Rudolf E. Braune

Mur d'honneur de Sobey

Colonne
119

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22

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Rudolf E. Braune

Mon histoire

Rudolf E. Braune

Le 20 avril 1951, à l’âge de 31 ans, j’ai embarqué sur le S.S. Neptunia à Bremerhaven en Allemagne. Je laissais derrière moi une vilaine guerre, une période passée dans une prison russe et j’avais la chance d’être « invité par le général Eisenhower » aux États-Unis car ma qualité d'ingénieur y était recherchée. Ma future femme avait été gravement blessée vers la fin de la guerre et ne pouvait pas faire le voyage à l’époque, et j’ai donc attendu qu’une opportunité se présente pour émigrer au Canada. À l’époque, la situation était sinistre en Allemagne avec les Américains et les Russes qui se partageaient le pays. J’ai décidé qu’il était temps de chercher fortune ailleurs. Mon père et mon grand-père avaient avant moi passé leur jeunesse à combattre à la guerre et à risquer leur vie. Je me suis dit qu’un nouveau pays m’offrirait un nouveau départ. Ainsi, en ce jour spécial, je suis parti tout seul, laissant derrière moi tout ce que j’avais connu : mes parents, mes proches, mes amis, ma femme et notre petite fille (qui allaient me rejoindre quatre mois plus tard).

Le navire me semblait petit et je partageais une cabine avec d’autres. Elle était située tout en bas, près de la ligne d’eau et du tunnel de l’arbre de transmission. Le coût du voyage était de 600 deutsche marks, soit environ 200 dollars canadiens. Depuis Bremerhaven, l’escale suivante a été Le Havre, où j’ai observé de nombreuses équipes de récupération qui renflouaient des navires coulés pendant la guerre. Nous avons traversé la Manche et d’autres émigrants sont montés à bord à Southampton, où les traces de la Seconde Guerre mondiale étaient encore évidentes, avec des bâtiments en ruines suite aux bombardements et d’autres navires coulés.

Le Neptunia s’est alors engagé dans le vaste océan Atlantique. Il n’avait pas été conçu pour faire face à la mer démontée que nous avons rencontrée. Les dix personnes qui dînaient à notre table ont rapidement été réduites à quatre, malgré l’excellente nourriture et l’équipage grec remarquable. Beaucoup souffraient du mal de mer. Les générateurs se sont arrêtés à quelques reprises et la pression de l’eau était très basse. Je prenais ma douche autour de minuit, lorsque la pression semblait un peu plus forte, mais je devais quand même tanguer à droite et à gauche pour attraper le mince filet d’eau qui sortait du pommeau de douche. Au milieu du navire, j’ai remarqué que les murs et le sol étaient inclinés vers le bas en un point précis, et j’espérais que le navire n’allait pas se briser dans cette mer déchaînée.

À cause du mauvais temps, nous passions la plupart de notre temps à l’intérieur du navire. J’ai beaucoup joué aux échecs avec une jeune femme qui adorait ce jeu. Elle avait apporté un jeu d’échecs dont les pièces avaient une pointe qui se fixait dans des trous sur l’échiquier ; sans cela, nous n’aurions pas pu jouer pendant cette traversée mouvementée. Elle avait l’amabilité de payer les boissons, je suppose que c’était une manière de me remercier d'avoir joué aux échecs avec elle. De toute façon je n’avais pas d’argent à dépenser sur le navire. Je n’ai que peu discuté avec les autres passagers ; la plupart d’entre eux avaient le mal de mer et restaient dans leur cabine.

Le 5 mai 1951, nous sommes arrivés à Halifax. Le navire est resté ancré dans le port pour la nuit. Nous étions tous debout sur le pont à regarder les lumières de la ville en nous demandant si nous avions bien fait en décidant de partir pour cette nouvelle terre.

Le matin suivant, le 6 mai, nous avons foulé le sol canadien. Nos bagages ont été déchargés et les agents de l’immigration ont commencé leur travail. Les formalités n’ont pour moi duré qu’un instant, et l’un des agents m’a demandé de l’aider à traduire. J’ai été surpris de constater que mon anglais de scolaire était suffisant pour le faire. Parmi les Allemands qui sont passés par l’immigration, il y avait un ancien prisonnier de guerre allemand qui avait purgé sa peine dans un camp de prisonniers de Bowmanville. Il a été autorisé à pénétrer au Canada avec un « thank you » amical. À ce moment je commençais à me sentir soulagé, particulièrement parce que ma connaissance de l’anglais semblait suffisante.

Nous avons pris un train pour Toronto. Nous sommes arrivés à 11 heures du soir le même jour. Le lendemain matin, alors que j’achetais à manger dans une épicerie allemande, le propriétaire du magasin (sachant que j’avais vraiment besoin de trouver un emploi et que j’étais prêt à tout faire) m’a présenté à un partenaire qui venait de rentrer dans l’épicerie en lui disant qu’il avait un charpentier pour lui. J’ai immédiatement eu mon premier emploi, avec un salaire de 1 dollar de l’heure plus les heures supplémentaires. Quatre mois plus tard, j’étais ingénieur chargé de projet auprès d’une société de consultants. Ceci coïncidait avec l’arrivée de ma femme et de ma petite fille d’Allemagne. J’ai très rapidement pu acheter ma maison et démarrer mon entreprise. Ma famille s’est agrandie avec deux filles et, plus tard, un petit-fils. Tout allait pour le mieux.

Quel pays merveilleux !

Ancien document jaune qui lit la carte d’identité de l’immigration.
Carte d’immigration de Rudolf
Portrait de Rudolf et Margot en jeune couple.
Rudolf et Margot
Rudolf est un homme plus âgé qui montre sa plaque du Mur d’honneur au Musée du Quai 21.
Rudolf à 90 ans - devant le mur d’honneur de Sobey