La famille Alois Kienle

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The Alois Kienle Family

Je n’y crois pas : je vais vraiment aller au Quai 21, à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Depuis que j’ai appris la création de ce nouveau site historique, je suis en mission.

Vous voyez, ça fait quelques 46 ans et demi que j’y suis allée. Je n’avais que deux ans et demi à l’époque alors je ne me souviens pas de grand-chose. Je suis venue ici d’Allemagne, avec ma famille, et je voudrais vous raconter l’histoire de notre voyage.

La plupart de mes souvenirs me viennent de ma mère. C’est fascinant d’écouter ses histoires.

Le 17 décembre 1955, notre famille, qui comprenait mon père Alois Kienle, né à Bobingen et qui avait 24 ans, ma mère, Olga Kienle (née Reichle), née à Untermeitingen et qui avait 23 ans et moi, Margot Tarajos, née à Swabmunchen, 2 ans et demi, avons entamé l’aventure de notre vie en quittant notre petit village d’Allemagne. Quelques voisins étaient là pour nous dire au revoir. La plupart pensait qu’on était complètement fous de prendre une telle décision. Je suis sûre que ça n’a pas été un choix facile à faire pour mes parents, mais nous n’étions que quelques années après la guerre, le travail était rare et le Canada recherchait des travailleurs.

Cet après-midi-là nous sommes montés dans le train à Klosterlefeld pour Munich. À Munich, nous sommes allés nous faire vacciner dans une clinique, selon les exigences d’Immigration Canada.

Le 21 décembre 1955, à Cuxhaven, en Allemagne, où nous avons embarqué sur le M.S. Italia de la compagnie Home Lines.

Notre cabine était plus agréable que la plupart : elle avait un hublot et était située sur un des ponts supérieurs. C’était sans doute parce que mon grand-père (maternel), qui nous attendait déjà au Canada, avait réservé notre voyage chez son agent de voyage canadien.

L’escale suivante était au Havre, en France. D’autres passagers ont embarqué, la plupart d’origine italienne et française. Les Italiens avaient avec eux d’énormes bouteilles de « vino ».

Les Français eux aussi avaient du vin, dans des paniers qu’ils portaient sur l’épaule. C’était quelque chose à voir. Ma mère disait qu’elle n’avait vu que des bouteilles de vin, pas de valises. Eh bien, il faut commencer par le début. Les passagers étaient tous très sympathiques et même si la langue empêchait certains échanges, tout se passait bien. Après tout, nous étions « tous dans le même bateau ».

Nous avons tous célébré la veillée de Noël ensemble. Quand on est rentrés à notre cabine après le souper, des cadeaux m’y attendaient. Tous les petits enfants à bord ont reçu des cadeaux cette nuit-là. Quelle attention !

L’escale suivante était à Southampton, en Angleterre. Quelques autres passagers et des réserves sont montés à bord pour le voyage vers le Canada.

Le voyage transatlantique n’était pas si plaisant que ça. Après tout, c’était le début de l’hiver et nous étions sur l’océan Atlantique, qui est connu pour ses eaux agitées à cette saison. La plupart des passagers souffraient du mal de mer à cause des conditions. Ma mère se souvient de mon père qui m’a tenue par-dessus la balustrade à plus d’une occasion. Lui avait le mal de mer quand il se regardait dans le miroir en essayant de se raser. Ma mère est une des rares personnes qui s’en sont bien sorties, quoi qu’elle se rappelle d’avoir eu le vertige en sortant du cinéma ; rien qu’un bon remontant ne saurait guérir.

Les eaux étaient très agitées : on avait l’impression de reculer plus qu’on avançait. Les jours semblaient être des semaines. Notre jour d’arrivée prévu avait été retardé. Et puis un jour, ces mots : « Ce soir nous accostons à Halifax ».

Ce soir-là, c’était un soir particulier : c’était le jour de l’an. Nous avons soupé dans la salle à manger principale et mes parents ont pris un verre avec le capitaine avant de débarquer.

C’est un peu ironique que la table à laquelle nous étions assis portait le numéro 31 et l’adresse de notre destination était le 31.

Nous sommes passés par le Quai 21, par l’Immigration canadienne, le 31 décembre 1955 selon les tampons sur mes documents. Ma mère dit que c’était tard dans la nuit. Il y avait là des nonnes qui nous ont souhaité la bienvenue, de grands sourires chaleureux aux lèvres. Elles ont donné trois rosaires à ma mère, un pour chacun de nous, et nous ont accueillis au Canada. Ce pays n’aurait jamais pu avoir de meilleurs ambassadeurs. Ma mère a toujours ces rosaires.

Ma mère ne se souvient pas tant que ça du Quai 21 lui-même. Trop d’émotions en un seul jour.

Ensuite, nous sommes montés dans le train qui nous emmènerait à Scarborough, en Ontario. Nos documents ont été tamponnés « Canadian National Railway » (Chemin de fer canadien) le 1er janvier 1956. Le premier de l’an était arrivé et reparti. Il faisait très très froid et mon père pensait que, s’ils n’allumaient pas le chauffage, on gèlerait, c’est sûr. Le train a démarré, a fait quelques miles et est sorti de la ville, s’est arrêté à nouveau, et c’est là qu’enfin, ils ont mis le chauffage. Nous nous sommes installés pour notre première nuit au Canada.

Le lendemain, nous étions sur notre route. Je ne pense pas que mes parents avaient conscience de la taille du Canada. Voyager plus de deux jours et être toujours dans le même pays ! Mon père a demandé une bière au conducteur et il a répondu « Il n’y a pas de bière au Canada ». Pas de bière ! Mon père a essayé de nous acheter à manger. Il ne parlait pas anglais. Pas un mot. Il est revenu avec du pain blanc et du jambon industriel. C’est tellement drôle quand on y pense aujourd’hui. Nous avons appelé le pain blanc du pain « bubble gum », on l’appelle toujours comme ça aujourd’hui. On voit qu’ils étaient habitués au pain de seigle et à la charcuterie. Pour voir le côté positif, mon père a aimé le jambon (même s’il était le seul !).

J’allais de siège en siège réciter « Le petit chaperon rouge » en allemand à qui voulait bien m’écouter. Je disais à tout le monde que j’allais chez mes grands-parents au Canada. Mes parents ont essayé de m’expliquer que j’étais déjà au Canada, mais je ne comprenais pas. Un de nos arrêts était à Québec ; des montagnes de neige et les narines se collaient ensemble. Voilà le froid qu’il faisait. Il faisait froid en Allemagne en hiver aussi, mais rien à voir avec ça. Ma mère était fascinée par les escaliers de sorties de secours en métal à l’extérieur des maisons et par les boîtes au lettres sur des poteaux, au bord de la route.

Nous sommes enfin arrivés à la gare Union Station de Toronto. Mon grand-père nous attendait et il avait emprunté une auto à un bon ami. Les retrouvailles ont été joyeuses et on a pris la route pour notre première maison au Canada. Mais il fallait d’abord s’arrêter sur la rue Danforth, à une épicerie européenne, qui vendait du pain de seigle et beaucoup de charcuterie. La vie est belle ! Quand on est arrivés à la maison, au 31 avenue Commonwealth à Scarborough, une fête de bienvenue nous attendait. La baignoire était pleine de glace et de bière. Je n’ai jamais vu mon père sourire comme ça. Ils avaient de la bière au Canada, ils la livraient même chez vous.

Nous vivions à l’étage et mes grands-parents et mes oncles vivaient en bas. Le travail que mon père devait avoir en arrivant ne s’était pas concrétisé. Ma mère, par contre, a trouvé un travail la première semaine. Elle a commencé comme repasseuse de chemises pour « Golden Mile Cleaners », pour 14,00 $ la semaine. Son patron était tellement content de son travail qu’il lui a offert une augmentation de 3,00 $ la semaine à la deuxième paie. Elle dit que ça nous a suffi pour tenir quelques temps. « Golden Mile Cleaners » se situait au « Golden Mile Plaza », le premier centre commercial de la région.

Mon père était maître charpentier de métier, il a aussi trouvé du travail rapidement. Je me souviens qu’il avait acheté des meubles pour trois pièces, de « Bad Boys », pour un dollar comptant par semaine.

Grâce à ma mère, qui a continué à me parler allemand, je sais encore parler, écrire et lire l’allemand suffisamment pour me débrouiller. Mon père voulait que je lui parle anglais, pour qu’il puisse apprendre mieux la langue. Puisque les enfants apprennent plus facilement une nouvelle langue, j’étais la première de la maison à parler anglais.

Notre première auto était une coccinelle, de Volkswagen : la plupart des fins de semaine nous partions aux chutes du Niagara. C’est toujours un de mes endroits préférés.

Nous regardions Ed Sullivan et Bonanza ensemble tous les dimanches soirs. Et la Soirée du hockey (« Hockey Night in Canada »), bien sûr.

Dès que c’était possible, mes parents ont postulé pour la citoyenneté canadienne. Je me souviens d’avoir aidé ma mère à se préparer au test. Elle était assez nerveuse mais tout s’est bien passé et nous sommes tous les trois devenus citoyens canadiens en même temps.

Mes parents se sont finalement installés à Roseneath, en Ontario (la ville du Carrousel). Mon père a été gestionnaire dans une entreprise de construction pendant quelque 33 ans. Il maîtrisait la langue anglaise. Il aimait ce pays de tout son cœur et il n’a jamais regardé en arrière. Le Canada était le pays de sa famille et il en était fier. Il est mort le 10 octobre 1987 et il nous manque toujours terriblement.

Ma mère a continué à travailler jusqu’à ses 65 ans. Elle s’est remariée depuis, à un gentleman anglais, John Hornsby, et vit toujours à Roseneath. Je me suis mariée, moi, à Terry John Tarajos le 7 octobre 1972. 10 ans plus tard nous avons emménagé dans une maison (à charpente en A) construite par mon père, qui est près de chez mes parents à Roseneath. Nous y habitons toujours.

Je travaille comme analyste d’affaires, pour la même compagnie depuis 18 ans maintenant.

Imaginez-vous jeune, avec un enfant en bas âge, sans parler, lire ou écrire la langue, avec très peu d’argent et laissant toutes vos possessions derrière vous pour venir vous installer et commencer une nouvelle vie dans un nouveau pays !

Cette histoire est dédiée à mes parents, qui ont eu le courage et la perspicacité de le faire. Sans eux, je ne pourrais pas vous dire aujourd’hui avec fierté « Je suis canadienne. ».

À mon mari également, Terry, qui m’accompagne pour mon retour au Quai 21, quoi que ce soit plutôt pour le homard je pense, mais sans qui « je ne suis pas entière ».

Margot (Kienle) Tarajos

Photo d’un homme, d’une femme et d’un petit enfant sur le pont du navire.
Photo d’un homme, d’une femme et d’un petit enfant sur le pont du navire.
Carte d’identité de l’immigration canadienne de Margot Kienle.