Mur d'honneur de Sobey
Colonne
196
Rangée
9
Arrivant à titre de : Immigrant
Pays d'origine : Allemagne
Nom du navire : Anna Salén
Port d'entrée : Quai 21
Date d'arrivée : 16 novembre 1951
Âge à l'arrivée : 20 ans
Qu’il soit connu que, moi, Hans Escher, suis né le 3 septembre 1931 en Kerkrade, Pays-Bas. Mes parents étaient Adolf Escher et Paula von der Stein, et je suis l’aîné d’une famille de neuf enfants. Mes parents étaient de souche et de nationalité allemande. En 1935, pendant la Dépression, nous avons été obligés de retourner au « Reich ».
Nous nous sommes retrouvés dans le « Gau » de Mecklenburg, non loin de l’Elbe, où je suis allé à l’école dans le village de Garlitz. À six kilomètres de là se trouvait la ville de Luebtheen, qui comptait 5 000 habitants, de beaux bâtiments et de nombreux tilleuls.
La place du marché se trouvait au centre et les routes des villages périphériques y convergeaient. On y trouvait une énorme « Evangelische Kirche », qui n’était fréquentée par la congrégation que pour les mariages et les enterrements, bien que leurs normes morales aient été aussi élevées que celles de n’importe qui d’autre. Plus bas, dans la « Bahnhofstrasse », se trouvait l’église catholique, installée dans un hangar en bois, qui a joué un rôle dans ma vie.
Le dimanche, je devais accompagner ma grand-mère à cette église lointaine. Sa main droite accrochée à mon épaule, moi, un jeune garçon, supportais la moitié de son poids, au point que j’en prenais mal à l’épaule.
Au début de la guerre, seuls les citoyens étaient autorisés à assister au service religieux. Les soi-disant « travailleurs esclaves » s’entassaient à l’extérieur, écoutant à travers la porte. De temps à autre, une âme courageuse ouvrait la porte et se faufilait à l’intérieur. Le prêtre arrêtait la messe pour les chasser. Ce qui m’agaçait le plus, c’était quand cet homme arrivait avec une longue perche, une poche et une cloche attachée au bout, puis la tenait sous le visage de quelqu’un. Si quelqu’un était réticent à mettre de l’argent dans la poche, il faisait sonner la cloche en secouant la perche d’avant en arrière.
Le dimanche était aussi le jour où les Jeunesses hitlériennes se réunissaient, ce que je devais manquer.
Le lundi matin, je devais faire face à mes camarades de classe : « Escher, où étais-tu hier? ».
Quand ma grand-mère ne venait pas rendre visite, je devais quand même aller à l’église. J’aurais pu faire l’école buissonnière, mais nous avions appris à obéir à nos parents. Tout cela était tellement politique, un affront, une provocation, une attaque de front. Venir au Canada fut une décision facile à prendre.
Luebtheen offrait un service de bus vers la gare ferroviaire située près de Pritzier. Le bus était exploité par le bureau de poste. Il était de couleur jaune et tirait une remorque fermée à deux roues qui contenait les colis et les lettres. Il avait un klaxon musical et semblait rouler vite. Autrefois, une diligence transportait le courrier entre Hambourg et Berlin, passant pratiquement devant notre maison, le postillon faisant sonner son cor.
Aujourd’hui, le cor est le logo de la poste et est affiché sur toutes les boîtes aux lettres.
À Luebtheen, il y avait aussi une prison, des barreaux aux fenêtres. Ça nous effrayait, nous, les enfants. De temps à autre, le policier nous surprenait à rouler deux de front, nos vélos côte à côte. Il agitait son doigt en notre direction.
À Garlitz, nous habitions dans une maison louée qui avait un peu de terrain. Mon père était employé par le gouvernement, au ministère de l’Agriculture, et ne rentrait à la maison que le dimanche. Lorsque la guerre a éclaté en 1939, il a rejoint la « Wehrmacht ».
Une fois la guerre terminée, en 1945, nous avons intégré l’Allemagne de l’Est. Nous avons déménagé un peu plus en amont de la rivière Side, dans le village de Quassel. Peu de temps après, mon père est également rentré de son service militaire. Ma mère a réussi à me trouver un stage. Je lui en serais éternellement reconnaissant. Je suis devenu compagnon charron.
C’est une honte qu’une personne ait à partir « Die schöne Heimat »; le foyer, qui avait tant à offrir. De nombreux Allemands chantent la chanson du fils qui rentre à la maison, « Zur Heimat, nach Mutter, zu Haus ».
Mais, l’Amérique était le pôle d’attraction. À un moment donné, j’ai eu l’occasion de voir une photographie du parquet de la bourse du NYSE. De jeunes hommes vêtus de chemises blanches, de cravates et de beaux pantalons, marquant les cotes au tableau. J’ai secrètement souhaité avoir un travail comme celui-là. Si je vous disais que j’ai fini par avoir un emploi de dessinateur au Canada, chemise blanche et cravate y compris, le croiriez-vous? J’ai trouvé le pot d’or au bout de l’arc-en-ciel.
Le dimanche de la Pentecôte 1951, laissant tout derrière moi, je suis parti vers « l’Ouest », enfonçant ainsi un autre clou dans le cercueil du communisme. « Pourquoi ne pas déménager en bonne et due forme? » J’y ai réfléchi et puis j’ai fait une demande pour venir au Canada. Le gouvernement canadien m’a avancé le prix du billet et je suis arrivé à Halifax à bord du Anna Salén en novembre 1951. Peu de temps après, je coupais des arbres pour en faire de la pâte à papier sur une île du lac Supérieur, près de Schreiber.
Tout s’est mis en place. Bravo au Canada, au ministère de l’Immigration et à mon premier employeur, « Great Lakes Lumber and Shipping ».
H.E. 2021