Bartholomeus et Hendrika Boxem

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Bartholomeus and Hendrika Boxem

Après deux années d’attente et de préparatifs, mes parents avaient pris tout ce qui leur restait, leurs 2 enfants en bas âge et 60 $ CA en liquide ; ils étaient maintenant au port de Rotterdam pour embarquer à bord du navire Groote Beer.

Ils avaient choisi le Canada comme destination parce que c’était les troupes armées canadiennes qui étaient entrées en Hollande afin de libérer leur pays. Les jeunes Canadiens étaient épuisés après leurs efforts et voulaient rentrer chez eux après la guerre, mais ils ont réussi à partager quelques friandises avec les personnes qui les ont accueillis. Alors que les camions et les chars entraient dans les villes et les villages, ils ont été très vite entourés par une foule enjouée de Hollandais soulagés d’être enfin libérés de la tyrannie nazie. Beaucoup d’amitiés ont fleuri ces jours-là et effectivement, beaucoup de soldats canadiens sont rentrés chez eux avec des épouses hollandaises.

La reconstruction de la Hollande (tout comme bien d’autres pays européens) était un long processus. Il y avait peu d’argent pour la reconstruction des maisons qui avaient été détruites par les bombes pendant la guerre. Mes parents habitaient dans une pièce avec ma grand-mère. La maison était bondée car chaque pièce logeait deux autres parents. On n’avait pas vraiment le choix. Quand un enfant arrivait…puis un autre, il n’y avait pas de chambres séparées pour loger les nouveaux membres de la famille.

Mon père avait anticipé ce problème quand il a demandé la main de ma mère. Il était officier de police dans la ville de Haarlem ce qui était considéré être une carrière tout à fait convenable. Pendant ses recherches au sujet du marché du travail canadien, il a remarqué qu’on avait besoin de machinistes et de fermiers et il a alors décidé que ce qui était d’abord un loisir, réparer de petits moteurs, pourrait se développer en carrière lucrative. Il s’est inscrit dans un programme à l’université et après deux ans, il a obtenu un diplôme en tant que machiniste.

Quand le jeune couple a entendu parler d’amis qui avaient aussi immigré au Canada (à Toronto), il a décidé de poser sa candidature et de s’embarquer dans cette aventure. Ils n’ont pas été encouragés par les membres de leurs familles car les liens qui les unissaient étaient très forts et le Canada était bien trop loin. Avec le long et peut-être dangereux voyage qui les attendait, parents, frères et sœurs leur ont tout de même déconseillé de prendre cette voie.

Quand j’avais 3 ans, mon frère est né alors que la lettre acceptant mes parents en tant qu’immigrants au Canada venait tout juste d’arriver. Mon père et ma mère avaient naïvement entendu dire que les emplois et les logements n’y manquaient pas. Ils n’avaient qu’à débarquer dans ce lointain pays et les offres d’emplois ainsi que les logements les attendraient. Ils avaient vendu tout ce qu’ils possédaient à l’exception de leurs vêtements, de leur literie et de quelques accessoires comme une machine à coudre Singer, deux petits tableaux et des ustensiles de cuisine. Tout cela pouvait tenir dans les malles d’une taille requise de 6' x3' x3'. Ils avaient juste assez pour leur traversée et leur 60 $ CA suggérées par les autorités canadiennes.

Pour de jeunes personnes qui venaient de connaître la terreur de la guerre, ce voyage représentait une aventure agréable. Ils auraient assez à manger, un endroit où dormir et un voyage loin de chez eux, un peu comme les vacances que ni l’un ni l’autre n’avait jamais prises. Dès qu’ils ont quitté leurs proches qui leur faisaient signe de la main, les larmes aux yeux, sur les quais de Rotterdam, le voyage a pris une tournure qu’ils n’auraient jamais pu imaginer.

Le Groote Beer n’avait jamais servi comme navire de passagers. C’était un cargo qui avait été rapidement transformé en vaisseau pour immigrants afin de faire des profits grâce au nombre croissant d’immigrants qui partaient pour l’Amérique du Nord. Les cabines étaient divisées, non pas par souci de confort mais uniquement afin de placer autant de passagers que possible dans peu d’espace. Mon père a obtenu une chambre avec d’autres hommes mariés alors que ma mère « cohabitait » avec d’autres femmes et enfants. De grands dortoirs pour les célibataires étaient situés sous le pont au fond du navire. Ils avaient à peine quitté le port qu’on a annoncé que les machines à laver et les sèche-linges étaient tombés en panne. Ce n’était pas une bonne nouvelle pour les mères qui avaient des couches à laver. Chaque article vestimentaire devait être lavé à la main dans l’eau de mer, rincé et ensuite suspendu dans les cabines ou les dortoirs.

L’organisation des repas n’était pas excellente non plus. Tous les adultes devaient manger en même temps dans un grand hall alors que les enfants, à l’exception des bébés, étaient emmenés dans un petit coin où une infirmière s’occupait d’eux et les nourrissait. Un jour, mes parents avaient fini leur diner et étaient venus comme d’habitude me chercher dans la section « des enfants ». Mais cette fois-là, je n’y étais pas. Quelqu’un était parti avec ses enfants à lui et moi, je les avais suivis. Personne n’avait vérifié ni vu qu’il y avait un enfant supplémentaire qui partait avec eux. À 3 ans, j’étais déjà indépendante et rien que d’observer le navire était pour moi comme une incroyable aventure. Je ne savais pas que mes parents qui étaient complètement paniqués, avaient lancé une recherche dans tout le navire et qu’ils montaient et descendaient avec frénésie les différents ponts à la recherche de leur petite fille qui vagabondait. C’est mon père qui m’a aperçue debout entre les canots de sauvetage regardant les vagues dans l’océan, à quelques centimètres du bord. L’ironie veut qu’il s’agisse du seul endroit où il n’y avait pas de rambarde. Il est doucement venu derrière moi, m’a attrapée avant que la prochaine embardée du navire ne me fasse passer par-dessus bord. C’était là la fin de ma visite dans la cantine des enfants. Après ça, j’ai apprécié être dans le hall réservé aux adultes. Il n’y avait pas beaucoup de personnes qui aimaient le réfectoire.

Le cargo avait à peine dépassé la Manche que les eaux calmes de l’océan Atlantique se sont transformées en une mer déchaînée. De grosses vagues ont ballotté le navire et ont retourné les estomacs des passagers. La plupart des personnes ont eu le mal de mer à un moment ou un autre de ce voyage de 8 jours. Le groupe qui est arrivé à Halifax en 1952 était plus mince qu’au départ.

Une fois le navire amarré, les formalités qui suivaient prenaient un certain temps. Les employés de l’Immigration étaient compatissants et appréciaient le fait que les passagers hollandais avaient fait l’effort d’apprendre l’anglais et plutôt bien qui plus est.

Le voyage en train jusqu’à Montréal, et ensuite pour Toronto, était un autre voyage exaltant plein de merveilleux paysages que l’on n’avait jamais vus auparavant. À notre grande surprise, les toits des maisons étaient couverts d’asphalte coloré et non pas faits de tuiles en argile rouge. De vastes contrées agricoles et des forêts s’étalaient et ne semblaient pas ravagées par les bombes mais vertes et sans fin. Ce serait le début d’une nouvelle vie, non sans grands défis et quelques déceptions, mais ce serait aussi une installation magnifique et finalement réussie pour notre jeune famille.

De fiers Canadiens !

Marion Bartlett (Boxem)