Mur d'honneur de Sobey
Colonne
28
Rangée
13
D’après la traduction anglaise du journal de Peter Hessel
À bord du MS Anna Salén au nord de la mer du Nord, au large des côtes écossaises.
Le mardi 17 juin 1952 :
Le vendredi (le 13 juin), j’ai vu le grand voilier Pamir, un navire-école allemand, dans le port européen de Brême.
Le samedi (le 14 juin), on m’a dit au bureau de la documentation que je figurais sur la liste des passagers du MS Anna Salén qui devait naviguer pour Halifax le 16. Dans une salle de cinéma, nous avons écouté une présentation sur le voyage donnée par un officier accompagnateur en second (une femme) sur le Anna Salén. Je me suis porté volontaire pour travailler au bureau de la documentation à bord du navire.
Le dimanche (le 15 juin), on m’a examiné et j’ai reçu mes billets de train pour Bremerhaven et mon passeport. C’est seulement à ce moment-là que j’ai eu la certitude que j’allais partir naviguer. Le samedi, j’ai vendu mon manteau d’hiver à un prêteur sur gage à Vegesack. Je ne voulais pas passer mes quelques derniers jours en Allemagne les poches vides. Le samedi soir, on nous a montré un film intitulé « Der Heiratsschwindler » (Le Mariage frauduleux) qui avait 20 ans et qui n’était pas la meilleure façon de dire au revoir au cinéma allemand. Le son était très mauvais. Un documentaire sur notre voyage suivait le film. La nuit a été courte et tout le monde a plus ou moins bien dormi.
Hier matin, mercredi 16 juin, je me suis levé juste après 5 heures. Nous devions rendre nos couvertures au superviseur du bloc. Après le petit-déjeuner, nous avons passé l’inspection des douanes dans un grand hall aux bagages. Rien n’était vérifié : on n’a fait que passer. Les bagages étaient chargés à bord de camions et on nous a fait faire la queue une fois de plus. On est montés à bord de plusieurs autobus qui nous ont emmenés à la gare à Vegesack. Parmi les quelques 900 émigrants, j’étais le numéro 19 et ainsi, toujours parmi les premiers. L’embarquement n’a pas pris beaucoup de temps. Le train a démarré à 10 h 15. Il y a eu quelques navettes à Burg et nous avons ensuite continué via Osterholz-Scharmbeck pour Bremerhaven en traversant un paysage assez désolé et pauvre, aux prés acides, avec des landes et de maigres champs de seigle et de pommes-de-terre.
Nous étions à Bremerhaven à midi et demi. Quand nous sommes arrivés, nous avons vu le navire de couleur grise General Harry Taylor qui emportait des émigrants aux États-Unis, et juste derrière lui, dans un blanc étincelant, le Anna Salén, un vaisseau suédois de 12 000 tonnes tout nouvellement rénové, qui venait d’être converti, pour transporter les passagers de New York aux jeux olympiques d’Helsinki, l’été suivant. À la gare, on nous a fait encore une fois faire la queue (pour les inspections de douanes et de police). Ils nous ont simplement demandé : « Combien d’argent avez-vous ? ». Rien n’a été vérifié. Puis nous sommes montés à bord du Anna Salén en faisant une file unique, par numéro. L’équipage de 70 personnes venait de toutes les nations européennes. Ils nous ont montré le chemin pour nous rendre dans nos quartiers. Chacun contenait environ 40 lits (20 lits superposés). Les quartiers étaient sous le niveau de la mer, le nôtre était loin à gauche. J’ai eu la couchette du haut. On m’a dit que c’était la meilleure puisque personne n’allait pouvoir vomir sur ma tête. J’ai installé ma valise sur mon lit et suis retourné sur le pont à la recherche du bureau (IRO). J’ai envoyé une carte postale à la maison et j’ai pris une photo du pont Columbus avec tous ces gens qui se disaient au revoir. J’ai aussi pris une photo de nos bagages qui étaient transférés depuis un wagon dans d’énormes filets qui se balançaient au bout d’une grue.
Le navire est parti à deux heures et demie de l’après-midi. Quel événement ! Il y avait tellement d’au revoir, des femmes pleuraient. Une foule de gens se massait près du bastingage. Le soleil est sorti un instant au moment où nous prenions le départ, mais il a plu le reste de la journée. Le navire était tiré par le remorqueur Sirius : à quatre reprise dans son axe, pour ajuster le compas du bateau après le remorquage. Entretemps, nous avons perdu de vue le General Taylor. A quatre heures de l'après-midi, nous avons vu le M.S. Deutschland en route pour Brême. Une demi-heure plus tard, le remorqueur a détaché le câble, et nous progressions avec nos propres moteurs. Nous sommes repassés devant les quais Columbus. Sur les deux bords du large estuaire de la Weser, nous voyions les côtes de l'Allemagne et les petits villages disparaître derrière les digues. Puis la côte elle-même s'est effacée. On ne distinguait plus que quelques bateaux de pêche et quelques bouées. Le Anna Salén s'est dirigé vers le nord-ouest, par mer calme. Dans la soirée, nous avons aperçu le Helgoland. Pendant des heures, nous pouvions contempler le spectacle de cette île rouge dévastée (NOTE, 1990 : elle avait été l'objet de bombardements massifs pendant la guerre, et on a tenté de détruire l'île après la guerre avec des charges de dynamite), dernier signe qui nous rappelait notre pays. Quand cette île a disparu dans l'horizon qui s'assombrissait, on a pu continuer de voir, pendant longtemps, la lumière clignotante du phare logé dans sa vieille tour de défense. Puis plus rien que de l'eau. De temps à autre, un petit navire ou un bateau de pêche. Les repas étaient excellents et copieux. Les salles de restaurants étaient plusieurs étages plus bas. Les chaises étaient vissées sur le plancher. Dans la soirée, le bateau s'est mis à tanguer et quelques personnes ont eu le mal de mer et ont pu 'nourrir les poissons'. Jusque-là je ne ressentais rien, si ce n'est que j'avais la tête lourde. La nuit était tranquille. Je me suis levé vers cinq heures et demie et je suis allé sur le pont. Hier nous pensions que nous allions prendre la route habituelle et passer par la Manche. Mais ce matin, nous avons réalisé que nous allions vers le nord et que nous nous approchions de la pointe de l'Écosse. Nous devrions donc à un moment de la journée passer entre l'Écosse et les Iles Orkney. La mer était calme, mais le bateau continuait de beaucoup tanguer. Il fallait s'accrocher parfois à quelque chose, mais j'avais déjà pris l'habitude. Pendant la matinée, le soleil brillait, et j'ai vu trois dauphins s’amuser près de la proue du navire. Maintenant il fait de nouveau froid, et il pleut. Il y toujours quelque chose d'organisé dans la salle de danse, mais il n'y a pas assez de filles. Je préfère rester sur le pont.
Journal de AG: 17 juin : en mer du Nord
A bord du Anna Salén, entre l'Écosse et les Iles Orkney
Mercredi 18 juin 1952
Hier, journée noire pour de nombreux passagers. D'après mes estimations, le quart d'entre-eux ont payé leur tribut à Neptune. Le Anna Salén a été pas mal roulé par les grandes vagues et certaines déferlantes arrivaient même à passer au-dessus des flancs hauts de 8 m du bateau. Ce n'était pas une tempête, mais le tangage était très désagréable, surtout sous le pont. Je m'attendais à tout moment à voir les côtes écossaises, qui ne devaient pas être très loin. Puis on nous a dit que nous n'allions pas passer au sud des Shetlands, mais au nord, entre les Shetlands et les Orkneys.
Après le déjeuner, le temps s'est levé et est resté clair et chaud jusqu'en soirée. Une flottille hollandaise de 50 bateaux de pêche a croisé notre chemin. Leurs filets étaient marqués en surface par de grands ballons et des drapeaux et notre bateau a dû changer plusieurs fois de direction pour les contourner, sur une largeur de parfois près d'un kilomètre. Certains bateaux se sont approchés à une très courte distance et j'en ai pris des photos. Les pêcheurs nous faisaient signe et nous appelaient, mais ils ne répondaient pas à nos "Hummel Hummel". Leurs bateaux dansaient comme des baignoires dans cette mer agitée. On avait parfois l'impression qu'ils disparaissaient complètement, et que seuls leurs mâts sortaient de l'eau, puis leur proue réapparaissait, suivie de leur poupe, et alors on ne pouvait plus voir que le gouvernail. Quand les derniers bateaux de pêche ont disparu à l'horizon, nous étions de nouveau plongés dans la solitude sans limite de l'océan. Nous naviguions plein ouest, pile dans la direction du soleil couchant. La première nuit, nous avions retardé nos montres de 53 minutes, et la nuit dernière, de 21 minutes. Il est 6 h ici, mais il serait approximativement 7 h et quart en Allemagne de l'Ouest.
La nuit dernière, on nous a donné un coupon d'une valeur de 1,50 $ à dépenser à bord. Aujourd'hui, une pharmacie et un snack bar vont ouvrir leurs portes pour que tout le monde puisse acheter du coke et de l'alcool. Mais j'ai l'intention d'acheter des choses plus durables. Premièrement, il est déconseillé de boire trop, et deuxièmement, je n'en ai pas envie.
A midi, hier, nous avons eu un exercice d'urgence. Sous chaque lit, il y a une bouée de sauvetage en liège que nous avons dû nous mettre autour du cou. Chaque groupe avait son propre canot de sauvetage. On a dû se rendre sur le pont un petit moment et puis l'exercice s'est terminé. J'ai pris une photo pendant cet exercice, malheureusement, le soleil ne montre pas beaucoup son nez. Puis l'équipage s'est entraîné à préparer les canots de sauvetage. On a trouvé que cela leur prenait beaucoup de temps.
La nuit dernière, j'ai tenté ma chance et je suis allé sur la piste de danse. J'ai dansé plusieurs fois, surtout avec une petite Italienne que j'avais rencontrée à Lesum. Elle parlait aussi bien l'allemand que moi l'italien. C'est drôle, mais il va certainement arriver fréquemment qu'on ne me comprenne pas.
Aujourd'hui, j'ai lu dans le journal du bateau que nous allions passer les Iles Orkney à 4 h ce matin. Je me suis levé à cinq heures et demie mais la seule chose que je pouvais voir c'était de l'eau. Il pleuvait et la visibilité était modérée, avec toutefois une mer plus calme. Malgré cela, Il y a encore plus de gens qui ont le mal de mer.
Journal de AG : 18 juin : Entre l'Écosse et les Iles Orkney
À bord du Anna Salén, se dirigeant vers le sud-ouest dans l'océan Atlantique
Jeudi 19 juin 1952
Hier, j'ai fait une erreur, et quand j'ai jeté un coup d'œil à mon atlas, elle m'a sauté aux yeux. Ce sont les Shetlands qui sont au nord, et pas les Orkney. D'après le journal du bateau, nous devions passer le détroit à 4 h du matin, je me suis levé à cinq heures et demie et je n'ai vu que de l'eau. Je pensais que je l'avais raté et que nous étions en plein océan. Mais à 7 h du matin nous avons vu la terre et je savais que nous étions en retard. Et c'est exactement ce qui s'est passé. A gauche on voyait l'Écosse, et à droite les Iles Orkney. Semblables à des châteaux de roches plongeant dans la mer. On voyait des tours de phares peintes en blanc, des petites cabanes de pêcheurs, mais aussi quelques champs. Probablement de l'avoine, parce qu'il n'y avait pas beaucoup de verdure, et cela ne pouvait donc pas être du seigle. J'ai vu aussi des labours et des chemins de campagne. Au-delà, il y avait de grandes zone monotones de couleur vert-pâle. Je ne sais pas si c'était de l'herbe ou de la forêt. Et derrière, quelques pics majestueux, souvent de forme conique, probablement d'origine volcanique. Puis, au fil de la matinée, les Orkney ont disparus de notre vue, mais nous avons continué de voir les terres de l'Écosse jusque vers 3 h de l'après-midi. J'ai photographié ces rivages abrupts pour garder un dernier souvenir d'Europe. Et puis soudain, de nouvelles côtes sont apparues au sud-ouest : Lewis, la plus grande île des Hébrides et la plus septentrionale. Là aussi, j'ai pu voir de la verdure, des villages, et des phares, au moins le long des côtes. Couronnés à l'arrière par de d'altières et sauvages montagnes rocheuses.
Ce matin, nous avons été dépassés par un cargo, et pareillement cet après-midi. Peut-être se dirigeaient-ils vers l'Islande ou le Groenland. Pendant l'après-midi, il y avait du soleil et il faisait assez chaud. Je suis allé m'asseoir sur le pont, et j'ai laissé le bateau me bercer. Beaucoup de gens vomissaient et mon estomac était un peu dérangé, mais j'ai pu surmonter cette sensation. Le bateau tanguait sérieusement et pourtant la mer n'était pas haute du tout. Hier, la pharmacie a ouvert ses portes pour la première fois. Elle ne proposait que des cigarettes. 1,25 $ la cartouche de 200 ; un vrai paradis pour les fumeurs. J'avais encore mon coupon. La liste de prix indiquait ce qui devait être en vente plus tard : 50 g de chocolat pour 10¢, des chocolats Trumpf Praletten : 10¢, du savon de toilette : 10¢, des films 6 x 9 : 40¢, 10 lames de rasoir : 15¢ ou 20¢, du cirage à chaussures : 10¢. Je m'achèterai probablement 3 films, une boîte de cirage et un bloc de papier-à-lettres pour aérogrammes. En monnaie allemande, cela me reviendrait à un peu près à 6,50 DM, mais ici ça me coûtera 1,45 $. Cela me laissera encore 5¢ pour me payer 2 paquets de friandises aux fruits, 5 boîtes d'allumettes, un crayon et une carte-postale.
La nuit dernière on nous a projeté des film américains en 8mm dans la salle de danse. Ses comédies, du sport, sérieux ou non. Un dessin animé de Mickey Mouse. Il n'y en a eu qu'un d'intéressant : il montrait comment un oiseau (aucune idée de quelle espèce) tuait un serpent à sonnettes et sauvait ainsi la vie à son maître, un garçon mexicain. Après les projections, il y a eu de la danse, mais je suis rentré cirer mes bottes et je suis allé au lit, le bateau tanguait trop. De plus, j'avais pris froid et attrapé une bonne toux. On a encore reculé nos montres, de 45 minutes de plus, soit un total de 104 minutes maintenant. Il est sept heures et demie ici et neuf heures à Itzehoe.
Nous sommes maintenant en plein océan Atlantique et devons descendre du 59e au 45e parallèle. Je ne comprends pas pourquoi nous avons choisi un tel détour et je doute que nous puissions être à Halifax le 24. Mon stylo à billes est presque vide et j'espère que je pourrai trouver une cartouche à bord.
Journal de AG : 18 juin : en plein Atlantique
Journal de AG : 19 juin : en plein Atlantique
À bord du Anna Salén, en plein Atlantique, naviguant vers le sud-ouest
Vendredi 20 juin 1952
Hier, j'ai joué au ping-pong et aux échecs. Je me suis aussi amusé avec le poste radio de l'officier d'escorte pour essayer de capter des nouvelles d'Allemagne. Mais la seule station que j'ai pu capter en langue allemande était une diffusion d'un programme de Moscou. Dans la soirée, un steward a réussi à capter un programme en allemand diffusé par Londres. Nous avons l'intention de l'écouter régulièrement.
Nous sommes maintenant dans le Gulf-Stream, mais il fait encore froid et il pleut. La visibilité est très réduite. Hier matin, deux cargos sont entrés en collision pas très loin de nous, un grec et un norvégien. Nous avons aussi eu droit à un autre exercice de sécurité. J'ai dépensé mes 1,50 $ au magasin et je me suis acheté deux films 6x9, un stylo à billes, une boîte de cirage, un bloc de papier-à-lettres, deux paquets de cookies et du chewing-gum.
Journal de AG : 20 juin, plein océan Atlantique
À bord du Anna Salén, en plein Atlantique, naviguant vers le sud-ouest.
Samedi 21 juin 1952
Hier, j'ai passé la journée à jouer au ping-pong et aux échecs. Il n'y avait rien à faire sur le pont, parce que le brouillard limitait la visibilité à moins de 10 m. Dans la soirée, je suis de nouveau allé au soit-disant cinéma. Il y avait encore plus de navets que la fois précédente. Si c'est ça la culture américaine, j'ai envie de dire : non merci. Mais étrangement, la majorité des passagers présents semblaient très heureux de voir ces films stupides. Ils riaient, criaient et montraient un enthousiasme délirant quand un des personnages en battait un autre presque à mort, ou quand Mickey Mouse fonçait vers le ciel dans une fusée. Quel piètre jugement ! Hier et avant-hier, nous avons encore reculé nos montres, de 38 et 37 minutes. Total : 184 minutes (trois heures et quatre minutes). Il est sept heures du matin ici, 10 h 04 à la maison.
Journal de AG : 21 juin : dans l'Atlantique
Journal de AG : 22 juin : dans l'Atlantique
À bord du Anna Salén, en plein Atlantique, naviguant vers l'ouest.
On a encore reculé nos montres de 64 minutes ; un total de 248 minutes maintenant. Il est sept heures du matin ici, 11 h 08 à la maison, presque l'heure du déjeuner.
Les deux derniers jours ont été très monotones. La mer est calme, mais le temps froid et pluvieux. Mes principales activités ont été le tennis de table et le jeu d'échecs. La nuit dernière, on nous a annoncé par l'intercom qu'il y aurait une heure de lecture de la Bible, suivie d'une discussion. J'y suis allé avec quelques autres, tous motivés par l'idée de batailler et de discuter de problèmes philosophiques. Ça a été une soirée très stimulante. Surtout quand est venue la période des questions et que tout le monde s'est animé. Le présentateur s'est présenté comme un 'Chrétien libre' sans affiliation à une église particulière. Il a commencé la séance par une prière, a lu des passages de la Bible et a tenu un discours sans grande signification. Mais il s'est livré à quelques affirmations extraordinaires. Il a prétendu être infaillible, n'avoir jamais péché et avoir fréquemment rencontré le Saint-Esprit. Il a dit que la prière l'avait sauvé d'un empoisonnement par du poisson. Que ce serait un péché d'aller chez le docteur, puisque toutes les maladies sont la conséquence des péchés. Une personne a demandé pourquoi un enfant innocent de six mois peut souffrir d'une infection à l'oreille interne. Il a répondu que l'enfant était puni de la sorte pour les péchés de ses parents. Il était tellement persuadé de sa propre interprétation étrange de la Bible qu'il pensait être lui-même un nouveau Messie. Je pouvais voir qu'il se complaisait à s'écouter lui-même. Peut-être un malade ou un narcissique.
Le petit groupe de l'audience, environ 40 personnes, l'a pas mal malmené. Il a dû faire face à tous les non-chrétiens, comme nous, mais aussi aux protestants, aux catholiques, aux témoins de Jéhovah et membres d'autres sectes. Nous avons protesté tellement fort qu'il n'arrêtait pas de se protéger avec sa Bible.Il voulait que seuls parlent ceux qui étaient capables d’utiliser les écritures pour prouver qu’il avait tort. Mais personne n’était d’accord avec cela et au final, quand le non-sens était trop flagrant, nous sommes partis à grand bruit.
Et maintenant, il y avait des petits groupes partout, qui débattait de questions religieuses. Chacun condamnait cet homme insolent qui prétendait se présenter comme un apôtre, même si tout le monde savait qu'il prenait des pilules contre le mal de mer.
Journal de AG : 23 juin : dans l'Atlantique
À bord du Anna Salén, en plein Atlantique, naviguant vers l'ouest.
Mardi 24 juin 1952
Hier, après le petit-déjeuner, nous avons reçu nos documents de voyage du centre de documentation. Un carnet de vaccination, une carte d'identité canadienne temporaire, un contrat de transport, et une convention de prêt. Les papiers indiquent que nous allons d'abord être amenés dans un camp, près d'Ajax, en Ontario, supposément à 30 km de Toronto. Cela devrait donc nous demander un jour de voyage depuis Halifax (Note ajoutée ultérieurement : il faut trois jours de train pour aller de Halifax à Toronto).
Dans l'après-midi, nous avons visité la passerelle de navigation et ceux qui avaient un appareil photo ont pris des tas de photos, parce que le ciel était d'un bleu immaculé et il y avait plein de soleil. Dans la salle du gouvernail, nous avons vu deux gouvernails, un automatique et un semi-automatique. Il y avait des sextants, de compas, une machine à télégraphier, un système d'alarme pour les incendies, et surtout, le plus intéressant, un radar. Il était placé dans une salle isolée et consistait en une boîte de métal, avec un pan rabaissé, analogue à un stéréoscope. Il indiquait tout ce qui n'était pas de l'eau : bateaux, icebergs, gros nuages chargés de pluie, averses de grêle, etc. À ce moment, on pouvait voir cinq bateaux sur l'écran, tous des bateaux de pêche. Ils apparaissaient comme de petites tâches lumineuses sur un écran sombre. On pouvait déterminer leur position très précisément. Le radar de notre bateau avait un rayon de lecture de 80 miles soit environ 120 km.
Dans la salle des cartes, ils nous ont montré des cartes de l'océan, un échosondeur etc. Dans une salle spéciale, nous avons vu un gyrocompas, appareil géant qui fonctionne selon les lois de l'électromagnétisme. De nombreuses années d'études, une connaissance profonde des mathématiques, de la physique et de l'ingénierie sont nécessaires pour pouvoir se servir de tels instruments. On pouvait aussi voir, accrochés sur un support, des drapeaux très colorés, appelés fanions, qui servent à la signalisation, avec une combinaison de couleurs différentes pour chaque lettre. Au-dessus du pont de navigation, près des conduits de cheminée, il y avait la partie extérieure du radar, un haut mât avec un demi-cercle qui tournait lentement et absorbait les rayons.
Nous croisons à présent de nombreux bateaux, et pouvons voir quelques mouettes. La nuit dernière il y a eu une autre séance de cinéma. Après les films, nous avons été surpris de voir qu'il faisait déjà nuit. Nous ne pouvions pas comprendre parce que le haut-parleur nous avait annoncé que nous devions reculer nos montres de 28 minutes. Puis est venue la correction : il fallait avancer nos montres de 19 minutes, et non pas les reculer de 28 minutes. Peut-être qu'ils avaient fait une erreur Il y a deux jours. Nous nous sommes toujours dirigés vers l'ouest, jamais vers l'est. Et donc la différence maintenant est seulement de 229 minutes.
Ce matin, à 4 h, nous avons passé Cape Race, au coin sud-est de Terre-Neuve. Mais je ne me suis pas levé avant 6 h et je n'ai vu que de l'eau. Demain matin, nous accosterons à Halifax. Je pense que dès ce soir, nous pourrons apercevoir les côtes de Nouvelle-Écosse. Il est temps de refaire ma valise. Chacun se prépare fiévreusement pour la grande aventure : mettre pied sur le continent américain. J'espère que le temps restera clair, pour que je puisse prendre des photos. Il m'en reste encore 40 à prendre. Nous allons traverser quatre provinces canadiennes : la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, le Québec et l'Ontario.