Mur d'honneur de Sobey
Colonne
1
Rangée
17
Né Melchior Franciscus van der Laan, le plus jeune de cinq enfants. L'aîné est mon frère, Han, 17 ans plus âgé que moi. J'ai trois sœurs, Adre, Mien et Gre, et je suis votre serviteur qu’on surnomme aussi Mels. Bien qu'encore très jeune à l'époque, je peux encore voir les troupes d'invasion marcher le long du Dijk où je vivais. Je me rappelle aussi de la libération de notre partie de la Hollande, quand les soldats canadiens, britanniques et américains sont arrivés dans notre ville de Lisse en 1945.
Mon père faisait pousser des bulbes de fleurs pour l’exportation et employait mon frère comme apprenti pour l'aider. En 1950, mon frère a décidé d'émigrer au Canada avec sa jeune épouse, Annie. Ils ont fait le voyage au Canada à bord d'un bateau de transport de troupes, mais le confort sur le bateau n'était pas des meilleurs. Ils sont arrivés à Halifax, en Nouvelle-Écosse, sont passés par le Quai 21, puis sont partis pour Vernon, en Colombie-Britannique.
Han a travaillé pour un certain Bill Osborne pendant un moment. Les conditions étaient épouvantables, ils vivaient dans un taudis en ruine et on pouvait voir les étoiles la nuit à travers les trous du toit. Pas d'eau courante, pas de meuble, les toilettes à l'extérieur, et en plus ma belle-sœur était censée faire du travail domestique pour la dame. Le tout pour soixante-quinze dollars par mois. Les voisins étaient des gens au grand cœur et leur ont trouvés un meilleur employeur et un meilleur logement.
En Hollande, j’avais complété ma dernière année à l'école d'agriculture et je préparais mon discours de fin d’étude (Classe Valedictorienne de l'année 1952) ; je pensais ensuite travailler dans l’entreprise de mon père.
Le destin m'avait réservé une autre route. Nous avions un visiteur, un certain Nick Verbruggen, représentant en ventes de bulbes, qui avait sillonné l'Amérique du Nord et, au cours d'un de ses voyages, rendu visite à mon frère à Lavington, en Colombie-Britannique. À son retour en Hollande, notre famille l'a invité à souper pour qu'il nous parle de ses aventures là-bas, et surtout de notre famille au Canada. Une des choses qui m'a fasciné à propos de ce grand pays était l'histoire que Nick nous a racontée au sujet de l'or. Il nous a dit que si on allait en Colombie-Britannique et qu'on était en train de marcher sur une route de terre, en donnant des coups de pieds dans les mottes de terre et les cailloux, il était possible de trouver des pépites d'or là, sous nos pieds. Quel adolescent n'aurait pas voulu se rendre dans un endroit où les routes étaient pavées d'or ?
Au grand étonnement de mes parents et de mes sœurs, j’ai décidé d'émigrer et de suivre les pas de mon frère.
Même si mes parents n'aimaient pas l'idée de mon départ, papa m’a donné sa bénédiction. Maman et lui étaient malheureux mais ils devaient se douter que les opportunités étaient bien meilleures au Canada qu'en Hollande. Mes sœurs avaient maintenant la perspective de rendre visite à leurs deux frères et en effet elles ont toutes deux fait le voyage pour visiter ce merveilleux pays.
Le SS Rijdam a quitté le port de Rotterdam le 30 novembre 1955 et est passé par Le Havre en France par Manchester, en Angleterre, avant de mettre le cap sur le Canada. Mon père, mes deux sœurs, Mien and Gre, mon beau-frère, Jan, le mari de ma sœur aînée, et mon meilleur ami, Pier den Butter, étaient tous au port pour me dire adieu. J'étais en proie à un mélange d'excitation et de bouleversement. La tristesse de quitter ma patrie natale m'étreignait, mais je ressentais aussi un frisson de délice au commencement de cette nouvelle aventure.
Je suis arrivé dans le port de Halifax au petit matin du 9 décembre 1955, et à midi, j'avais passé le hangar du Quai 21. C'était inimaginable de voir la quantité de gens qui passait par là. J'attendais qu'on appelle mon nom, assis sur les bancs de bois correspondant à la lettre 'V'. C'était un peu différent de la Hollande, parce que là-bas, je me serais retrouvé sous la lettre 'L'. Après avoir passé la douane, j'étais prêt à continuer le reste de mon trajet.
Tandis que j'attendais le train qui allait m'emmener vers l'ouest, je me suis aventuré dans les rues de Halifax et j'ai demandé aux passants de prendre une photo de moi. Mais personne n'acceptait, très vraisemblablement parce qu'ils ne comprenaient pas un mot de ce que je disais. A l'époque, je ne pouvais pas m'exprimer très bien en anglais.
Tout ce que je possédais, mes vêtements et mes souvenirs, tenait dans une valise légère en cuir, la seule valise que j'avais emportée. Mon voyage à travers le Canada était financé conjointement par les gouvernements canadien et hollandais, et ils m'avaient aussi donné 75,00 $ pour le voyage de dix jours. Si on considère que sur le bateau le bar était payant et qu'à l'époque j'étais aussi fumeur, 75,00 $, ce n'était pas une somme énorme pour le voyage.
Le commissionnaire du bateau nous avait donnés un billet de train pour la Colombie-Britannique ainsi que 50,00 $ pour la nourriture et les autres frais, juste avant de débarquer dans le port de Halifax.
En montant dans le train pour la côte ouest du Canada, je me rappelle des bancs en bois et du poêle en fonte. Si on voulait un verre d'eau, il fallait passer de voiture en voiture pour l'obtenir. Les moyens de couchage étaient très rudimentaires dans ce train. Comme je voyageais seul je pouvais me débrouiller, mais ça me faisait mal au cœur de voir les familles avec des enfants et de jeunes bébés. Tous les lits qui étaient disponibles leur étaient réservés, le reste d'entre nous dormait assis sur les sièges en bois.
Si vous vouliez manger, vous pouviez acheter de la nourriture dans un magasin quand le train s'arrêtait dans une gare. Du moins s'il faisait jour et si il y avait un magasin dans les environs.
Mon voyage dura cinq jours et cinq nuits. Le paysage se résumait à des arbres et des tronçons de voies. Comparez à l'Europe où chaque couple de miles, le paysage est couvert de villages, de villes ou de terres cultivées. A Montréal, nous nous sommes arrêtés pendant plusieurs heures et je me rappelle de deux Hollandaises qui allaient en Saskatchewan. Elles sont descendues du train et sont parties avec un groupe de marins canadiens. Quand l'heure du départ est arrivée, les filles n'étaient pas revenues et le train est parti sans elles.
Je suis arrivé dans la gare de Kamploops, en Colombie-Britannique, à 2 h du matin le 16 décembre, et j’ai été accueilli par mon grand-frère. Ensuite nous avons conduit pendant 80 miles jusqu'à Lavington, toujours en Colombie-Britannique. Ça nous a donné plein de temps pour échanger les potins sur la famille à Lisse.
C'était mon premier Noël au Canada et la célébration était très différente de celle en Hollande. Ici, à Lavington, tous les travailleurs forestiers avaient droit à une semaine de vacances avant Noël et ne retournaient pas aux camps avant la deuxième semaine de janvier. Les boissons alcoolisées coulaient à flot et c'était continuellement la fête.
En Hollande, c'était aussi le temps des fêtes, mais c'était plus tranquille : on rendait visite aux amis, aux parents et on fêtait la naissance de Jésus par des visites fréquentes à l'église.
Après les vacances, je me suis trouvé un travail chez Alphons Snyder, une exploitation forestière distante d'à-peu-près 10 miles de Lumby, en Colombie-Britannique, et cela a été toute une expérience. Par la suite, j'ai appelé ça "la ballade au chocolat". Quelqu'un m'a offert du chocolat et comme j'étais poli, j'en ai pris non pas un, mais deux ou trois morceaux. À mon grand désagrément, je me suis retrouvé bien malade pendant plusieurs jours et cela m'a presque envoyé à l'hôpital. Ils m'ont traité avec du exlax, pas besoin de rentrer dans les détails.
J'ai changé de travail et je me suis retrouvé chez Iver Hanson, dans la Monasee Mountain à 50 miles à l'ouest de Lumby, et là je suis tombé sur quelques sacrés phénomènes. Un vieux Suédois, un Danois, un groupe de Doukhobors et moi, le seul Hollandais. Je le redis : la barrière de la langue n'était pas une mince affaire.
Mais j'ai appris rapidement. Personne ne vous donnait quoique ce soit si vous ne demandiez rien. Donc si vous étiez dans l'abri- cuisine et si vous vouliez quelque chose à manger, vous aviez intérêt à savoir comment demander la nourriture parce qu'il était absolument hors de question de se servir soi-même en passant devant le nez de quelqu'un d'autre. J'ai vu une fourchette plantée dans la main de quelqu'un qui n'avait pas demandé et qui avait cherché à atteindre ce qu'il voulait sur la table. Quand il était question de nourriture, vous utilisiez vos meilleures manières et demandiez tout poliment, dans le style : « s'il-vous-plaît, pouvez-vous me passer les petits pois » ou « plus de viande s'il-vous-plaît » etc. sans oublier de toujours ajouter un « merci » à la fin de la phrase. Les gars n'étaient pas commodes, une bande de durs à cuire, mais au moment des repas, tout le monde se faisait des civilités, sinon, eh bien vous ne mangiez pas. Ah quelle nourriture merveilleuse ils avaient dans ces camps : des œufs, au plat ou durs ou pochés, ou brouillés, ou bien cuits, et cette nourriture phénoménale, le steak. On m'a fait découvrir un dessert que je ne connaissais pas, les tartes, je n'en avais jamais entendu parler dans la partie de Hollande d'où je venais. Ça m'arrivait de commander une tarte à la citrouille, de me régaler et de dévorer toute une tarte en une seule fois.
Là-bas, j'ai appris un jeu de carte qui s'appelait le poker. Au début je perdais toujours de l'argent. Mais je n'ai pas mis longtemps à apprendre les règles et à comprendre les cartes et bientôt, je remportais souvent la mise.
Après deux ans passés à l'intérieur de la Colombie-Britannique, Je suis parti sur l'île de Vancouver où j'ai travaillé un bout pour Macmillan et Bloedell à Port Alberni dans une scierie.
En 1957, j'ai décidé de retourner à l'école pour devenir soudeur. J'ai réussi le cours haut la main, empoché mon certificat de la province et j'ai déménagé à Prince George. J'ai travaillé comme soudeur et minotier pour la scierie Church à Willow River. Là, j'ai rencontré Russell Dalton, un conducteur d'engin de chantier 'cat'. Il gardait un œil sur le jeune blanc-bec inexpérimenté que j'étais, il m'a montré comment utiliser de l'équipement lourd et nous sommes devenus les meilleurs amis du monde.
Parfois, je me sentais comme un nomade qui errait à la recherche d'or. Je voyageais en Alberta, quelque part entre Calgary et Drumhelier, et j'ai été engagé par Bill Rieger. Bill était le propriétaire d'un magasin de machines et de soudure. Là, j'ai eu mes premiers contacts avec les Huttériens, un peuple très laborieux. J'ai rendu visite à la Colonie Rosebud plusieurs fois pour faire de la soudure. Un des anciens m'a approché et m'a demandé de séjourner chez eux pour apprendre à souder à certains de leurs jeunes hommes. Aujourd'hui encore je regrette de ne pas avoir accepté ce défi.
J'étais à présent un peu nostalgique de la Hollande ; il était temps de retourner rendre visite à ma famille, revoir les anciens amis et camarades d'école et de méditer sur tout ce qui s'était passé depuis mon départ. La plupart de mes camarades ont pensé que j'étais plein d'arrogance, quand je leur ai raconté mes aventures au Canada. Mais tant que ce Canuck riche avait de l'argent pour payer des boissons, ils étaient prêts à s'asseoir et à écouter. Quand l'argent a été épuisé, il n'y a que mes vrais amis qui sont restés : « Ah, quelle leçon ça m'a donnée ! ». À propos, il a fallu que je demande à mon grand-frère du Canada qu'il m'envoie de l'argent pour que je puisse retourner en Colombie-Britannique. Après être resté à la maison chez mes parents pendant trois mois, il était temps de reprendre l'avion pour le Canada. À mon retour, j'ai bougé et j'ai travaillé à Revelstoke dans la construction de routes et dans les vergers de la Vallée Okanogan.
En août 1960, mon frère, son fils de sept ans et sa fille de trois ans, sont partis un matin pour une tournée de pêche. Après les avoir quittés je suis parti pour Vernon pour rencontrer quelques bûcherons. À mon retour, vers dix heures du soir, ma belle-sœur est sortie pour me rencontrer dans l'allée du garage, et m'a dit que Han, Johnny et Nancy n'étaient pas rentrés. J'ai conduit jusqu'à l'endroit où je pensais qu'ils étaient mais c'était le milieu de la nuit et il a été impossible de les trouver.
On a averti les voisins et dès que le jour est apparu, un résident du coin a utilisé son avion privé pour chercher le trio. Il a trouvé la voiture et la recherche s'est poursuivie à pied. On a retrouvé Nancy cachée derrière un arbre, elle n'avait rien mangé depuis 24 heures. Un hélicoptère d'une compagnie forestière a aperçu mon frère et mon neveu flottant dans un tourbillon vers 2 heures de l'après-midi. Ils s’étaient noyés dans la rivière Shuswap : des plongeurs y sont entrés et ont récupéré leurs corps.
La vie a pris un autre tournant et en 1961 je me suis enrôlé dans l'Armée canadienne dans le « Jerico Beach » à Vancouver, en Colombie-Britannique, et je me suis retrouvé dans la Police militaire canadienne. En 1962, J'ai changé d'unité pour rejoindre le Corps royal du génie canadien (Royal Canadian Engineers) et j'y ai servi de manière exemplaire pendant 35 ans. Avec des missions en Europe, au Moyen-Orient, des côtes atlantiques au pacifique du Canada ainsi qu’en Arctique.
En 1964, j'ai épousé une Canadienne, mon amie et ma confidente de trente-cinq ans. Nous avons eu trois fils, très travailleurs, et une merveilleuse fille. Notre aîné a reçu son diplôme d'ingénieur au Collège militaire royal de Kingston, en Ontario. Notre deuxième enfant a étudié à l'Université de Western Ontario pour un obtenir un diplôme en éducation physique. Notre numéro trois est retourné à l'école et étudie l'informatique. La plus jeune a étudié au Early Childhood Education, au Lambton College ; elle travaille à temps partiel et peaufine en ce moment ses connaissance en service à la clientèle.
Ma femme et moi avons pris notre retraite anticipée : nous avons acheté une ferme dans le sud-ouest de l'Ontario et ma vie est revenue à ses débuts. Ici, nous élevons des moutons hollandais, des Dutch Texel, pour arrondir nos revenus ; nous cultivons des bulbes de fleurs pour le plaisir, pas pour l'exportation, dans notre jardin d'agrément, et nous nous émerveillons de voir tout ce que ce pays nous a apporté.
Je n'ai jamais trouvé ces pépites d'or, mais le Canada m'a donné bien plus que de l'or. Une place où la liberté surpasse les attentes les plus folles, où on peut se regarder en face et être heureux de ce que l'on a accompli. C'est un pays impossible à mesurer, qui regorge d'opportunités. Que Dieu le bénisse. En 1955, j'ai traversé l'Océan Atlantique, j'ai débarqué au Quai 21 avec une petite valise, un billet de train aller simple pour l'ouest et 50 $ en poche. Le Canada, c'est chez moi. Que puis-je dire de plus : "O CANADA" je te remercie.