Mur d'honneur de Sobey
Colonne
200
Rangée
5
Mon histoire d’immigration, racontée par Rosa Maio le 15 janvier 2023.
Je suis née à Milazzo, en Sicile, en 1931. Ma date de naissance réelle est antérieure à ma date de naissance enregistrée, car mon père n’a pas pu faire le trajet pour m’enregistrer à ma date de naissance réelle. Comme beaucoup d’autres autour de nous, ma famille était pauvre. De nombreux enfants n’allaient pas à l’école. Je suis allée à l’école jusqu’en troisième année, mais je n’ai pas pu poursuivre mes études, car l’école supérieure était loin et mon père avait besoin de mon aide dans les champs. Il a dû employer des hommes pour supplémenter le travail de ses six filles, car il n’avait pas de fils pour effectuer les tâches les plus dures. Enfants, nous faisions le même travail que les adultes. En été, nous nous levions tôt pour travailler dans les champs, car il faisait trop chaud plus tard dans la journée.
L’été, nous marchions et travaillions pieds nus et, en hiver, nous portions des sandales en bois sans chaussettes. Nous plantions des tomates et de la laitue, et nous élevions toujours deux veaux dans l’étable. Une fois engraissés, nous les vendions pour en faire de la viande. Nous cultivions également du raisin et faisions du vin chaque année, en septembre. Nous en gardions un peu, mais nous vendions la plus grande partie et devions reverser les deux tiers des profits pour le propriétaire.
Je me souviens que j’avais neuf ou dix ans lorsque j’ai vu les premiers signes de la guerre; les avions de chasse et la fumée des bombardements à Messine. Alors que la guerre se rapprochait de nous, nous entendions les canons tirer sur les navires allemands qui étaient arrivés dans le port de Milazzo. Nous avons ensuite entendu les avions de chasse allemands lâcher des bombes. Lorsque les sirènes et les cloches des églises sonnaient l’alerte, nous courions nous cacher à plat ventre sous les arbres et les vignes, en nous couvrant la tête avec nos mains pour nous protéger des éclats.
À un moment donné, nous nous sommes réfugiés dans la maison de notre grand-mère, où les hommes avaient creusé un abri souterrain. Nous nous y sommes cachés pour nous protéger des éclats d’obus, mais nous n’aurions pas été protégés contre une bombe.
À un moment donné, nous avons marché sur les berges d’une rivière asséchée pour nous rendre jusqu’aux montagnes, où il y avait moins de danger. Nous avons demandé l’asile à un fermier qui a permis à ma famille de s’abriter dans sa grange, avec ses moutons. Nous y sommes restés pendant environ un mois. Pendant cette période, les commerces ayant tous été abandonnés, les hommes pillaient les magasins pour se procurer de la nourriture dès qu’ils en avaient l’occasion, car nous n’avions rien. À notre retour, comme nous avions abandonné nos champs, toutes nos récoltes avaient été perdues.
J’ai épousé mon mari Andrea à l’âge de 20 ans et nous avons eu deux enfants. Nous étions des paysans.
Le frère de mon mari, Stefano, a suivi un cours d’un an à Rome pour se spécialiser en construction, afin d’être autorisé à entrer au Canada. Son oncle pouvait se porter garant de lui une fois au pays.
Quelques années plus tard, mon beau-frère a à son tour appelé mon mari. En 1959, mon mari, mes enfants et moi-même avons quitté Milazzo pour nous rendre à Rome afin de passer un examen de santé, pour être certains que nous étions aptes à venir au Canada. Nous devions être en parfaite santé, sans handicap ni maladie contagieuse. Nous devions également nous faire vacciner avant de partir.
Mon mari est parti en mai 1959 à bord du navire Saturnia. Il avait l’intention de gagner de l’argent au Canada pendant quelques années, puis de revenir à Milazzo. Il s’est vite rendu compte qu’il devrait rester plus longtemps pour gagner suffisamment d’argent et m’a demandé de venir avec les enfants avant l’expiration de notre visa. Notre plan était de revenir en Italie une fois bien installés.
Ma famille fut triste de me voir partir. J’ai eu du mal à partir, mais je devais suivre mon mari.
J’ai quitté l’Italie le 8 octobre 1959, également à bord du Saturnia, avec mes deux enfants, Antonino, 6 ans, et Francesca, 4 ans. J’avais alors 28 ans. Après deux jours à bord, lorsque nous avons passé Gibraltar, la mer est devenue agitée et j’ai attrapé le mal de mer. J’ai passé le reste du voyage au lit. Mes enfants ont pu profiter du navire en toute liberté. Nous sommes arrivés à Halifax le 20 octobre 1959. De Halifax, nous avons pris un train marchand pour nous rendre jusqu’à Toronto. Le voyage a duré deux jours.
Nous sommes allés vivre chez le frère de mon mari, Stefano, qui nous avait parrainés. Ma belle-sœur m’a aidé à me trouver un emploi. Nous avons fait de l’autostop d’une usine à l’autre. J’ai d’abord travaillé à l’usine de pâtes Sergetti où je gagnais 29 cents de l’heure. Mon mari travaillait dans la construction, puis a rejoint son frère qui a lancé une entreprise d’excavation, Maio Excavators. Mon mari y était contremaître et conduisait l’excavatrice. Un an plus tard, nous avons loué le deuxième étage d’une maison à Mimico.
Je travaillais à l’usine de 7 heures à 17 heures. Mon mari commençait à travailler à 6 heures du matin. Il me reconduisait au travail dans le camion de l’entreprise. Nous quittions la maison à 5 h 30 et déposions les enfants chez ma belle-sœur. Il me déposait à l’usine et le gardien me laissait entrer. Je faisais la sieste sur une palette jusqu’à ce qu’il soit temps de commencer à travailler.
Pour rentrer chez moi, je marchais 10 minutes jusqu’à l’arrêt de bus le plus proche, puis je prenais deux autobus. Mes bottes d’hiver étaient des bottes en caoutchouc sans doublure. Mon mari rentrait à la maison entre 19 h 30 et 21 h.
J’ai travaillé pendant six ans, puis j’ai eu deux autres enfants, Josie et Annette. Je me suis retirée du marché du travail et j’ai passé le reste de ma vie à m’occuper de ma famille. J’ai aujourd’hui 91 ans, quatre enfants mariés et neuf petits-enfants que j’ai aidé à élever. J’ai également 8 arrière-petits-enfants. Je suis très fière de ma famille. Au total, nous sommes 34 fiers Canadiens et Canadiennes.