Ben Rina Fred Nettie Joop Lindeijer

Mur d'honneur de Sobey

Colonne
4

Rangée
24

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Ben Rina Fred Nettie Joop Lindeijer

Immigration au Canada

Septembre 1956

La photographie a été prise devant notre porte d'entrée du 473 Schimmelweg Straat, Rijswijk, à La Haye, aux Pays-Bas, le matin de notre départ. C'était le 16 septembre 1956. Du plus grand au plus petit : Ben, Rina, Fred, Nettie (Jeannette) et Joop (John) Lindeijer

Je n'avais quant à moi aucune idée de là où nous allions. J'avais fait mes adieux aux amis et aux camarades d'école et savais que nous partions pour le Canada pour de bon. Je ne connaissais rien du Canada. Mon père était le seul qui savait parler anglais. Il pouvait aussi parler allemand et français.

Je connais la plupart d'entre eux mais je ne les ai pas vus depuis des décennies. Certains des frères de mon père sont finalement venus nous rendre visite au Canada. Le frère de ma mère et sa femme sont venus deux fois. Je pense que ma Grand-mère est venue trois fois ou plus et une fois, elle est même venue pendant six mois d'affilée, ce qui a terriblement dérangé ma sœur car toutes les deux ne s'entendaient pas. Deux des frères de mon père vivaient déjà au Canada avant notre immigration. Rein Lindeijer habitait à Dresden, en Ontario, avec sa femme Dien et leurs enfants, Nellie, Rein, Dini et Frits. Godfried Lindeijer était célibataire à Rocky Mountain House en Alberta.

Sur la photo numéro 2, nous devons avoir répondu à l’appel criant d'un membre de la famille parce que nous avons tous tourné la tête vers l'appareil photo une dernière fois. Je ne peux pas m'empêcher de penser maintenant combien tout ceci devait avoir été effrayant pour nous tous. À l'époque, je n'avais ni crainte ni appréhension. Papa nous emmenait au Canada et il devait avoir une très bonne raison. Il ne m'a jamais dit quelle en était la raison d’ailleurs. Beaucoup plus tard, après sa mort, j'ai demandé à Maman pourquoi nous avions déménagé au Canada. Elle m'a dit que c'était le Canada ou la France et qu'elle n'a pas vraiment compris ce qui avait poussé Papa à émigrer. À ce moment-là, le gouvernement hollandais, grâce à des programmes, encourageait activement l'émigration au Canada, en Australie et aux États-Unis. Papa a probablement tiré parti de ce programme parce qu'il se sentait pris dans le bourbier économique qui a suivi la Seconde Guerre mondiale aux Pays-Bas. Mon frère Joop spécule que la profession de Papa (imprimeur et compositeur) n'était pas une profession tellement estimée et que Cor Bettinger, ami de Papa, l'a convaincu que ce n'était pas le cas au Canada.

D'où nous nous tenions, nous ne savions absolument pas que la famille prenait encore des photos. C'était comme aller à l'aéroport pour voir partir des parents du temps où on pouvait se tenir sur la plate-forme d'observation extérieure. On pouvait leur faire signe pendant qu'ils marchaient sur la piste et montaient dans l'avion. On n'en finissait pas de leur faire signe. On faisait signe à la fenêtre de l'avion qu'on pensait être celle de son parent alors que l'avion décollait tout au bout de la piste. On faisait signe, encore et encore, jusqu'à ce que l'avion disparaisse dans les nuages au cas où ils regarderaient vers le bas. C'était l'impression que ça nous donnait quand nous nous tenions sur le pont du Skaubryn ce jour-là au mois de septembre 1956. Et à plus forte raison quand le bateau a quitté les bassins et s'est dirigé vers la mer.

Le dernier petit bout de terre que nous avons vu était la côte du sud de l'Angleterre sur l'horizon lointain en direction du Nord. Il a fallu neuf jours pour traverser l'océan Atlantique, deux de plus que d'habitude. Nous avons été retardés un ou deux jours par le mauvais temps.

Je me souviens que notre cabine était soit sur le même pont soit un pont au-dessus de la cuisine. À cause des odeurs qui émanaient de cette cuisine, la plupart des passagers de ce pont se promenaient avec des mouchoirs trempés d'eau de Cologne sur le visage. Cela ne semblait déranger ni mon frère, ni ma sœur, ni moi. Nous avons passé beaucoup de temps à faire des parachutes avec la ficelle et les papiers qui emballaient les oranges. Nous lâchions les parachutes au milieu de la grande cage d'escalier qui servait à accéder à tous les ponts. Une employée du bateau, plutôt grosse, n'appréciait pas notre sens de l'aventure et du divertissement. Elle nous a pourchassés à plusieurs occasions.

Des poupées/marionnettes souvenirs, représentant des marins, étaient à vendre dans le magasin du bateau et j'en voulais une. Quand j'en ai demandé une à maman, elle m'a dit qu’elle n'avait pas d'argent pour acheter des souvenirs. Je savais que ce n'était pas la peine de discuter, alors j'ai piqué une colère, couru à la cabine et je me suis caché dans le placard pour lui donner une leçon. Quand j'ai claqué la porte du placard, le loquet à l'extérieur est tombé et je me suis retrouvé emprisonné. Me rendant compte que personne ne savait où j'étais et, qu'en cas de naufrage, personne ne viendrait à mon secours, je me suis affolé. Je voyais déjà l'eau qui s'engouffrait par le hublot alors j'ai fait sauter le couvercle de ventilation en plastique et j'ai appelé à l'aide aussi fort que je pouvais. Des gens ont couru chercher mes parents qui se sont rués dans la cabine et m'ont délivré de ma folie imminente. J'étais dans un tel état que pour me calmer, Maman a acheté une poupée souvenir.

Pendant les deux jours de tempête, tous ceux que nous croisions avaient le mal de mer, mais pas ma sœur, ni moi. C'est devenu un petit concours pour voir lequel d'entre nous pouvait durer le plus longtemps. Un jour, sans aucune raison, sœurette a épié quelqu'un mangeant un hot dog et cela a suffit à la faire perdre. Elle a couru au bastingage et a renvoyé ses petits gâteaux et tout ce qu'elle avait mangé d'autre ce jour-là.

Je me souviens des poissons volants, des dauphins et des icebergs. Pendant la tempête, j'étais fasciné par un cargo qui se dirigeait vers l'Europe. Les vagues étaient si grandes qu'à un instant, la proue du bateau était complètement hors de l'eau et le moment suivant, je pouvais voir ses hélices.

Nous avons aperçu la terre pour la première fois en fin d'après-midi, le 25 septembre. J'ai découvert plus tard que c'était Chebucto Head. Ça a pris un peu plus longtemps pour entrer complètement dans le port de Halifax et pour se ranger à côté de l'Île McNabs pour la nuit parce que nous sommes arrivés trop tard pour passer à l'immigration ce jour-là.

Le lendemain matin, nous avons passé l'immigration dans les hangars du Quai 21. C'était bien un hangar. Des poutres et des colonnes d'acier peintes en vert soutenaient un espace immense, compartimenté par des chaînes qui servaient d’enceintes et qui contenaient des bancs en bois sur lesquels les gens pouvaient s'asseoir. Je ne me souviens pas de grand-chose de plus et je peux me tromper sur certains détails. Papa s'occupait de ce dont il devait s'occuper. Plus tard on nous a dit de prendre une passerelle vers un bâtiment plus petit et plus bas pour monter dans le train. Le train était stationné directement à la porte. Je veux dire : pas même un trottoir. Juste là. La seule chose dont je me souvienne du voyage en train est d'avoir reçu une escarbille dans l’œil quand j'ai baissé la fenêtre pour regarder vers l'avant les paysages qu'on allait traverser. La locomotive qui tirait le train brûlait du charbon, chose que je n'avais jamais vue sur un train de passagers en Hollande puisque ces trains avaient été convertis à l'électricité avant ma naissance.

Nous sommes arrivés à Ottawa, en Ontario, vers la fin de l'après-midi ou le début de la soirée du 27 septembre. L'ami de longue date de papa Cor Bettinger, qui avait immigré au Canada quelques années plus tôt, est venu nous chercher. Nous avons vécu avec lui et sa famille pendant environ trois mois avant d'avoir un endroit à nous. Quand nous avons quitté la Hollande, papa avait prévu un emploi au Canada. Quand nous sommes arrivés à Ottawa, l'emploi avait disparu. C'était le vendredi 28 septembre. Ça a dû être une fin de semaine mouvementée car le lundi 1er octobre, nous étions tous les trois à l'école et mon papa avait un autre emploi, qu'il a conservé jusqu'à sa retraite.

Je ne me souviens pas de ceci, mais ma sœur m'a dit que mon frère John et moi, nous nous sommes cachés sous le bureau du directeur quand maman nous a amenés à l'école le premier jour. Je me souviens pleurer pendant que maman me traînait dans le couloir vers la salle de classe. Le directeur d'école a décidé que, dans notre meilleur intérêt, ma sœur, 9 ans, et moi, 10 ans, devrions redoubler une année puisque nous ne parlions pas anglais. Mon frère avait juste six ans, suffisamment jeune pour apprendre l'anglais sans perdre une année. En plus de cela, il était assez intelligent pour faire sa 3e et sa 4e année en une. Je n'ai jamais compris le raisonnement du directeur. À cause de sa décision, sœurette et moi avons eu un an ou deux de plus que les autres étudiants tout le long de notre scolarité publique et secondaire. Son raisonnement était discutable, puisque mon professeur principal a pris sur elle de nous enseigner l'anglais à tous les trois durant ses loisirs, une heure ou plus chaque jour après la classe. Je me souviens encore de son mari ou ami qui arpentait le hall pendant que nous apprenions où Dick était par rapport à Jane et à son chien Spot. En six mois, nous parlions tous les trois suffisamment bien l'anglais pour nous débrouiller seuls. Plus ou moins un an après cela, personne n'aurait pu dire que nous n'étions pas nés au Canada.

Post-scriptum : Le Skaubryn a pris feu et a sombré le 31 mars 1958 dans l'Océan indien, en route vers l'Australie. Mille quatre-vingt-deux passagers (dont 900 étaient des immigrants allemands) et 208 membres d'équipage ont été secourus. Le seul blessé était un homme âgé qui a souffert d'une crise cardiaque dans sa chaloupe de sauvetage. Le Skaubryn a coulé le lendemain.

Jeune homme et jeune femme avec trois enfants, debout sur les marches d’un porche.
Famille vue du quai, marchant sur la passerelle d’embarquement d’un bateau.
Passerelle d’embarquement et bateaux de sauvetage sur le navire, vus du quai.
Navire quittant le quai, petits bateaux l’accompagnant et des gens sur le quai le regardant.
Plusieurs hommes, femmes et enfants posant à l’intérieur d’une grande salle.
Homme, femme et enfants debout devant un grand immeuble du gouvernement.