Patricia Norlander et son fils Stanley

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Patricia Norlander and son Stanley

J’ai rencontré l’homme qui allait devenir mon mari, Albin Carl Norlander devant le YMCA à Sheffield alors qu’il rendait visite à la famille d’un camarade de régiment. Faignant une maturité que je n’avais pas encore atteinte, j’ai prétendu être plus âgée que mes dix-sept ans. À sa grande surprise, je n’avais pas pris une ride quand il est revenu deux ans plus tard vu que je n’avais toujours que dix-neuf ans.

Après avoir été en poste en Écosse pour un entrainement au débarquement d’assaut, il est parti avec le Loyal Edmonton Regiment rejoindre les forces alliées pour l’invasion de la Sicile et la longue lutte pour remonter toute l’Italie, la bataille d’Ortona s’étant avérée être l’une des plus dures.

Pendant ce temps-là, nous nous sommes envoyé des lettres et il m’a envoyé de l’argent pour m’acheter une bague de fiançailles.

Au début d’avril 1945, sans prévenir, il est arrivé chez mes parents assez tard le soir avec un autre camarade à qui il avait demandé d’être son témoin. Après une semaine folle de préparation, sans savoir si on nous donnerait la permission de nous marier ou non (nous l’avons obtenue au dernier moment), nous nous sommes mariés le 14 avril 1945 dans l’église All Saints Parish à Aston, le village juste à côté de là où j’habitais. La mariée et son entourage portaient tous de beaux atours prêtés par de gentils voisins qui avaient été horrifiés d’apprendre que la seule tenue neuve que je possédais était un costume noir à fines rayures.

À la fin des hostilités le 8 mai 1945, il a continué à servir en Angleterre jusqu’à son retour au Canada en janvier 1946 avant la naissance de notre premier fils. En août 1946, j’avais reçu un message me signalant qu’un foyer à Londres accueillait des épouses de guerre venant de différents endroits du Royaume-Uni. Elles étaient ensuite toutes conduites à Southampton pour embarquer à bord du Queen Mary pour leur traversée vers le Canada. Tout comme pour de nombreuses autres épouses de guerre, ma famille m’a fait un signe d’au revoir quand le bus qui se rendait à Sheffield est passé devant mon ancienne maison, m’emmenant avec mon fils et accompagnée par un voisin. Avec mes vingt ans bien sonnés, je ne crois pas que je réalisais le pas que j’étais en train de franchir : tout ressemblait à une grande aventure. Il y avait eu quelques lettres échangées avec mes beaux-parents et je ne me rappelle pas avoir eu peur de leur accueil : après tout, mon mari allait être là lui aussi pour nous accueillir dans notre nouvelle maison.

À bord du Queen Mary, j’ai eu la chance qu’on me donne une cabine aux lambris de noyer équipée de quatre lits superposés, de berceaux en corde accrochés aux côtés de chaque lit et de sa propre salle de bain privée. Pendant tout le voyage, mon bébé et moi en avons été les seuls occupants. Je n’ai jamais su la raison pour laquelle j’avais eu la chance d’un tel luxe ! Avant de monter à bord, j’avais rencontré une autre épouse de guerre de ma région qui avait elle aussi un nourrisson du même âge que le mien. Puisque j’avais un couffin pour bébé pour me faciliter le voyage et qu’elle n’en avait pas, nous déposions les bébés dedans, un à chaque bout, et le bercions entre nous. Malheureusement, même si je me rappelle qu’elle devait aller vivre au Manitoba, nous ne sommes pas restées en contact.

Je le regrette beaucoup, car elle avait été aussi très gentille de me prêter de l’argent quand je me suis retrouvée sans rien après avoir laissé mon sac-à-main dans le cinéma où nous étions allées. On me l’a rendu au bureau du commissaire de bord mais l’argent qui s’y trouvait avait été volé. C’est alors que j’ai finalement versé toutes les larmes que j’avais retenues depuis que j’avais quitté la maison. J’ai pu lui rendre les 30 $ et lui envoyer un mandat postal peu de temps après mon arrivée à Edmonton.

Mon mari est venu à ma rencontre à Edmonton et au bout de quelques jours, nous avons pris le train pour le hameau de Hay Lakes. Je me souviens encore de voir les fausses devantures de magasins, les trottoirs en bois, là où il y en avait, et les rampes d’attache pour les chevaux : tout semblait tout droit sorti d’un western de cette époque. J’ai logé au départ avec ma belle-sœur qui a si généreusement partagé la petite maison qu’elle louait avec nous. Elle avait la patience d’une sainte, avec cette femme en plus dans sa maison, alors qu’elle était déjà veuve avec deux jeunes enfants, son mari qui appartenait aux Forces aériennes étant mort en Belgique.

Le premier automne, en 1946, mon mari a trouvé un emploi avec une équipe de battage qui allait de ferme en ferme. Les femmes s’y mettaient toutes pour nourrir tous ces travailleurs de force : elles leur apportaient aux champs de quoi manger entre chaque énorme repas qu’elles leur servaient quand ils étaient de retour à la ferme. Je me souviens avoir pris beaucoup de poids avec toute cette bonne nourriture.

À Noël 1946, nous avions élu domicile dans deux chambres situées dans une ferme qui appartenait à ma belle-famille, à des miles de tout, des chemins de terre qui devenaient impraticables quand il pleuvait, sans plomberie ou électricité, l’eau était puisée à une certaine distance de là. La moitié basse des murs de la pièce principale était couverte d’un linoleum aux motifs multiples dont les couleurs nous aveuglaient. Une couche de peinture l’a rapidement remplacé ! La deuxième chambre avait été grossièrement construite en rondins et il y faisait si froid que mon mari devait constamment alimenter le poêle à bois qui chauffait l’espace pour que notre bébé ne succombe pas aux températures glaciales.

Notre moyen de transport était le cheval et c’était démocratique. Vous pouvez imaginer l’état dans lequel un dessert traditionnel anglais tel le trifle arrivait à destination quand il avait été transporté sur de mauvaises routes. Pour ajouter l’insulte à l’injure, les invités au Smorgasbord se servaient dans la même assiette qu’ils avaient utilisée pour la dinde et tous ses accompagnements. Je suppose qu’ils croyaient que c’était de la salade en gelée ! Néanmoins, cette communauté scandinave au grand cœur que j’avais rejointe nous a offert, à nous couple sans le sou, des couvertures en cadeau, de la vaisselle, etc. pour nous permettre de débuter notre vie de couple marié. J’ai appris à cuisiner autre chose que du pain de malt sans œufs ce qui en période de rationnement en Grande-Bretagne était la seule chose que ma mère était préparée à me laisser entreprendre. J’ai appris naturellement les autres corvées ménagères puisqu’en tant que l’aînée d’une fratrie de sept frères et sœurs, on s’attendait à ce que je donne un coup de main dès mon plus jeune âge

Je me souviens avoir été impressionnée par la beauté des arbres et des buissons lourdement givrés et quand on sortait se promener, je tirais mon petit garçon sur un traineau en bois, je m’arrêtais parfois pour prendre un bâton et dessiner sur les bancs de neige le long de la route « Kilroy was here » (Kilroy était là). Est-ce que quelqu’un se souvient de ce graffiti ? Je savais que mon mari passerait par cet endroit en revenant d’aller chercher le courrier à Hay Lakes et qu’il pourrait alors voir mes œuvres.

On m’a appris à tirer sur des boites de conserve posées en haut d’un piquet mais j’ai échoué misérablement à toutes les tentatives pour me convertir au métier de fermière. Lors d’une occasion notoire, mon mari avait passé toute une matinée à essayer de récupérer les deux chevaux qui nous appartenaient. On m’avait donné l’instruction de me tenir en haut d’une petite colline juste à l’entrée de l’écurie en tourbe. Ma tâche devait consister à agiter un balai, ce qui était censé amener les chevaux à prendre la direction de l’écurie.

Malheureusement, dès que j’ai entendu le bruit des sabots des chevaux, bien avant que je puisse même les voir, j’ai jeté le balai par terre et me suis réfugiée dans la maison. Mon mari qui comme la reine Victoria n’était pas amusé du tout (not amused) a dû recommencer à essayer de ramener ces bêtes rebelles.

En mai 1947, avec l’aide de la merveilleuse famille White, nous avons déménagé à Edmonton. Mon mari a rapidement trouvé un emploi et nous n’avons jamais regretté. Une fille et deux autres fils se sont ajoutés à la famille ainsi que deux jumelles en 1960. L’une d’entre elle est morte cinq mois plus tard : quelle tristesse !

Mon mari et moi avons travaillé très dur pendant de nombreuses années et ni lui ni moi n’avons reçu d’éducation supérieure. En 1979, j’ai acheté une parcelle de terre près de Mt Robson en Colombie-Britannique et avec l’aide de nos enfants, nous avons tranquillement construit une jolie maison dans laquelle mon mari a pris sa retraite en 1986. J’ai pris la mienne deux ans plus tard puisque j’avais atteint le niveau de prestations de retraite dont j’avais besoin. Nous avons fait de nombreux aller-retour entre Edmonton et la Colombie-Britannique durant ces années alors que la maison recevait ses dernières finitions.

Nos enfants ont enrichi nos vies. Ils ont tous bien réussi dans leur carrière, non sans avoir à se battre et à faire leurs propres efforts. En 1997, nous avons vendu le terrain et sommes retournés en Alberta pour être plus près de nos enfants, de nos sept petits-enfants et de notre arrière-petite-fille : ils sont tous la lumière de nos vies. Un deuxième arrière-petit-enfant est attendu pour le mois de février.

En octobre 1999, mon fidèle partenaire de 54 ans a succombé à une crise cardiaque. J’ai plus tard entendu parler du chapitre d’Edmonton de l’Association des épouses de guerre de l’Alberta, j’en suis devenue membre et j’apprécie grandement la compagnie de mes collègues épouses de guerre lors des réunions et des déjeuners organisés tous les mois.

Pour célébrer mes quatre-vingts ans, qui tomberont en août de cette année, j’ai réservé un voyage à Halifax pendant la dernière semaine de juillet. Mon fils aîné et sa femme, ainsi que ma fille cadette, m’accompagneront et tout comme moi, ils ont hâte de visiter le Quai 21.

Le Canada m’a offert des possibilités que je n’aurais sans doute jamais pu rencontrer au Royaume-Uni et je n’ai jamais regretté d’avoir pris la décision mémorable d’épouser mon Canuck.

Jeune homme en tenue militaire, assis sur une chaise, les mains jointes autour d’un genou.
Portrait aux tons sépia d’une jeune femme portant une robe claire et des perles.