Mur d'honneur de Sobey
Colonne
49
Rangée
13
Nous vivions dans une seule pièce à Villach, en Autriche. Nos deux maisons avaient été détruites par les bombes. Mon mari était un réfugié italien de la Yougoslavie communiste. Nous avons décidé de faire une demande d'immigration pour le Canada à Trieste, en Italie, qui était alors un territoire libre. J'étais enceinte. Nous n'avions aucun espoir de trouver un endroit où vivre à Trieste ou en Autriche. Alors, au début du mois de novembre 1951, nous sommes montés à bord d'un train d'immigration pour Lesum, à Bremerhaven, en Allemagne (un camp de réfugiés).
Mon mari a pu embarquer tout de suite sur le Fairsea et il est arrivé à Halifax au Quai 21 le 4 décembre 1951. Je n'ai pas été autorisée à aller au Canada avec mon mari parce que j'étais enceinte de sept mois et demi.
J'ai été envoyée dans un camp à Blankensee près de Lübeck, en Allemagne. Je me souviens des longues files pour les repas et des matelas faits de feuilles de maïs sur lesquels je me couchais ainsi que des longues marches pour se rendre au bureau des réfugiés pour savoir combien de temps ça prendrait avant que je puisse aller au Canada. Je ne voulais pas avoir mon bébé dans le camp. Quand je suis retournée à la barrière, je ne pouvais plus marcher et deux gardes polonais m'ont transportée dans le camp. Je me souviens aussi des piqûres des punaises de lit. J'étais dans le camp à Noël en 1951 et j'ai célébré Noël à la mode américaine cette année-là. Finalement, on m'a envoyée à Bremerhaven le 27 décembre 1951. On m'a mise à bord du train dans la dernière voiture de passagers. Le voyage a été très difficile pour moi.
Je suis montée à bord du Fairsea le 28 décembre 1951. En montant sur la passerelle, j'ai vu de petits flocons de neige et je me répétais : « Au nom de Dieu, je pars ». L'équipage m'a placée dans une cabine avec beaucoup d'autres personnes et je ne voyais que des hamacs pour dormir. Un jeune marin, un Italien, a dit à l'un des ses supérieurs : « Cette femme ne peut pas dormir dans un hamac». Alors, ils m'ont mise dans une autre cabine où il y avait un lit. Comme toilette, il y avait un pot de chambre. La mer était très agitée. C'était vraiment effrayant. Une femme, pas très grande, a placé des coussins de sauvetage autour de moi.
Je suis allée à la salle à manger deux fois seulement. Je me souviens des longues tables avec des boîtes de céréales Cornflakes, avec la photo d'un gros coq dessus, et de m'être demandé ce que c'était. J'ai grignoté quelques flocons de céréales, mais je n'avais pas vraiment faim. Je me souviens d'avoir vu des hommes de grande taille avec des habits noirs et de grands chapeaux. Je suis tombée tellement malade qu'on m'a amenée à l'infirmerie du navire. Je n'ai pas mangé ni bu quoi que ce soit parce que je ne pouvais rien garder. À cause de la mer houleuse, les pots de chambre roulaient sur le plancher et je ne pouvais pas en trouver un. Alors je laisse le reste à votre imagination.
Tout ce que j'entendais, c'était le bruit du navire qui frappait les vagues parce qu'il y avait une grosse tempête. Chaque minute, je me disais que le bateau allait se briser en deux. Puis, j'ai entendu des voix crier : « Je vois la terre, je vois la terre » ce qui voulait dire que nous étions enfin arrivés. Le médecin du navire est venu me voir et il m'a dit que tout avait été préparé au cas où mon bébé naitrait sur le bateau. Si cela avait été le cas, mon bébé aurait été citoyen du Panama.
Nous sommes arrivés dans le port de Halifax le 8 janvier 1952, avec quatre jours de retard à cause de la mer déchaînée. J'ai vu des représentants officiels monter à bord et épingler une médaille sur la poitrine du capitaine. (Le capitaine était directement en face de moi.) Je sais maintenant qu'il a probablement reçu une médaille pour avoir éloigner notre bateau d'une tornade ou d'un ouragan, d'où les quatre jours supplémentaires en mer. Le médecin du navire voulait que j'aille à l'hôpital, mais je ne savais pas que le Quai 21 avait un hôpital, alors j'ai refusé d'y aller et j'ai dit que je monterais dans le train. Le médecin m'a pris par la main et m'a amenée à bord et il m'a dit qu'il s'occuperait de mes papiers d'immigration. Il est revenu avec un agent d'immigration et on m'a remis mes papiers estampillés « Immigrant reçu, Immigration Canada ». Le médecin m'a dit qu'une infirmière allemande allait être à bord du train pour Toronto. Le train a dû attendre longtemps parce qu'il fallait vérifier plus de 2000 documents d'immigration. Je me souviens que les sièges étaient tellement durs que je glissais d'un côté à l'autre. Tout était vraiment déprimant. Beaucoup de larmes ont été versées. J'ai pleuré en silence en pensant à ma mère et à mon père. Des souvenirs d'enfance me revenaient à l'esprit et je revoyais mes journées passées avec mes amies d'école et mon petit frère, mais j'étais vivante et mon bébé naîtrait au Canada.
Le matin est arrivé et j'ai regardé dehors, mais tout ce que je pouvais voir, c'était des forêts, encore des forêts et pas de maisons. J'ai demandé : « Est-ce que c'est ça le Canada ? » Quand j'ai quitté l'Autriche, on m'avait dit qu'il y avait des Indiens au Canada. Alors, croyez-le ou non, je cherchais des tentes et des tipis. Je n'en ai pas vus, seulement des forêts. Nous sommes arrivés à Montréal et j'ai vu des maisons. Alors je me suis sentie mieux.
Nous sommes arrivés à Trenton, en Ontario, où mon mari m'attendait. C'était le 11 janvier 1952. Ma fille est née le 25 février 1952. Elle avait deux dents et le médecin les lui a enlevées. Je ne sais pas pourquoi il m’a fallu attendre deux jours après la naissance de mon bébé avant qu’on me l’amène. Je pensais qu'il était mort. Après trois mois, nous avons déménagé à Belleville, en Ontario. À Trenton, nous vivions à côté de l'aéroport et les avions faisaient des manœuvres jusqu'à 11 h 30 tous les soirs. Ça me rappelait les bombes qui tombaient sur mon pays. Ça me rendait tellement nerveuse que nous avons dû déménager.
C'est le récit de mon voyage au Canada.