Sbarra

Mur d'honneur de Sobey

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Pasquale, Teresa, Nicola, Evi
UNE COURTE HISTOIRE par Nicholas Sbarra

Ô Canada !

Une brise légère et agréable soufflait le matin ensoleillé du mardi 26 juin 1951.

L’USNS General Harry Taylor, un navire marchand américain qui a servi pendant la Deuxième Guerre mondiale, approchait lentement le port d’Halifax en N.-É. Notre famille de quatre faisait partie d’un groupe de centaines d’immigrants qui se pressaient à l’avant du navire.

La foule était plutôt silencieuse, et notre famille aussi. Mon père Pasquale, ma mère Teresa, ma sœur Eviliana, qui avait tout juste quinze ans, et moi, qui n’avais pas encore dix-sept ans, attentions nerveusement le moment où la traversée inconfortable de l’océan s’achèverait enfin. Nous étions taciturnes et le son des vagues qui se brisaient sur les bords du navire ponctuaient la monotonie de notre attente. Le silence de nos parents était sans doute causé par des pensées semblables à celles de tous les autres sur le pont. Ils contemplaient et redoutaient sans doute l’inconnu devant eux, conscients que le moment viendrait bientôt où de nouvelles coutumes, une nouvelle langue et des traditions étrangères de cette nouvelle terre finiraient par faire surface. On comprend donc cette multitude silencieuse qui voyait approcher la côte canadienne, ces gens inévitablement préoccupés par une nouvelle vie et leur place future dans cette nouvelle société. C’est sans parler des obstacles imprévisibles qui attendraient certainement chacun d’entre nous, ces difficultés inévitables lorsqu’on cherche à s’intégrer dans une nouvelle société sans pour autant vouloir perdre nos traditions, des traditions qui feraient sans le moindre doute l’objet de questions.

Mais cela n’a pas réussi à décourager leurs attentes à ce moment si marquant de leur vie. Les nouveaux arrivants, dont ma famille, attendaient avec excitation et un enthousiasme réservé ce début d’un nouveau départ, ce moment où ils mettraient le pied sur une nouvelle terre et traverseraient le seuil du Quai 21. Ce voyage, qui avait commencé dans le port de Bremerhaven, en Allemagne, le 18 juin 1951, s’achevait enfin.

Pour nous, le périple avait commencé vers 13 h le 12 juin 1951, dans le camp de rassemblement à Bagnoli, en banlieue de Naples, en Italie. Une dernière inspection a eu lieu en Allemagne, lors d’un séjour de six jours dans deux camps (Tirpitz, puis Lesum, près de Bremen), avant le départ pour Halifax, en N.-É. Cet arrêt était habituellement prévu avant l’embarquement des immigrants sur des navires qui les emmèneraient vers des pays participants partout dans le monde. Nos documents d’immigration et certificats médicaux ont été délivrés. On a fixé des étiquettes indiquant notre destination vers Ajax, en Ontario, à l’aide d’épingles de sûreté sur nos vêtements. L’une d’elles disait « à nourrir ». Nous devions aller travailler dans une ferme au Canada pour une période précise. On parlait alors d’un an. Notre famille d’ex-réfugiés a été traitée conformément aux exigences de notre statut.

Peut-être faut-il maintenant répondre à une question évidente : « pourquoi la famille était-elle dans des camps de réfugiés dans notre propre pays, en Italie ? »

C’est qu’en 1945, tout de suite après la guerre, le régime yougoslave a insisté que, parce que notre famille habitait en Istrie, une région de la Vénétie Julienne qui avait été absorbée dans le territoire yougoslave de l’époque (aujourd’hui la Croatie), nous étions maintenant considérés comme citoyens de ce pays, même si notre pays de naissance était l’Italie. Les Slaves ont ignoré l’objection du gouvernement italien face à cette décision. Parce que les deux pays ont atteint l’impasse sur la nationalité disputée de notre famille, nous sommes devenus officiellement des « personnes déplacées » et nous étions de « nationalité indéterminée de la V.G. (Vénétie Julienne) ». Nous sommes donc devenus admissibles à l’entrée dans un camp de réfugiés italien.

C’est en raison de ce problème que nous avons plus tard reçu la permission d’immigrer au Canada par l’Organisation internationale pour les réfugiés (OIR), dont le quartier général est à Genève, en Suisse.

(L’histoire détaillée du périple de notre famille à la fin de la Deuxième Guerre mondiale se trouve dans mes livres, « Pier 21 -1951 Our Family’s Immigration to Canada » – dont les exemplaires sont disponibles au Musée canadien de l’immigration du Quai 21, et en très grand détail dans « Nostalgic Memories – a memoir », encore en rédaction.)

L’inspection par les douaniers a eu lieu dans la grande salle du Quai 21. À mon souvenir, j’avais été impressionné par la manière courtoise et agréable qui accueillait ces étrangers sur cette nouvelle terre, le plus souvent avec un gentil sourire à la canadienne... Il y avait une grande agitation dans la salle. Certains se dirigeaient à toute vitesse dans toutes les directions, leurs chemins s’entrecroisant, alors que d’autres, assis, attendaient leur tour. Tous avaient un air d’appréhension, et notre famille n’y faisait pas exception.

Nous avons passé les douanes et nous sommes montés à bord du wagon no 50 d’un train lent en direction de notre destination finale. Après un arrêt à Pickering, en Ontario, un autobus a emmené le groupe d’immigrants à l’ancienne caserne militaire d’Ajax en Ontario, où nous sommes restés jusqu’au 23 juillet, quand notre famille a été ramassée en voiture par notre employeur, qui était propriétaire d’une ferme de tabac à mi-chemin en campagne entre West Lorne et Rodney.

Nous sommes finalement arrivés à notre destination finale dans notre nouveau pays d’adoption... pour un court moment.

… Un vent de changement soufflait…

La vie à la ferme était difficile pour les « citadins ». Le puits se trouvait dans la cour avant de notre nouvelle maison et les toilettes ― les bécosses― étaient aussi dehors. Ces deux choses étaient des inconvénients que notre famille n’avait pas connus, même pendant la guerre et dans les camps de réfugiés.

Mais la vie à la ferme n’a pas duré longtemps : après la récolte de tabac et le remboursement du voyage de notre famille au Canada (par la déduction du salaire de mon père), la situation a pris un virage surprenant.

Un beau matin de septembre, nos quelques possessions, quelques valises et malles ont été déchargées sans cérémonie sur le trottoir devant la station de train L.& P. S. (London & Port Stanley) à St-Thomas. Notre famille faisait maintenant face à la possibilité d’un retour imprévu et forcé en Italie. Mes parents avaient environ 230 $. Nous ne parlions pas anglais, nous ne connaissions personne au pays, et nous n’avions nulle part où aller. Mais le désespoir s’est transformé en espoir lorsqu’en fin de journée le gestionnaire du bureau de chômage sur la rue Mondamin a pu communiquer avec M. Arthur Nicli, le propriétaire italien d’une entreprise de construction (The Elgin Construction Co.), qui avait déjà aidé beaucoup de jeunes hommes célibataires italiens en leur offrant un emploi et de l’hébergement dans des édifices sur le terrain de l’entreprise. Il nous a sauvés avec des emplois pour mon père et moi, et cela s’est avéré le facteur le plus important qui a permis à notre famille de finalement commencer à naviguer la vie canadienne.

Il est impossible de décrire adéquatement l’important de cette aide, ni la reconnaissance de ma famille envers ce bienfaiteur. Sa décision de nous aider lorsque nous n’avions aucune issue, aucune aide en vue, a fait de notre vie dans ce merveilleux pays de générosité et de prospérité une réalité non seulement pour notre famille immédiate, mais aussi pour tous ceux qui nous emboîteront le pas dans les générations futures.

Les années ont passé et les événements se sont enchaînés. Au début des années cinquante, ma sœur Eviliana a obtenu un emploi comme standardiste chez la Compagnie de Téléphone Bell du Canada, où sa voix agréable a salué les clients qui appelaient jusqu’au printemps 1958, lorsque « …le glas a sonné pour les standardistes de la compagnie Bell… » Ces employés dévoués, bien formés et vocaux ont été muselés par l’avancée inéluctable du progrès. Le géant des communications a décidé de renvoyer progressivement les milliers de voix des opérateurs et opératrices pour les remplacer par l’efficacité sans voix des tableaux de distribution automatisés. Par la suite, elle a pu se trouver un emploi dans le secteur tertiaire jusqu’à sa retraite. Elle a épousé Frank, aussi immigrant italien, et ils ont eu un fils, Rennie.

Mes parents ont occupé plusieurs postes. Ils ont éventuellement trouvé un emploi plus permanent dans le service de l’entretien de l’hôpital général St-Thomas Elgin (S.T.E.G.H.). Le nom de mon père a été gravé (de façon posthume) sur l’une des plaques de bronze du Mur commémoratif de la famille de l’hôpital, inauguré le 19 décembre 2001. Son nom s’y trouve avec les noms d’autres récipiendaires dignes d’un tel honneur, dont des médecins distingués et d’autres employés remarquables. Il n’aurait jamais pu imaginé ou rêvé de cela lorsqu’il a pris la grande décision de traverser l’océan et de s’embarquer dans l’inconnu. Il est décédé en 1974, à 67 ans. Ma mère, pour sa part, est décédée en 2006, à 93 ans.

C’est maintenant l’heure de parler de mon propre cheminement après mon arrivée en sol canadien.

Mes années d’emploi -

Mon entrée dans le mode de vie canadien a commencé en 1952 quand, après une courte période dans le domaine de la construction, j’ai été employé comme emballeur dans le département des médicaments de VioBin (Canada) ltée, une entreprise pharmaceutique. La majorité de mes conversations et instructions avec mes collègues et superviseurs avait lieu par signes en raison de ma capacité limitée à exprimer mes pensées dans la langue de mon nouveau pays. J’ai plus tard été promu comme superviseur adjoint du service des médicaments. Mon désir d’améliorer ma situation était fort. J’ai donc suivi un cours de soir en comptabilité à l’école technique H.B. Beal à London, et j’ai ainsi pu commencer à travailler des demi-journées dans le service de comptabilité de la firme. Par la suite, l’entreprise est devenue une firme américaine (Sternco Industries Inc.) et le nom « VioBin » est devenu Hartz Mountain Pet Supplies ltée.

En 1960, j’ai marié Brigitta, qui est arrivée de l’Autriche en 1956. Par hasard, elle travaillait aussi dans le service des médicaments de l’entreprise. Nous avons eu deux enfants : Gary, né en 1963, et Carol, née en 1965. Il était donc impératif que j’améliore grandement ma situation financière. J’ai décidé de m’engager dans le cours de comptabilité CMA de cinq ans par correspondance, par l’université McMaster à Hamilton. En 1965, j’ai été envoyé à Stoney Creek, en Ontario, comme comptable d’une filiale de l’entreprise. En 1967, j’ai été réaffecté au bureau de St-Thomas et promu au poste de chef comptable pour toutes les opérations canadiennes. Mais après quinze ans auprès de l’entreprise, nous nous demandions si l’état financier de notre famille s’améliorerait suffisamment pour nous permettre de quitter la maison de mes parents.

Le 15 janvier 1968, j’ai commencé à travailler pour le ministère fédéral du Revenu. Dans le cadre de mon emploi, j’étais vérificateur des plus grandes entreprises de notre district, de même que superviseur des sections des Affaires et Enquêtes spéciales. J’ai aussi aidé le siège social avec des projets spéciaux, et j’ai voyagé à travers le Canada comme conférencier sur le droit des impôts. Ce ne sont là que quelques-unes de mes responsabilités jusqu’à la fin de ma carrière avec l’ARC (Agence du Revenu du Canada) comme agent des appels principal du bureau de London. Le 26 juin 1996, 28 ans et demi après le débarquement de ma famille au Quai 21 à Halifax, j’ai pris ma retraite de la fonction publique.

Quelques notes musicales -

Parmi les facettes essentielles de ma vie qui se sont révélées après mon arrivée au Canada, il faut mentionner ma participation au monde de la musique. Mon intérêt pour cet art n’était pas seulement occasionnel, mais plutôt sérieusement axé sur un cheminement qui aurait pu mener à une profession. Environ un an après avoir passé par le Quai 21, je suis devenu un jeune membre de la deuxième section de violons de l’orchestre symphonique de London (c’était la suite de ma première expérience comme jeune de seize ans, où je suis devenu le plus jeune membre d’un orchestre de cordes dans mon Italie natale, tout juste quatre ans après ma première leçon de violon). Je suis éventuellement devenu Maître de concert associé de l’orchestre symphonique de London, un poste que j’ai cédé en 1963 en raison d’engagements d’emploi et de ma participation au cours de comptabilité. J’étais un élève du prof. Elie Spivak, au Conservatoire royal de musique à Toronto. Ma participation à la scène musicale est trop vaste pour en inclure les détails dans ce court sommaire, mais j’ai participé à la majorité des activités musicales de la région de London. On parle entre autres des présentations en solo, en duo (dont une prestation à la compétition de l’Exposition nationale du Canada de 1958, où notre duo a obtenu la médaille d’or) et des solistes dans le Concerto en D mineur pour deux violons et un orchestre par J.S.Bach, présenté au Aeolian Hall sous la direction de Gordon Jeffery. J’ai aussi participé, entre autres, à des productions annuelles au London Grand Theatre, à l’université de Western Ontario, aux Ice Capades, dans l’orchestre symphonique de Brantford, au quatuor Capri (l’un des petits groupes de danse que j’ai aidé à organiser) et dans d’autres prestations dans un groupe de musiciens sélectionnés pour accompagner des artistes de renom comme Nat King Cole, Anita Bryant, etc. lorsque ceux-ci visitaient London. La liste des prestations incluait aussi des présentations dans le sud-ouest de l’Ontario, dans divers événements comme soliste ou en duo, comme invités dans des événements publics dont la présentation de mes propres compositions dans des collèges (c.-à-d. le Collège Victoria de musique à Toronto). L’une de mes propres compositions, mais pas pour le violon, a été publiée en 1960 et a servi de morceau d’accompagnement de texte dans un festival à London, en Ontario.

L’heure du sport -

Ce sommaire ne saurait être complet sans mentionner au passage ma vie sportive.

Les sports étaient « chose du passé » après mon arrivée au Quai 21 en 1951. Oui, pendant ma tendre enfance, j’ai participé à plusieurs sports de compétition. Cependant, cet aspect de ma vie a sombré dans l’oubli lorsque j’ai quitté notre résidence familiale à Chiavari (en Italie), et que je me suis présenté au camp de Bagnoli (à Naples) pour l’étape initiale du processus d’immigration de ma famille.

Quand j’étais garçon, j’étais un sprinteur d’exception. En 1951, j’ai reçu deux médailles dans les Jeux des Étudiants, et je me suis qualifié pour une course provinciale de 1 500 m. Cette année-là, j’étais capitaine de l’équipe de soccer junior de la ville, les Entella, entraînée par A. Bonetti, une superstar nationale qui a joué pour Triestina, l’une des premières équipes italiennes dans les années 1930. Environ onze ans après mon arrivée au Canada, j’ai repris mes activités sportives dans l’une des équipes de St-Thomas, membre de la ligue de soccer de London et de son district. La participation aux compétitions a permis de me distraire de toutes mes autres activités et des pressions d’un emploi exigeant. Après quelques éraflures et ecchymoses, un coude disloqué et bon nombre de maux en tous genres, j’ai finalement pris ma retraite de ce sport exigeant. C’était 1973 et j’avais 40 ans.

Bref, merci à tous les Canadiens et non-Canadiens qui ont enrichi notre vie dans une terre où les obstacles ont été relevés et les opportunités n’ont pas été obstruées par les préjugés.

Nicholas C. Sbarra – un immigrant reconnaissant...!
(2017)

Image de la tête de Pasquale, il porte un manteau et une cravate.
Pasquale (1942)
Teresa dans une belle fleur imprimée haut et souriant pour la caméra.
Teresa (1945)
Tête et épaules portrait de Nicola en noir et blanc.
Nicola (1949)
Portrait de jeune fille avec des cheveux de longueur d’épaule et de petites boucles d’oreilles.
Eviliana (1949)
Une vieille carte postale représentant un navire de 1951 en haute mer.
Pasquale, Teresa, Nicola et Eviliana Sbarra sont arrivés au Quai 21 à Halifax, en Nouvelle-Écosse, le 26 juin 1951 à bord du General Harry Taylor
Photo décolorée d’un camp de réfugiés en Allemagne.
Camp de réfugiés de Lesum, Allemagne
Une autre photo décolorée d’un camp de réfugiés, mais en Italie et sur l’eau.
Camp de réfugiés de Chiavari (Italie)
Une petite ferme au milieu d’un champ, une jeune fille en robe blanche se tient sur le porche.
La maison temporaire dans la ferme. Teresa Sbarra est sur le perron, à Rodney, en juillet 1951
Un homme se tient devant une stalle qui vend des feuilles de tabac.
Pasquale et Teresa à la plantation de tabac, en 1951
Deux couples bien habillés se tiennent ensemble et sourient pour la caméra.
La famille Sbarra, en juin 1955 : Nicholas – Eviliana – Teresa – Pasquale
Deux femmes se tiennent devant une maison, devant un arbuste.
Teresa et Eviliana à la ferme, en 1951
Un jeune homme en chemise blanche et casquette marche à travers un champ menant deux chevaux.
Le jeune « Ben Hur » après une course avec un ami entre les rangées de plants de tabac. La charrette s'est renversée pendant la course, et la compétition a pris fin - 1951
Une photographie professionnelle d’un groupe de quatuor musical.
Le CAPRI QUARTET - 1957 Nick Sbarra - Duncan Scott - Tony Sgromo - Ettore Lattanzio
Une médaille d’or en forme de violons est dans un cadre, avec un ruban rouge, blanc et bleu attaché.
MÉDAILLE D'OR Duo de violons, ENC 1958