Odi, Maria, Eliana, Fiorenza

Mur d'honneur de Sobey

Colonne
189

Rangée
3

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Odi, Maria, Eliana, Fiorenza
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Costa

MON HISTOIRE D’IMMIGRATION

Je suis arrivée à Halifax, au Canada, le 27 avril 1959 en compagnie de ma mère Maria et de ma sœur Fiorenza. Nous avions fait un voyage de 16 jours depuis Venise, en Italie.

Notre navire, le Vulcania, s’est amarré au Quai 21 par une journée brumeuse.

L’anxiété et l’excitation dues à notre arrivée pouvaient se sentir chez tous les passagers, et surtout chez moi. L’excitation parce que le long et parfois difficile voyage en mer était enfin terminé et l’anxiété parce que devant nous se dressait le grand inconnu qu’était le Canada, ainsi que notre nouvelle vie.

Nous venions rejoindre mon père, Odi, qui était arrivé ici 2 ans plus tôt pour commencer une nouvelle vie. L’Italie des années 1950 était un pays qui tentait de réparer les ravages de la guerre et de reconstruire une économie brisée. L’entreprise familiale de mon père avait été perdue dans le sillage de la guerre et il voulait bâtir une vie meilleure pour sa famille, surtout pour ses filles. Il voulait nous donner, avant tout, la possibilité de faire des études universitaires sans contraintes économiques.

Nous avons quitté Venise par une journée de printemps claire, ensoleillée et chaude. Ma marraine, une des meilleures amies de ma mère, nous a accompagnées jusqu’au quai de départ.

Mes grands-parents et le reste de la famille n’ont pas pu faire face à notre départ et ont choisi de nous dire au revoir chez eux.

Nous savions tous qu’il était très probable que nous ne reverrions plus jamais certains membres de notre famille. Je n’ai jamais revu mon grand-père bien-aimé après notre départ. Il savait qu’à cause de son âge et de la distance, il ne reverrait plus jamais sa fille et ses petits-enfants et il ne pouvait pas supporter cette douleur.

Sur le pont du navire, je me suis juré de me souvenir de tous les détails du voyage à venir pour pouvoir m’y reporter, puis j’ai commencé à enregistrer, dans mon esprit, les expériences telles que je les voyais.

Le voyage que nous avons fait le long de l’Adriatique jusqu’au port de Pirée, en Grèce, et même tout le long de la Méditerranée, a été calme et plein de beaux paysages. J’ai découvert de nouveaux endroits et nous avons fait monter des passagers supplémentaires en cours de route. Au début, pour nous, c’était comme des vacances.

À notre arrivée à Messine, puis à Naples, la réalité du voyage que nous faisions a commencé à prendre racine. Nous étions de plus en plus loin de chez nous, sachant très bien que le navire ne ferait pas demi-tour et que nous ne rentrerions pas de sitôt.

À Messine, j’ai vu pour la première fois la douleur déchirante de familles entières disant au revoir à des êtres chers sur l’embarcadère. Une litanie de pleurs, de désespoir et de prières.

Je n’ai jamais oublié ces scènes et l’effet qu’elles ont eu sur moi.

Juste avant de quitter la Méditerranée, nous avons fait un arrêt court et intéressant à Gibraltar. Des vendeurs se promenant sur des bateaux plus petits se sont approchés de notre navire et nous ont vendu des fruits frais et des bonbons en utilisant de longues perches pour nous atteindre sur le pont.

Nous avons ensuite fait escale à Lisbonne, où nous sommes restées amarrées toute la journée. Nous avons quitté le bateau et fait un petit tour de la ville. Je me suis émerveillée de la beauté des bâtiments, si semblables, mais si différents de ceux d’où nous venions.

Notre départ de Lisbonne a été retardé, car nous avons attendu qu’un membre de la famille royale monte à bord. Nous nous sommes régalées de voir un cortège de chevaux parés de rouge et de jaune, ainsi qu’une voiture à cheval ornée des mêmes couleurs.

La navigation calme s’est brusquement terminée lorsque nous avons fait le tour des Açores pour rencontrer les eaux tumultueuses de l’Atlantique. C’est ainsi que cinq jours de mal de mer ont commencé pour ma mère, mais pas pour ma sœur et moi. Les repas étaient servis comme d’habitude, mais chaque jour, de moins en moins de gens se présentaient.

Je me souviens que les assiettes glissaient d’un bout à l’autre de la table, alors que le navire tanguait en essuyant une tempête qui a duré une semaine. Pour nous, les enfants, essayer d’attraper les assiettes et de manger en les tenant fermement dans nos mains était un jeu.

Nous avions une cabine de deuxième classe pour quatre personnes. La quatrième passagère était une jeune femme célibataire d’une petite ville du nord de l’Italie qui allait rencontrer un futur mari qu’elle n’avait jamais vu. Elle était silencieuse et efficace et s’est occupée de ma sœur pendant que ma mère était malade.

Mon aventure canadienne a commencé lorsque nous avons accosté au Quai 21, devant un long bâtiment rectangulaire en brique rouge. La passerelle a été fixée et nous avons été conduites à travers une porte simple en acier donnant dans une aire de réception.

Nous sommes restées dans ce bâtiment pendant de longues heures, alors que chaque famille passait par les différentes étapes de la réception; contrôle des passeports et des visas, contrôle des bagages et des coffres, achat de nourriture au petit magasin qui se trouvait dans le bâtiment. À la dernière étape, nous avons été déplacées vers la gare pour prendre le train qui nous conduirait ailleurs au Canada.

J’ai des souvenirs persistants du temps que j’ai passé à la réception :

  • La séparation entre les passagers de citoyenneté britannique ou canadienne (il y en avait peu) et le reste d’entre nous;
  • La courtoisie des douaniers envers notre famille, mais pas envers d’autres, qui ont été traitées presque avec mépris;
  • Les vagues d’anxiété qui traversaient chaque cellule familiale avant que le feu vert ne leur soit donné pour rester au pays. Les douaniers pourraient encore nous obliger à faire demi-tour;/li>
  • La première fois que j’ai mangé du fromage Velveeta, le seul qu’on pouvait acheter au magasin;
  • La barrière linguistique. Aucun douanier ne parlait une autre langue. Un obstacle que nous avons essayé de surmonter en pointant du doigt et en souriant;
  • Affronter la dure réalisation que c’était l’environnement étranger dans lequel nous devions apprendre à survivre.

Une fois officiellement entrées au pays, on nous a conduits à la gare pour nous faire monter à bord du train qui nous disperserait dans les divers endroits du Canada qui avaient été désignés comme destination finale.

Notre train, connu plus tard dans le folklore sous le nom de train d’immigrants, avait des bancs de bois pour s’asseoir et dormir, était chauffé par des poêles à charbon situés à chaque extrémité des wagons et n’offrait rien à manger, autre que ce que nous avions apporté à bord.

Nous n’avions aucune idée du temps qu’il nous faudrait pour aller jusqu’à Montréal en train, mais nous nous sommes toutes les trois installées sur deux bancs face à face pour faire ce premier voyage.

Je me souviens d’avoir regardé dehors au milieu de la nuit et d’avoir été étonnée de voir de petites maisons éloignées les unes des autres. Elles avaient des petites lumières allumées et étaient entourées d’énormes quantités de neige. Nous avions quitté l’Italie au printemps, mais ici, en campagne, c’était encore l’hiver. C’est à ce moment que j’ai été submergée de tristesse et de solitude et, pour la seule et unique fois, j’ai voulu rentrer chez moi.

Une fois arrivées à Montréal, nous avons eu de joyeuses retrouvailles avec mon père.

Il nous attendait à la gare centrale, située sous l’hôtel Reine Elizabeth. Ma mère craignait que nous ne soyons pas à notre avantage, parce que nos vêtements étaient couverts de suie provenant du train. Je suis certaine que mon père n’a même pas remarqué tant il était heureux d’être réuni avec sa famille après deux longues années.

Nous avons passé la nuit dans une suite de l’hôtel Reine Elizabeth et le lendemain, nous sommes montés à bord du Canadien (un train de rêve), en route vers notre nouvelle maison située à Kenora, en Ontario.

Notre arrivée à Kenora a été un choc complet. La ville était petite, nous avions un petit appartement et il faisait encore froid au mois de mai.

On m’a immédiatement inscrite à l’école catholique pour que j’y apprenne l’anglais pendant l’été et, avec l’aide des religieuses enseignantes, j’ai pu être inscrite dans ma classe ordinaire au mois de septembre.

Mon parcours académique venait de commencer. J’ai rapidement appris l’anglais, j’ai toujours été première de classe et j’ai même commencé à faire de la traduction pour d’autres Italiens qui avaient besoin de renseignements gouvernementaux, de documents et de cours. L’Église catholique m’a même demandé de traduire des cours de préparation au mariage pour les jeunes mariées.

Comme nous étions la seule famille italienne de Kenora, notre maison est devenue une plaque tournante pour les jeunes hommes seuls, loin de chez eux, qui avaient besoin d’un bon repas. Tous les Italiens qui arrivaient à Kenora, que ce soit comme nouveaux immigrants ou comme visiteurs du sud de l’Ontario, étaient immédiatement dirigés vers notre appartement et inévitablement invités à rester pour le souper.

Le plus difficile pour moi, tant à Kenora qu’à Thunder Bay, a été de m’intégrer à la façon canadienne de faire les choses. Les amitiés, les fréquentations, les coutumes et la compréhension culturelle. Je suis une personne extravertie, j’avais laissé derrière moi une foule d’amis qui, je le savais, m’auraient soutenue tout au long de ma vie.

Ils me manquaient terriblement et je me demandais si je m’intégrerais un jour à ce nouvel endroit. Des enseignants et des pairs compréhensifs, dont certains sont encore mes amis, m’ont expliqué les quelques cas de discrimination à mon égard et m’ont guidé dans les premiers ajustements culturels.

Par conséquent, mes années d’adolescence ont été solitaires et prudentes à l’égard de mes relations avec mes pairs. J’ai très soigneusement choisi les personnes que je laissais entrer dans ma vie privée et dans mes pensées, de peur d’être incomprise ou blessée.

J’ai travaillé tout au long de mes études secondaires, non seulement pour aider à payer les dépenses familiales, mais aussi pour interagir avec des gens d’origines diverses. J’ai passé beaucoup de temps à lire des auteurs de langue anglaise. Ils m’ont enseigné les normes sociales de la société dans laquelle je grandissais.

Ce sentiment de séparation s’est finalement estompé à l’université, lorsque j’ai réalisé que je m’étais totalement intégrée à l’environnement canadien.

Heureusement pour moi, mon père n’était pas un père italien traditionnel. Il me laissait prendre mes propres décisions et acceptait mes choix, offrant toujours un endroit sûr et sans jugement où me poser, en cas de besoin.

Notre famille a trouvé un nouveau départ ici, au Canada. Mon père a repris son métier, a appris à jouer au golf et s’est joint à de nombreux clubs. Ma sœur et moi avons suivi la voie que nos parents souhaitaient nous voir prendre, c’est-à-dire l’école, les emplois bien rémunérés, les amis et le mariage.

Ma mère est possiblement la personne qui a fait le plus de sacrifices en venant ici. Elle a laissé derrière elle ses parents, ses frères et sœurs et de merveilleux amis. Elle a appris l’anglais en regardant la télévision et en lisant des livres. Elle a suivi le rêve de mon père, celui d’un nouveau départ, et, ce faisant, a enterré une partie d’elle-même.

Elle ne s’est jamais plainte de la vie qu’elle a laissée derrière elle et elle était extrêmement fière d’être devenue citoyenne canadienne avec ma sœur et moi, trois ans après notre arrivée.

J’ai réalisé les rêves de mes parents en obtenant des diplômes d’études supérieures, puis en ayant une merveilleuse carrière comme enseignante, administratrice au gouvernement et propriétaire d’entreprise.

J’ai parcouru le monde et chaque fois que je reviens au Canada, j’apprécie à nouveau les possibilités que ce pays m’a offertes, ainsi que la décision de mes parents d’y émigrer.

Eliana Handford (Costa)

Quatre femmes et deux enfants sont assis autour d’une table.
Un groupe d’adultes et d’enfants debout sur le pont d’un navire; ils portent tous des vestes de sauvetage.
Page photo d’un vieux passeport italien, avec une étampe datée du 5 mars 1957.
Vieille carte d’immigrant canadienne, avec des dates estampées et l’information du détenteur.
Page photo d’un vieux passeport italien contenant la photo d’une femme et de deux enfants.
Vieille carte d’immigrant canadienne, avec des dates estampées et l’information du détenteur.