Caporal Bill Pineo

Mur de Service

Colonne
19

Rangée
15

First Line Inscription
Corporal Bill Pineo
Second line inscription

Royal Canadian Corps of Signals

PORT DE HALIFAX, JUIN 1940

Des chasseurs de mines, accompagnés de destroyers hérissés de canons, s'organisaient pour préparer la protection d'un convoi de navires de transport de troupes qui allait bientôt traverser l'Atlantique.

Pour la plupart de ceux qui se trouvaient à bord, c'était le début d'une grande aventure : pour la première fois, ils allaient voyager loin du Canada.

Au moment où ils se rassemblaient sur les ponts auxquels ils avaient été affectés, un sens de l'anticipation était évident chez ces jeunes esprits préoccupés à imaginer ce qui les attendait.

De temps à autre, leurs pensées parcouraient les miles qui les séparaient de ceux qu'ils allaient laisser derrière eux, parfois pour toujours.

Soudain la merveilleuse voix claire de Gracie Fields a retenti et s’est fait entendre dans tout le port. Elle était la favorite de presque tout le monde et cette chanson arrivait juste à point pour accompagner le départ.

« Souhaite-moi bonne chance quand tu me fais signe adieu » (Wish me luck as you wave me goodbye). Un court silence est suivi d'une autre chanson à la mode, tandis que les navires manœuvrent pour trouver leurs positions. « Nous nous reverrons, qui sait quand, mais je sais que nous nous reverrons un beau jour ». Une chanson unissant les voix de Gracie et Vera Lynn. Le silence sur les bateaux est interrompu par des vivats et chacun est intimement convaincu que ce jour restera gravé dans la mémoire de tous ici présents.

Et peu importe si cela n'avait été qu'un enregistrement. À terre, quelqu'un avait voulu faire un geste pour ceux qui allaient partir, et avait eu la généreuse idée de jouer ce disque. C'est le genre d'épisode que l'on se devrait inclure dans l'histoire militaire du Canada.

Mackenzie King à Londres, en 1942 Quartier général militaire canadien – (CMHQ) Londres, Ingénieur, Second Guerre mondiale

Un jour, vers midi, avec un camarade qui était estafette comme moi et qui s’appelait Jack Seeley, nous avons été convoqués par l'officier commandant qui nous a demandé de nous présenter au rapport devant M. Turnbull, Secrétaire auprès du Premier ministre du Canada, lequel, nous venions juste de l'apprendre, venait d'arriver à Londres. Nous avions été choisis parmi un groupe de motards, mais n'avons jamais su pourquoi.

Une réunion avait été organisée en Angleterre entre les chefs des pays du Commonwealth pour faire le point sur la progression de la guerre. Les autres ministres venaient de Nouvelle-Zélande, d'Australie et d'Afrique du Sud.

Le lendemain matin, Jack et moi sommes allés nous présenter devant M. Turnbull à l’hôtel Dorchester, juste de l'autre côté de Hyde Park. On nous a donné une chambre au même étage que celles du Secrétaire et de M. King, puis on nous a dit qu'on nous contacterait dès qu'on aurait besoin de nous. Nous avions l'impression qu'on nous demanderait de transmettre des messages entre différents bureaux à Londres, quand cela serait nécessaire, mais je ne me rappelle pas qu'une telle requête nous ait jamais été demandée.

Jack et moi étions armés. Or, là où nous étions, il n'y avait pas de personnel chargé d'assurer la sécurité. Était-il possible qu'on nous ait demandé de venir pour servir de gardes du corps ? J'imagine que si cela avait été nécessaire, nous n'aurions pas hésité à utiliser nos P-38 pour protéger le Premier Ministre, mais pourquoi ne nous avait-on pas informés ? Bah, je suppose que comme on dit : « Ce n'était pas à nous de chercher a comprendre ».

Nous avons eu quelques discussions avec M. King et M. Turnbull. L'un d'entre eux a même suggéré que comme Jack et moi étions restés loin de nos familles pendant plusieurs années, nous pourrions les accompagner et profiter de leur voyage de retour au Canada pour une courte permission d'une semaine.

Ça avait l'air formidable, mais il n'en fut rien car cela aurait créé un précédent pour les milliers de soldats des troupes canadiennes stationnées en Angleterre. De plus, certains de ces soldats avaient déjà passé six mois de plus ici que Jack et moi. Nous avions été envoyés en renfort pour la première division. C'était une très bonne décision de la part de M. King. À propos de renfort, la première division était stationnée à Aldershot; quand le PM est allé lui rendre visite et il s'est fait chahuté. Apparemment les soldats en avaient assez d'attendre et de se reposer sur leurs lauriers depuis plusieurs années. Ils voulaient de l'action. Pourtant, il est difficile de comprendre pourquoi ils auraient pu en vouloir au PM.

Moi aussi j'ai eu un petit problème, même s'il fut loin d'être aussi embarrassant. J'avais garé ma Harley sur la route en face de l'hôtel, puis j'étais monté dans ma chambre et lorsque je suis redescendu, ma moto avait disparu. La police militaire l'avait vue et remarqué qu'elle avait été laissée sans surveillance. Du coup, par manque de communication je suppose, elle avait crû bon de l'emporter. Heureusement, ma moto n'était qu'à quelques miles de là et on me l'a rendue après quelques coups de fil donnés dans la panique. Je leur ai expliqué comment j'avais été affecté au service du Premier ministre du Canada, ce qu'ils ont eu du mal à croire. Je ne pouvais pas les blâmer pour cela. Je suis sûr qu'ils avaient l'habitude d'entendre toutes sortes d'excuses bizarres pendant leur service.

Finalement, l'équipe du PM est rentrée au pays, fort heureuse de quitter le bruit des sirènes et des bombes qui tombaient chaque nuit.

Jack et moi sommes aussi rentrés, mais seulement trois ans plus tard.

LE VOYAGE EN TRAIN

Dans les temps de disette des années trente, voyager en train par beau temps était une affaire commune et plutôt plaisante; mais c'était une toute autre histoire quand la température tombait en dessous de zéro. Si le climat extrêmement froid était tolérable pour les âmes endurcies du Manitoba, pour ceux habitués aux hivers doux de la côte ouest canadienne, c'était une chose insupportable.

Notre groupe avait récemment été transféré du 16e régiment écossais de Victoria aux baraquements du P.P.C.L.I. au Fort Osbourne à Winnipeg. Il ne nous a pas fallu longtemps pour nous rendre compte que février n'était pas le moment idéal pour un tel transfert. Nous nous sommes finalement installés dans nos nouveaux quartiers, ne nous aventurant à l'extérieur que très rarement. Pour nous, sortir signifiait que nous allions quasi-instantanément nous geler le lobe des oreilles, sans compter que lorsque nos narines se bouchaient, il nous fallait respirer laborieusement par la bouche jusqu'à nous faire 'geler les dents'.

Nous avions déjà bien entamé notre entraînement de base quand on nous a dit que nous ferions bientôt le voyage outre-Atlantique et que nous avions deux semaines pour rentrer à la maison et faire nos adieux à nos familles. Nombreux sont ceux qui parmi nous n'avaient pas assez d'argent pour prendre le train et ont dû se débrouiller pour trouver un autre moyen de revoir les leurs.

Chaque jour de nombreux trains de marchandises passaient par Winnipeg et six d'entre nous avons pris la décision de voyager de cette façon. J'avais laissé ma petite amie et ma famille proche sur l'île de Vancouver et les revoir me donnait la motivation nécessaire pour entreprendre ce que j’ai fait alors. Si j'avais su alors que, quelques mois seulement après être arrivé en Angleterre, je recevrais une lettre de rupture, je n'aurais peut-être pas été aussi enclin à faire ce voyage.

Avec très peu de préparation, nous sommes arrivés dans la gare de triage vers onze heures du soir cette nuit-là, en prenant soin de ne pas être vus par la police C.P.R. (le service de police du Canadien Pacifique). En ces temps-là, ils ne faisaient pas de cadeaux aux passagers clandestins et ils les arrêtaient ou les boutaient carrément hors des trains.

Il s'est avéré qu'il n'y avait pas de wagons couverts disponibles. Par conséquent, nous avons du choisir entre voyager sur le toit de ces wagons, ou nous installer dans un wagon-tombereau plein de poutres métalliques glacées par le gel. Nous avons opté pour la dernière solution, de sorte à ce que la police ne puisse pas nous voir. Avec nos quelques habits supplémentaires et la nourriture que nous avions réussi à chaparder dans la cuisine, nous sommes montés à bord de ce qui allait devenir notre maison pour les quelques jours et même les quelques semaines à venir. Nous sommes restés cachés, tapis au fond du wagon, jusqu'à ce que le train de marchandises soit largement sorti de la gare avant d'oser nous relever. On se recouchait rapidement pour éviter la brise glaciale qui, avec le facteur vent, atteignait les 60 degrés.

Me rappeler de ce qui s'est passé chaque jour en détails est très difficile, tant et si bien que je commence à me demander si le temps glacial n'avait pas eu un effet sur mon cerveau. Pourtant, ici ou là, quelques souvenirs émergent. Chaque fois que le train ralentissait pour une raison ou pour une autre, nous nous glissions hors du wagon et courrions le long du train en nous cramponnant à l'échelle, histoire de se refaire circuler le sang. J'ai un autre souvenir très vif : nous marchions et rampions sur les toits des wagons couverts qui tanguaient alors que nous cherchions à atteindre la locomotive pour nous réchauffer à la chaleur du feu de charbon. Qu'est-ce que nous envions l'équipage du train, qui était bien au chaud dans sa voiture. Je ne peux pas me rappeler une seule occasion où nous aurions acheté de la nourriture une fois nos réserves épuisées et nous avons certainement été très affamés tout le long du voyage. Je me demande même si à nous six nous aurions pu réunir un dollar.

J'aurais bien aimé partager mes impressions avec ceux qui ont fait ce voyage. Malheureusement, pris par l'excitation de partir dans un nouveau pays, nous n'en avons pas reparlé. J'espère que mes camarades de voyages pourront remplir les blancs que j'ai laissés si nous nous rencontrons un jour.

Je me souviens par contre de ce qui s’est passé quelque part en Alberta, parce qu'un miracle s’est produit. Alors que nous tentions de nous réchauffer près d'un poêle en fonte sous une citerne d'eau, un groupe de travailleurs qui s'occupaient des ponts métalliques et qui avaient entendu parler de notre situation critique, a proposé de nous conduire dans leur autobus à travers les montagnes.

Comment les remercier sinon en disant « Que Dieu les bénisse ! »

Il y avait encore beaucoup de chemin à faire jusqu'à Vancouver quand ils nous ont déposés. Cela voulait dire retour dans les wagons et encore plusieurs heures à passer à s'étouffer dans l'épaisse fumée noire.

Comment j'ai finalement réussi à regagner l'île et enfin Port Alberni reste un mystère et me porte à croire que mon cerveau n'avait donc pas encore complètement dégelé à ce moment-là. Après un court passage à la maison, il a fallu trouver un moyen pour retourner a notre cantonnement, mais bien sûr je n'avais toujours pas d'argent pour le voyage. Quand notre député a eu vent de mon histoire, il s'est arrangé pour que les autorités me fournissent un billet de retour pour Winnipeg; mais si j'avais su les problèmes que cela allait entrainer, j'aurais certainement choisi un autre itinéraire. Je savais que je m'exposais à des sanctions si j'étais en retard pour me présenter au rapport à la base. La plus grande surprise a été que le billet de retour avait été facturé à mon compte. On m'a consigné pendant trois jours, mais cela n'était pas un problème parce qu'il faisait de toute façon trop froid pour sortir. Mais le deuxième prix à payer pour rembourser le prix de ce billet a vraiment été pénible.

La solde totale que nous touchions à l'époque comme soldat dans l'armée se montait à 40,00 $ par mois. De cela il fallait déduire 25,00 $ qui allaient directement à ma mère qui était veuve. Cela signifiait qu'il fallait se débrouiller avec quinze dollars par mois. Comme je n'avais pas à acheter de nourriture ou de vêtement, cela me laissait cinquante sous à dépenser comme je voulais par jour. Un paquet de tabac coûtait vingt sous, et cela laissait donc toute la place pour du savon, des lames de rasoir et quelques autres frivolités. Fort bien, jusqu'à ce que l'on commence à me déduire le prix du billet de train.

Quand on a pris le bateau un peu plus tard, j'espérais que ma dette resterait au Canada, mais elle s'est glissée dans mes bagages et ne m'a pas lâché. Les deux premières années passées sur le vieux continent ont été un désastre du côté argent parce que tout était retenu sur ma paye à part deux shillings, soit juste de quoi payer un café.

De temps à autre un paquet arrivait bien du Canada, avec une paire de chaussettes ou des friandises, mais personne ne pouvait se permettre d'envoyer de l’argent liquide. Ça coutait quatre dollars et quarante sept sous canadiens d'acheter une livre britannique dans les années 1940.

Comme estafette, je me rappelle que j'avais été contrôlé pour excès de vitesse sur ma Harley et que l'amende m'avait coûté dix jours de salaires. Ça m'a pris drôlement longtemps pour arriver à la rembourser.

Je me rappelle que les temps étaient tellement durs que ma fiancée britannique et moi avions choisi de nous marier le jour de Noël parce qu'il était hors de question de s'offrir deux célébrations à la fois. Les cartes de rationnement et l'argent pour acheter le supplément de nourriture représentaient aussi un problème. Le voyage de noces ne nous a rien coûté parce que nous avons passée une seule journée dans la maison d'un ami juste à côté de l'église. Il n'y avait pas de douches ou de cadeaux de mariage, ce qui nous allait parce que nous vivions chez ma belle-famille et n'avions besoin de rien.

Cinq ans et demi après avoir débarqué en Grande-Bretagne, je suis rentré dans mon pays au Canada. Rétrospectivement, je me demande si je n'aurais pas pu entrer dans le livre Guinness des records en tant que « soldat le plus continuellement sans le sou de l'armée canadienne ».

Halifax Daily News Été 1999

RETROUVAILLES - UNE RÉALITÉ APRÈS PRESQUE 60 ANS

Une visite au musée maritime déclenche une rencontre bien particulière par Valérie Wilson

Pendant près de 60 ans, Bill Pineo, un résident de Nanaimo, se rappelait d'un jour bien particulier de juin 1940.

L'actrice Gracie Fields, accompagnée par un chœur d'enfants, se tenait sur le pont du Duchesse de Richmond et chantait pour Bill Pineo et les autres soldats qui allaient traverser l'Atlantique depuis Halifax.

Il ne pouvait pas savoir que de l'autre côté du monde, en Australie, Anne Miller, qui chantait avec Gracie Fields ce jour-là, s'était longtemps demandé ce que le destin avait réservé à ces recrues. Elle voulait rencontrer un jour un de ces braves et partager leurs souvenirs de ce départ chargé d'émotions.

Ce jour est finalement arrivé ce vendredi, grâce surtout à la mémoire de Carrie-Ann Smith, bibliothécaire-recherchiste pour la Societé du Quai 21 basée à Halifax.

L'été dernier, Bill Pineo avait écrit une lettre à la Société pour décrire le jour auquel lui et Anne Miller avaient pensé pendant près de 60 ans.

Soudain, la magnifique voix de Gracie Fields a retenti, trouvant un écho à travers tout le port et Bill Pineo écrivait. « Peu importe que personne n'ait vu Gracie en personne. Le seul fait de pouvoir l'entendre prouvait que quelqu'un pensait à nous. Même si 60 ans ont passé depuis, ce souvenir reste aussi vivace dans ma mémoire aujourd’hui qu'il le fut alors et pourrait certainement être un des points forts de l'histoire militaire. »

Anne Miller, en visite au Canada depuis l'Australie, a rendu visite à la Société du Quai 21 le mois dernier pour rechercher une photo de journal prise d'elle sur le bateau ce jour-là.

Quand Anne Miller a mentionné la photographie qui la montrait en train de chanter aux côtés de Gracie Fields, Mme Smith s'est immédiatement souvenu de la lettre de Bill Pineo et l'a partagée avec Anne Miller, qui a su dès lors qu'elle devait rencontrer Bill Pineo avant de retourner en Australie.

Elle a écrit la lettre qui a mené aux retrouvailles de vendredi.

« Ceci est le point fort de mon voyage », a dit Anne Miller vendredi.

Bill Pineo a dit qu'il ne pouvait pas croire qu’Anne Miller avait elle aussi gardé pendant toutes ces années un souvenir aussi intense du jour où Gracie Fields avait chanté pour les troupes qui s'apprêtaient à partir.

« Cet évènement a eu autant d'importance pour moi que pour Anne », a-t-il ajouté.

Il était particulièrement impressionné par le fait qu’Anne Miller se soit demandée pendant toutes ces années ce qu'étaient devenus les hommes à bord des navires de guerre.

« Peu de gens y pensent de cette façon-là », a dit Bill Pineo.

Le fait que Bill Pineo habite Nanaimo est ironique.

En 1940, quand elle avait 11 ans, Anne Miller et sa famille avaient navigué depuis Liverpool jusqu'à Halifax en route pour Singapour.

La guerre a retardé les plans de la famille et ils se sont installés à Nanaimo jusqu'en 1948 avant de déménager en Australie.

La visite d’Anne Miller ce vendredi a mis fin à une amicale dispute entre Bill Pineo et son épouse Pam.

« Mon mari m'a toujours raconté cette histoire à propos de Gracie Fields mais je pensais que c'était probablement juste un disque qu'on avait joué, et je ne le croyais pas », a dit Pam Pineo.

"« Et puis nous avons reçu la lettre d'Anne. »