Mur d'honneur de Sobey
Colonne
162
Rangée
19
John Freeman-Marsh
Sacrifice, courage et bonté
Je suis l’un des enfants britanniques évacués de la Seconde Grande guerre, mieux connus sous le nom d’enfant CORB ou CORBIE (Children’s Overseas Reception Board/Comité de réception des enfants à l’étranger), à ne pas confondre avec les « Petits immigrés anglais », un programme qui a pris fin avant la Seconde Grande guerre. Avec cela à l’esprit, voici l’histoire des expériences que j’ai vécues :
Un soir de mi-juillet 1940, après le retour du travail de mon père (à l’Amirauté), nous avons eu une brève discussion avec ma mère durant laquelle elle m’a demandé si j’aimerais aller au CANADA. Comme je venais tout juste d’avoir 7 ans quelques semaines plus tôt et ne savais rien du Canada, sinon où il était situé, je n’ai pas répondu. On me dit alors que c’était de l’autre côté de l’océan, qu’il y avait beaucoup de neige pour glisser et que des cowboys et des indiens y vivaient. WOW! Cela semblait un endroit formidable à visiter. Subséquemment, une journée du mois d’août, je me suis retrouvé quittant la maison avec mes parents en route vers la gare de Newcastle. Là, nous avons été accueillis par une dame qui, après une courte conversation avec mes parents, m’a amené loin d’eux, prenant ma main droite dans la sienne et utilisant l’autre main pour porter ma petite valise brune. Nous sommes montés dans le train déjà plein d’autres enfants se dirigeant vers une destination inconnue qui s’est avérée être Glasgow en Écosse. Nous sommes débarqués du train, montés dans des autobus et conduits à travers le pays vers une école dotée d’un vaste gymnase. Dans ce dernier se trouvaient plusieurs rangées de lits, placés à quatre pieds l’un de l’autre et la salle était garnie seulement d’une rangée de fenêtres hautes le long d’un mur. À la brunante, chacun des enfants a été assigné à sa couchette et enjoint de dormir. Parfois, au milieu de la nuit, nous étions réveillés par une série d’explosions et la plupart d’entre nous grimpaient tour à tour sur le mur pour observer les raids aériens à distance jusqu’à ce que les accompagnateurs du CORB arrivent et nous renvoient au lit. L’après-midi suivant, nous sommes montés de nouveau dans les autobus et nous avons pris la route vers les quais de Greenock. La cabine qui m’était assignée avec cinq autres garçons comportait deux couchettes superposées placées de chaque côté de la chambre et séparées par une allée garnie d’un petit hublot à demi submergé par la ligne des eaux. Les trois garçons plus âgés avaient chacun leur propre couchette, et Squib (c’était son surnom, il n’avait que 6 ans et était plus petit que moi) et moi partagions une couchette inférieure, nos têtes étant placées aux extrémités opposées du lit pour dormir. Le jour suivant, en mer, lorsqu’on nous a permis de monter sur le pont, j’ai été étonné de constater que nous faisions partie d’un grand convoi composé de nombreux navires océaniques escortés par des destroyers, le HMS Revenge étant en tête de convoi. Presqu’à mi-chemin sur l’Atlantique, notre escorte navale nous a quittés et nous avons par la suite essuyé une violente tempête. Personne n’avait le droit de monter sur le pont, notre navire tanguait et tournait sur les énormes vagues. Quand nous tentions de marcher le long d’une coursive, un instant nous descendions et l’instant suivant, nous montions. Plusieurs d’entre nous avaient le mal de mer. La traversée de l’Atlantique a duré dix jours. Nous sommes arrivés sains et saufs à Halifax, Nouvelle-Écosse, et avons accosté au Quai 21.
Un peu plus tard, nous avons débarqué du navire pour pénétrer dans la zone de réception du Quai 21, dans la plus grande confusion. Quelqu’un a placé sur le côté de ma valise une étiquette marquée Montréal. Après avoir quitté le Quai, on nous a menés à la gare, mais plutôt que de monter dans le train, nous sommes montés dans des autobus pour arriver au dortoir de l’« École pour les aveugles » de Halifax, vacante durant les mois d’été. Au fil des jours, notre groupe diminuait à l’école puisque les enfants désignés (parce que leur placement auprès de parents avait été arrangé plus tôt) étaient recueillis et partaient vers leur nouveau foyer. Pour le reste d’entre nous, les non-désignés, nous devions être placés dans les foyers de ceux qui s’étaient inscrits pour recevoir un CORB pendant la durée de la guerre. J’étais l’un des derniers à partir, me demandant ce qui n’allait pas avec moi, tandis que je regardais à travers les barreaux de la clôture de fer forgé, regardant les autres enfants jouer de l’autre côté de la rue dans les jardins publics de Halifax. Je pleurais. Un membre du personnel passant par-là m’a entendu et entraîné dans un bureau. Là, j’ai été présenté à Mme Fordham qui m’a pris en pitié. Je ne savais pas à ce moment-là que sa fille aînée et son mari étaient sur la liste des foyers d’accueil inscrits et j’ai été placé dans la famille de Bertha et Harry Freeman, à Darthmouth. Ils étaient tous deux très gentils et généreux pour moi et, avec le temps, j’ai décidé de les appeler maman et papa. Je n’aurais pu rêver de meilleurs parents adoptifs, de familles voisines aussi amicales et aidantes, tout comme la majorité de mes professeurs. Les Freeman insistaient pour que j’écrive chaque mois à mes vrais parents pour les renseigner sur mes activités, ce que je trouvais difficile.
En 1943, mes parents, John et Bertha Marsh, se sont présentés devant le tribunal et ont demandé que mon nom de famille soit changé de MARSH à FREEMAN-MARSH, pour remercier les Freeman de prendre soin de moi durant les années tourmentées de la guerre.
Quand la guerre a pris fin en 1945, je ne voulais pas retourner en Angleterre comme l’exigeait le programme CORB. Mes parents, réalisant que mes chances d’éducation étaient plus grandes au Canada qu’en Angleterre (à moins de venir d’une famille riche ou de la classe supérieure) ont demandé aux Freeman si ce serait possible pour moi de rester un peu plus longtemps afin de poursuivre des études supérieures. Tout le monde étant d’accord, je suis demeuré au Canada après ma diplomation du collège Dartmouth High, et j’ai poursuivi mes études jusqu’à l’obtention de mon baccalauréat de génie civil de Nova Scotia Tech. Un peu plus tard, après avoir atteint l’âge de 21 ans, j’ai demandé et obtenu ma citoyenneté canadienne. C’est alors que, 20 ans après avoir quitté l’Angleterre, j’y suis retourné pour rendre une courte visite à mes vrais parents. Je ressentais un curieux inconfort à leur égard puisqu’ils étaient pour moi comme des étrangers.
La fois suivante où j’ai visité le QUAI 21 avec ma femme Marie, c’était en septembre 2010 pour assister à la réunion commémorative du 70e anniversaire de CORB. On nous a offert une magnifique visite des installations menée par le gestionnaire de la recherche du Musée, à la fin de laquelle chacun a reçu une photo encadrée du navire qui l’avait amené au Canada. En y réfléchissant, durant un banquet plus tard ce soir-là, tous les participants se sont entendus pour affirmer notre immense gratitude pour tout ce que nous avions reçu et conclure qu’en fait, nous étions les « PLUS CHANCEUX ».
John Freeman-Marsh