Mur d'honneur de Sobey
Colonne
13
Rangée
9
Je suis né le 29 janvier 1931 en Tchécoslovaquie. Après le coup d’état communiste de 1948, je me suis enfui en 1949 en Allemagne où j’ai travaillé en tant que comptable pour l’Organisation internationale pour les réfugiés (I.R.O. - OIR), une agence des Nations Unies. En 1951, j’ai émigré au Canada. Il y a quatre petits épisodes en relation avec l’arrivée au Quai 21 le 28 mai 1951.
Afin de pouvoir travailler pour une agence des Nations Unies, une personne déplacée, par exemple un réfugié, pouvait être promue au rang d’officier dit de « seconde classe ». Un « officier de première classe » devait être citoyen d’un pays de l’ouest, généralement un Américain, un Canadien ou un Britannique. Ils parlaient tous anglais, un peu de français. Quand notre navire, le M/S Nelly est arrivé au Quai 21 tôt le matin, nous sommes tous allés sur le pont côté quai pour regarder ce qui se passait plus bas. On entendait les dockers se parler en anglais pendant qu’ils amarraient le navire et le sécurisaient avec des câbles. Un ancien collègue à moi de l’OIR se tenait à mes côtés et avec une surprise apparente il s’est exclamé : « Ils sont tous officiers de première classe ! »
Chaque émigrant avait droit à 2 bagages dont le poids était limité. Comme j’étais célibataire à l’époque, je n’avais qu’une petite valise. Un de mes compatriotes qui avait une femme et un enfant en Allemagne m’avait demandé si je pouvais apporter avec moi et sous mon nom l’une de ses malles. J’avais accepté. Alors qu’on débarquait et qu’on entrait dans ce gigantesque hall des douanes avec l’inscription « Bienvenue au Canada » sur le mur en plusieurs langues, nous nous sommes chacun retrouvés en face d’un agent des douanes qui se tenait debout devant une table basse inclinée. Chaque immigrant devait vider ses poches et placer leur contenu sur la table. Puis lui ou elle devait ouvrir nos bagages. Quand j’ai ouvert la malle, je suis resté figé sur place parce qu’il y avait un déshabillé féminin, un soutien-gorge et un pot pour bébé en face de moi ! L’agent a souri. Il savait bien ! Mais il n’a pas fait de commentaires.
Après les douanes, nous sommes passés devant plusieurs tables couvertes principalement de littérature religieuse, mais aussi de documentation sur le Canada. La plus grande table appartenait à l'Ordre impérial des Filles de l’Empire. Même si la plupart d’entre nous ne pouvait pas dire « bonjour » en anglais, chacun de nous, peu importait son niveau d’habilité linguistique ou ses croyances religieuses, s’est vu remettre une bible du Roi Jacques.
On nous a ensuite guidés vers d’autres tables où nous avons pu recevoir notre première nourriture sur le sol canadien. Ils étaient nombreux à encore souffrir du mal de mer et la texture de la nourriture offerte n’aidait pas. Comparés à nos wieners (saucisses) européennes, les hot-dogs n’avaient pas de goût et la moutarde était trop sucrée. Avec le hot-dog, il y avait une tranche d’éponge blanche, coupée en carré et insipide. Nous étions tous habitués au pain de seigle ou aux petits pains blancs et personne n’a pu reconnaître qu’il s’agissait du pain selon les normes canadiennes. Aujourd’hui, je l’aime bien mais seulement au petit-déjeuner, grillé avec de la confiture. Mais si on considère le grand nombre d’immigrants que le Quai 21 devait accueillir (notre navire en avait transporté 1200 et il y en avait eu 250 000 au total en 1951), sans ordinateur, sans la connaissance de la langue, etc., l’arrivée était bien organisée et tous les bénévoles et les agents d’immigration et de douane faisaient leur possible pour nous faire sentir les bienvenus. Ils comprenaient notre anxiété.
Vers 5 heures de l’après-midi, soit 12 heures après l’amarrage, nous étions en route vers l’intérieur du Canada dans l’un des nombreux trains du CNR qui attendait de se remplir de l’autre côté de la rue en face du Quai 21.