort de l’épidémie de grippe de 1921 et ma mère a dû s’occuper des affaires et de ses enfants toute seule, ce qui était difficile pour une femme, à cette époque-là. Ses efforts ne payaient pas. Elle n’avait pas le temps de s’occuper de ses enfants, surtout pas d’un garçon. Pour cette raison, elle m’a envoyé à Gotha, en Allemagne, dans une famille qui m’était étrangère. J’avais 8 ans. Elle voulait que je fasse l’expérience d’une vie de famille où il y avait un homme dans la maison. Moi par contre, j’ai ressenti que je me faisais envoyer au loin pour me faire punir de quelque chose de mal que j’avais dû faire, que j’étais abandonné. C’était vraiment dur dans les années 1930, à cause de la dépression mondiale. Au début des années sous Hitler, de 1921 à 1930, il y avait une récession. Je suis resté avec deux familles différentes à Gotha. Le père d’une de ces familles était le principal de l’école secondaire.

Gotha est une ville d’environ 250 000 habitants à Thuringen, à côté de Wimar, Halle et Leipzig. Il y avait plus de 2000 enfants à l’école et j’étais le seul garçon juif parmi eux. C’était à 6 heures de train de Berlin, plus ou moins, alors je ne rentrais pas très souvent à la maison voir ma mère et ma sœur. Même si les familles à Gotha s’occupaient bien de moi, je savais que j’étais étranger et je ne m’intégrais pas.

Quand Hitler est arrivé au pouvoir, ma mère et ma tante ont pensé qu’il serait plus sûr que j’aille en Palestine. Ils m’ont fait revenir de Gotha et j’étais très content de penser que je rentrais. Au lieu de ça, on m’a mis dans un train pour la Palestine avec des centaines d’autres enfants dans le même cas, sans comprendre que c’était la dernière fois que je voyais ma mère ou ma sœur.

J’ai fini par arriver à l’Orphelinat à Ben Shemen, en Israël, en 1932, alors que j’avais 13 ans. Ben Shemen était dirigé comme une ferme. J’y ai appris beaucoup de choses. Il n’y avait pas, cependant, de classes où apprendre à lire, écrire ou parler hébreu (pas comme maintenant). En 1936, certains d’entre nous, de Ben Shemen (environ 30 hommes et femmes) avons créé le Kibboutz Sdot Yam. De 1935 à 1940, O était un Kibbutznick. J’étais le pionnier le plus jeune et ils m’appelaient Medalah (petite fille), à cause de mes yeux bleus clairs, de mes longs cils et de mes cheveux qui blondissaient au soleil. Ils m’ont mis dans les classes les plus élevées, ce qu’ils n’auraient pas dû faire parce que tous mes camarades étaient plus âgés que moi. Nous vivions ensemble, les filles et les garçons sous la même tente, ce qui ne se ferait pas aujourd’hui.

En 1937, un capitaine de cargo m’a abordé pour me proposer de travailler comme docker et comme marin. Je l’ai accepté pour compléter les revenus du kibboutz. On avait le goût de l’aventure et on aidait d’autres Juifs chassés de chez eux à entrer en Palestine. Nous échangions des vêtements avec des passagers européens et les cachions entre nous en déchargeant les bateaux. Je me suis marié (et ai vite divorcé) avec plusieurs dames pour les faire entrer dans le pays. Après quelques voyages, j’ai décidé de faire ma vie sur la mer et quand la guerre a éclaté en 1939, je suis entré dans la marine marchande.

On m’assignait à des bateaux polonais parce que l’équipage savait parler allemand. J’étais le seul Juif à bord, c’était souvent difficile. J’ai dû apprendre à être insensible. C’était la seule contribution que je puisse faire pour l’effort de guerre, en particulier parce que je ne parlais pas anglais.

Notre bateau a été endommagé à de nombreuses reprises par les torpilles, on devait entrer, boiteux, à Halifax pour les réparations nécessaires. Les bateaux polonais n’étaient pas très rapides et on ne pouvait pas être accompagnés de convois. Mon passeport palestinien n’était pas reconnu au Canada. J’ai été mis en prison à Rockwood (à Halifax) et mis en détention au Quai 21. Ma seule issue possible était de signer un contrat sur un autre bateau qui quittait le port.

Mme Fineberg m’a grandement aidé pour ce qui est de me présenter à la communauté juive de Halifax. Elle m’a aidé à avoir un permis de 30 jours et à le prolonger. En 1940, j’ai rencontré une fille par l’organisation communautaire juive à Halifax, et même si mon avenir était incertain (je n’avais que 22 ans, je ne parlais pas anglais, j’étais citoyen étranger sans pays), elle m’a demandé de l’épouser. Je n’avais personne à qui demander conseil. J’étais seul au monde, il fallait que je prenne mes propres décisions et que j’y aille de mon propre jugement. C’était impulsif, mais on s’est mariés malgré tout. On pensait que ça m’aiderait à obtenir ma citoyenneté canadienne, mais au contraire ça a affecté la citoyenneté canadienne de ma femme. (Le gouvernement a essayé de défendre que ma femme était palestinienne parce qu’elle s’était mariée avec moi, alors on a dû, dans les années 40, requérir les services d’un avocat d’immigration [Me Kanigsberg] pour clarifier les choses). M. Kanigsberg m’a aussi aidé à récupérer mes effets personnels à bord des bateaux que j’avais désertés.

J’ai continué à travailler pour la marine marchande, comme marin, parce que c’est la seule chose que je savais faire et parce que mon anglais était très limité. On entrait et sortait de Halifax constamment. Avec la compagnie Canadian National Steamsip Lines, j’ai navigué sur le Lady Rodney, un navire de transport de troupes, entre Terre-Neuve, Goose Bay, le Labrador et le Quai 21. J’ai aussi navigué sur le Lady Nelson, un navire-hôpital. Quand j’étais à bord du Randa, on a été torpillés à l’extérieur du port de Halifax et on a dû rentrer au port, clopinant, pour faire des réparations. En 1947 cependant, j’ai quitté la marine marchande avec mon peu d’anglais pour diriger une petite épicerie à Halifax. Un homme d’affaires juif du coin, Haim Jacobson, m’a fait confiance. Il m’a aidé à obtenir un prêt à la banque et m’a loué un de ses magasins. Ma femme m’a beaucoup appris, entre autres à parler anglais : ça a pris des années, surtout pour écrire et lire des journaux ou des magazines ; elle m’a aussi présenté à la communauté juive de Halifax. Je suis reconnaissant de tout. Les 25 premières années ont été dures financièrement pour la famille mais, comme tous les immigrants, nous avons travaillé dur pour offrir une vie meilleure à nos enfants.