Leonard K. Read

Mur d'honneur de Sobey

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Leonard K. Read

Dans les années 1950, si vous étiez un jeune Anglais en quête de travail, le Canada vous ouvrait ses portes. Et si vous étiez en plus beau et talentueux, ça n’en était que plus facile. Les quatre jeunes hommes qui ont débarqué du Scythia le 29 mars 1953 avaient toutes ces qualités et bien d’autres encore. Cinquante ans après leur descente sur le Quai 21, les trois membres survivants de ce fringant quatuor sont retournés à Halifax pour commémorer leur arrivée et célébrer leur amitié d’un demi-siècle.

Robert Hutchings et les frères Tinker, David et Michael, venaient du même village en Angleterre. Ils sont partis ensemble en quête d’aventure, prêts à saisir les opportunités promises par le Canada. C’est à bord du Scythia qu’ils ont rencontré un esprit frère en la personne de Leonard Read. Les quatre hommes avaient terminé leur Service national et étaient prêts pour l’étape suivante de leur vie. Ils ont passé le voyage à jouer au jeu de palets, à faire des parties endiablées de fléchettes pendant les tempêtes et à céder à une nourriture encore meilleure que celle qu’ils avaient connue pendant leur enfance avant la guerre.

À de leur arrivée, Halifax était pris dans la brume et leur navire a ainsi dû passer deux jours à naviguer autour de l’entrée du port. Les garçons n’y voyaient aucun problème car la nourriture était toujours aussi bonne et la plupart des passagers étaient jeunes. Parmi les autres voyageurs dont ils se souviennent, il y avait un jeune ingénieur architecte envoyé au Canada par Avro pour travailler sur le projet Avro Arrow. Quand on évoque ses histoires d’amour à bord, Leonard Read murmure « Nous étions de jeunes célibataires anglais et timides » avec des yeux pétillants qui en disent long.

Quant aux premières impressions laissées par le Canada, Robert Hutchings remarque que « tout était plus grand. » Les voitures et les trains éclipsaient leurs équivalents britanniques. Ce sentiment s’est renforcé à l’occasion de son premier voyage retour vers l’Angleterre où tout lui a semblé si petit.

Leonard Read se rappelle quant à lui des premiers Canadiens qu’il a aperçus au Canada. En décrivant le froid matin de mars où ils ont débarqué, il explique que « les dockers se blottissaient près des portes et avaient l’air chétifs et frêles, rien à voir avec les fiers soldats Canadiens » qu’il avait vus pendant la guerre.

Nos timides célibataires ont donc franchi les services de l’immigration et sont tous montés dans un train à destination de Toronto et d’emplois prometteurs dont leur avait parlé le personnel de Canada House. Leonard Read était spécialisé dans le domaine des plastiques mais il a tout d’abord rempli son obligation dans le cadre du prêt d’indemnité de passage et est allé travailler dans une ferme à Bolton en Ontario. Il s’est ensuite tourné vers les plastiques alors que le secteur était en pleine explosion. Le Plexiglas, créé par l’armée pendant la guerre, était pour la première fois disponible sur le marché civil et M. Read a pu trouver immédiatement un travail auprès de la société qui avait obtenu l’exclusivité de la distribution au Canada de ce plastique miraculeux.

Robert Hutchings était horloger-bijoutier. Dès son premier jour à Toronto, il avait déjà le choix entre trois emplois. En effet, la bijouterie de qualité était en train de gagner en popularité. Tout comme pour M. Read, son secteur était sur le point de connaître une grande expansion. Les frères Tinker n’ont pas eu autant de chance.

David et Michael étaient mécaniciens monteurs de moteurs. Ils avaient tous les deux été apprentis pendant sept ans en Angleterre et les optimistes de Canada House leur avaient mis en tête qu’ils n’auraient que l’embarras du choix pour leur travail, mais en 1953, l’industrie canadienne rencontrait une passe difficile. David Tinker n’avait jamais été très convaincu par son métier de mécanicien et a déclaré ne pas avoir été fâché d’avoir dû se lancer dans une autre carrière.

Un ami de Robert Hutchings en Angleterre lui avait donné le numéro de téléphone de son frère qui était docteur à Toronto. Il lui avait proposé de faire connaissance, ou de l’appeler s’il avait besoin d’une aide quelconque, et c’est ainsi que les quatre nouveaux arrivants ont téléphoné au docteur et se sont présentés à sa porte. Celui-ci leur a demandé comment ils s’en sortaient professionnellement et lorsqu’il a appris que les frères Tinker n’avaient pas encore trouvé de travail, il leur a suggéré de poser leur candidature à la Banque Impériale du Canada. C’était lui qui réalisait les examens médicaux du personnel et pensait qu’un emploi dans une banque pourrait correspondre à ces jeunes anglais. C’était un conseil précieux et David et Michael ont tous les deux été rapidement embauchés. David explique qu’il ne connaissait même pas la différence entre crédit et débit. Il a appris le métier rapidement lorsque dès le premier jour, on lui a donné une caisse contenant cent mille dollars en lui expliquant qu’il était désormais caissier de compte épargne.

Robert Hutchings a été le premier à quitter Toronto et à se marier. Il vit toujours avec sa femme à Ottawa. Leonard Read et David Tinker sont restés à Toronto et sont tous les deux mariés. Michael Tinker est parti pour Huntington au Québec. Bien que les amis se soient séparés géographiquement, ils ont tous été présents au mariage des uns et des autres et sont restés proches. Ils étaient notamment liés par un amour partagé pour le sport. Ces Anglais-là et leurs épouses ont rempli leur devoir pour le Canada et ont assuré leur descendance avec au total treize enfants et 26 petits-enfants. Le trio qui s’est rendu au Quai 21 était réticent à évoquer ses succès, mais leurs épouses m’ont assuré qu’ils avaient tous les trois prospéré et eu une vie intéressante et heureuse au Canada. Juliet Hutching m’a dit que Robert avait gagné de nombreux prix internationaux pour ses créations en bijouterie, notamment le prestigieux prix Diamonds International parrainé par De Beers.

Michael Tinker est retourné en Angleterre en 1978. Il est malheureusement décédé en France l’année dernière. Il était pourtant ici parmi nous ; sur les photos, dans les histoires et les pensées de son frère et de ses amis qui ont passé l’anniversaire de leur arrivée dans le hangar restauré.

Le trio autrefois célibataire et timide, et aujourd’hui encore assez anglais, a exploré l’exposition, a regardé le film et conté des histoires fascinantes sur sa vie au Canada dont la plupart (les meilleures) se terminaient par les instructions d’un des trois hommes : « Ça, ne le notez pas. » Après avoir répondu à mes questions interminables, les garçons sont allés à la brasserie. Leurs belles épouses étaient à leurs côtés alors qu’ils sortaient pour la deuxième fois du hangar en cinquante ans. Ils ont déclaré tous les trois : « Nous n’avons pas vu passer le temps. »

À la fin du printemps 2003, quatre plaques seront installées sur le Mur d’Honneur Sobey au Quai 21. Les noms de Robert Hutchings, Leonard K. Read, David Tinker et Michael Tinker seront réunis pour toujours. Les trois amis ne seront pas oubliés de sitôt par le personnel et les visiteurs qui ont eu la chance de passer un moment avec eux. Quant à moi, j’ai du mal à croire que ces trois charmeurs aient été timides un jour.

Trois jeunes hommes en costume et pardessus, debout devant un immeuble.
Robert Hutchings au Southampton avec les frères Tinker, vers 1950. Musée canadien de l’immigration du Quai 21 (DI2013.1887.1).
Deux jeunes hommes jouant sur le pont d’un bateau, à partir du niveau supérieur.
Robert Hutchings et David Tinker jouent au jeu de palets en route vers le Canada, en 1953. Musée canadien de l’immigration du Quai 21 (DI2013.1143.2).
Trois hommes plus âgés, debout devant l’exposition de valises au Musée du Quai 21.
Trois hommes plus âgés assis au Musée du Quai 21, leur femme derrière eux.